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Philosophies et politiques pénales et pénitentiaires

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Date : 8-01-2006

Politiques sous influence ou recommandations sans effet ?

Politique pénitentiaire en France et recommandations du Conseil de l’Europe

Publication originale : 9 décembre 2005

Dernière modification : 23 janvier 2011

Texte de l'article :

Proposition d’article pour la revue « Prison - Justice »
(ARAPEJ Ile-de-France)

Politiques sous influence ou recommandations sans effet ?
Les politiques pénitentiaires en France et les recommandations du Conseil de l’Europe 

par Pierre V. Tournier

Directeur de recherches au CNRS, Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, l’auteur a été expert scientifique auprès du Conseil européen de coopération pénologique pendant vingt ans avant d’être membre du Conseil scientifique criminologique du Conseil de l’Europe de 2001 à 2005. Il a créé la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (système SPACE), en 1983 et a été l’un des rédacteurs de la recommandation sur la surpopulation des prisons et l’inflation carcérale (30/9/1999) et de la recommandation sur la libération conditionnelle (24/9/2003) .

A quelques jours ou quelques semaines de l’adoption, par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, de la nouvelle version des Règles pénitentiaires européennes, la question que nous nous proposons d’aborder ici, à l’invitation de l’ARAPEJ, nous projette dans l’avenir. Ces nouvelles règles auront-elles quelque influence réelle sur la condition pénitentiaire dans notre pays ? Le gouvernement français tiendra-t-il compte de ce texte pour orienter les réformes nécessaires, en mobilisant les moyens matériels et humains indispensables ?
Alors que ces nouvelles règles faisaient encore l’objet de consultations dans les Etats membres, Alain Cugno, professeur de philosophie et vice-président de la FARAPEJ en avait souligné toute l’importance politique, lors d’une réunion publique du Collectif « Octobre 2001 » le 2 décembre 2004, à l’Hôtel de Ville de Paris. Alain Cugno concluait sa brillante analyse du texte provisoire de la façon suivant : « De même que dire le droit consiste souvent à dire « Assez ! » à quelqu’un, pour qu’il ouvre les yeux sur ce qu’il fait, de même il faut dire « Assez ! » à notre manière de considérer la prison. Cette voix ne peut venir que de l’extérieur, il n’y a pas d’autres manières de s’y prendre qui peuvent nous débarrasser de nos œillères. C’est précisément la tâche de ces règles européennes que d’effectuer une telle ouverture du regard ».

1. - Cela se passe à Strasbourg

Rappelons que le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale créée le 5 mai 1949 (Traité de Londres signé par dix Etats) qui a pour objectif de défendre et promouvoir les droits de l’homme, la démocratie pluraliste et l’Etat de droit. C’est aujourd’hui 46 Etats membres, c’est une Europe de plus de 800 millions « d’européens » qui englobe l’Union européenne mais s’étend bien au delà des frontières de « l’Europe de Bruxelles » jusqu’à celles de l’Iran et de l’Irak (la Turquie en est membre depuis 1949) et jusqu’à celles de la Chine (la Fédération de Russie a fait son entrée en 1996).
Celles et ceux qui s’intéressent aux questions pénales connaissent généralement bien ses deux instances phares : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le CPT). 
La « machine » qui produit conventions et recommandations dans le domaine pénal et de la Justice pénale est nettement moins connue. Ces activités sont impulsées et mises en œuvre par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), instance constituée des 46 délégations gouverne-mentales des Etats membres qui se réunit en séance plénière, au Palais de l’Europe, à Strasbourg, une fois par an. C’est cette structure - aidée d’un bureau du CDPC - qui va finaliser les recommandations avant qu’elles ne soient définitivement adoptées par le Comité des ministres (ministres des affaires étrangères ou leurs représentants permanents).
Dans le domaine de l’exécution des mesures et sanctions pénales, en milieu fermé comme en milieu ouvert , les recommandations sont préparées par le Conseil de Coopération pénologique (PC-CP) avant qu’elles ne soient soumises au CDPC. Le PC-CP est constitué de 7 membres élus à titre personnel, mais avec l’accord de leur gouvernement, par le CDPC ; ce sont des hauts fonctionnaires - directeurs généraux des prisons et/ou du milieu ouvert, responsables des politiques pénales - des hauts magistrats ou plus rarement des universitaires. Le Conseil est depuis peu présidé par notre collègue Sonja Snacken, professeur de criminologie à l’Université de Bruxelles (VUB), ancienne présidente de la European Society of Criminology (ESC), qui a souvent effectué des missions pour le compte du CPT . 

