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(2001) Psychiatrie en milieu pénitentiaire (Franche Comté)

2 Les délinquants sexuels : bilan de la prise en charge individuelle et groupale à la maison d’arrêt de Besançon

Mise en ligne : 18 juin 2005

Texte de l'article :

Les délinquants sexuels : bilan de la prise en charge individuelle et groupale à la maison d’arrêt de Besançon
1° Journée des soins Psychiatriques en Milieu Pénitentiaire

Yana Mugnier , psychologue clinicienne à l’UCSA de la maison d’arrêt de Besançon

(Franche-Comté - 1 Juin 2001)

Prise en charge Individuelle systématique à l’arrivée
(consultation commune entre l’auteur présumé d’abus sexuels, psychiatre et un ou une psychologue)

Dans l’optique de le rencontrer le plus rapidement possible, nous relevons tout délinquant sexuel arrivant sur les bordereaux des entrées

Nous nous présentons puis nous lui expliquons notre rôle et les missions de l’UCSA. Généralement les détenus ne font aucune différence entre l’expert psychiatre et le psychiatre proposant des soins, moins encore entre le psychiatre et le psychologue.

Ignorant tout des faits pour lesquels ils sont incarcérés, nous les invitons de nous en parler.
1. Si le détenu reconnaît les faits et demande de l’aide, nous pouvons lui proposer

 * soit une prise en charge individuelle d’abord puis, plus tard,
quand la confiance s’est établie, une prise en charge groupale
 * soit des entretiens individuels seuls (il refuse la prise en
charge groupale de peur d’être stigmatisé comme « pointeur »
car « tout se sait »
 * soit une prise en charge groupale seule
2. Si le détenu nie faiblement ou reconnaît partielleent mais hésite
« si j’accepte votre aide, ça voudra dire que j’ai fait quelque chose donc je préfère pas », nous lui proposons de le revoir plus tard ou attendre qu’il se manifeste
3. Si le détenu nie catégoriquement (négateur sthénique ou négateur pervers de R. Coutenceau) et qu’il ne voit aucun intérêt de consulter car « il est innocent, n’a rien fait et ne comprend pas pourquoi le
juge l’a mis en prison », nous le verrons trois mois plus tard : nous ne pouvons pas travailler sans une reconnaissance à minima.

Certains d’entre eux croient qu’ils arrivent en prison et restent jusqu’au jugement des « présumés innocents » mais cette croyance ne dépasse que rarement une dizaine de jours, le temps de pêcher les informations en détention... Ils apprennent alors que l’on les considère comme coupables, peu importe d’ailleurs le stade de l’instruction.

Nous leur précisons qu’ils peuvent nous contacter plus tard. Nous avons pour l’habitude de refaire le point avec eux deux ou trois mois plus tard, s’ils ne se sont pas manifestés eux -mêmes avant. Nous avons quelque fois la surprise de constater le changement dans le discours entraîné aussi par le changement dans le contexte familial. Mais quelque fois il faut attendre le jugement pour amorcer une réflexion suite à une reconnaissance subite aux assises mais même ici : à quoi correspond-elle vraiment ?

Prise en charge individuelle
• Qui ?
A la fin de cette première consultation commune et si le détenu est demandeur, nous décidons lequel de nous va le suivre et nous l’informons en rappelant la fréquence des rencontres. S’il manifeste le désir de travailler soit avec un homme soit avec une femme, nous lui laissons le choix.

Si, par contre, nous nous trouvons face à une personnalité particulièrement perverse, nous lui imposons un suivi individuel à deux.

• Quand ?
Généralement le suivi est hebdomadaire ou bimensuel et, dans la mesure du possible, au même moment de la semaine, ce qui n’est pas toujours facile.

• Comment ?
Nous sommes quatre psy avec les formations et personnalités différentes. Chacun a sa manière de travailler (les références cognitivo -comportementalistes, systémiques, psychanalytiques) mais nous avons trouvé un temps de mise en commun les vendredis matin pour évoquer tout ce qui pourrait poser problème ou qui nous pose des questions dans les suivis individuels ; nous avons bien compris qu’il ne faut pas rester seul.

Quelque fois nous nous sommes servi d’un questionnaire élaboré par l’équipe de C. Balier dans sa recherche sur les auteurs présumés d’agressions sexuelles ou de certains chapitres : et nous pourrons aborder des thèmes par rapport au sentiment de culpabilité, des émotions et s’interroger sur la capacité du délinquant sexuel de se projeter à la place de l’autre - de la victime.

