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Date : 5-08-2006

(2006) Blog 15 « 24 heures à Poissy »

Mise en ligne : 7 août 2006

Dernière modification : 23 août 2006

Texte de l'article :

Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY

24 heures à Poissy

5 heures du matin. Le radio réveil se mets en marche et me tire du sommeil au son des premières infos de l’aube narrant ce qui s’est passé durant la nuit. Les yeux clos, j’attends que tombe la mauvaise nouvelle, celle qui va encore me confirmer que les hommes sont de plus en plus tarés...
Attentats meurtriers, catastrophes aériennes, tremblement de terre, faits divers sanglants, guerres, cyclones, tsunami, maladies... on a l’embarras du choix. Litanie macabre du chaos mondial qui vient flinguer le moral avant que le jour se lève. Conditionnement matinal à coup de petites apocalypses qui débutent nos journées, comme s’il fallait s’estimer heureux que l’on nous accorde encore un sursis, un jour de vie en plus. Habitudes malsaines et indifférences glaciales face à la mise à mort du reste de l’humanité, tout cela ressemble à une anesthésie générale de la conscience capable de nous faire accepter ce jour supplémentaire dans une existence qui semble ne plus avoir de sens. On dirait que l’on nous diffuse ces informations pour nous abrutir de malheurs, nous faire peur, nous faire croire que c’est pire ailleurs afin de nous soulager de nos soucis quotidiens et de nous faire oublier nos petits destins égocentriques et anonymes.
Après avoir parcouru le globe par l’intermédiaire des « news » et compté les cadavres après le massacre, on prend notre courage à deux mains et on se lève en se disant que notre sort est bien meilleur que « là bas » et qu’il ne faut pas se plaindre. Au fond on a de la chance d’être aussi bien protégé et c’est peut-être ce qui nous donne la force d’avancer jour après jour, mais sans aller trop loin non plus, de peur que la société de consommation ne perde les clients que nous sommes, avides de ce bonheur à crédit que l’on nous vend si chère...
C’est dur de se lever à cette heure, mais je veux prendre l’avantage sur le soleil afin d’avoir le plaisir de l’accueillir pour le surprendre. J’allume la télé sur une chaîne info, j’avais le son, j’ai maintenant l’image et je constate que rouge est le sang de tous les hommes, quelque soit sa race ou sa religion.
J’éteins la radio et je mets en route le P.C sur un fond musical, musiques classiques de préférence. Je me prépare un petit déjeuné, café et gâteaux secs, que je déguste pensif en regardant dehors. Après avoir mangé un peu, je prend mes médicaments, huit pilules le matin, deux le midi et huit le soir, cela parait beaucoup mais avec le temps on s’y habitue.

6 heures, l’œilleton se soulève, c’est la ronde. Ici il passent au moins toute les deux heures à cause des malades et des suicidaires, ce qui perturbe le sommeil car pour nous voir ils allument une veilleuse quelques secondes. Dans d’autres établissements pour longues peines, ils ne passent que trois fois dans la nuit afin de nous laisser dormir et de ne pas susciter d’incident au réveil.

Je suis face à la fenêtre et je vois lentement la ville s’éveiller et le trafic se mettre en place. Je suis au quatrième étage et ma vue donne sur l’avenue des Ursulines, une artère très fréquentée.
L’aube est le meilleur moment pour écrire, alors très tôt je commence à taper quelques lignes sur une page vierge, de temps en temps je jette un coup d’œil sur la vie sociale qui s’ébroue pour une journée de boulot. Les bus, avec leurs lots de voyageurs entassés, se mêlent au trafic routier qui s’intensifie au fur et à mesure que le soleil se lève, c’est bientôt l’heure de pointe et un petit bouchon freine la circulation. Grâce au ralentissement je peux mieux voir tous ces gens démarrant leur journée. Hier, aujourd’hui, demain c’est un même quotidien sans fin. Etrangement aucun d’eux n’ose se tourner vers la prison d’où je les observe, comme s’ils avaient peur de cette sombre bâtisse renfermant peut-être leurs côtés obscurs ou leurs penchants inavoués. C’est comme ci de notre côté le jour ne se levait pas et que nous vivions dans une nuit éternelle. Ils ne veulent pas nous voir comme un cauchemar qu’ils tentent d’oublier. Au fond nous sommes leurs reflets négatifs dans le miroir aux phantasmes et c’est toujours difficile de regarder en face sa propre part de ténèbre.

