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Enquête : La gamelle du détenu

Mise en ligne : 29 septembre 2006

Texte de l'article :

La gamelle du détenu
Enquête à la maison d’arrêt de Dijon

Comment se nourrit-on en prison ? Après celle de l’école, de l’hôpital ou de l’armée, qui a fait l’objet de diverses études (et critiques), la qualité nutritionnelle de l’alimentation proposée aux détenus vient à son tour d’être passée au crible. Couronné par le prix CERIN de nutrition, le travail réalisé par la diététicienne Florence Schaller-Lanier, dans le cadre d’un projet d’éducation sanitaire, ne prétend pas au statut d’enquête nationale... Avec toute sa modestie mais aussi toute sa précision, il présente la situation d’une maison d’arrêt : celle de Dijon.

Disons-le tout net : l’enquête menée à Dijon ne permet pas de savoir réellement “ce que mangent” les détenus. Car elle n’a pu mesurer en détail ce qu’ils laissent ou non dans leur “gamelle”. Elle s’est principalement donnée pour but d’évaluer ce qui leur est servi.

À cet égard les appellations qui figurent au menu, quand elles ne sont pas succinctes ou imprécises, semblent assez souvent trompeuses : ce qui est annoncé comme un sauté de bœuf aux olives peut être à l’arrivée un bœuf bourguignon. Le riz Valenciennes devenir un riz nature. La quiche aux poireaux se transformer en pizza. Et les courgettes au gratin peuvent être simplement au jus, sans la moindre trace de fromage...

Manque de variété

Après avoir soupesé la valeur de leurs dénominations, l’enquête s’est attaquée aux “mets” eux-mêmes, catégorie par catégorie. Elle livre surtout une conclusion : si l’association entre les différents groupes d’aliments est relativement variée, le choix des aliments semble quant à lui assez limité. Mis en avant par les détenus, ce manque de diversité est confirmé par l’analyse du contenu des repas.

Du côté des entrées, les crudités sont trop rares, alors que les “cuidités” essentiellement des légumes cuits en conserve (betteraves, poireaux...) dominent : les produits frais sont quasi absents. On assiste à la répétition quasi identique de ces premiers plats d’une semaine sur l’autre...

Le même reproche s’applique aux plats principaux, pour lesquels reviennent sans arrêt les mêmes aliments et les mêmes recettes. Le tout dans un excès de viandes grasses, de charcuteries et parfois d’abats. Considérant que la population carcérale est à haut risque vasculaire, notamment parce qu’elle fume beaucoup, l’enquête souligne que cet excès peut être dommageable. Les viandes maigres manquent trop souvent à l’appel.

La garniture des plats comprend des légumes verts une fois sur deux : dans 90% des cas en conserves, dans 10% des cas surgelés ; jamais de produits frais. Les féculents sont bien représentés, et assez variés : pommes de terre, purées, flageolets, riz... Pour les légumes en somme, la critique des investigateurs porte essentiellement sur le manque de variété des recettes.

Quant aux desserts, ils sont eux aussi très répétitifs. Ils se composent à 41% de produits laitiers (5 à 6 par semaine seulement...), 30% de fruits au sirop ou en compotes (les fruits cuits sont en excès) et 16% de fruits frais (mal représentés et en quantité insuffisante). Les produits laitiers ne sont pas assez proposés, et sont eux aussi quasi identiques d’une semaine sur l’autre. L’enquête déplore l’absence de variété dans le choix des fromages, des fromages frais et crèmes. Les petit-suisses natures et les yaourts aromatisés (servis les uns comme les autres une fois seulement tous les quinze jours) représentent à eux seuls la catégorie des laitages.

