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6 Non-respect en prison des droits fondamentaux et de la dignité de la personne détenue

Mise en ligne : 13 décembre 2006

Texte de l'article :

VI. Le non-respect en prison du droit à la protection de la santé est un révélateur d’un problème plus large : le non-respect en prison des droits fondamentaux et de la dignité de la personne détenue.

A. La non-reconnaissance de la citoyenneté du détenu.

1. Mauvaise application des lois en prison.
Les détenus, n’ayant été juridiquement privé que de leur droit d’aller et venir librement, doivent pouvoir accéder aux autres droits fondamentaux qui leur sont, comme à chacun, reconnus par la loi, notamment en matière de protection de la santé, comme l’accès aux soins palliatifs et l’égalité des droits et chances pour les personnes handicapées.

2. L’absence d’accès du détenu à de nombreux droits fondamentaux .
a) Les règlements intérieurs continuent trop souvent à primer sur le respect de la loi en prison.
Des améliorations ont été récemment apportées, notamment depuis l’arrêt du 30 Juillet 2003 du Conseil d’Etat qui a ouvert la possibilité pour le détenu de pouvoir bénéficier d’une défense par un avocat et d’un recours en cas de procédure disciplinaire. Mais la primauté accordée au règlement intérieur, justifiée par des raisons de sécurité, fait souvent obstacle au droit élémentaire de tout citoyen à faire valoir ses intérêts essentiels, notamment en matière de santé.

b) Le statut particulièrement défavorisé du prévenu, présumé innocent, en détention provisoire.
Incarcérés en maison d’arrêt où la surpopulation, la promiscuité et l’hygiène sont le plus souvent incompatibles avec le respect de la dignité humaine et la protection de la santé physique et mentale, le prévenu, bien que présumé innocent, ne bénéficie pas des droits accordés à tous citoyens, même pas de ceux accordés à la personne condamnée. Ainsi il est exclu du champ d’application des dispositions de la loi du 4 mars 2002 concernant les personnes en fin de vie - ou plus largement les personnes dont l’« état de santé durablement incompatible avec le maintien en détention » ou ayant une « pathologie engageant le pronostic vital » - qui permettent à un détenu condamné se trouvant au terme de sa vie de sortir de prison pour bénéficier, en un lieu adapté, d’un accompagnement et de soins palliatifs.

c) La non-reconnaissance du droit à s’associer.
D’une manière plus générale, de nombreux rapports, dont celui de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme en 2004 et du Conseil Economique et Social en 2006 ont souligné la restriction d’accès des détenus à de multiples droits fondamentaux reconnus à tout citoyen, tels que la liberté d’expression, ou les conditions de rémunération et de protection sociale du travail, ou encore la liberté d’association.
La non-reconnaissance du droit à la liberté d’association a des implications en matière de protection de la santé quand on connaît le rôle de plus en plus important des associations de malades dans l’accès aux soins et la prévention. Il est actuellement impossible aux nombreux détenus malades ou handicapés de créer une association de malades ou de personnes handicapées.

d) Le peu de valeur accordée par la prison à une mission essentielle : la réinsertion
Cette déconsidération d’une des missions principales de l’administration pénitentiaire est sans doute à l’origine de la faillite de la peine d’emprisonnement et du nombre croissant des récidives.
Pourtant, cette mission de réinsertion est inscrite dans le Code de Procédure Pénale et plusieurs fois réaffirmée : elle doit « permettre au détenu de préparer sa sortie dans les meilleurs conditions possibles » (article D. 478 du Code de Procédure Pénale). C’est la mission du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), en coordination avec les UCSA en ce qui concerne l’éducation à la santé, la prévention et la préparation à la continuité des soins après la sortie de prison.
Mais, comme l’a souligné le Conseil Economique et Social dans son rapport de 2006, les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France, la réalité est toute autre, faute de moyens humains (travailleurs sociaux, formateurs techniques, enseignants, psychologues, soignants, visiteurs...), de moyens matériels (ateliers, travaux rémunérés à leur juste prix...), faute aussi de suivi (maillage familial et affectif, suivi sanitaire...).
La réinsertion signifie « la recherche fondamentale d’un itinéraire possible :
reconstruire les liens brisés avec la famille, donner un temps, par le travail ou une formation qui prépare une issue hors des impasses d’hier, permettre par un dialogue avec des visiteurs, des médiateurs, un aumônier, une réconciliation avec soi et la société, soutenir quelque peu une responsabilité vis-à-vis de soi et des autres, penser des manières d’application de sa peine. » [1]
Quand la mission de réinsertion est défaillante, la sortie de prison devient un facteur de vulnérabilité. Le fait de se retrouver dehors sans repère, sans formation, sans accompagnement médical et social est source d’exclusion, de désinsertion et de récidive.
Il importe donc que cette mission de réinsertion soit menée non seulement à l’intérieur mais aussi à l’extérieur en lien avec la famille, les associations de soutien, les institutions de réinsertion, les soignants et prioritairement les travailleurs sociaux dont on peut déplorer le trop petit nombre.
Le travail de réinsertion empêche de faire du temps de la détention un temps « suspendu », un présent répétitif et insupportable. Il offre au détenu un avenir.
Faire émerger en prison, dès l’incarcération, dans le respect de la dignité humaine, la préfiguration du temps de la sortie de prison, c’est maintenir et renforcer le lien de la personne détenue avec la société : c’est reconnaître sa citoyenneté.

