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Georgia Bechlivanou-Moreau "La prison ne doit pas être un lieu de mise à mort "

Publié le mercredi 5 novembre 2008 | https://banpublic.org/georgia-bechlivanou-moreau-la/

La prison ne doit pas être un lieu de mise à mort
de Georgia Bechlivanou-Moreau

Juriste, auteur d’une thèse de doctorat en droit sur "Le sens juridique de la peine privative de liberté au regard de l’application des droits de l’Homme dans la prison", Université Paris 1, juillet 2008.

A propos du meurtre d’un détenu par son compagnon de cellule à Rouen, le 11/09/08, il faut rappeler que la prison ne doit être qu’un lieu de privation de liberté d’aller et venir : pas un lieu de mise à mort de la personne.

Parce qu’il arrive malheureusement que des personnes en détention soient agressées et même tuées par des codétenus, que l’on considère consciemment ou inconsciemment que cela fait partie des risques inhérents à la détention et des suites logiques de la répression pénale des infractions.

Or il est temps d’affirmer haut et fort que cela fait longtemps, depuis la suppression de la peine de mort, que la justice pénale n’inclut plus dans sa répression la mise à mort de la personne.

La peine ou mesure préventive la plus lourde est la privation de liberté physique, à savoir celle d’aller et venir. Pour les autorités responsables de l’exécution des peines et donc pour l’Etat, aller au-delà de cette conséquence, c’est d’entrer dans la sphère d’illégitimité et dans l’illégalité de la répression.

Cela signifie qu’une agression d’un détenu de la part d’un codétenu, à plus forte raison sa mort, engage la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Celle-ci a un devoir de garde, mais aussi de sécurité et de protection de l’intégrité des détenus. Ni les manquements aux soins, ni les conditions matérielles de la détention, ni les agissements du personnel ni celui des codétenus ne doivent mettre en danger la vie des personnes en détention. Une personne va en prison pour être simplement privée de sa liberté d’aller et venir ; pas pour mettre sa vie en danger.

Le droit européen exige de garantir aux personnes détenues en France et en Europe entière le droit à un environnement carcéral sûr : « La Cour estime que les obligations des Etats contractants prennent une dimension particulière à l’égard des détenus, ceux-ci se trouvant entièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de les protéger » ; les Etats doivent « déployer les plus grands efforts pour veiller à ce que tous les détenus se trouvent dans un environnement carcéral sûr ».

Si de tels risques peuvent exister lors des activités communes, car une certaine vie sociale doit être organisée à l’intérieur des prisons, en revanche la responsabilité doit être totale lorsque de tels dangers interviennent dans des cellules.

Parmi les moyens d’assurer cette garantie, il est temps d’affirmer le principe que la personne en prison a droit à être détenue seule dans sa cellule. Aussi, la surpopulation carcérale ne doit-elle pas être une raison de justification de la pratique systématique de « co-cellulage » (mettre dans une cellule plus d’une personne). L’Etat ne doit pas incarcérer plus des personnes que le nombre de places disponibles en prison. Sous l’ère des exigences européennes et internationales de protection des droits de la personne, la condamnation à la privation de liberté ne signifie pas, en tout cas ne doit plus signifier, condamnation à la cohabitation forcée.

C’est à la demande réciproque de deux détenus que le co-cellulage peut être autorisé par l’Administration pénitentiaire. Même dans ce cadre, celle-ci doit prendre toutes les précautions possibles : s’assurer que la demande ait été faite sans pression subie de la part du codétenu ; étudier le profil de deux codétenus (passé pénal, passé pénitentiaire, santé mentale etc).

Ainsi selon encore les exigences du droit européen applicable en France, les mesures raisonnables impliquent, d’une part, l’obligation d’un « examen médical de filtrage », au moment de l’écrou, sérieux et profond, propre à détecter les détenus dangereux pour autrui ou pour eux-mêmes, effectué par des personnes compétentes. Elles impliquent, d’autre part, des moyens techniques : pas d’encellulement commun, installation d’alarmes dans chaque cellule en état de marche, des rondes régulières, et des rondes rapprochées en cas de risque prévisible Constituent des éléments de prévisibilité de tels risques, d’après la Cour, le passé pénal (déjà arrêté ou condamné pour des actes violents), l’état de santé mentale, mais aussi le comportement général durant la détention et à l’égard de personnes précises .

S’agissant de l’auteur du meurtre à la maison d’arrêt de Rouen, l’on ne peut pas dire d’une personne qui s’automutile les bras, tente régulièrement de se pendre et de s’autostranguler, qu’il « maîtrisait ses pulsions » et qu’il ne présentait « aucune raison médicale majeure » (entretien du Procureur général de Rouen, www.Lepost.fr, 11/09).

La pratique de co-cellulage comme moyen de prévenir des actes de suicide de certains détenus doit être mise en cause : la tâche de cette prévention incombe à l’administration pénitentiaire : les détenus ne sont pas tenus d’assumer un tel rôle ; ils ne sont pas formés pour venir à l’aide des personnes lorsque celles-ci entrent en crise ; et ils peuvent être piégés à l’intérieur de la cellule puisque, y étant enfermés à clé, en cas de telle crise ils ne peuvent pas s’échapper.

Ce fait tragique soulève par ailleurs d’autres questions connexes.

Il soulève, en premier, la question de la présence en détention des personnes souffrant des troubles mentaux (alors que ces lieux ne sont pas adaptés pour leur prise en charge). En 2003, le rapport Terra estimait à 55 % le pourcentage des détenus entrants présentant des troubles psychologiques . En juin 2006, dans son « cri d’alarme », le chef médecin de la prison de Fresnes faisait état d’un taux de pathologies vingt fois supérieur à la population générale et dénonçait cette politique proche de celle du XIXe siècle qui consiste à « incarcérer à l’hôpital psychiatrique » ou « à hospitaliser en prison ». De telles personnes devraient être placées dans des lieux hospitaliers et sous la surveillance étroite du personnel médical.

Il pose, ensuite, la question de la surpopulation carcérale. Si dans le fait tragique en question le recours au co-cellulage a été décidé pour des raisons d’aide de l’un de deux détenus, le plus souvent de tels actes sont à l’origine du co-cellulage forcé pour des raisons de manque de places. Depuis 2002, le dépassement du nombre de détenus par rapport au nombre de places s’aggrave. En 2003, 60.963 détenus partageaient 48.603 et le 1er juillet 2008, ils étaient 64 250 pour un total de 50 806 places opérationnelles .

Il pose en fin la question de la banalisation du recours à la prison. Alors qu’actuellement les prisons ne peuvent accueillir les personnes condamnées ou mises en cause au pénal dans de conditions sûres, bref dans de conditions conformes au droit, on continue à y envoyer des personnes sans pour autant être en mesure de garantir leur intégrité et sécurité : conduire en état d’ivresse et posséder une arme de 6e catégorie, (ex. une lacrymogène), mérite-t-il d’envoyer la personne en prison et mettre ainsi sa vie en danger ?

Etant donné que les prisons ne sont pas sûres, on ne peut y avoir recours que lorsque cela s’avère être une mesure absolument nécessaire : c’est à dire lorsqu’il s’agit de personnes très dangereuses et incontrôlables pour l’intégrité physique d’autrui ne présentant pas de troubles mentaux.

Georgia Bechlivanou-Moreau, Juriste, auteur d’une thèse de doctorat en droit sur « Le sens juridique de la peine privative de liberté au regard de l’application des droits de l’Homme dans la prison », Université Paris 1, juillet 2008.

Paris, 12 septembre 2008