J’ai constaté que le délinquant qui accepte d’y répondre voudrait que ses réponses puissent servir à quelque chose, à faire avancer la science et ils sont déçus quand je leur précise que la recherche a déjà été terminée. Ce questionnaire permet de susciter chez eux l’intérêt et envie de continuer. Il est, bien sûr, très gratifiant pour nous de travailler avec une personne très motivée et relativement sincère, ayant une bonne capacité d’analyse ; inutile de souligner que ce n’est pas toujours le cas...

• Pourquoi ?
Le pourquoi de la prise en charge est à plusieurs volets :
1. elle devient très souvent le questionnement : pourquoi j’en suis arrivé là, je voudrais comprendre pourquoi j’ai commis ces actes là... Cette question peut rester sans réponse et c’est d’autant plus douloureux que le détenu pense être sincère et véritable, surtout après le jugement. Il s’imagine qu’en trouvant la réponse, il va comprendre et pourra donc éviter une nouvelle récidive.

Nous ne travaillons qu’avec des hypothèses, même s’il s’agit d’ hypothèses quelques fois très plausibles, il n’en reste pas moins qu’elles restent des hypothèses.
Si la compréhension du Pourquoi où plutôt Comment j’en suis arrivé là peut aider le père incestueux, elle ne change probablement en rien le comportement de pédophile. L’un d’eux me dit avec une bonne dose de renoncement (quant à la guérison) « pédophile je suis, pédophile je reste » ; il faut alors davantage s’attacher au Comment faire pour ne plus récidiver.

2. « Pourquoi je viens voir un psy ? Tout simplement ça peut servir. . . ça change, ça me fait sortir de la cellule, ça fait du bien de parler à quelqu’un parce qu’ ici, on ne peut pas parler... » puis
• Il y a déjà une expertise dans laquelle l’expert suggère au détenu de prendre contacte avec un psy.
• Il y a l’avocat, pour lequel sera plus facile de défendre son client en soulignant devant les jurés tous les efforts que son client a faits.
• Il y a le procès durant lequel vraisemblablement la question d’un suivi psy sera posée au détenu et les soins fortement recommandés.
• Il y a l’après procès, quand on commence à faire les calculs de la libération conditionnelle : alors il faut mettre tous les atouts de son côté.
• Il y a l’obligation de soins à la sortie alors autant de commencer tout de suite.
• Il y a l’expertise avant la conditionnelle dans laquelle les efforts du condamné peuvent être mentionnés par l’expert psychiatre.
• Il y a le passage à la CAP où le JAP ou le procureur reposeront la question des soins.

 Il y a tellement de raisons que je me demande comment un seul délinquant sexuel peut encore se soustraire aux psy et à leurs soins... A moins qu’il soit innocent, une erreur judiciaire...
Et comment alors départager ce qui, dans une demande, relève d’authenticité (mais sortir plus vite d’une prison, n’est-ce pas une demande authentique.) de ce qui est induit par le contexte ?

Prise en charge groupale

J’avais et j’ai encore quelque fois (là, je n’engage que moi) le sentiment d’une certaine insuffisance, une méconnaissance où une insatisfaction ou même le sentiment d’être manipulée pour des raisons citées plus haut par certains et cela me rappelle une autre période
Quand je travaillais avec les toxicomanes, j’ai bien souvent entendu : comment pouvez vous en parler ? Vous n ‘étiez jamais dedans, vous ne savez pas ce que c ‘est un shoot ! A part ce que vous avez appris dans les livres qu ‘en savez-vous ? Devais-je alors me mettre à consommer pour savoir de quoi je cause ? Et si avec les délinquants sexuels c’était la même chose ?

