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CQFD 47 Un tout petit nom charmant

Mise en ligne : 30 septembre 2007

Texte de l'article :

CQFD N°047

De notre envoyé du pénitentier

UN TOUT PETIT NOM CHARMANT

Mis à jour le :15 juillet 2007. Auteur : Jann-Marc Rouillan.
http://cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=1479

L’été en Centrale, c’est pas vraiment la saison des festivals. Les journées s’allongent à l’infini et les souvenirs qui reviennent tiennent plus du ball-trap que du bal populaire et bon enfant. Heureusement, on peut compter sur la parano des matons pour rompre la monotonie. La sécurité avant tout !

ENCORE UN NOUVEL ÉTÉ à Lannemezan ! Le temps est pourri, l’ambiance se pourrit. Nous n’avons même pas célébré la fête de la musique. Sauf peut-être Fredo, mais ce congénère à la dégaine d’un baba des années 70 fête la musique tous les jours en matinée et en soirée. Et comme de coutume, les gros costauds du 1er ont grogné à la fenêtre et Fredo a mis les basses. Après une énième inspection des jardins, Max a laissé tomber son verdict : « Nous n’aurons pas de tomates cette année !  » Son collègue Iñaki, un prisonnier basque, a tiré la gueule. Il avait forcé les plans d’une variété très locale dans une cellule vide utilisée à la manière d’une serre. Avec précaution, lorsque les saints de glace furent passés, il s’était décidé à les replanter en terre. Mais le surlendemain, une violente tempête de grêle en a couché plus de la moitié. De dépit, Clairon, le troisième horticulteur amateur, s’est lancé dans un monologue shakespearien :
« Cette terre est damnée et nous sommes maudits !
Cet été, je planterai seuls des soucis et des pissenlits ! 
 »

Décidément rien ne va. Tout se déglingue. Sauf bien sûr les travaux de sécurisation de cette centrale déjà fort sécuritaire. Les quatre immenses tours miradors sont achevées. Elles dominent désormais nos survies routinières. Du coup, nous prévoyons l’arrivée d’une flopée de nouveaux DPS (détenus à particulièrement surveiller). Déjà, Paulo a débarqué au quartier des arrivants en provenance d’une prison de la région parisienne. La dernière vision que je garde de lui date de trois ou quatre ans en arrière. Nous étions alors à la Centrale d’Arles. Une fin d’après-midi de décembre, la fusillade balayait le stade. Les balles traçantes de kalash ricochaient sur le goudron des terrains de tennis. Le premier copain fut atteint et son corps s’abattit lourdement du haut mur. Nous l’appelions « Boulette ». Tout un programme pour cet enfant de Gardanne, trop vite grandi, trop vite condamné, trop vite assassiné. Paulo a redressé la haute échelle. Et l’enserrait dans ses bras. Après avoir joué à califourchon quelques secondes sur le mur d’enceinte, Enzo dégringola à son tour dans le vide. À leurs fenêtres, les optimistes applaudirent en se réjouissant qu’au moins un chanceux ait réussi à atteindre la liberté. Les autres n’avaient aucun doute. Les salauds l’avaient liquidé de plusieurs tirs dans le dos. Sous la pluie de balles, dans sa parka rouge vif, Paulo endurait comme le marin dans la tempête. En vain car la seconde vague des cavaleurs ne le rejoignit jamais ou trop tard. Elle resta ficelée dans le réseau de barbelé. Résultats de cet épisode tragique : deux morts. Vingt ans de rab pour les plus lourdement condamnés. Et des mois et des années de quartier d’isolement en guise de hors-d’oeuvre.

