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(2006) Blog 22 " Quatre façons d’en finir avec les prisons ! "

Mise en ligne : 10 novembre 2006

Texte de l'article :

Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY

Quatre façons d’en finir avec les prisons !

En mai dernier le médiateur de la république M. Jean-Paul Delevoye est passé nous voir à la centrale de Poissy avec dans sa musette des liasses de questionnaires concernant nos conditions carcérales. Il les a distribuées en main propre à chaque détenu. Cette opération appelée pompeusement "Etats généraux de la condition pénitentiaire", parrainée par l’ancien Garde des Sceaux M. Badinter, a été organisée par plusieurs associations dont l’O.I.P (observatoire international des prisons).
La distribution d’un tel questionnaire à toute la population pénale d’un pays est une première. En tout cas je ne connais pas de précèdent.
L’institut de sondage BVA chargé de dépouiller les résultats a reçu 15.000 réponses sur 60.000, ce qui représente un quart des détenus en France. Sur le plan statistique c’est un succès total, qui permet, désormais, de mettre le doigt sur les problèmes les plus sensibles auxquels sont confrontés les prisonniers.
Et quel est le problème numéro 1 qui ressort de ce sondage un peu particulier ?
La surpopulation pénale !
La voilà la vraie plaie, la vraie maladie chronique dont l’administration pénitentiaire souffre depuis des lustres sans trouver de remède.
Cela fait trente ans que nos politiques, tous régimes confondus, cherchent à résoudre ce problème par la construction de nouvelles prisons qui aussitôt se remplissent jusqu’à saturation.
Ces programmes coûteux pour le contribuable semblent sans effet puisque aujourd’hui encore on constate, d’après les réponses qui résultent de ce questionnaire, que 80% des prisonniers évoquent le manque d’intimité et la promiscuité liés à cette surpopulation.
Mais alors si la construction de prisons ne résout rien, que doit-on faire ?
Si l’on considère que tous les dysfonctionnements du système carcéral sont uniquement dû au surpeuplement, je ne vois plus qu’une seule solution : vider les prisons en réduisant le nombre de détenus !
À première vue, cela peut sembler être une idée utopique, mais je vous assure qu’elle est tout à fait réalisable si on se donne la peine d’étudier sérieusement la question.
En effet, il suffirait pour cela d’appliquer une nouvelle politique pénale plus intelligente et plus humaine qui consisterait à éliminer d’urgence les quatre fléaux suivants qui sont les principales causes de l’inhumanité carcérale inhérente à l’engorgement des établissements pénitentiaires.

1) L’abus de la détention préventive.

Actuellement, dans les maisons d’arrêt, plus de 25.000 détenus sont en attente de jugement. Beaucoup pourraient bénéficier d’une liberté provisoire. Une personne mise en examen est considérée innocente tant que sa culpabilité n’est pas légalement reconnue. Voilà ce que dit la loi sur la présomption d’innocence. Or ce principe n’est appliqué qu’exceptionnellement aux homme politiques corrompus ou à une petite catégorie de citoyens plutôt nantis, tandis que l’incarcération est pratiquement systématique pour tous ceux qui appartiennent à des classes sociales inférieurs. En France, les juges incarcèrent à tour de bras sans respecter le numerus closus et en se foutant totalement des conséquences liées aux détentions surchargées. S’ils appliquaient la loi sur la présomption d’innocence telle qu’elle est écrite pour la petite délinquance et autres petits délits ont pourrait libérer immédiatement environ 10 000 personnes.

2) La politique du tout répressif.

Depuis quelques années, la droite n’a privilégié que la répression et la tolérance zéro et cela a une incidence certaine sur l’augmentation constante du nombre de détenus dans les prisons. L’abandon du social sur le terrain est le vrai responsable de la violence, de l’insécurité et de la délinquance dans les zones dites sensibles. 5 ans de cette politique absurde ont suffi à mettre le feu aux poudres, bus et banlieues sont en flammes parce que plus personne n’est là pour faire de l’éducation ou de la prévention auprès des plus jeunes. La droite qui nous gouverne depuis 2002 n’a été élue que sur une campagne basée sur la peur et l’insécurité. Aujourd’hui rien n’a changé et à la veille des prochaines élections présidentielles le "Sarkoshow" utilise les mêmes recettes pour influencer l’opinion. Expulsions de sans papiers spectacles, descentes coup de poing dans les banlieues, arrestations spectaculaires filmés, dérapages verbaux, répression policière, toutes ces actions sécuritaires font partie d’un numéro de cirque que nous joue ce dangereux illusionniste mégalomane dont la seule ambition est d’atteindre par tous les moyens les plus hautes fonctions de l’Etat. Ce délire paranoïaque, ne servant les intérêts que d’un seul homme, ne fait que troubler l’ordre public et pousse à l’embastillement croissant de tous ceux qui s’opposent ou se révoltent face à la surenchère des provocations policières. Actuellement l’image négative des immigrés squatteurs et des jeunes de banlieues en colère est utilisée comme un épouvantail, cette propagande mêlant à la fois médias et forces de l’ordre me fait froid dans le dos.
Les prisons surpeuplées d’un pays ont toujours été les premiers symptômes d’une démocratie en danger.