Le rôle du Conseil de coopération pénologique

Pour mener à bien la rédaction d’une recommandation, conformément au mandat qui lui est donné par le CDPC, le Conseil de Coopération pénologique a deux solutions. Première solution : il demande que soit constitué un « comité ad’hoc » d’experts issus d’une quinzaine de pays et chargé de préparer le texte de la recommandation. C’est la solution qui fut retenue pour la préparation de la recommandation sur la gestion des condamnés à perpétuité et des condamnés à de longues peines, adoptée par le Comité des ministres le 9 octobre 2003 . La seconde solution est plus économique : elle consiste, pour les 7 membres du PC-CP à faire le travail eux-mêmes, aidés par un, deux ou trois experts - nommés à titre strictement personnel - qui se trouvent ainsi associés aux deux réunions par an du Conseil, le temps de l’élaboration de la recommandation. Ce fut le cas pour la recommandation sur la surpopulation des prisons et l’inflation carcérale (experts : André Kuhn, Suisse, Roy Walmsley, Royaume-Uni et Pierre Tournier, France), comme pour la recommandation sur le libération conditionnelle (experts : Hilde Tubex, Belgique, Norman Bishop, Suède et Pierre Tournier, France).
Qui prend l’initiative d’élaborer une recommandation sur telle ou telle question ? C’est très variable. L’initiative peut venir du Secrétariat général du Conseil de l’Europe (la structure exécutive de l’organisation), elle peut naître au sein du CDPC, portée par telle délégation gouvernementale, où au sein du bureau du CDPC, groupe restreint qui se réunit plus fréquemment, ou dans le cadre du Conseil de coopération pénologique sur proposition d’un de ses membres, voire d’un expert. C’est ainsi que le projet de réécriture des règles pénitentiaires a été présenté par Norman Bishop (Suède), en août 2000 . Il faudra donc attendre 5 ans et demi pour que la recommandation soit définitivement adoptée.
 L’idée d’élaborer une recommandation sur la libération conditionnelle (LC) a été proposée par nos soins, au sein du PC-CP, à la fin des travaux sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale auxquels nous avions pris une part active. Sauf erreur de notre part, ce fut en mars 1999 ; la recommandation sur la LC sera donc adoptée 4 ans et 6 mois après. Notre idée fut reprise sans difficulté par le PC-CP puis par le CDPC, puis par le Comité des ministres, car la question de la LC s’inscrivait logiquement dans la suite du travail sur l’inflation carcérale : nous avions mis en évidence que dans nombre de pays, l’inflation carcérale était due - comme en France depuis les années 1980 - à l’accroissement des durées de détention, la priorité étant alors de réfléchir aux modalités de l’aménagement des peines.
Ajoutons à cette description trop rapide, que les fonctionnaires du Secrétariat général (adminis-trateurs, chargés de mission, ...) jouent un rôle essentiel dans tout ce processus. Ils assurent la permanence face à des acteurs qui ne sont à Strasbourg que de façon épisodique (au mieux trois à quatre fois par an, pour des séjours de deux à cinq jours). La qualité du produit fini dépend largement de leur diplomatie et de leur savoir faire, de leurs compétences sur le sujet traité et de leur implication . 

2. - Vous avez dit recommandations ?

Une recommandation du Conseil de l’Europe n’est pas un texte contraignant, sur le plan juridique, pour les Etats qui le signent. Rien à voir avec une convention, ou avec une directive adoptée dans le cadre de l’Union européenne. Aussi, la recommandation une fois adoptée par consensus, doit-on s’attendre à des positionnements bien différents de nos gouvernants selon les préoccupations politiciennes du moment, ou plus noblement selon les idéologies qui sous-tendent leurs politiques, dans ce champ comme ailleurs. Reste que, pour le gouvernement français, adopter une recomman-dation du Conseil de l’Europe, à Strasbourg, devrait représenter un engagement politique fort, une promesse morale de ne pas prendre, à Paris, des décisions, sur le plan législatif ou règlementaire, qui aillent à l’encontre de ce que l’on a recommandé de faire. 

Des textes non diffusés

On trouve pourtant une constante dans notre pays, au delà des alternances politiques : le peu d’intérêt des parlementaires - dont certains pourtant siègent à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe - comme de l’exécutif pour ce qui se passe à Strasbourg. Ainsi la condition première pour que ces recommandations aient quelques chances d’être suivies d’effet, c’est qu’elles soient connues des membres du Parlement français, des administrations concernées - et ce à tous les niveaux -, de l’ensemble des acteurs du champ pénal, de la « société civile organisée » qui peut jouer le rôle, bénéfique en la circonstance, de groupe de pression, et des citoyens dans leur ensemble. Le Conseil de l’Europe n’a évidemment les moyens, ni de médiatiser ses travaux, ni d’en assurer une diffusion massive dans l’ensemble des Etats membres, ce qui exigerait d’ailleurs la traduction dans un très grand nombre de langues différentes (il n’y a que deux langues officielles dans l’organisation, le français et l’anglais). A aucun moment du long processus de création, une recommandation ne fait « événement ». Ajoutons que la présence du siège de l’organisation sur notre territoire ne crée en rien une appétence particulière des médias nationaux.
Aussi la responsabilité de la diffusion des recommandations revient-elle au gouvernement de chaque pays. Dans la recommandation adoptée le 24 septembre 2003 sur la LC, le Comité des ministres « recommande aux gouvernements des Etats membres :
- d’introduire la mesure de libération conditionnelle dans leur législation si celle-ci ne la prévoit pas encore ;
- d’orienter leur législation, leur politique et leur pratique concernant la mesure de libération conditionnelle selon les principes énoncés à l’annexe de la présente recommandation ; et
- d’assurer la diffusion la plus large possible de la présente recommandation concernant la libération conditionnelle, et de son exposé des motifs ».