7 heures, c’est l’heure où dans toutes les prisons de France les portes de cellules s’ouvrent pour l’appel, le surveillant passe pour constater ma présence. Quelques minutes plus tard c’est avec l’auxi qu’il repasse pour la distribution du petit déjeuné constitué de café en sachet et de lait en poudre. J’ai déjà déjeuné alors je me prépare pour descendre en promenade, toilettes, brossage des dents, j’endosse mes habits de sport et prépare mon sac prévu à cet effet.

8 heures, la porte s’ouvre et je me retrouve sur la coursive avec tous les autres détenus. Je serre quelques mains, mais pas trop, je discute un peu, mais pas trop, bref je garde mes distances vu qu’ici il y a un maximum de « sales affaires ».
En effet les « pointeurs » se sont multipliés et les délits sexuels, qui vont du viol à la pédophilie, sont maintenant monnaie courante en détention. Les « braqueurs » ou les « bandits » sont en voie de disparition, changement d’époque, changement de mœurs...La perversité est devenue la nouvelle délinquance.

Il y a quinze ans de cela, les « pointeurs » ne sortaient pas de cellule, aujourd’hui ils nous dépassent en nombre et sont partout. L’administration pénitentiaire a compris qu’il fallait diviser pour mieux régner, c’est pourquoi elle a décidé depuis quelques années, dans les établissement pour peines, de noyer les détenus condamnés pour des faits de banditismes dans une population fragilisé sur le plan psychiatrique, ou condamné pour des affaires de mœurs. La politique de la pénitentiaire a toujours été de protéger les détenus tombés pour viol, parce que c’est une population pénale docile, qui ne s’évade pas, qui ne pose pas de problème d’ordre, corvéable et apte à balancer. La pénitentiaire les soigne et les préfère à nous ce qui est logique, c’est pourquoi ils ont une détention facilité, place de travail, place de confiance, demandes diverses accordées, surveillance allégée, C.D adaptés, pas de transfert incessant etc....Tout cela fait qu’ils bénéficient, vu leur détention sage et leurs profils de détenus modèles, de la bienveillance et des largesses des juges d’application des peines, qui n’hésitent pas à les faire sortir sans aucun suivi. Alors que nous, qui sommes condamnés pour des faits de délinquances classiques, nous ne bénéficions d’aucune indulgence sur le plan des aménagements de peines. Évidement un violeur, un pédophile récidivent souvent à 70% puisqu’ils n’ont jamais été traités sur le plan psychiatrique, déjà que l’institution a du mal à soigner physiquement, alors ne parlons pas de ce qui relève de la psychiatrie. Ici il y a une psychologue pour 250 détenus, quant on sait qu’il y a à peu prés 55% d’affaires de mœurs et 30% de cas psychiatriques vous imaginez l’ampleur du problème...
Pour le ministère de la justice ce qui compte dans les prisons c’est que l’ordre règne jusqu’à ce que la peine se termine, le reste ils s’en foutent royalement, une fois le prisonnier dehors c’est plus leur problème. Ici chacun sait qu’un pervers qui rentre pour la première fois en prison en ressort rapidement, mais comme sa pathologie n’a pas été prise en compte durant sa détention, il en ressort pire qu’avant et quand il recommence c’est en général beaucoup plus grave. Ainsi a-t-on pu voir dans l’actualité quelques exemples de petites filles massacrées par quelques récidivistes dont personne ne s’est occupé lors de leur première détention.
Si vos enfants subissent de telles horreurs demandez vous qui sont les vrais responsables ?
A force de ne pas vous occuper de vos prisons, vous avez les prisons que vous méritez ! Celles qui engendrent la récidive et le crime !
Bien sûr après quelques faits divers sordides et sur le coup de l’émotion populaire on vote des lois hâtives toujours plus sévères contre la récidive, mais tant que le problème sera géré avec autant de désinvolture et d’incompétence dans le monde carcéral, la solution ne risque pas d’être trouvée puisqu’il n’y a aucune volonté réelle et aucun moyen financier pour y arriver.

