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2008 N°6 KAMO La place de la psychiatrie en prison

Publié le mercredi 12 novembre 2008 | https://banpublic.org/2008-no6-kamo-la-place-de-la,11262/

LA PLACE DE LA PSYCHIATRIE EN PRISON
Libre réflexion autour d’un drame récent

A la suite du meurtre d’une personne détenue par son co-détenu à la maison d’arrêt de Rouen, la garde des sceaux aurait « encouragé les directeurs à prendre le cas échéant l’avis d’un médecin extérieur, voire du préfet, qui peut prononcer une hospitalisation d’office » (Le Point.fr du 19/09/2008).
Cette prise de position a été à l’origine d’un débat sur internet entre professionnels de la psychiatrie exerçant ou ayant exercé en milieu pénitentiaire.
Pour les lecteurs qui n’auraient pas en tête toutes les données de l’hospitalisation en psychiatrie des détenus, rappelons quelques principes simples. Les personnes détenues bénéficient de soins psychiatriques librement consentis. Si elles présentent des troubles mentaux qui nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre publique (article L. 3123-1 du code de la santé publique), elles ne peuvent être maintenues dans un établissement pénitentiaire (article D 398 du code de procédure pénale).
Le citoyen non détenu peut bénéficier de soins psychiatriques en milieu hospitalier de trois manières : par une hospitalisation librement consentie (HL) ou par une hospitalisation contrainte, soit sur demande d’un tiers (HDT), soit en hospitalisation d’office (HO).
L’hospitalisation d’office nécessite un certificat médical circonstancié (d’un médecin n’exerçant pas dans l’hôpital d’accueil) et un arrêté préfectoral.
La personne détenue, actuellement, ne peut être hospitalisée que sous le régime de l’hospitalisation d’office. Afin d’aligner les droits aux soins psychiatriques hospitaliers des personnes détenues, le principe des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est entré dans la loi en 2002. Les UHSA, implantées dans des hôpitaux, sécurisées par l’Administration pénitentiaire, permettront d’accueillir les détenus en hospitalisation libre, sur demande d’un tiers et en hospitalisation d’office. Les premières UHSA sont en construction [1] mais aucune n’est actuellement encore opérationnelle. La création des UHSA répond à la fois à la nécessité de permettre un égal accès aux soins des détenus par rapport à la population générale, mais elle est aussi consécutive à la réticence croissante des services de psychiatrie à accueillir des détenus (le premier argument est l’hypocrite affichage officiel pour faire oublier la réalité du second).
L’hospitalisation en psychiatrie des détenus est donc réalisée à la demande des psychiatres ou des médecins généralistes exerçant en milieu pénitentiaire.
Dans le cas présent, la ministre de la justice semble vouloir dire que si les médecins de l’établissement ne demandent pas une hospitalisation et que le directeur de la prison considère qu’elle serait justifiée, il pourrait faire appel à un médecin extérieur à l’établissement pénitentiaire, mais ne dépendant pas de l’établissement hospitalier d’accueil.
Outre l’appel éventuel à un médecin extérieur pour signer le certificat d’HO, la ministre de la justice met en place une procédure pour gérer les détenus aux comportements à risque en sommant UCSA et SMPR d’assister aux commissions, d’y donner leur avis qui serait consigné par écrit (cf. ci-dessous, l’instruction de la Garde des Sceaux du 17 septembre 2008).
Le SMPR de Guadeloupe qui a suspendu sa participation aux réunions pluridisciplinaires suite à l’annonce d’un possible partage des dossiers pénitentiaires et médicaux envisageait (mais avec réticence car la confiance n’était pas revenue) de participer à ces réunions puisque ces problématiques incestuelles semblaient avoir été écartées et que le projet de loi pénitentiaire n’évoquait pas ce partenariat pervers. Voilà donc confirmation au non retour de la confiance.
Nous poursuivons donc la suspension de notre participation aux réunions tout en continuant à avoir un échange ciblé en fonction des situations dans le respect de la déontologie médicale, des droits du patient et de l’intérêt collectif. Ce fonctionnement est d’ailleurs très efficace et évite que nous perdions notre temps (alors qu’il nous en manque constamment) dans le paraître de réunions qui satisfont essentiellement les statistiques de l’administration et cherchent à réduire les services de soins, UCSA et SMPR, à des prestataires de service pour l’AP.