 Cette dernière formulation se retrouve dans toutes les recommandations. Elle est évidemment essentielle : pour s‘approprier un texte, encore faut-il le connaître. On peut affirmer sans risque d’être contredit que le gouvernement français, qu’il soit de gauche ou de droite, n’a rien fait pour diffuser la recommandation du 30 septembre 1999 sur la surpopulation et l’inflation carcérale, rien pour celle du 29 novembre 2000 sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (Lionel Jospin était premier ministre), rien pour celle du 24 septembre 2003 sur la LC ou du 9 octobre 2003 sur la gestion des condamnés à perpétuité et à de longues peines (Jean-Pierre Raffarin était encore à Matignon).
Naturellement des chercheurs ont fait leur travail d’analyse et la société civile a commencé à se mobiliser face à l’impéritie de l’Etat. Ainsi la FARAPEJ a-t-elle organisé, en coopération avec la l’Association française de criminologie (AFC), un colloque européen, les 23 et 24 novembre 2001, qui s’est tenu dans la salle d’audience de la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, sur le thème « les règles pénitentiaires européennes, un outil pour l’action des associations ». Le 13 décembre 2003, le Collectif « Octobre 2001 », adressait une lettre ouverte à M. Dominique Perben, garde des sceaux, concernant l’application des recommandations de 1999 et de 2003 et demandant une audience. Ce courrier, courtois et documenté, signé par des organisations représentant des dizaines de milliers d’adhérents, restera sans réponse . En 2004, le collectif « Octobre 2001 » a continué à prendre nombre d’initiatives pour faire en sorte que l’on parle et que l’on débatte des orientations définies par le Conseil de l’Europe. Les associations doivent poursuivre ce travail d’explication et de mobilisation.

 Contre l’extension du parc pénitentiaire
 
Dans la recommandation du 30 septembre 1999, le Conseil de l’Europe affirme que l’extension du parc pénitentiaire n’est pas la solution au surpeuplement des prisons : « L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n‘est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité ».

Après M. Albin Chalandon en 1986 et son programme de 13 000 places, M. Pierre Méhaignerie et ses 4 000 places, M. Dominique Perben et les 13 200 places prévues dans la loi d’orientation et de programmation du 9 septembre 2002, M. Pascal Clément continue à présenter l’extension du parc pénitentiaire comme la priorité des priorités , ignorant superbement les choix de l’Europe. Chaque année en France métropolitaine, 900 000 personnes sont mises en cause par les services de police et de gendarmerie, suspectées d’être auteur ou complice d’un délit ou d’un crime, sans compter le contentieux routier. Va-t-on pour autant multiplier par dix le parc pénitentiaire pour les « accueillir » alors que bon nombre seront mis hors de cause au cours du processus pénal ou condamnées à des peines non carcérales ? 
La solution, préconisée par l’Europe, est plus difficile à défendre devant les électeurs, fort mal informés en la matière, et surtout plus complexe à mettre en place : lutter contre l’inflation carcérale par une approche globale, plurifactorielle et responsable. Les mesures décrites dans la recommandation concernent l’ensemble du processus pénal : de l’examen de l’opportunité de décriminaliser certains types d’infractions ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté au développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée en détention, et en particulier de la LC. 

La recommandation ne se contente pas du discours convenu, repris par la gauche comme par la droite éclairée, sur les peines alternatives. En partant des mécanismes d’évolution de la population des détenus, la recommandation distingue trois types de mesures et sanctions alternatives à la détention qui doivent recevoir la même attention : les alternatives (que nous avons appelées de 1ère catégorie) qui ont pour conséquence de réduire le nombre d’entrées en détention (comme le contrôle judiciaire ou le travail d’intérêt général, à condition de ne pas être précédé d’une détention provisoire), les alternatives qui permettent de réduire la durée de la détention, ou plus précisément le temps passé sous écrou (libération conditionnelle) et enfin les alternatives qui réduisent le temps réellement passé derrière les murs de la prison, sans levée d’écrou, et donc sans réduction du temps passé sous écrou (permissions de sortir, semi-liberté, placement à l’extérieur, mais aussi placement sous surveillance électronique fixe lorsqu’il est appliqué comme modalité d’aménagement d’une peine privative de liberté). Ainsi la question des alternatives concerne-t-elle trois fronts bien différents mais complémentaires. 
Le rapport Warsmann, préparatoire à la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Loi Perben 2), ignore complètement ces travaux menés à Strasbourg (l’honorable parlementaire s’est rendu au Canada et en Suisse !) et ne s’est, en fait, préoccupé que des mesures de 3ème catégorie. Ainsi aborde-t-il la question des courtes peines d’emprisonnements en passant sous silence celle de la détention provisoire . Quant à la LC, la loi Perben 2 s’en préoccupe bien peu, améliorant, tout de même, la répartition des compétences, le tribunal de l’application des peines (TAP) devenant compétent, pour les peines supérieures à dix ans ou dont le reliquat est supérieur à trois ans. 