Le matin, ici aussi il y a une sorte de trafic de la circulation pour aller bosser, il y a même un petit bouchon qui se forme dans l’escalier avant de rejoindre le rez-de-chaussée ou la majorité vont vers les ateliers et le reste en promenade.
Pour ma part, je me dirige dans la cours principale et j’attaque mon jogging quotidien.
Ici pour le sport il y a tout ce qu’il faut, terrain de foot qui fait office de stade, gymnase, salle de musculation, terrains de tennis, grandes promenades, bref il y a de l’espace pour pouvoir se dépenser et s’entretenir physiquement. Quant on a des années à faire il faut s’imposer une discipline de fer pour rester en forme. J’ai toujours fais du sport durant ma détention, j’ai dû arrêter lorsque je suis tombé malade en 1996, mais depuis que je vais mieux, je m’impose deux heures d’exercices par jour, courses à pieds, musculation, assouplissements, ainsi chaque matin j’évacue stress et toxines. J’ai aussi arrêté de fumer et je surveille mon alimentation. À 40 ans Il est important d’avoir une bonne hygiène de vie car, comme dit le proverbe : « qui veut aller loin ménage sa monture »...
Cette discipline rigoureuse que je pratique depuis toutes ces années m’a renforcé physiquement mais aussi mentalement, c’est ainsi, que le corps et l’esprit, trouvent leurs harmonies pour tenir la distance. En plus j’essaye d’appliquer cette devise : « La prison engendre une souffrance intérieure, si tu arrives à l’éteindre en toi tu abolies la prison » Ainsi ai-je décidé de déconnecter cette souffrance pour ne plus ressentir les effets néfastes de l’enfermement. Voilà le secret de ma forme, de ma longévité et de mon équilibre. 21 ans que ça dure et la prison n’a jamais réussi à me briser ...
Le corps humain est étonnant de résistance et j’ai appris par expérience que lorsqu’on est malade il faut essayer de se dépasser et ne pas se morfondre, c’est le seul moyen de guérir. En tout les cas cela me réussi puisque mes bilans sont excellents et que je me porte comme un charme depuis pas mal d’années maintenant. 1,80m, 78 kg je suis un beau bébé en pleine forme !

Mais alors pourquoi demande-t-il une suspension de peine me direz- vous ?
Parce que c’est un acte militant qui consiste à protester contre cette loi inacceptable et qui me permet de m’exprimer auprès des instances judiciaires de façon publique en faisant appel, d’ailleurs je ne manquerai pas de vous informer de la date de mon prochain passage en cours d’appel pour que vous veniez entendre ce que je pense de cette loi criminelle.
Si je lutte pour la cause des malades en prison, ce n’est pas pour ma propre personne, puisque je ne suis pas dans l’urgence et que mon pronostic vital n’est pas engagé comme le dit le texte de loi. Si je me bats c’est justement contre ce terme de « pronostic vital engagé ». En effet, la loi KOUCHNER est utiliser d’une façon totalement scandaleuse car elle n’est accordée qu’à des détenus en phase terminale qui ne sont libérés, en fin de compte, que pour mourir quelques jours ou quelques mois plus tard, ce qui est intolérable. Je vous rappelle les déclarations du Garde des Sceaux Pascal CLEMENT qui disait en janvier 2006 dans une interview au Nouvel Obs. :