Paris le 17 septembre 2008
Instruction aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires et aux chefs d’établissement pénitentiaire

Je rappelle à l’ensemble des chefs d’établissement pénitentiaire que la décision d’affectation des détenus en cellule relève de leur compétence exclusive. 
Des agressions très graves ont été récemment commises par des détenus considérés comme instables ou dangereux, c’est-à-dire présentant un « comportement à risque » à l’égard d’agents du service public (prises d’otage) ou de codétenus (meurtres).
Nos dispositifs internes ne prennent pas suffisamment en compte cette catégorie de détenus. Les régimes de détention n’ont pas été assez différenciés, ce qui a conduit à une fragilisation de l’ensemble de nos structures.
Dorénavant la dangerosité doit être un élément fondamental de l’individualisation du régime de détention.
La présente instruction définit les nouvelles modalités d’affectation en cellule des détenus dangereux pour eux-mêmes et pour autrui, ainsi que le régime de surveillance dont ils doivent faire l’objet.

1 - La décision d’affectation
La décision d’affectation au sein de l’établissement pénitentiaire, dans un quartier particulier ou dans une cellule déterminée, relève de la seule compétence du chef d’établissement.
Cette compétence n’est pas partagée. Elle demeure même en cas de contre indication médicale. Elle n’exclut pas que le responsable pénitentiaire s’entoure de toutes les informations et avis qu’il juge utiles à sa décision.

2 - Les demandes de changement de cellule
Désormais, dès qu’une personne détenue exprime le soul1ait de changer de cellule, cette demande, qu’elle soit formalisée par un écrit ou non, doit être prise en compte dans les plus brefs délais.

3 - Les cas de détenus présentant des risques particuliers
La présence, de plus en plus fréquente dans les détentions, de détenus présentant un « comportement à risque » laissant craindre des actes de violences tant pour eux-mêmes que pour les codétenus oblige à créer un nouveau dispositif.
Lorsque la classification « comportement à risque » résulte des avis présents dans le dossier de ces détenus, ou recueillis par vos soins, il vous appartient de saisir d’urgence la commission pluridisciplinaire.
Les avis issus de cette commission doivent être désormais formalisés et motivés de manière nominative.
En cas d’avis contradictoires ou d’avis contraires à votre opinion fondée sur les constatations effectuées dans la détention, il vous appartient en dernier recours de prendre la décision d’affectation. Il en est de même en cas d’avis signalant un risque suicidaire mais présentant, dans sa mise en uvre, un risque pour autrui.

4 - La surveillance des détenus présentant un « comportement à risque
Qualifiées usuellement de mesures de surveillance spéciale, ces mesures qui comportent notamment l’organisation de rondes plus fréquentes et une observation personnalisée de jour et de nuit varient d’un établissement à l’autre puisqu’il n’existe pas de référentiel national.
Désormais, vous appliquerez les mesures suivantes :
- porter tous les soirs à la connaissance des personnels rondiers la liste mise à jour au quotidien des détenus présentant un comportement à risque ;
- effectuer une ronde illeton au moins toutes les deux heures pour les détenus placés sous surveillance spéciale ;
- surveiller particulièrement l’accès aux douches, à la promenade et aux activités ; exercer une vigilance particulière du détenu placé sous surveillance spéciale lorsqu’il est en contact avec des personnels non pénitentiaires (santé, éducation nationale, travail), des intervenants ou d’autres détenus.
Rachida DATI