Plaidoyer pour la libération conditionnelle

Mission « Warsmann » sur les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison (rapport déposé le 28 avril 2003), mission « Clément » sur le traitement de la récidive des infractions pénales (7 juillet 2004), mission « Fenech » sur le placement sous surveillance électronique mobile (21 avril 2005), mission Burgelin santé et justice (6 juillet 2005), autant d’occasions manquées pour développer une approche globale sur l’exécution des mesures et sanctions pénales, aucune de ces missions parlementaires ne semblant avoir pris la peine de se pencher sur les recommandations européennes. Aucune de ses missions n’a d’ailleurs auditionné les universitaires et chercheurs en sciences sociales qui travaillent sur ces questions. Double système d’œillères, vis-à-vis des travaux européens, vis-à-vis des travaux scientifiques ?

Dans un système politique où l’alternance démocratique ne devrait pas nécessairement dire remise en cause complète du travail du gouvernement précédant, il eut été sage, pour la droite, revenue au pouvoir dans les conditions que l’on sait , de s’appuyer sur la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence et les droits des victimes (loi Guigou), mais aussi sur le projet de loi pénitentiaire préparé par Marylise Lebranchu ... pour aller plus loin. Ici au moins, nous avions des textes qui allaient dans le sens des orientations du Conseil d’Europe. Qui peut le nier en dehors de tout esprit partisan ?
Grâce au travail des deux chambres, grâce aussi à l’influence de telle ou telle association , la loi du 15 juin 2000 est allée bien au delà de ses objectifs premiers (présomption d’innocence et droits des victimes) apportant, dans un approche globale, des innovations tout au long du processus pénal : de la réforme des conditions de la garde à vue, jusqu’à la juridictionnalisation de la LC, en passant par la réduction des possibilités de recours à la détention provisoire et par l’introduction de l’appel en matière criminelle. Ce qui a permis, en autre, la mise hors de cause des sept derniers accusés du procès d’Outreau. 

Les nouveaux droits accordés par la loi du 15 juin 2000, aux condamnés candidats à la LC, existaient déjà dans bien des pays européens : droit de disposer d’un conseil, procédure contradictoire permettant au condamné d’exprimer son point de vue, obligation pour les autorités judiciaires de motiver un refus, introduction de voies de recours, etc. La France s’est mise au niveau des exigences européennes, exigences rappelées dans la recommandation du 24 septembre 2003. Mais le gouvernement actuel est bien loin de partager la position exprimée dans ce texte qui rappelle que « la LC est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé » Cherchant à analyser la réalité du droit positif et des pratiques en matière de LC dans la grande Europe, les rédacteurs de la recommandation en sont venus à distinguer deux modèles fort différents de LC : le modèle discrétionnaire (discretionary release system) comme en France et le modèle de libération d’office (Mandatory release system), comme en Suède. Il s’agit de deux pôles entre lesquels vont se situer d’autres systèmes que l’on peut regrouper dans une troisième catégorie : les modèles mixtes (Angleterre et Pays de Galles, par exemple). Si la recommandation ne préconise pas tel ou tel modèle, elle s’efforce d’en distinguer avantages et inconvénients, offrant pour chaque Etat, une documentation précise pour en débattre. Le législateur français n’a pas cru bon de s’y référer, par exemple, dans le débat sur la récidive, préférant aller chercher l’inspiration en Floride ou au Nevada, pour introduire, en France la surveillance électronique satellitaire. 

3. - Retour sur le futur

C’est en nous inspirant des recommandations les plus récentes du Conseil de l’Europe, déjà citées supra, mais aussi en nous appuyant sur les connaissances acquises sur ce qui se fait de mieux chez nos partenaires - « les bonnes pratiques » - que nous avons été amenés à prendre parti dans le débat parlementaire sur le traitement de la récidive. Nous avons proposé un certain nombre d’orientations prioritaires, et ce dans la perspective des échéances politiques de 2007 (élections présidentielles et élections législatives), orientations que nous voudrions préciser ici.