« Pour moi, cela concerne avant tout les personnes dont l’espérance de vie ne dépasse pas quelques semaines, afin qu’ils ne meurent pas en prison. »

Donc, d’après notre ministre de la justice, il faut attendre que les conditions de détentions dégradent suffisamment la santé des détenus pour que l’on veuille bien les laisser mourir dehors sans leur laisser aucune chance de guérison.
Je trouve cela choquant et il faut d’urgence se rendre compte qu’aujourd’hui dans les prisons françaises on laisse sciemment « pourrir » des détenus malades jusqu’à ce que leurs pronostics vitaux soient suffisamment engagés pour qu’on daigne les libérer et qu’ils aient une mort soit disant digne, mais surtout certaine.
Je n’arrive pas à comprendre comment des hommes politiques ont pu instituer un tel mécanisme d’élimination d’individus sans que personne ne proteste ou ne s’en alarme, comment a-t-on pu laisser faire une chose pareil au sein d’une démocratie qui se prétend être celle des droits de l’homme ?
Comment Monsieur KOUCHNER peut-il laisser son nom à une telle loi ?
Au lieu de faire sortir des détenus pour qu’ils meurent, il faut tout faire pour qu’ils sortent et guérissent. Voilà ce que devrait être le vrai sens de cette loi, mais à l’heure actuelle, elle ne laisse aucun espoir aux détenus atteints de pathologies graves.
Voilà pourquoi je me bats et je milite du fond de mon cachot depuis des années. Vous devez absolument vous rendre compte du détournement assassin de cette loi qui désormais condamne à mort tous les détenus malades.
C’est pourquoi je réclame l’abolition pure et simple de la prison pour tous les détenus touchés par une maladie létale, ceci avant que leurs santés ne se détériorent à cause de leurs détentions.
Je demande la véritable application du système de suspension de peine qui prend en compte, en priorité, le rétablissement des malades, afin que les détenus concernés puissent bénéficier de meilleures conditions sanitaires à l’extérieur, ainsi on augmentera de façon significative leur espérance de vie.

Certains pensent que je fais tout cela pour sortir de prison ou pour que l’on s’apitoie sur mon sort. Bien sûr je me sens concerné puisque je suis séropositif, mais je vous assure qu’ils sont loin du compte, car je n’ai vraiment pas besoin de cela pour m’en sortir. En effet en ce qui concerne ma peine, je suis plus proche de la sortie qu’on ne le croit, puisque ma période de sûreté saute dans 10 mois et que je suis conditionnable dans quarante mois... bref j’ai toute les chances de pouvoir sortir par la grande porte et de vivre encore pendant pas mal d’années parmi vous dans la société.
En fait, si je fais tout cela c’est parce que je ne supporte pas que l’on traite certains de mes co-détenus les plus affaiblis pire que des chiens et qu’on se permette d’utiliser une loi pour les laisser crever avec autant d’indifférence. Je ne suis pas un saint mais il y a des choses dans la vie que l’on ne doit jamais accepter pour ne pas en être complice.
Ici au deuxième étage, séparé de la détention, derrière une porte close il y a un mouroir. Que nos hommes politiques viennent y faire un tour, tout comme à l’hôpital prison de Fresnes ou d’autres lieux tout aussi sinistres, ils y verront comment on continue insidieusement à appliquer la peine de mort en France.
Voilà pourquoi je proteste, voilà pourquoi je lutte, voilà pourquoi j’écris et puis si je ne le fais pas pour eux, qui le fera ?

