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Suisse : Quatre heures chrono à travers les quartiers haute sécurité de Bochuz

Mise en ligne : 4 décembre 2006

Texte de l'article :

Quatre heures chrono
à travers les quartiers haute sécurité de Bochuz

Les Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe sont la plus grande prison de Suisse romande.
Visite guidée en compagnie des gardiens.

AYMERIC DEJARDIN
Publié le 25 août 2006

Barbelés, caméras, miradors et gardiens armés jusqu’aux dents surveillant des taulards couverts de tatouages. Voilà l’image que je me faisais du milieu carcéral. Une image très américanisée qui tranche singulièrement avec ce que je découvre en arrivant au pénitencier de Bochuz, à Orbe. Il est 6 h 40.

Sans ses hauts grillages surmontés de fils de fer barbelés et ses nombreuses caméras vidéo, le site, planté au beau milieu des champs, ferait davantage penser à une énorme exploitation agricole qu’à une prison. Bochuz est bel et bien un pénitencier dit « fermé », destiné à l’exécution des peines. Les personnes qui y séjournent - escrocs, dealers, délinquants sexuels ou meurtriers - viennent de toute la Suisse.

6 h 50 Les portes du pénitencier se referment derrière moi. Je passe un sas de sécurité. Clic-clac. Une grille se ferme, une autre s’ouvre. Me voilà derrière les barreaux. Pierre-Alain, surveillant chef, me met au parfum : « Les établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe (EPO) fonctionnent sur un modèle de régime progressif. S’il se comporte et travaille bien, un prisonnier peut ainsi voir ses conditions de détention s’assouplir - temps de la promenade rallongé, sorties de cellule plus fréquentes. »

7 h J’emboîte le pas à François, surveillant. Nous allons réveiller les occupants du quartier de « haute sécurité ». Outre les individus jugés dangereux, on y loge les nouveaux arrivants en attente d’une affectation et les détenus mis aux arrêts - version moderne du cachot - suite à une bagarre ou une tentative d’évasion.

Je m’étonne, les gardiens ne sont pas armés. A la ceinture, ils portent une paire de gants, un trousseau de clés et un spray au poivre, mais pas d’arme à feu. « Lorsqu’un prisonnier devient violent et qu’il faut le maîtriser, nous enfilons un gilet pare-couteau et un casque pour intervenir », explique François. Si la situation dégénère, les gendarmes vaudois sont alors appelés en renfort.

7 h 15 Avec trois gardiens, nous faisons le tour des cellules pour distribuer les petits déjeuners et demander aux détenus s’ils souhaitent se promener et prendre une douche. « En tout, ils disposent d’une heure et demie. Le reste de la journée, ils sont dans leur cellule », explique François. La promenade se fait sur le toit du bâtiment principal. Les prisonniers y vont à tour de rôle de manière à ne pas se croiser. J’apprends que la nuit a été agitée. Un détenu en isolement n’a pas apprécié qu’on lui retire les tubes de ketchup et de moutarde qu’il avait reçus. Il a projeté contre la porte de sa cellule son plateau-repas et insulté les gardes.

Toutes les portes des cellules de haute sécurité sont doublées d’une grille. L’une d’entre elles est même entièrement bétonnée. « On y enferme ceux qui prennent plaisir à détruire leur mobilier », explique le surveillant. Et de feuilleter un album photo où sont immortalisés les dégâts les plus spectaculaires : cellule saccagée ou incendiée, murs et portes recouvertes d’excréments, flaques de sang. « Certains prisonniers s’automutilent », commente François.

8 h 55 Direction les sous-sols. C’est là que les nouveaux détenus sont amenés à leur arrivée au centre. Sur des étagères sont entreposés les uniformes rouges et orange fluo qu’ils porteront durant leur exécution de peine. Les jeans sont interdits. « Avec ça, on les repère plus facilement, notamment s’ils tentent de s’évader », explique François.

9 h 40 Serge nous accueille aux ateliers des divisions « d’évaluation », une zone tampon entre « la haute sécurité » et le régime plus souple de « responsabilisation ». « Les détenus y passent entre un et trois mois, le temps pour nous de jauger leur comportement, leur capacité d’intégration et leur application au travail », explique Serge, chef d’atelier. Nous y croisons une dizaine de prisonniers. Certains confectionnent des emballages pour une célèbre marque suisse de chocolat, d’autres réalisent des échiquiers et horloges en bois. Un travail rémunéré 22 fr. 50 la journée.

11 h C’est l’heure du déjeuner. A l’unité psychiatrique, Claude, le surveillant, sert leur repas aux six occupants de l’étage. Au menu du jour : poulet, semoule et légumes. Incapables de s’autogérer, ces détenus ont besoin d’une assistance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Peu avides de promenades, ils passent la plupart de leur temps en cellule.

SOUS-SOLS : Passage obligé pour tous les nouveaux arrivants, le « magasin ». Là, ils reçoivent un pantalon et une chemise rouges et une veste orange fluo.

QHS : Le quartier de haute sécurité. On y loge les individus jugés dangereux, les nouveaux arrivants et les détenus mis aux arrêts. Capacité totale : 140 places.

BÉTONNÉE : Une cellule de haute sécurité « bétonnée ». « On y enferme les détenus qui prennent plaisir à détruire le mobilier en bois de leur chambre. »

Source : 24heures