 Six mesures pour transformer la condition pénitentiaire 

* Proposition 1. Contrôle extérieur des prisons. Dans leur nouvelle version - non encore adoptée officiellement - les règles pénitentiaires européennes (RPE), précisent à l’article 92, sous le titre Inspection gouvernementale : « Les prisons doivent être inspectées régulièrement par un organisme gouvernemental, de manière à vérifier si elles sont gérées conformément aux normes juridiques nationales et internationales, et aux dispositions des présentes Règles ». Et dans l’article 93, sous le titre Contrôle indépendant : « Les conditions de détention et la manière dont les détenus sont traités doivent être contrôlées par un ou des organes indépendants, dont les conclusions doivent être rendues publiques. Ces organes de contrôle indépendants doivent être encouragés à coopérer avec les organismes internationaux légalement habilités à visiter les prisons ».
Nous proposons que ce contrôle indépendant soit confié à la Commission nationale de déontologie de la sécurité, autorité administrative indépendante, créé par la loi 2000-494 du 6 juin 2000. Ses compétences seront donc élargies et les moyens de son fonctionnement assurés. La question du « contrôle extérieur » a été fort bien instruire par la commission mise en place par Elisabeth Guigou alors Garde de Sceaux et présidée par Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation. Son rapport fut déposé en mars 2000 : cinq ans plus tard, ne serait-il pas temps d’agir ? D’autant plus que la France a signé, à l’occasion de la 60me session de l’Assemblée générale de l’ONU, le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture. Ce protocole qui prévoit un système d’inspections régulières des lieux de détention afin de prévenir des pratiques abusives et d’améliorer les conditions de détention. 

* Proposition 2. Des hommes et des femmes debout. Sous le titre Régime pénitentiaire, les RPE précisent dans l’article 25, les points suivants : « Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré. Ce régime doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux. Ce régime doit aussi pourvoir aux besoins sociaux des détenus. » Dans les prisons françaises, il y a urgence à lutter contre l’oisiveté en détention. Chaque personne détenue pourra bénéficier d’une, au moins, des solutions suivantes : a. un emploi, b. une formation générale et/ou professionnelle, c. des activités culturelles et/ou de formation à la citoyenneté. Pour chacune de ces activités les personnes détenues (prévenues ou condamnées) recevront une rémunération et/ou un revenu minimum de préparation à la sortie (RMPS). 

* Proposition 3. L’exercice de la citoyenneté en détention. Dans une des premières étapes de la réécriture des RPE, on a pu lire ceci : « Sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à se réunir pour débattre de questions d’intérêt commun. Les autorités pénitentiaires doivent encourager les comités représentant les détenus à communiquer avec elles concernant les modalités de l’emprisonnement ».
Une telle rédaction, proposée par le Conseil de coopération pénologique, formé, rappelons le, de personnalités de haut rang de sept pays européens a dû effrayer, par son audace, plus d’un gouvernement (dont le notre). La dernière version de l’article 50 est plus « soft ». Sous le titre Bon ordre. Approche générale, on trouve cette recommandation : « Sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ». Peu importe la façon de l’exprimer : il nous paraît impératif de créer, dans la loi et dans les faits, les conditions d’une véritable participation des détenus à l’organisation de la vie en détention, en s’inspirant de ce qui se fait chez nos partenaires européens. Il s’agit là d’un sujet tabou en France : la question fut pourtant abordée au sein du Conseil d’orientation stratégique (COS) constitué, en 2001, par Marylise Lebranchu, alors Ministre de la Justice, en vue de la préparation de la loi pénitentiaire. Mais, dans la dernière version de ce qui est resté à l’état de proposition, on ne trouve aucune avancée réelle sur le sujet. Dans son article 56, la proposition parle d’exercice de la citoyenneté à propos de l’enseignement, de formation professionnelle et des actions culturelles sportives et de loisirs organisés en prison. L’exercice de la citoyenneté n’exige-t-il pas de mettre en place des processus de délégations légaux, meilleur moyen de lutter contre la caïdat ? 

* Proposition 4. Numerus clausus en milieu fermé comme en milieu ouvert. En ce qui concerne les locaux de détention, les RPE apportent les précisions suivantes : « Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus. Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter. Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit » (Article 18 alinéas 4 à 7).
La situation actuelle ne permet évidemment pas de respecter cette recommandation. Au 1er novembre 2005, l’effectif de la population sous écrou est de 59 111 (métropole et outre-mer) . En excluant les 778 condamnés placés sous surveillance électronique et les 251 condamnés placées à l’extérieur sans hébergement, on obtient une densité carcérale de 58082 pour 51195 places opérationnelles, soit 113 détenus pour 100 places. 8 établissements ou quartiers ont une densité égale ou supérieure à 200 p. 100, 44 ont une densité comprise entre 150 et 200, 72 entre 100 et 150. On notera les densités des maisons d’arrêt de Lyon Montluc (235 détenus pour 100), du Puy (229 p.100), Béziers (221 p.100 places), Montluçon (220 p. 100) de Lyon
Perrache - Saint Paul et Saint Joseph (217 p. 100), de Bonneville (209 p.100), La Roche sur Yon (202 p. 100). En distinguant la situation des différents types d’établissements et la catégorie pénale des détenus (prévenus-condamnés), on obtient l’état suivant :
- Centres de détention (CD), maisons centrales (MC) et quartiers CD ou MC ou CPA des centres pénitentiaires : 16 941 personnes détenues pour 18 015 places opérationnelles, soit 1 074 places inoccupées (6 % de ce parc).
- Centres de semi-liberté (CSL) autonomes : 481 personnes détenues pour 638 places, soit 157 places inoccupées (25 % de ce parc).
- Maisons d‘arrêts (MA), CSL non autonomes et quartiers MA des centres pénitentiaire : 40 660 personnes détenues pour 32 542 places. Il manque donc 8 118 places, soit 25 % du parc existant. On y recense 20 676 prévenues et 19 984 condamnés. Ainsi, il y a pratiquement autant de condamnés que de prévenus dans les maisons d’arrêt. Dit d’une autre manière, il y a 8 118 condamnés de trop en maison d ‘arrêt.