Après une bonne séance sport qui m’a permis d’évacuer, je me dirige vers l’une des cabines téléphoniques qu’il y a en promenade pour appeler mes proches et quelques amis. En établissement pour peine on a droit au téléphone, bien sûr celui-ci est payant et celui qui n’a pas d’argent sur son pécule ne peut y avoir accès.
Je peux rester en promenade jusqu’à 11h45 mais parfois je remonte à l’étage pour prendre une douche et me détendre en cellule en buvant un café avant l’arrivée de la gamelle. Celle-ci nous est servit vers midi.
A Poissy il n’y a pas de cuisine ce sont des plats en barquette, fait par une société extérieur, qui nous sont distribués et ce n’est pas fameux tant sur le plan quantitatif que gustatif. Bref pour celui qui ne peut cantiner d’autres denrées alimentaires c’est vraiment limite pour se nourrir correctement. D’ailleurs l’infirmerie n’hésite pas à prescrire des boites de liquides vitaminés pour combler les carences alimentaire de ceux qui en ont besoin.
En prison tout s’achète et rien n’est gratuit et celui qui n’est pas assisté ne peut avoir le minimum vital, ici aussi il y a des laisser pour compte de la vie économique, mais avec la liberté en moins.

13 heures, première promenade de l’après midi et descente aux ateliers. Je reste pour faire une petite sieste avec le ventilateur qui ronronne comme une berceuse, il fait trop chaud pour sortir à cette heure et j’en profite pour me reposer.

Vers 14h, je me remets à bosser sur le P.C ou, si l’inspiration me vient, je fais un petit dessin.

14h45, c’est le second tour de promenade et je me décide à sortir pour profiter du soleil. Il y a beaucoup plus de détenus en promenade l’après midi, certains jouent aux boules, aux cartes, aux échecs, d’autres font du sport ou sont assis sur les bancs pour discuter... Moi, je « tourne » avec un ou deux potes, je téléphone, je passe à la bibliothèque.

Puis vers 17h30, je remonte pour prendre la douche et boire une boisson fraîche que j’ai pris soin de mettre au frigo depuis le matin (location frigo 7 euros/mois).
Si on le désire on peu rester en promenade jusqu’à 18h30. Le courrier passe en fin d’après midi, j’en reçois pas mal grâce au « BLOG » et je me fais un plaisir de le lire mais aussi d’y répondre.

19 heures, c’est l’heure de la fermeture et du passage de la gamelle, une fois celle-ci passée, ma porte ne s’ouvrira plus avant 7h demain matin. En général, le soir, je me fais une petite cuisine ou une salade que je mange en regardant la vie qui défile devant ma fenêtre donnant sur l’avenue des Ursulines.

Vers 19h30, la circulation s’intensifie à nouveau, c’est la fin d’une journée de labeur pour ceux qui on du boulot, et la fin d’une journée de galère pour ceux qui en cherchent. Tout le monde regagne en même temps son chez soi pour retrouver son petit univers individuel, sa vie privée, sa bulle, sa famille...bref après s’être éparpillé dés l’aube chacun retourne dans sa case comme les pions d’un monopoly géant qu’on range après avoir participé ou non, à la vie économique du pays...
Moi je n’ai pas bougé de la case prison car cela fait bien longtemps qu’ils ont jeté les dés au fond d’un puit...

La vision que j’ai de ma fenêtre ressemble à un documentaire sur la vie quotidienne des citoyens. Sur la droite il y a un cimetière, sur la gauche une église, au milieu des immeubles ou vivent différentes personnes, jeunes, vieux, filles mères, couples, célibataires, familles nombreuses...De temps en temps ils apparaissent aux fenêtres ou sur leurs balcons. Au pied de l’immeuble il y a un petit parking où ils viennent garer leurs véhicules. A la longue je commence à les reconnaître. Mois après mois j’arrive à deviner leurs intimités, leur petites habitudes, leurs extraits de vie, après tout ce sont mes « voisins » il est donc normal que je m’intéresse à eux. Je les trouve sympathiques et je dois dire que je commence à les apprécier.
Drôle d’impression que d’observer ces gens en sachant qu’eux et leurs univers me sont inaccessibles, ils semblent appartenir à une autre vie que je visionne à distance, comme un mort épiant les vivants.
Sur le trottoir passent à vive allure des passant pressés qui, tête baissée, ont tous l’oreille rivée sur leurs téléphones portables, phénomène de société. D’autres promène leur chien à heure fixe. Au 33 de l’avenue, il y a une petite maison insolite de briques rouges où habite un vieux couple qui ne sort pratiquement jamais, peut-être attendent-ils sagement la mort pour remplir le cimetière situé un peu plus loin, après avoir reçu les derniers sacrements dans l’église d’à côté ?...
L’hôpital de Poissy n’est pas loin et chaque jour des ambulances empruntent l’avenue toutes sirènes hurlantes fonçant vers un accident, une urgence, ou une vie qui s’éteint.
Le samedi c’est souvent un concert de klaxonnes qui résonne dans l’avenue fêtant un mariage, le cortège bariolé de dentelles fonce vers la noce et la promesse d’un futur bonheur ...