A cette proposition, les réactions des professionnels sont diversifiées.
Certains se sentent atteints dans leur narcissisme professionnel et ne supportent pas la redoutable castration opérée par la ministre qui leur dénierait toute compétence professionnelle en suggérant un avis extérieur.
D’autres trouvent la suggestion intéressante en considérant, en bons psychanalystes qu’ils sont, qu’un avis tiers ne serait pas inintéressant, d’autant plus que les psychiatres exerçant en prison pourraient progressivement être contaminés par l’atmosphère aliénante de l’institution « totale » que sont les prisons. Ils n’ont pas tort. A force de côtoyer, d’ « ushaïesques » situations, tout médecin même vigilant sur l’éthique peut voir son discernement s’altérer (au sens de l’article 122-1 al. 2 du code pénal...).
D’autres encore notamment parmi les plus farouches opposants aux UHSA, qui y voient la création d’une filière ségrégative, encore récemment confirmée par les centres de rétention de sûreté, pensent que le problème ne se situe pas autour de l’identité du signataire du certificat mais autour du fait que les hôpitaux psychiatriques refusent d’accueillir les détenus en ne voulant pas créer des unités spécialisées non spécialement dédiées aux détenus. De telles unités bien pensées sur le plan architectural, renforcées en ratio de personnels, permettraient d’accueillir dignement et dans une atmosphère réellement thérapeutique des patients souffrant de troubles mentaux nécessitant des soins intensifs. Il faut en effet, redire ici, pour les lecteurs peu informés des détails, que les détenus hospitalisés sont plus souvent confinés dans des chambres d’isolement avec un régime de réclusion pire qu’en prison. D’où leur demande rapide, une fois les troubles aigus amendés, de revenir rapidement en prison, ce que s’empressent de faire les secteurs, inquiets d’avoir de telles personnalités dans leur murs.
Et puis il y a aussi les psychiatres, qui après bien souvent une « longue peine de prison » ont réussi à s’en évader et ne sont pas en état de récidive légale (ce qui n’est pas mon cas, ayant récidivé après 5 ans de sursis avec mise à l’épreuve). Ils préconisent une « Grande évasion ».
Que tous rejoignent les secteurs de psychiatrie générale avec le mot d’ordre suivant : « Quittez la prison avant qu’elle ne vous enferme dans des pratiques que vous ne pouvez plus tenir ! » et recevez les détenus dans les services. Idée qui me séduit, considérant que l’abolition du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire serait un progrès après avoir fait l’erreur de créer un secteur ghetto en totale opposition avec la philosophie globale du secteur. Toutefois n’oublions pas que la « Grande évasion » se termine plutôt dramatiquement pour la majorité des évadés, écrasés par un système totalitaire, bien que certains sans relâche continueront à s’évader à nouveau...
Toutes ces remarques ont leur pertinence (et leur part de vérité : cf. in fine). Elles illustrent le désarroi de notre société pour traiter de problèmes complexes, notamment par les politiques (passons sur les imbroglios très pratiques et concrets qui se poseraient dans l’organisation d’HO à partir d’un médecin extérieur, mais les grandes déclarations ministérielles font fi du détail).
Les psychiatres sont appelés de manière excessive, voire de manière « illégitime » pour donner leur avis sur des situations où ils ne sont pas compétents et dans des domaines d’importance (la rétention de sûreté par exemple). Certains l’acceptent car cela les flattent, devenant ainsi les « garants du discours ambiant » pour reprendre une expression de Thierry Trémine (cf. cidessous notes de lecture Information Psychiatrique).
Dans la proposition de Rachida Dati de faire appel à des psychiatres extérieurs, on peut avoir des lectures différenciées. Les relations entre les SMPR et la pénitentiaire sont variables selon les établissements. L’histoire des institutions, les personnalités de leurs dirigeants, l’état des infrastructures jouent dans la qualité des relations entre les protagonistes. Bonnes par endroit, exécrables ailleurs, tout est possible entre ces professionnels aux missions très différentes. Une lecture un tantinet paranoïaque du souhait d’entrevoir la possibilité de demander un avis médical externe à la prison indique un manque de confiance certain entre les partenaires pénitentiaire et médicaux. La situation n’est pas nouvelle. Rappelons-nous récemment, suite à l’affaire Evrard que la méfiance