B. La non-reconnaissance de la citoyenneté du détenu se manifeste aussi par le maintien en prison de personnes qui ne devraient pas y être, ou pour lesquelles la loi prévoit que la peine d’emprisonnement puisse être commuée en une autre peine (en milieu ouvert).

1. Les personnes qui ne devraient pas être en prison :
- a) les 20% détenus atteints de maladies psychiatriques que l’hôpital seul peut soigner et accompagner (environ 12 000 personnes souffrant de maladies mentales graves, dont 4 000 schizophrènes)
Dans son rapport Sur le respect effectif des Droits de l’Homme en France de 2005, le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe notait :
« les médecins que j’ai rencontrés dans les sept établissements pénitentiaires visités [...] ont également mis en avant les incidences de la pénalisation de plus en plus forte des malades mentaux : depuis l’adoption de l’article 122-1 du Code pénal, les experts tendent à privilégier l’altération du discernement sur l’irresponsabilité et donc à envoyer des malades mentaux en prison. (L’article 122-1 du Code pénal, qui renouvelle l’article 64 du Code pénal de 1810, stipule que « la personne qui est atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime »). Ainsi, au début des années 80, le taux d’irresponsabilité pénale pour cause de maladie mentale était de 17% ; il est passé à 0,17% en 1997 et n’a connu depuis que peu d’évolution. Punir semble primer sur les soins, qui ne suivent pas toujours en prison. Ce constat avait déjà été établi par le rapport du Sénat en 2000, mais n’a eu aucun effet. Aucune conclusion sérieuse ne semble avoir été tirée depuis. Pire, d’après tous mes interlocuteurs, la situation se serait nettement dégradée ».

- b) la majorité des 33% (20 000) de détenus prévenus, présumés innocents, en détention préventive dans l’attente de jugement, reconnus lors de leur arrestation comme ne présentant aucune dangerosité et qui ne devraient pas être incarcérés, conformément à la loi du 6 janvier 1995 qui considère que leur incarcération devrait être l’exception.

2. les personnes qui pourraient ne pas être en prison : les détenus dont l’emprisonnement pourrait être commué en une autre peine (une peine en milieu ouvert) :
- a) Les travaux d’intérêt général : la loi du 6 janvier 1995 prévoit que les détenus auxquels il reste moins d’un an de peine à effectuer devraient être libérés pour réaliser des travaux d’intérêt général (seuls 6% d’entre eux le sont actuellement). Vingt pour cent (12 000) des détenus sont des personnes condamnées à des peines de moins de 1 an, sans compter les condamnés à de plus longues peines auxquels il reste moins d’un an de détention à effectuer.

- b) La libération conditionnelle : Cette peine, instituée par une loi du 14 août 1885 et nécessitant que le prévenu ait déjà accompli la moitié de la durée de sa peine, est de moins en moins appliquée par crainte des réactions de l’opinion publique.
Même si l’on considère, ce qui n’est pas le cas, que ces différentes catégories de détenus se recoupaient, la simple application de ces lois permettrait la sortie immédiate de prison d’environ la moitié des personnes actuellement détenues.
L’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter, qui a été il y a 25 ans l’un des acteurs majeurs de l’abolition de la peine de mort, rappelait récemment, en concluant les Etats généraux de la condition pénitentiaire organisé par l’Observatoire international des prisons (OIP) que : « la prison doit demeurer l’ultime recours, l’ultime ».
L’incarcération et le maintien en prison de personnes que la loi permettrait de soigner, de juger, ou de sanctionner à l’extérieur de la prison est l’une des manifestations marquantes de la non-reconnaissance de la citoyenneté de la personne détenue.

Notes:

[1Bertrand Cassaigne, Revue projet (Printemps 2002)