Aussi pensons-nous qu’il est nécessaire de mettre en place un système de contrôle strict de non dépassement des capacités de placements sous main de Justice . Il s’agit donc du placement sous écrou (ensemble des établissements pénitentiaires) mais aussi du placement sans écrou, en milieu ouvert : prévenus sous contrôle judiciaire, condamnés au sursis avec mise à l’épreuve, au travail d’intérêt général ou en libération conditionnelle. Ce qui nécessite de procéder à une évaluation rigoureuse des capacités actuelles du milieu fermé comme du milieu ouvert (question de locaux et de personnels) en distinguant bien les différentes situations juridiquement possibles . Cet état des lieux devrait « faire consensus » et permettre de définir, dans le même esprit, le « parc » nécessaire et ... suffisant pour le présent et pour l’avenir, en milieu fermé comme en milieu ouvert. Ce n’est pas une question de divination, mais d’évaluations rigoureuses et de choix politique. Le parc pourrait ensuite évoluer, dans une perspective réductionniste vis-à-vis de la privation de liberté, au profit de prises en charge dans la communauté.

* Proposition 5. Lutter contre l’inflation carcérale. Devant une telle situation de surpeuplement carcéral, il faut appliquer la recommandation du 30 septembre 1999 du Conseil de l’Europe sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Cela signifie, nous l’avons vu supra, agir sur trois fronts : le développement des alternatives réduisant les entrées en détention, des alternatives réduisant les durées de détention (sous écrou), des alternatives réduisant le temps passé derrière les murs avec maintien sous écrou. Cette même recommandation, puis celle de 24 septembre 2003 ont montré toute l’importance de la libération conditionnelle dans ce programme.

* Proposition 6. Refonder la libération conditionnelle. Créée, en France, en 1885, la libération conditionnelle est en crise, depuis des années. Elle est octroyée à une petite minorité des détenus condamnés, alors qu’elle devrait être, selon les orientations élaborées à Strasbourg, la voie normale vers la fin de peine . Il faut refonder une libération conditionnelle, appliquée au plus grand nombre, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Aussi doit-elle être au coeur des procédures d’aménagement des peines. Après les lois Perben 2 et Clément 1. , il faut donc tout revoir sur le sujet. Nous nous contenterons ici d’indiquer quelques pistes, de définir des principes généraux et un cadre .
 
Précisons, dès maintenant, qu’un tel programme devrait être porté par la création d’un Secrétariat d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions pénales placé auprès du Garde des Sceaux, ayant pour tâche d’élaborer un nouveau projet de loi pénitentiaire (que nous préférons appeler « loi sur l’exécution des mesures et sanctions pénales », pour en finir, une fois pour toute avec la « pénitence ») qui s’appuierait fermement sur les orientations du Conseil de l’Europe.

Des peines systématiquement aménagées, des procédures adaptées au quantum

Afin d’aider les condamnés à (ré) apprendre à vivre dans le respect des lois et de protéger les victimes potentielles de nouveaux délits et de nouveaux crimes, toute peine privative de liberté doit être aménagée. Cela signifie qu’avant la fin de la peine privative de liberté, le condamné doit pouvoir sortir de l’établissement pénitentiaire où il est écroué, accompagné ou non, de façon partielle ou totale, de façon temporaire ou définitive, sans pour autant que l’écrou soit levé. La peine prononcée adaptée, par son aménagement, au devenir du condamné, prend tout son sens et tend à rétablir le lien social entre l’auteur de l’infraction et la société. Le respect dû aux victimes et la sécurité de tous, pour l’avenir sont à ce prix. 

Une telle orientation est en contradiction avec l’existence, dans notre pays, des peines perpétuelles et des périodes de sûreté « à la française ». Ces dernières, introduites en 1978, Alain Peyrefitte étant Garde des Sceaux, interdisent toute procédure d’aménagement pendant un temps qui peut être extrêmement long, défini au moment du procès, voire imposé par la loi. Il faut abolir et la peine à perpétuité et les périodes de sûreté. Sur ce point aussi le projet de loi pénitentiaire de Marylise Lebranchu était bien timide : « il faut aussi aménager, pour certaines infractions, le caractère automatique de la période de sûreté » . La peine de réclusion criminelle maximale encourue serait alors de 30 ans. Il s’agit bien de la peine maximale encourue et non de la peine exécutée en détention sur laquelle nous reviendrons infra.

