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Témoignage du quartier disciplinaire : L’administration pénitentiaire met ma vie en danger

Publié le jeudi 12 février 2009 | https://banpublic.org/temoignage-du-quartier/

Mr. Salim MELLAH 
Centre pénitentiaire
71246 Sennecey-le-Grand

A Madame Rachida DATI
Ministre de la Justice
Place Vendôme
75007 PARIS

Le 28 Janvier 2009

Madame,

Je me permets de vous adresser un second courrier suite à ma situation à Varennes Le Grand où malgré toutes les personnes contactées, les pressions de la part de l’administration ont empirées.

Comme je vous l’ai indiqué, je me trouve depuis 12 jours au quartier disciplinaire. L’administration met ma vie en danger. Je suis perdu et la seule chose qui me fait tenir face aux tortures physiques et morales des surveillants, c’est de pouvoir dénoncer tous ces problèmes dans les prisons et parler au nom de tous ces détenus qui n’osent pas le faire.

J’espère de tout coeur ne pas perdre espoir. C’est la raison pour laquelle je vous demande vraiment de prêter une attention toute particulière à mon courrier et surtout, d’y donner suite.

J’évite de rentrer dans les détails, car cela risque d’être trop long et je ne pense pas avoir assez de papier pour tout mettre. Je vais vous énumérer quelques problèmes que j’ai rencontré parmi tant d’autres.

• Lors de mon placement au quartier disciplinaire, j’ai demandé au surveillant de préparer mes affaires. Celui ci m’a dit de prendre quelques vêtements du papier et un stylo.
 
 Il a refusé que je prenne le reste de mes affaires. Après 12 jours au quartier disciplinaire, j’ai demandé à récupérer mes cantines, du courrier et des affaires que je devais envoyer à mon avocat. Les surveillants m’informent qu’ils ne retrouvent rien et refusent de faire l’inventaire de mes affaires. Face à cette réponse, j’ai demandé à voir le Directeur ou un chef. En retour, j’ai reçu des insultes et menaces. Tout en restant poli j’ai insisté à plusieurs reprises jusqu’à en arriver au conflit, pour récupérer mes affaires et cantines. Je vous rappelle que cela fait 12 jours que je n’ai pas avalé un aliment.
 
• Aucune explication ne m’est donnée. Mon frère a contacté plus de 25 personnes (députés, sénateurs, procureurs, consuls, médias, associations) et rien ne change pour moi. Toujours autant de pressions, de maltraitances, d’humiliations.

• Face à tout cela, j’ai bloqué ma cellule et j’ai demandé à voir le Directeur, toujours en étant poli et correct. En retour, 2 brigadiers et 2 surveillants cagoulés avec bouclier, débarquent devant ma cellule. L’un deux me parlait froidement prêt à intervenir physiquement, croyant que j’étais violent ou menaçant, car je ne voulais pas discuter avec. Je me suis adresser à l’autre surveillant à travers la porte, en lui précisant que tout ce que je voulais, c’est voir le Directeur. Mais, ce dernier n’est pas venu. N’arrivant pas à ouvrir la porte, un des surveillant est allé chercher un couteau pour couper le drap qui cou pait la porte. Après réflexion, j’ai signalé au surveillant que j’allais ouvrir la porte et je leur est précisé que je n’allais pas être violent, ni menaçant. On m’a demandé de me retourner, mit les menottes, vidé la cellule, retiré les draps et couvertures, les serviettes, mes vestes, le coussin... Ils ne m’ont laissé qu’un stylo et des feuilles. 
 
• Sachant que j’étais en grève de la faim, ils ont osé me couper l’eau, le radiateur et m’ont laissé en tee-shirt et panta-court.

Le lit est collé à la fenêtre, dehors la température voisine les -5°celcius, il est 4 heures du matin, j’ai froid, mes jambes sont bleues à cause du froid passant à travers la fenêtre. J’essaye de m’endormir mais au bout de quelques minutes, le vent glacial me réveille. Qu’ai-je fais pour mériter cette torture ?
J’ai tout simplement essayé de faire valoir mes droits en portant plainte contre l’administration pénitentiaire et cela, ne lui plaît toujours pas.

- Des radiateurs rarement mis en route, des douches avec minuteur qui coupent l’eau au bout de minutes, des cantines en retard, des détenus dévalorisés, rabaissés. Voici le dixième de ce que nous subissons.

J’ai eu un malaise et je suis tombé sur la bouche. Je me suis cassé une dent et ouvert la lèvre. Aucun médecin n’est venu m’examiner. Ce jour, le 28/ 01/ 2009, j’ai adressé un courrier à M. le Directeur, en lui indiquant que je devais sortir du quartier disciplinaire.

En effet, ma sanction a débuté le 08/ 01/ 2009 pour une période de 20 jours. Cette peine m’a été notifiée, ainsi qu’à mon avocat Me Thomas, du Barreau de Chalon-sur-Saône. Nous avons signé ce document ainsi que le Directeur.

Mais le problème c’est que je n’ai pas exécuté ma peine, du fait du manque de place au quartier disciplinaire. J’ai donc été conduit le 15/ 01/ 2009 dans ce dernier. Mais aucune notification ne m’a été signifiée pour préciser que je commençais ma peine de quartier disciplinaire ce jour là, ni pour aviser mon avocat, ni pour m’informer comme le stipulent les textes de loi sur le sujet.

Il est donc logique que je sorte ce jour, le 28/ 01/ 2009.