3) Le maintien en détention des personnes malades.

Dans les prisons françaises, il y a des milliers de détenus qui n’ont plus rien à y faire pour des raisons de santé.
Dans les 190 établissements pénitentiaires sont incarcérés actuellement des milliers de malades psychiatriques, des milliers de vieillards, des milliers de cancéreux, des milliers de malades atteints de pathologies graves, des centaines de sidéens, des milliers de toxicomanes. Toute cette population pénale fragilisée devrait bénéficier d’une libération anticipée grâce à la loi permettant une suspension de peine, mais cette loi n’est appliqué qu’au compte goûte et n’est accordé aux détenus que quelques jours ou quelques semaines avant leur mort, ce qui est un véritable scandale.
Il faut d’urgence libérer les prisonniers dont la santé est incompatible avec la détention et là encore cela serait des milliers de places de prison en moins.

4) L’échec des alternatives à la prison et la réduction des aménagements de peines.

Si on appliquait toutes les lois et tous les dispositifs permettant d’autres solutions que le recours systématique à l’emprisonnement ferme on abaisserait fortement le taux d’incarcération.
En effet, Il existe dans le code de procédure pénale des dizaines de mesures qui ne sont pas assez utilisées et qui vont de la semiliberté, aux conditionnelles, en passant par les placements en chantier extérieur ou des placements sous bracelets électroniques, sans parler des permissions, grâces et autres sorties anticipées... Il faudrait augmenter de façon significative tous ces aménagements de peines qui restent, d’après toutes les études sur le sujet, les meilleurs remparts contre la récidive.
Or la politique répressive de ces dernières années a freiné considérablement le nombre de libérations de prisonniers dans les centrales et autres établissements pour peine. Les détenus exécutent des peines de plus en plus longues car les JAP (juges d’application des peines) sont de plus en plus réticents à leur accorder des conditionnelles à mi-peine, ils préfèrent attendre les deux tiers avant d’envisager quoi que se soit.
J’ai même vu des permissions refusées sous prétexte que la personne bénéficiait des parloir UVF (Unité de vie familiale) ce qui veut tout dire sur l’état d’esprit de ces juges qui ne veulent plus prendre de risque.
Il faut vraiment multiplier les aménagements de peines ce qui permettrait là encore de réduire les effectifs en prison.

Voilà donc quatre propositions qui permettraient de diviser par deux, voir plus, le nombre de prisonniers en France et par conséquent d’améliorer les conditions de détention de tous ceux qui restent. Il suffit d’appliquer des lois déjà existantes pour que les choses changent et pour que le phénomène de la surpopulation pénale ne soit plus qu’un souvenir. En tout cas c’est le moyen le plus rapide et le plus économique pour avoir enfin des prisons décentes et dignes d’un pays qui se prétend être celui des droits de l’homme.
Cependant, je ne me fais aucune illusion sur ce que va devenir ce cahier de doléances qui résultera de ces "Etats généraux de la condition pénitentiaire", il finira comme bien d’autres rapports sur les prisons, au fond d’un tiroir au ministère.
Si vraiment l’Etat voulait agir pour améliorer les conditions de détention, il l’aurait fait depuis longtemps en appliquant tout simplement les textes, et nul besoin pour cela de faire de grandes réformes dans le monde pénitentiaire, il suffit d’une volonté politique suffisamment forte pour s’attaquer aux quatre points noirs que je viens de vous citer. Malheureusement, cette volonté n’existe pas, les prisons, et le sort des prisonniers qui y vivent, n’intéressent personne, depuis des années. Elles sont gérées de façon aléatoire et du bout des doigts comme s’il s’agissait de décharges publiques renfermant tous les déchets de la société humaine.
Bien sûr durant ces prochains jours, ces prochaines semaines, ces prochains mois, M. Badinter, l’OIP et certaines associations vont intervenir, proposer des solutions, faire des débats, s’exprimer dans les médias, discuter avec des élus, présenter leur doléances aux différents candidats aux présidentielles etc.
Mais moi qui vis à l’intérieur depuis plus de vingt ans, je suis assez pessimiste quant aux résultats de ces discussions car je sais pertinemment qu’il n’y aura aucun changement, ni aujourd’hui, ni demain. Le monde carcéral est sclérosé de toute part et la société est prisonnière de ses "prisons en souffrance" dont elle n’a jamais voulu s’occuper.
Comme toujours on va nous promettre pour la énième fois des programmes de constructions pour de nouvelles prisons, de nouveaux sanitaires et autres rénovations de l’habitat carcéral.
Personnellement je suis contre tous ces projets d’améliorations de nos conditions de détention tant que celles-ci ne sont pas accompagnées d’aménagements de peines car vivre dans une cage dorée jusqu’à ce que mort s’en suive ne m’intéresse pas.
Je ne veux pas non plus être le complice de la modernisation, du perfectionnement de l’outil répressif car c’est comme ci on me demandait d’entretenir et de soigner moi-même l’instrument de ma souffrance.
Le meilleur moyen d’en finir une bonne fois pour toute avec les prisons indignes, c’est de libérer ceux qui n’ont rien a y faire.

À bientôt sur le BLOG pour la suite...

Laurent JACQUA
"Le blogueur de l’ombre"