Toute peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle doit être exécutée dans sa totalité (période sous écrou incompressible) pour partie en milieu fermé, pour partie en milieu ouvert . Aussi la période sous écrou définie au moment du procès, ne peut-elle, en aucune manière, être réduite ou prolongée pour l’affaire concernée. Dans l’état actuel du droit, en cas de LC, le temps correspondant au reliquat de la peine à exécuter en milieu ouvert peut effectivement être prolongé. Dans le système que nous préconisons, cela n’est plus possible.
Prenons un exemple : X fait l’objet d’un mandat de dépôt le 1er février 2000 et mis en détention provisoire. Il est condamné trois mois plus tard le 1er juin 2000 à une peine correctionnelle de 3 ans ferme. Sa fin de peine sera donc le 1er février 2003 et ne pourra pas changer. Mais ces trois années seront effectuées pour partie en détention (milieu fermé), pour partie dans la communauté (milieu ouvert), selon des procédures adaptées et définies par l’autorité judiciaire chargée de l’application des peines.
Une telle orientation nécessite que le Président de la République renonce aux grâces collectives du 14 juillet, remises au goût du jour par Valéry Giscard d’Estaing, en 1980, et systématiques depuis le début des années 1990. Des procédures transitoires devraient être utilisées afin d’éviter les réactions de détenus « privés de grâce », redoutées par l’administration pénitentiaire . Ce principe implique aussi l’abolition du système des crédits de réduction de peine introduit dans la Loi Perben 2, comme des réductions de peine supplémentaires.

Les procédures d’aménagement des peines doivent dépendre de la longueur de la peine prononcée, comme c’est déjà en partie le cas. Nous proposons de distinguer les « courtes peines » (un an ferme ou moins), les peines intermédiaires (plus d’un an à 5 ans), les longues peines (plus de 5 ans à 10 ans) et les très longues peines (plus 10 ans à 30 ans). En cas de peines multiples, c’est évidemment la somme des quantum prononcés qui sera à prendre en compte.
Au 1er octobre 2005, la répartition des détenus condamnés selon la peine en cours d’exécution est la suivante (métropole) : 5 contraintes par corps, 27 402 peines correctionnelles (dont « moins d’un an » : 9 944, « un an à moins de 5 ans » : 11 909, « 5 ans et plus » : 5 549), et enfin 7 517 peines criminelles ( dont « 5 ans à moins de 10 ans » : 147, « 10 ans à moins de 20 ans » : 5 452, « 20 ans à 30 ans » : 1 399, perpétuité : 519) .

Dans le système proposé, les courtes peines (environ 10 000 condamnés détenus, à une date donnée) sont systématiquement exécutées, à temps partiel ou à plein temps, en milieu ouvert, sauf incident en cours d’exécution (semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique fixe). Pour des questions de délai, la LC est peu adaptée à ce type de peine et devrait être réservée aux sanctions les plus longues. N’oublions pas que les peines privatives de liberté sont souvent en partie exécutées avant d’avoir été prononcées, du fait de l’existence d’une détention provisoire. Aussi tout doit-il être fait pour limiter autant que faire se peut le recours à la détention avant jugement.

La LC est la mesure centrale d’aménagement des peines de plus d’un an. Elle doit concerner l’immense majorité de ces condamnés. Les autres mesures d’aménagement s’inscrivent dans cette perspective (permissions de sortir, placement à l’extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique fixe, voire placement sous surveillance électronique mobile, pour les peines les plus lourdes). Dans le système français de LC existant aujourd’hui, il y a levée d’écrou. Nous proposons que le libéré conditionnel soit désormais placé sous écrou dans l’établissement le plus proche de son lieu d’hébergement. Sa situation serait ainsi comparable, sur ce point, à celle d’un condamné placé sous surveillance électronique. Cette disposition aurait l’intérêt de rappeler à chacun que le mesure de LC n’est pas une fin de peine mais une modification des conditions de l’exécution d‘une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle, avec tout ce que cela peut comporter de contraintes, d’interdictions, d’obligations et de contrôles.

