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Billets d’humeur

Réponse à l’éditorial sur l’intervention de Claude D’Harcourt dans la tribune du site "metro" (2007-03)

Mise en ligne : 22 mars 2007

Texte de l'article :

Chaque année des commissions parlementaires visitent les geôles, chaque année s’indignent des conditions d’incarcération et de la présence de détenus qui n’ont rien à faire en prison ces parlementaires. Chaque année pourtant les comparutions immédiates augmentent et le surpeuplement carcéral atteint de nouveaux seuils. C’est dire l’inutilité des visites parlementaires, c’est dire qu’elles ne servent qu’à des fins de propagande sur la prétendue sensibilité de nos élus et de l’Assemblée parlementaire nationale. C’est dire que l’indignation n’est jamais admise que lorsqu’elle a fait preuve de son innocuité, c’est-à-dire lorsqu’elle est rendue impuissante à changer le cours des choses. Qu’on ne nous dise pas que Rome ne s’est pas fait en un jour ! Qu’un parlementaire s’indigne des conditions d’incarcération, qu’en son fort intérieur il ait été alerté du problème, son indignation ne servira que le fond de commerce électoral. Il ne sera question que d’un énième dossier sur le sujet, posé sur une pile, une indignation circonstancier impropre à changer véritablement le cours inexorable du tapi de chaîne et c’est d’ailleurs pourquoi elle est tolérée comme jamais ne le sont les voix radicales du changement qui émanent d’une poignée d’individus plus concernés et résolus. Alors qu’il faudrait partout distendre les liens qui nous obligent à taire notre indignation, au travail, dans les cafés, dans la rue, dans nos foyers, la parole indignée se trouve enserrée dans un commandement tacite, l’injonction de ne proférer aucune parole de colère sous peine de récolter les foudres. Le « devoir de bonheur » qui a fait flore à la fin des années 90 a condamné l’indignation à ne s’exprimer que dans certains espaces autorisés. De la plus sournoise des manières la révolte et le sens du Juste, la sensibilité même se sont trouvés accusés de mille mots, « peine à jouir », « aigri », « triste sire », « paranoïaque » qui désignaient chacun de ceux qui venaient troubler les festivités néo-libérale auxquelles n’étaient bientôt plus conviés que les bons payeurs, les apologues du système, leurs zélés continuateurs ou ceux dont l’arrivisme se mesurait à leur capacité à taire leur indignation. Si bien que la nécessaire adaptation de ces derniers au nouvel ordre ne tolérait plus que l’indifférence venue fort opportunément remplacer leurs indignations d’antan. En un mot quand on est sommé de ne plus se révolter, on a tôt fait d’invoquer l’indifférence pour justifier de ses manquements. « Voyez-vous nous en avons tant vu, on nous en montre tant chaque jour à la télé que nous sommes immunisés ». Ainsi naquit l’homme moderne. Tandis que nous étions en droit et devoir d’attendre qu’à l’infamie chaque jour avérée répondent de nouveaux espaces d’indignation, l’indifférence se faisait jour et chacun restait calfeutré qui dans son deux pièces, qui dans son loft en attendant que ça se passe. Mais ça ne passe pas. Les tyrannies d’autrefois provoquaient des résistances parce que dans l’ordre normal des choses, la « nature humaine » aspire toujours à la liberté.

La liberté de s’exprimer et de s’indigner se trouvent de plus en plus reléguées à la portion congrue, cloisonnées dans l’espace, elles ne sont donc plus tolérées qu’à la condition que ni l’une, ni l’autre ne changent quoi que ce soit. C’est pourquoi je souscris encore et toujours à vos authentiques résistances.

 

Extraits de "Peripeteia", Régis Duffour