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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2007 N°5 KAMO : Les Hôpitaux-prisons

Mise en ligne : 4 juin 2007

Dernière modification : 6 avril 2008

Texte de l'article :

LES HÔPITAUX-PRISONS

Monsieur le Président,

A plusieurs reprises, vous avez déclaré souhaiter voir se « développer (de toute urgence) l’hôpitalprison », car il y a, dîtes-vous, « clairement un problème essentiel qui est celui de la présence dans les prisons de malades » et « On doit différencier les malades des délinquants » (nouvelObs.com, 23/01/2007).

Vous avez également ajouté lors de votre déplacement à la maison centrale de Rennes que vous avez « voulu aller sur le terrain sans personne pour comprendre la réalité des choses pour être sûr que les propositions que je ferai correspondent à cette réalité ». Cette démarche pragmatique que vous aimez illustrer ne peut que se compléter de l’avis des professionnels de la santé qui travaillent quotidiennement en prison. Vous conviendrez certainement aisément que la réalité carcérale ne peut se ressentir dans sa complexité au cours d’une unique visite si attentive soit-elle.

La prison, c’est un rythme lent et une institution qu’il faut apprendre à connaître sur le long terme. Les pratiques professionnelles, notamment soignantes, doivent s’y adapter tout en gardant leurs valeurs fondamentales. La prison, c’est aussi le lieu où sont concentrés les turpitudes et les malheurs humains. Une vigilance de tous les instants y est requise pour être particulièrement respectueux des lois qui nous gouvernent et qui vous ont d’ailleurs conduit aux plus hautes responsabilités. Dans ce lieu qui se doit d’insuffler les lois essentielles de la civilisation à ceux qui y ont failli gravement, il appartient aux personnels sanitaires, et notamment aux professionnels de la santé mentale, de construire un cadre thérapeutique sans ambiguïtés. Toute source de confusion renvoyée à nos patients, qui n’ont souvent pas pu profiter d’un milieu éducatif et familial structurant pendant leur enfance, est particulièrement contre-productive et ne peut que renforcer des comportements transgressifs, pervers, destructeurs. C’est ainsi que la prison est trop souvent devenue, c’est un cliché mais néanmoins une réalité, une école du crime.

Aussi, toute réforme de l’édifice pénitentiaire et punitif doit s’élaborer à l’aide de concepts et de pratiques dénués de toute ambiguïté. Pour un psychiatre exerçant en milieu carcéral, le concept d’hôpital-prison demande un éclaircissement car il paraît pour le moins hybride et ouvre aux risques des confusions que je viens d’énoncer.

Les psychiatres s’expriment parfois de manière obscure, aussi permettez-moi de déroger au cliché et de penser simplement que les prisons doivent accueillir des délinquants et les hôpitaux des malades, suivant en cela vos propos cités in limine.

A quoi peuvent donc bien correspondre ces hôpitaux-prisons, alors que le gouvernement auquel vous avez appartenu a créé les « Unités d’hospitalisation spécialement aménagées » (UHSA - loi du 9 septembre 2002) ? Les UHSA doivent permettre d’accueillir des détenus souffrant des troubles mentaux avec ou sans leur consentement, ayant été reconnus responsables et condamnés, ou en attente de jugement. Il est prévu dès maintenant environ 750 lits d’UHSA avec une construction en 2 tranches (450 lits de 2008 à 2010 et 250 lits vers 2010). Quelle différence entre ces UHSA et les nouveaux établissements annoncés par madame la ministre de la Justice : « La loi portera aussi sur la création d’hôpitaux-prisons pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. Il pourra s’agir de nouveaux établissements, peut-être un par région » (Le Monde, 01/06/2007).

Avec les UHSA, on peut considérer que le dispositif de soins psychiatriques pour les détenus connaît son aboutissement, bien que ce projet ne rencontre pas l’adhésion de tous les professionnels, comme le montre une récente pétition demandant l’arrêt du projet coûteux de construction des UHSA, intitulée : « Hôpitaux-Prisons : le remède sera pire que le mal, il n’est pas trop tard pour suspendre le projet de création des UHSA » [1]. Pourquoi annoncer des mesures nouvelles, sans faire état des initiatives en cours ? Il serait étonnant de vous voir cautionner de nouveaux projets, pour lesquels on peut d’ores et déjà s’interroger sur leur fonctionnalité future, sans évaluation de l’existant ou du futur existant, alors que vous prônez l’évaluation des pratiques politiques. Les UHSA comme éventuellement les « hôpitaux-prison », s’il s’agit de structures différentes, auront une répercussion sur les finances publiques et nécessiteront des emplois très qualifiés et un volontariat peu aisés à trouver. 

Persuadé, Monsieur le Président, que votre sens de l’efficacité ne peut pas vous conduire à élaborer des dispositifs coûteux et inutiles sans concertation avec les professionnels concernés, je ne peux que souhaiter vous entendre préciser ce que vous entendez par « Hôpitaux-prison » et comment ceux-ci pourraient actuellement s’insérer dans les structures sanitaires hospitalières opérationnelles, implantées ou non en milieu pénitentiaire, ou dans celles du futur proche (UHSA).

Notes:

[1Le numéro 3 de Kamo rend compte de cette pétition et contribue au débat sur ce sujet.