Pour les condamnés à des peines intermédiaires » (environ 12 000 condamnés détenus à une date donné), nous proposons un système de LC d’office à ½ peine pour les non récidivistes, comme pour les récidivistes, les mesures d’aide et de contrôle étant définies par le juge de l’application des peines (JAP). Des mesures de sortie anticipée partielle et/ou temporaire peuvent être octroyées avant la ½ peine par le JAP (par exemple des permissions de sortir). Les condamnés aux longues peines, récidivistes ou non (environ 5 700 condamnés détenus à une date donné) peuvent bénéficier d’une LC à ½ peine, la décision étant prise par le JAP (système discrétionnaire ). En fonction des progrès réalisés dans l’avenir en matière d’aménagement des peines, ce système devrait évoluer vers un système de libération d’office, comme pour les peines intermédiaires. De même, les condamnés aux très longues peines (environ 7 400 condamnés détenus à une date donnée) peuvent bénéficier d’une LC à ½ peine pour les non récidivistes, comme pour les récidivistes. La décision est prise par le tribunal de l’application des peines (système discrétionnaire). Là encore, en fonction des progrès réalisés dans l’avenir en matière d’aménagement des peines, ce système devrait évoluer vers un système de libération d’office, comme pour les peines intermédiaires. Quand nous parlons de progrès, nous pensons aussi bien aux modalités de prise en charge au sein de la détention qu’en milieu ouvert (voir nos six priorités, supra).

Utopie ?

Enfin, nous proposons que la partie exécutée en détention ne puisse en aucun cas excéder 20 ans (LC d’office pour tous, au bout de 20 ans). Ainsi un condamné à une peine de 30 ans, effectuerait au maximum les 2/3 de sa peine en détention . C’est sans doute la mesure la plus difficile à faire admettre à nos concitoyens. Rappelons-nous tout de même qu’en 1981, une majorité de français était contre l’abolition de la peine de mort. Cela n’empêcha pas François Mitterrand qui avait « annoncé la couleur » d’être élu et Robert Badinter d’obtenir, du Parlement, le vote de l’abolition (loi du 9 octobre 1981) .
Pourquoi 20 ans ? Certains trouveront que c’est bien trop court et d’autres que c’est bien trop long. Précisons déjà qu’il s’agit d’un maximum. Un condamné à une peine de 30 ans, qu’il soit récidiviste ou non, pourra bénéficier d’une LC à ½ peine soit au bout de 15 ans. On peut aussi prévoir qu’il bénéficie de mesures de sortie anticipée partielle et/ou temporaire octroyées avant la ½ peine, donc avant 15 ans, par le tribunal de l’application des peines (par exemple des permissions de sortir). Certains penseront aussi que 15 ans en LC, donc sous mandat judiciaire, c’est beaucoup trop. Tout dépend des contraintes imposées en milieu ouvert, contraintes qui, si tout se passe bien, devront évidemment évoluer dans le temps et aller en s’amenuisant.

Faut-il rappeler qu’aujourd’hui on peut rester plus de 40 ans en détention . Pour les 151 détenus initialement condamnés à perpétuité et libérés entre le 1er janvier 1995 et le 1er janvier 2005 (données de flux), la durée moyenne de détention est d’environ 20 ans. Plus précisément, 2/3 ont effectué moins de 20 ans en détention et 1/3 plus de 20 ans. 21 détenus on été libérés après une détention d’au moins 25 ans, la maximum étant de 33 ans. 
Si on examine les temps de détention déjà effectués par les 562 personnes initialement condamnées à perpétuité, encore détenues au 1er mai 2005 (données d’état), 131 sont en prison depuis 20 ans et plus, parmi elles 48 y sont depuis plus de 25 ans, 17 depuis plus de 30 ans, 3 depuis 40 ans et plus ...
Limiter la durée de la détention à 20 ans, serait donc un réel changement. Ces personnes ont commis des faits d’une extrême gravité. Il serait totalement irresponsable de l’oublier. Mais elles sont aussi peu nombreuses. En 2002 il y a eu 20 libérations de condamné à perpétuité, et 21 en 2004, chiffre à mettre en regard des 22 392 libérations recensées au cours du seul 3ème trimestre 2005 (métropole). L’Etat n’a-t-il pas les moyens de les surveiller de près ? 

A l’occasion de l’enquête réalisée avec Hilde Tubex, lors des travaux d’élaboration de la recommandation du 24 septembre 2003 sur la LC, nous avons trouvé 5 pays sur les 46 membres du Conseil de l’Europe, qui n’ont pas de peine perpétuelle . Il s’agit de la Croatie, de l’Espagne, de la Norvège, du Portugal et de la Slovénie. Si nous voulons construire un espace judiciaire européen, il nous faudra construire une échelle des peines commune, allant dans le sens du renforcement des droits de l’homme et de nos valeurs humanistes. Il est aujourd’hui acquis que la peine de mort ne sera pas ce dernier échelon. Mais ce ne sera pas non plus la peine à perpétuité. En Croatie, la peine maximale encourue est de 40 ans. Elle est de 30 ans en Espagne, comme au Portugal ou en Slovénie... et de 21 ans en Norvège. Nous invitions toutes les européennes et tous les européens convaincus à méditer ces chiffres. Comme le dit, Alain Cugno, décidément « La voix ne peut venir que de l’extérieur »...

Pierre V. Tournier

Paris, le 9 décembre 2005