« Sirènes du malheur, klaxonnes du bonheur,
Qui se mélangent parfois comme frère et sœur,
Sans crier gare aux familles en pleurs,
Accident du bonheur faisant sourire le malheur... »

Ainsi va cette vie qui passe et que j’observe de ma tour de pierre et de béton. J’aime cette vue de prison, elle m’apporte un recule inspirateur sur cette liberté perdue, cette muse qui m’échappe pour l’instant, mais que je rattraperai certainement après l’avoir longuement observé pour mieux l’apprivoiser...

20 heures, c’est l’heure de la grande messe des infos, je zappe d’une chaîne à l’autre pour voir les différentes versions de l’actualité, ici on a le câble (location télé 29 euros/mois), je peux donc voir comment on traite l’information dans différents pays, France, Belgique, Suisse, Espagne, Italie, Maroc, Algérie, Tunisie... bref on ne voit vraiment pas les choses de la même manière d’un pays à l’autre. Après que la télé ait rependue ses mauvais augures et déversée sa dose d’hémoglobine, je coupe le son et je me mets à bosser sur le P.C avec toujours un fond musicale qui m’aide à tracer les lignes d’un nouveau texte, d’une nouvelle histoire. Les heures passent et seul le bruit de l’œilleton qui se soulève me rappelle que les rondes se succèdent dans mon dos pour me surveiller. Je m’enfonce dans la nuit avec des mots plein la tête entre rêves, cauchemars et réalité... je livre ce que je ressens dans un espèce d’état second où je me libère de toute pesanteur carcéral et par l’écrit je vais là où bon me semble, comme-ci mon esprit se séparait de mon corps emprisonné, ainsi je peux moi aussi, tel le vagabond voyageur de Jack LONDON, flâner au delà des murs et faire partie du monde. Peut-être est-ce une façon de ne pas rester seul et d’être vivant comme ceux qui passent devant ma fenêtre...
Il est tard, je jette un dernier coup d’oeil dehors, il n’y a pas un chat, la ville dormira jusqu’à demain matin.

Minuit passé, bientôt 1h, il faut vraiment que je pense à me coucher si je veux me lever tôt. Je règle l’horloge de mon radio réveil sur 5h et je sombre pour une courte nuit de sommeil peuplé de rêves de la vie d’avant...

Voilà, vous venez de passer 24 heures en prison avec moi, cet enfermement peut vous sembler facile à vivre, mais ne vous y trompez pas, la vie en centrale dont vous avez eu un petit aperçu n’est vraiment pas une partie de plaisir, mais surtout cela ne reflète absolument pas l’ensemble du monde pénitentiaire où il reste toujours d’énormes problèmes liés à la santé, à la surpopulation et autres difficultés récurrentes du monde carcéral. Ce texte ne représente que ma vision des choses sur une journée à la centrale de Poissy. En France vous avez 60 000 détenus, vous avez aussi 60 000 façons différentes de voir et de vivre la prison...
En tout cas, si jamais vous passez par l’avenue des Ursulines, arrêtez vous un instant pour regardez la centrale et faites un petit signe peut-être que je vous verrai...

A bientôt sur le « BLOG » pour la suite...

Laurent JACQUA
« Le blogueur de l’ombre »