Des apports caloriques satisfaisants

Les quantités servies sont néanmoins convenables, et l’apport calorique journalier, de l’ordre de 2800 calories, peut être considéré comme satisfaisant. A condition de manger toute sa ration ! Ce qui ne semble pas être toujours le cas : les entrées comme les salades composées, les betteraves, le céleri vinaigrette... ou encore les plats comme les abats sont en effet souvent délaissés. En moyenne, l’apport énergétique quotidien comprend 16% de protéines, 36% de lipides et 48% de glucides. Les protéines sont surtout apportées par les viandes ou équivalents (poissons, œufs) et les charcuteries. Ces dernières, en compagnie des viandes grasses, sont à l’origine d’une cuisine relativement riche en graisses. Le beurre y a par contre une place très faible. Le pain couvre plus de la moitié des apports en glucides, mais ceux-ci demeurent insuffisants.

Pas assez de fruits et de produits laitiers

Les minéraux sont bien représentés, à l’exception du calcium, dont les apports dépassent à peine les 600 mg par jour (au lieu des 900 mg conseillés chez l’adulte, voire des 1200 mg conseillés chez les adolescents et les femmes enceintes...). Le manque de produits laitiers est criant, et on peut redouter ses effets sur la santé osseuse.

Cette même lacune a aussi des conséquences sur les apports vitaminiques. Si, grosso modo, la plupart des vitamines est bien représentée, on constate un apport limite en vitamine B1 et B6 : du fait notamment du manque de produits laitiers et de fruits frais, ainsi que l’absence de diversité de l’alimentation. L’intérêt de la vitamine B1, notamment, est manifeste en cas d’antécédents d’alcoolisme (ce qui n’est pas rare en prison, souligne l’enquête). Les anciens buveurs, ainsi que les fumeurs, nombreux eux aussi parmi les détenus, ont fréquemment des carences en vitamine B1.

Les apports en vitamine C sont également insuffisants, à cause du manque de crudités et de fruits frais. Ils sont d’à peine 70 mg par jour, alors que les apports conseillés sont de 80 mg par jour chez le non fumeur et de 120 mg chez le fumeur ! Or, la majorité des détenus fume... Les mineurs et les femmes enceintes ont droit à une distribution supplémentaire de fruits et de produits laitiers, mais cette mesure est insuffisante pour couvrir leurs besoins en calcium et en vitamines.

Conseils aux intendants et cuisiniers...

On pourrait en somme résumer l’intérêt pratique de cette radiographie de l’alimentation des détenus dijonnais en formulant les conseils suivants :
• accroître la diversité et la variété des entrées, des plats principaux et des desserts ;
• diminuer la place des charcuteries et des viandes grasses ;
• augmenter celle des légumes frais, ou crus, ou cuits sous vide (catégories pratiquement toujours absentes), ainsi que celle des fruits frais ;
• augmenter et diversifier celle des produits laitiers...

C’est à ces conditions que les excès et les carences constatées pourraient être corrigés. Aux dernières nouvelles, F. Schaller-Lanier fait état, depuis son enquête, d’une petite augmentation de la consommation de fruits...

La nutrition enseignée aux détenus

Peut-on apprendre la nutrition en prison ? Sans doute pas plus mal ou aussi bien qu’ailleurs, si l’on en croit l’expérience des ateliers diététiques mis en place à la maison d’arrêt de Dijon par Florence Schaller-Lanier. “Je travaillais en binôme avec une infirmière, et nous organisions des groupes de cinq détenus au maximum, confie-t-elle. Nous avons recruté des personnes de tous niveaux, intéressées et intéressantes, qui choisissaient leurs thèmes : l’équilibre alimentaire, l’amaigrissement, alimentation et grossesse, alimentation et sport... Chaque atelier durait une heure, et permettait de répondre à nombre de questions. Avec peu de place, de moyens et d’outils, nous avons tout de même, la deuxième année, touché autour de 200 personnes. Un bilan, à mes yeux, extrêmement positif.”

Centre de Recherche et d’Information Nutritionnelles
89, rue d’Amsterdam
75008 PARIS
Tél : 01 49 70 72 20

Source : FMT Médical