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N° 123 ACP du 23 février 2009 complément

Publié le vendredi 13 mars 2009 | https://banpublic.org/no-123-acp-du-23-fevrier-2009/

Supplément au N°123-124
Paris, le lundi 23 février 2009 
Arpenter le Champ Pénal et y livrer bataille

7ème année
Directeur de la publication : Pierre V. Tournier 

LETTRE OUVERTE
de Pierre V. Tournier
 à propos du projet de loi pénitentiaire

« Encore une effort Mesdames et Messieurs les Sénateurs »

Spécialiste des politiques pénales et pénitentiaires, ayant travaillé plus de 20 ans comme expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe, je continue à espérer que le projet de loi pénitentiaire dont vous allez débattre permette, à notre pays, de s’engager, de façon significative, dans le respect des règles pénitentiaires européennes adoptées le 11 janvier 2006 à Strasbourg. N’était-ce pas l’un des engagements du président de la République ? 

 Si le projet initial déposé par le Gouvernement s’avérait bien décevant, au regard de la situation actuelle des prisons françaises, je ne peux que saluer la qualité des travaux réalisés par la Commission des lois du Sénat et son rapporteur, Jean-René Lecerf, mais aussi par la commission des Affaires sociales qui a fait au moins quatre propositions essentielles, à mes yeux. Aussi je tenais simplement à vous faire part de quelques remarques.

 1. - Le débat sur la surpopulation carcérale est souvent confus. On y parle de détenus qui n’ont même pas de lit, d’établissements où le nombre de détenus est supérieur à la capacité, mais aussi d’encellulement individuel et plus rarement de la vie en détention (temps excessif passé dans la cellule, oisiveté, absence de vie sociale au sein de la prison, etc.). Cette question de la surpopulation est évidemment primordiale car la possibilité de respecter la plupart des règles pénitentiaires en dépend. Rappelons, qu’au 1er janvier 2009, le nombre de détenus en surnombre s’élève à 12 669 contre 9 780, il y a deux ans, soit une augmentation de 30 % (France entière) . Dans la lutte contre la surpopulation carcérale, les priorités sont, pour moi les suivantes  :

- 1ère étape : Il ne doit plus y avoir de détenus dormant sur un matelas à même le sol. Depuis quelques temps, l’administration pénitentiaire tient une statistique du nombre de détenus à qui nous imposons ce traitement dégradant, mais le Garde des Sceaux se refuse à la rendre publique.

- 2ème étape : le nombre de détenus en surnombre doit être proche de 0 (densité carcérale de chaque établissement inférieure ou égale à 100 détenus pour 100 places). Au 1er janvier 2009, 139 établissements ou quartiers - sur un total de 231, soit 60 % - ont une densité supérieure à 100.

- 3ème étape : respecter le principe de l’encellulement individuel la nuit, pour les prévenus comme pour les condamnés .

- 4ème étape : limiter le temps passé dans la cellule (la chambre) aux périodes de repos. Sauf cas exceptionnels, la journée doit se passer hors de la cellule, dans les « lieux de vie » : en ateliers, dans les locaux de formation générale ou professionnelle ou les lieux d’activités culturelles ou sportives, ou les espaces de promenade, dans les lieux de soins, les lieux de pratique religieuse, les parloirs, etc. 

 2. - Article 1er A (nouveau). Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion afin de lui permettre de mener une vie responsable et exempte d’infractions.

 L’ajout de cet article est un progrès considérable de part la référence au « sens de la peine » défini dans les règles pénitentiaires européennes . Encore ne faudrait-il pas oublier que la prison n’est pas uniquement un lieu d’exécution des peines. En 2008, sur les 89 054 entrées en détention (France entière), on compte 51 515 entrées de « prévenus », soit 58 %. Au 1er janvier 2009, sur les 66 178 personnes sous écrou, on compte 15 933 prévenus, soit 24 % de la population sous écrou. Aussi ce premier article devrait-il rappeler cette évidence, ainsi que le principe de la présomption d‘innocence. Il devrait aussi indiquer quel est le sens, dans un Etat de droit, des mesures privatives de liberté - avant jugement définitif -.

 3. - Article 2 quinquies (nouveau). Un décret détermine les conditions dans lesquelles un observatoire, chargé de collecter et d’analyser les données statistiques relatives aux infractions, à l’exécution des décisions de justice en matière pénale et à la récidive, établit un rapport annuel et public comportant les taux de récidive par établissement pour peines afin de mesurer l’impact des conditions de détention sur la réinsertion.

