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2002 : Chronique 5

Publié le vendredi 6 septembre 2002 | https://banpublic.org/2002-chronique-5/

Comment payer le travail carcéral ?

Après des lustres d’exploitation extraordinaire, dans les hautes sphères de la pénitentiaire, un « brain storming » agite dangereusement les pauvres cervelles des responsables. Comment payer le travail carcéral ?

Et tout ce tracas par la faute de quelques parlementaires qui surent fermer les yeux si longtemps. Mais, un jour, sans qu’on sache dire pourquoi celui-là, ils ont fini par s’indigner de la surexploitation ou plutôt de l’esclavage récurant dans les prisons du beau pays de France.
Il est vrai que dans les établissements, on dégotte encore des gars bossant 7 jours sur 7, 10 heures par jour pour un peu moins de 500 balles à la fin du mois...
Comme partout l’exploiteur profite de la misère pour faire chuter le prix de la force de travail. C’est la loi d’airain du capitalisme, n’est-ce pas ?

Et où y a-t-il plus de misère que dans les prisons ?
En conséquence, comment payer le travail carcéral quand le rapport de force se reproduit à un tel degré et qu’il ne peut plus être nié ?

Lorsque le directeur de la Régie Industrielle des Etablissements Pénitentiaires fait la retape devant les chambres d’industrie, ne vante-t-il pas l’emplie d’une telle main d’œuvre ? Pourquoi s’en priverait-il ?
Tout d’abord une docilité garantie à toute épreuve.
Si un détenu quitte le boulot dix candidats se présenteront le lendemain. Si le prisonnier refuse la tâche, s’il rompt le contrat qui n’a de contrat que le nom, il sera jeté au mitard, menacé de transfert et il perdra plusieurs mois de grâce en étant considéré comme forte tête...
Secundo une précarité totale qui ferait rêver les pires prédateurs du Medef et C°.
Le travailleur est payé à la tâche comme dans les ateliers du 19ème siècle. Bien sûr aucun point retraite et s’il arrive un accident, on ne lui payera pas d’arrêt maladie. On le remplace tout bonnement. Pas d’état d’âme. Même s’il a cotisé au prix fort pendant dix ans [1]. Pas un rond pour lui. Qu’il crève ! Et s’il ose la ramener, il faut qu’il sache que la grève est durement réprimée, et en tant que mouvement collectif sévèrement punie par les tribunaux.

Quand ce n’est plus par la force du bâton que nous descendons dans les ateliers, c’est par la carotte que nous balade devant les naseaux le Juge d’Application des Peines. Car si on travaille, on bénéficiera d’un mois supplémentaire de grâce. Alors on n’est pas très regardant.
Et si on fait assez de pièces, qu’on bosse à fond en courbant l’échine, la paye ainsi engrangée, nous permettra de « faire amende honorable ». C’est le cas de le dire puisque nous remboursons à crédit les parties civiles.

A la Centrale d’Arles, le calcul est vite fait, le juge vous octroie un deuxième mois de grâce pour 1200 balles déboursés par an. Drôle de comptabilité ! Un jour de liberté équivaut à juste un peu plus de 3 francs !
Quoiqu’on ait fait, quelque soit le crime, si on a un petit pécule on pourra se faire pardonner par mensualité et, après une décennie de petits profits, gagner un an. En prison, l’hypocrisie est élevée au rang de vertu suprême !
Mais il a des pauvres, des plus pauvres que nous, pour qui 3 francs représentent un peu de nourriture supplémentaire. Non seulement pour lui mais surtout pour ses mômes laissés à l’extérieur et souvent loin en Colombie, en Afrique...
Il y a tant de misère dans les prisons.
Dans ce pays où l’on paye les jours de liberté comme des paquets de sucre ou de spaghettis, tout ça ne leur dit pas comment payer les journées de travail ?

A Arles, nous n’avons pas le choix, nous descendons à l’atelier de confection tailler les costards de nos geôliers. On coud les galons, on coupe les pantalons, on tisse les chaussettes de fil d’Ecosse... on habille tous les matons de France et de Navarre. Pour nous, ça ne sera jamais tout à fait un boulot comme un autre mais on le fiat puisqu’il n’y a que ça.
On embauche à 7 heures et on débauche à 13 heures. On fait la journée continue dans notre journée continue de taulard. Et chaque été, nous avons cinq semaines de vacances si l’on peut dire, on ne partira pas à la mer... Mais s’ils nous donnent des congés, ce n’est pas par bonté d’âme, ils n’ont simplement plus assez de personnel pour surveiller les ateliers et la détention...
Jamais nos congés ne sont payés. Et cela 66 ans après les lois de 1936...

Depuis l’an dernier, la question de la rémunération du travail carcéral était en souffrance. Les rapports contradictoires se sont multipliés. Les commissions se succèdent et les plus agités des fonctionnaires se démenèrent... Et puis un surfeur de la vague des tolérances zéro, le nouveau ministre, s’empressa d’éclairer le débat d’une pensée lumineuse.
 « En vérité je vous le dis, le travail en prison n’est pas un travail comme les autres ».
Conséquence toute logique, inutile de respecter les droits du travail et autres textes ordinaires. L’exception de cette exploitation perdurera.
Les lois, les jurisprudences et les prud’hommes, les patrons pénitentiaires s’en balancent et s’en balanceront. Nous ne sommes que des prisonniers, pas grand chose finalement. Pas tout à fait des hommes, même pas des ouvriers.
Ouf ! Enfin tout est clair, le problème est à nouveau reposé sur des bases saines... Maintenant il faut qu’ils décident comme l’inquisition détermina si les femmes ou les indiens d’Amérique avaient une âme : Sommes-nous des moitiés d’ouvrier donc à travail égal salaire de moitié, ou sommes nous de tiers d’ouvriers. Même pas un tiers état. Rien. Et ce rien qui va au boulot chaque matin de la semaine aux mêmes heures que vous, travailleurs à part entière d’Arles, se demande bien souvent où sont passés les songes de l’unité ouvrière.

Arles juin 2002
Sans révolution, pas de hic
Nous crèverons Rue Copernic

[1Un détenu cotise en pure perte pour les assurances, accident de travail, veuvage, vieillesse, maladie/maternité, RDS, CSG... et tutti quanti...