A 8 h j’ai remis un courrier au surveillant, rédigé par mes soins, dans lequel j’expliquais la situation en détails à M. le Directeur. A 9 h, le surveillant revient avec une copie identique à la décision du 08/ 01/ 2009. Or, trois éléments démontrent que ce document est un faux. En bas de la page, le document a été imprimé le 28/ 01/ 2009 à 8 h51, aucune signature du Directeur, ni celle de mon avocat. Plus grave encore, les dates d’entrée et de sortie ont été modifiées pour me maintenir plus longtemps au quartier disciplinaire. On m’a donc remis un faux document. J’ai demandé à plusieurs reprises, de récupérer l’original de la décision du Prétoire, ainsi qu’un sac de linge qui se trouvait au vestiaire. Mais le surveillant prétend qu’il ne retrouve ni la décision, ni mon linge. J’ai donc demandé à avoir une copie de cette décision qui se trouvait dans le bureau des surveillants. On me l’a refusé.

Je préfère m’arrêter ici en ce qui concerne mes problèmes, je n’ai plus beaucoup de papier.

Après tous ces problèmes, le Directeur me rend visite dans ma cellule. Je lui explique la gravité du faux document que je lui présente. Voici sa réponse : « Je sais, mais à ce jour, aucun détenu n’a remarqué cette erreur sur leur document et aucun n’a jamais fait un recours. Faites donc un recours et on statuera si vous avez raison ou pas ».

Voila Madame la Ministre, comment un Directeur et ses employés gèrent leur établissement et les détenus dont ils ont la charge. Ils se croient au-dessus des lois, au-dessus de tout le monde. Je suis prêt à aller jusqu’à la Cour Européenne pour que ces personnes soient sanctionnées et que justice soit faite.

- J’ai déposé plainte pour la 7ème fois auprès du Procureur de Chalon-sur-Saône contre le centre pénitentiaire.

Je sais que j’ai pris un risque en le faisant. La preuve, j’en subis toujours les conséquences. Mais je ne lâcherai pas prise. Sauf si la machine à détruire se met en route et qu’on me sorte de la prison les pieds devant.

Apparemment, les services de la Gendarmerie ne trouvent pas grave ce qui m’arrive.

Je ne suis pas aller bien loin à l’école, du fait de mes problèmes avec la justice, mais j’ai retenu quand même une chose qui me semble importante : la définition des droits de l’homme et du citoyen et je peux vous assurer, qu’ici, ils sont loin d’être respectés. Ni dans cette prison, ni dans de nombreuses autres. J’ai été affecté dans une dizaine d’établissements, en tant que mineur et mais aussi majeur et pour ne pas avoir envie de se suicider au regard des méthodes et traitements infligés aux détenus, il faut avoir vraiment foi en la vie et surtout être solide. Partout où je suis passé les pratiques de gestion inhumaines, à l’égard des détenus, sont identiques.

Sachez que vous êtes très loin de vous imaginer ce que nous subissons dans les prisons françaises. Je n’ai que 21ans et je ne suis pas un grand bandit. J’ai connu la prison à l’âge de 14 ans. Au total j’ai passé 5 années en prison. Je m’apprête encore à effectuer 5 années.

Pourtant je n’ai tué personne, je ne suis pas un criminel mais quelqu’un qui prend plaisir à conduire de belles voitures. Et pour en payer le prix, je passe 10 années de ma vie derrière les barreaux. J’ai toujours assumé mes condamnations, mais ces 5 prochaines années vont m’être très difficiles car j’estime que la justice n’a pas été correcte avec moi.

Mais seule la Cour de Cassation en décidera. Ce que je ne veux pas assumer, c’est le fait d’être anéanti, poussé au suicide par les surveillants dont certains d’entre eux sont des tortionnaires. Croyez-moi ou pas, mais nombreux sont ces détenus qui rencontrent des problèmes et qui n’osent pas porter plainte de peur que les surveillants rendent encore plus difficile leur vie en détention. Mais vous avez aussi les détenus fiers, rebelle qui vous diront : « je ne porte pas plainte, mais si on me cherche, on me trouve ». Et bien ceux-là se retrouvent au quartier disciplinaire.

Avant de terminer mon courrier, je tiens juste à rendre hommage à M. Ibrahim NEFJAH, qui venait de la ville de Troyes. Il avait 23 ans et a été retrouvé pendu dans une cellule d’isolement du Centre Pénitentiaire de Varennes le Grand.

Ce détenu avait parlé de ses problèmes à un surveillant et à un autre détenu. Jusqu’à ce jour, personne ne s’est posé de questions sur sa mort et sur le fait que jamais la presse n’a été informée de ce drame.

Les citoyens doivent savoir ce qui se passe dans les prisons et les politiciens doivent agir face à ces problèmes. C’est pour cela que j’ai pris la décision de dénoncer ce qui se passe derrière les hauts murs des prisons françaises à l’abri des regards, ce que l’on me fait subir et ce que j’ai vu en prison. Aujourd’hui, j’ai décidé de parler, afin que les choses changent, que l’on soit traité comme des humains, même si je dois y laisser ma vie.

La prison ne devrait être qu’un lieu privatif e liberté, au sein duquel nous devrions effectuer notre peine dans des conditions dignes d’une démocratie qui se prévaut être le berceau des droits de l’homme, sans être détruit moralement ou poussé au suicide.

Si vous pensez que tout ce qui nous arrive n’a pas d’importance ou que c’est normal, merci de ne pas donner suite à mon courrier.

Madame la Ministre, j’espère que vous prendrez cette présente lettre en considération, afin que je sois transféré et que je puisse avoir une détention normale ainsi que mes nombreux compagnons de galère.

Veuillez m’excuser de la présentation de cette dernière page car je suis à court de papier.
Dans l’attente, veuillez agréer, Madame la Ministre, mes sincères salutations.

Salim MELLAH