 Compte tenu de la réforme en cours, décidée par le président de la République, de l’Observatoire national de la délinquance (OND), cet article n’a pas lieu d’être. Rappelons que l’OND qui jusqu’à présent dépendait du Ministère de l’intérieur, sera dans l’avenir rattaché au Premier Ministre. Sa compétence sera élargie à l’ensemble du processus pénal : des faits constatés par la police et la gendarmerie à l’étude de la récidive des infractions pénales, en passant par l’activité des juridictions et l’exécution des mesures et sanctions pénales . Sera ainsi mis en place un Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Il reviendra, naturellement, au Ministère de la justice, de développer les outils nécessaires à l’étude de la récidive.

Pour de nombreuses raisons que nous ne développerons pas ici, l’idée de produire, chaque année, des « taux de récidive par établissement pour peines afin de mesurer l’impact des conditions de détention sur la réinsertion » est, sur le plan scientifique, dénué de toute pertinence . 

 4. - Article 11 ter (nouveau). Toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités et à sa personnalité.

 La proposition que j’ai présentée à maintes reprises - et répétée devant votre rapporteur M. Lecerf - est bien différente  : « Dans les prisons françaises, il y a urgence à lutter contre l’oisiveté en détention. Chaque personne détenue devrait pouvoir bénéficier d’une, au moins, des solutions suivantes : a. un emploi, b. une formation générale et/ou professionnelle, c. des activités culturelles et/ou de formation à la citoyenneté. Pour chacune de ces activités, les personnes détenues (prévenues ou condamnées) devraient recevoir une rémunération et/ou un revenu minimum de préparation à la sortie (RMPS), naturellement calculés en fonction des ressources dont ils disposent. Cette proposition [...] avait été rendue publique dans une tribune que j’avais cosignée, dans Le Monde, avec Christine Boutin, alors députée des Yvelines (UMP) .

 Il doit y avoir « obligation de moyens » du côté de l’administration, pour que l’obligation faite à la personne condamnée ait un sens. Cette obligation de moyens doit concerner les prévenus comme les condamnés, conformément aux règles pénitentiaires européennes.

 5. - Article 11 quater (nouveau). Sous réserve du maintien de l’ordre et de la sécurité de l’établissement, les détenus peuvent être consultés par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées.

 La rédaction de cet article est vraiment étrange : de fait, il autorise l’administration à consulter les détenus ! La règle européenne n°50, déjà très timorée par rapport à ce qui existe dans de nombreux pays européens (comités consultatifs de détenus) dit tout autre chose : « Sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ».

 A propos de l’avis n°222 de M. Nicolas About, au nom de la commission des affaires sociales du Sénat :

 6. - Article additionnel après l’article 3. Après l’article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé : Les procureurs de la République et les juges d’instruction effectuent au moins une fois par an une visite dans chacun des établissements pénitentiaires situés dans le ressort de leur juridiction.

 On ne peut qu’approuver une telle proposition.

 7. - Article 14. Rédiger comme suit cet article : La participation des détenus aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à la signature d’un contrat de travail de droit public entre le détenu et l’administration pénitentiaire, représentée par le chef d’établissement.

 Le contrat ne devrait-il pas concerner la personne détenue, l’administration pénitentiaire et , le cas échéant, l’employeur ?

 8. - Article additionnel après l’article 32. « Après l’article 32, insérer un article additionnel ainsi rédigé : Un détenu ne peut être incarcéré dans un établissement ayant un taux d’occupation supérieur de 20 % à ses capacités. »

 Excellente proposition : enfin la nécessité d’un numerus clausus pénitentiaire est reconnue, même si je préférerais parler d’établissement - ou quartier - ayant une densité carcérale supérieure à 120 détenus pour 100 places (opérationnelles).

 Simulation. Au 1er janvier 2009, 104 établissements - ou quartiers de détention - ont une densité carcérale supérieure à 120 détenus pour 100 places.
Sur les 12 669 détenus en surnombre (France entière), 11 947 se trouvent dans ces 104 établissements - ou quartiers (soit 94 % du nombre de détenus en surnombre).

 Imposer de ne pas dépasser une densité de 120 détenus pour 100 places reviendrait à retirer de ces établissements ou quartier 6 997 détenus (au moyen d’un aménagement de peine ?). Ainsi cette mesure ramènerait le nombre de détenus en surnombre à 12 669 - 6 997 = 5 672. 

Avec l’expression de ma haute considération

Pierre V. Tournier
Directeur de recherches au CNRS
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne 

 
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• ACP-SUPPLEMENT-23-FEV-2009, (Word - 328 kio)