envers les services soignants de la prison avait conduit à envisager un partage de dossiers médicaux et pénitentiaires. Cette proposition impulsive, comme bien souvent, a dû paraître après un minimum de réflexion impossible, à moins de renoncer au concept du secret médical (pourquoi pas après tout, pensent de nombreuses de personnes, dans cette société de transparence et de fichage [2]). Toutefois, les psychiatres de milieu pénitentiaire résistent à donner des informations sur de nombreux sujets, notamment sur le détail de leurs prises en charge auprès des JAP. Ils avancent toutes sortes d’arguments pour exposer la limite des soins en prisons, notamment envers les auteurs de violences sexuelles puis non sexuelles, bientôt pour tous les méchants. Ils ne sont donc pas fiables ces résistants. Allons donc nous renseigner ailleurs.
Une lecture « résiliente », optimiste des propos de la ministre irait dans le sens du mouvement révolutionnaire énoncé (et annoncé) par certains d’externaliser les soins en milieu pénitentiaire.
Permettre un regard extérieur, corrélativement au travail du contrôleur des lieux privatifs de liberté, serait peut-être l’indice qu’il faut ouvrir le devenir des délinquants et des criminels sur l’extérieur. Double avantage : pour les détenus de se voir considérer par un médecin qui n’est pas (selon eux souvent) à la solde de la pénitentiaire ; et pour la société, car une brèche dans un système clos s’ouvre et permet à la société civile d’y jeter un il. La ministre de la justice seraitelle à l’origine d’un mouvement d’ouverture qui après avoir créé les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire puis les UHSA et enfin les centres de rétention de sûreté en vient à amorcer un mouvement inverse. J’en doute évidemment mais j’aspire à le croire. Il est redoutable que la psychiatrie de secteur se désengage complètement des soins aux détenus ; si elle le faisait, ce serait une redoutable régression. Donc, madame la ministre, continuez, vous êtes sur le bon chemin !
En fait, ne trouvant plus de solutions dans la prison pour traiter d’impossibles situations, qui ne pourront être que de plus en plus fréquentes si la population pénale continue à croître et si l’organisation du temps privatif de liberté continue à être aussi mal gérée (l’abolition des prisons n’étant pas pour demain, il faut s’atteler à une organisation des conditions de l’incarcération qui soit autrement qu’une neutralisation des individus). Les politiques, s’imaginant pouvoir tout gérer, s’ingénient à inventer de fausses solutions. La plupart des psychiatres ont compris depuis belle lurette qu’on ne mourait pas de castration et qu’on ne pouvait tout contrôler. Cela reste difficile à accepter pour l’homo politicus.
Le principe de réalité, pris dans sa dimension économique, finira peut-être par résoudre certains problèmes. La faillite de l’Etat, annoncée il y a quelques mois par le Premier ministre, l’impossibilité de réduire le déficit budgétaire, l’inévitable récession, la baisse du pouvoir d’achat et le prix du pétrole, seront peut-être ce qui permettra d’arrêter les coûteux projets d’UHSA. Il faudra alors faire uvre d’originalité, en utilisant au mieux les moyens importants dont nous disposons. Dommage que ce ne soit pas l’intelligence humaine qui décide mais les gros sous.
Dans l’immédiat, continuons à affirmer nos valeurs et laissons les politiques s’emmêler les pinceaux.... A moins d’une Grande évasion collective, ce qui soit dit en passant est souvent évoquée parmi les psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire, il y a fort à parier que nous continuerons à tenir longuement la barre alors que les ministres et leurs déclarations surprenantes passeront....
Dans notre débat interne actuel, un collègue qui vient de réussir récemment une spectaculaire évasion, nous dit : « Il sera difficile d’en sortir (de l’exercice psychiatrique en milieu pénitentiaire), parce que c’est un lieu où s’aiguise pour un psychiatre son rapport à la vérité ». Merci à toi pour cette interpellation. A méditer !
Le 2 et 3 octobre, lors du 7ème Congrès des UCSA « La santé en prison » à Grenoble, ces problématiques ont été largement débattues et Kamo en rendra certainement compte dans un prochain numéro.
Mais au fait, où s’aiguise le rapport à la vérité du politique ?
Lacan ne disait-il pas : « Je dis toujours la vérité, mais les mots y manquent » et encore : « Il faut mi-dire la vérité » ? MD.

[1Voir ci-après le communiqué de l’APM

[2Re Edvige