Drôle d’été, il pleut un jour sur deux. Et souvent une brume automnale « so british  » se lève tard dans la matinée. Des gars ont trouvé ce prétexte pour ne sortir du lit qu’après 11 heures. « Ce temps me démoralise...  », a avoué Rani en s’étirant dans l’entrée des promenades. On se croirait en hiver. L’autre soir, Iñaki nous a cuisiné une soupe avec les choux qui se sont plu dans cette ambiance humide et fraîche. Il a beau sarcler et biner, pas grand-chose ne pousse. Un matin, en aérant la terre, il découvrit un galet ferrugineux qu’il jeta sur le côté. La pierre rebondit sur le goudron de l’allée bordant la promenade et frappa la taule. Ce carillon attira la curiosité d’un gars qui s’en saisit immédiatement. Désoeuvré, il cherchait ce qu’il pouvait bien en faire. Le Chibani, quand il trouve ce genre de pierre, comme un gamin, il la balance de toutes ses forces en essayant d’atteindre l’extérieur ou mieux un projecteur. En discutaillant avec les jardiniers à l’oeuvre, le désinvolte traça au sol un long trait rouge. C’est à cet instant qu’il prit conscience de son envie d’écrire quelque chose. Mais quoi ? N’importe quoi ? Non ! En se grattant la tête, il observait toujours Iñaki au travail et traça un N majuscule. Dix minutes plus tard, il était satisfait du résultat et de son IÑAKI en lettres bâtons. Il aurait bien continué mais son désir s’était enfui comme il était venu. Et il se débarrassa de la pierre dans le potager de Clairon. Déjà il s’éloignait tout à la préoccupation d’une autre activité aussi passionnante.

Deux jours passèrent. Dans la cour nous nous étions habitués à l’inscription sur le goudron. Certains évitaient de la piétiner comme s’il s’agissait du dessin chiadé d’un mec faisant la manche comme on en trouvait sur les trottoirs des villes du temps... du temps où nous étions dehors. Entre midi et deux alors que les portes étaient bouclées à double tour, notre étage fut troublé dans la préparation de sa sieste par l’arrivée intempestive d’une escouade de matons. Ça puait l’embrouille ! Ils ouvrirent d’abord chez Txistor puis enfin chez Iñaki. Même en tendant l’oreille, nous ne parvenions pas à comprendre le motif de cette descente. Plus tard, Iñaki nous raconta. Les chefs entrèrent. D’emblée, il l’interrogèrent sur les motifs de l’inscription dans la cour. Quelles en étaient la signification exacte et la motivation ? Une revendication particulière était-elle à comprendre ? « C ‘est mon prénom !  » répliqua notre jardinier. Mais le brigadier en charge de la sécurité en douta d’autant plus que tout cela lui paraissait trop simple. Enfin pas à la hauteur des terribles fourberies de prisonniers méritant d’être placés sous haute surveillance dans un établissement sécuritaire.

« Depuis la fin du cessez-le-feu au pays basque, nous sommes préoccupés et nous voulons savoir quelles sont les intentions de ETA ?  » Voilà maintenant qu’ils se prenaient pour des inspecteurs des sections anti-terroristes ! Espéraient-ils que le camarade lui balance la liste des prochaines cibles ? Iñaki préféra en sourire et avec son accent répondit : « Qué moi aussi yé boudrais bien saboir ! Mé yé né sais pas...  » Le deuxième Basque interrogé, surnommé Txistor, ne comprit rien à leur charabia et, sans tambour ni trompette, les envoya balader. On aurait pu croire que l’affaire s’arrêterait là. Ils vérifieraient et se rendraient bien compte que le prénom basque du prisonnier correspondait bien à l’inscription. Ignacio se traduit Iñaki. Non, pas du tout !... Une demi-heure plus tard, en tenue commando, ils déboulèrent sous nos fenêtres. Ils fouillèrent la cour. Un maton prenait des photos et des mesures de la fameuse inscription. Tout comme s’ils venaient de découvrir un cadavre dans le tas de compost.

L’enquête se poursuivit sous nos yeux ébahis. Habitué à l’humour de Txistor mon voisin, à chaque instant, je m’attendais à ce qu’il lance son célèbre cri de guerre : « Andouille !  » Comme tous en choeur lorgnaient vers le ciel, je me suis dit qu’ils vérifiaient le numéro d’identification du satellite capable de lire ce terrible appel rouge sang ! Ils finirent par sortir du lit un auxilliaire balayeur du rez-de-chaussée en charge du nettoyage de la cour. L’homme débarqua avec un seau et son balai brosse à la main. Vu l’ambiance électrique, il n’osa pas grogner. « Effacez ça immédiatement  », commanda l’officier, et l’homme obéit. En m’allongeant pour la sieste, je repensai en rigolant à la chanson titre d’une très vieille comédie troupière avec Fernandel en vedette.
« Ignace, Ignace... c’est un tout petit nom charmant,
Ignace, Ignace... que m’a donné ma maman. 
 »

Article publié dans CQFD n° 47, juillet 2007.