Alors, si moi et mon collègue psychiatre, nous ne savons pas, les autres ils savent. Nous avons pensé de les mettre ensemble, ceux qui savent, qui ont le même problème, qui vont se comprendre à condition de se le dire, de se raconter. Et l’idée de groupe de parole est née. Nous sommes allés à la pêche chez les canadiens, et aussi en France dans d’autres prisons), enfin nous avons pris des renseignements :

Psychothérapie de groupe des agresseurs sexuels

Les avantages de la psychothérapie de groupe
• Le choix d’une psychothérapie de groupe repose sur plusieurs facteurs :

Le groupe comme cadre thérapeutique met des limites au désir d’une relation fusionnelle avec le thérapeute et oblige le délinquant à tenir compte de l’existence de l’Autre

Les éléments cliniques favorisant la thérapie de groupe pour certains agresseurs
• Les symptômes déviants des agresseurs génèrent chez eux peu de culpabilité
• Les agresseurs sexuels font preuve d’une faible tolérance à l’anxiété. ils l’évacuent rapidement par le passage à l’acte
• La faible motivation au traitement constitue une indication supplémentaire pour la psychothérapie de groupe.
• L’attitude défensive du sujet est beaucoup plus fragile lorsqu’il est exposé à d’autres agresseurs ayant le même type de problème (la confrontation par les pairs est plus directe est mieux acceptée que celle du thérapeute qui représente une figure d’autorité)
• Le groupe sort l’agresseur sexuel de son isolement dans lequel il se trouve et lui permet de faire des apprentissages par le biais de socialisation

Les buts de psychothérapie de groupe
Le délinquant doit parvenir à :
• apprendre à contrôler son comportement délictuel
• comprendre ses schémas de distorsion névrotique
• devenir capable de se mettre à la place de l’autre
• développer des attitudes plus responsables
• métaboliser ses sentiments d’hostilité
• développer une meilleure image de soi
• développer une plus grande tolérance à la critique
• aider à exprimer des sentiments agressifs ouvertement
• devenir un adulte mature qui reconnaît que le comportement sexuel implique à la fois une responsabilité et une gratification

La structure de groupe
• chacun des délinquants a commis au moins un dé lit de nature sexuelle (pédophilie, exhibitionnisme, inceste ...)
• groupe est composé d’adultes (il est contre-indiqué de regrouper des adolescents avec des adultes)
• groupe est constitué de 7 à 10 agresseurs
• séances ont lieu une fois par semaine et ont une durée d’une heure et demi (au Québec, selon la psychologue Monique TARDIF, un agresseur qui évolue de façon satisfaisante en thérapie y reste deux à trois ans
• il faut éviter une concentration de personnalités narcissiques, de passifs dépendants, de borderline, de personnes incarcérées pour homicide

Le groupe devrait être ouvert :
• les motivations liées au traitement se situent généralement au niveau des bénéfices secondaires
• il y a souvent d’importantes résistances au traitement surtout pendant les premiers mois de la prise en charge
• un groupe ouvert préserve un noyau d’agresseurs qui ont développé des alliances avec les thérapeutes
• un groupe ouvert maintient ses membres à des phases de leur développement plus mature et permet aux thérapeutes de travailler de façon privilégiée la problématique sexuelle
• un nouveau membre peut être admis dans le groupe sans que cela perturbe les autres membres 

Règles de fonctionnement
• la participation au groupe de thérapie reste une initiative personnelle :
les participants ne peuvent se réclamer, lors du jugement, d’aucun avantage concret qu’ils pourraient croire découler de cette initiative.
• chaque participant a le même droit à la parole ;
• cette parole doit être respectée : ceci implique l’écoute des autres et l’absence totale d’agression verbale ou physique
• chacun s’engage à la discrétion totale en dehors du groupe : il est interdit de parler de l’histoire personnelle et familiale de l’autre, y compris des motifs de l’incarcération, en dehors de ce cadre. (Le membre du groupe est libre de parler à l’extérieur du groupe de son histoire mais jamais de celle des autres)
• toutes les remarques et idées concernant le travail thérapeutique dans ce groupe seront partagées avec les participants pendant la séance ou lors de la séance suivante mais pas en dehors du groupe

Cadre :
les séances ont lieu une fois par semaine et durent une heure trente
elles sont encadrées par deux thérapeutes.

Et comment cela se passe à Besançon ?
La première expérience a débuté le 20 février 97 et a été interrompue brusquement 17. juillet 97. Au total nous avons passé 21 semaines avec neuf volontaires dont le groupe est resté « fermé », Quand une personne était transférée, elle n’a pas été remplacée... ainsi nous avons commencé avec 9 personnes, condamnées ou prévenues, toutes volontaires, reconnaissant les faits et pour la plupart il s’agissait des pédophiles homosexuels.. et nous avons terminé très brusquement à 5 : le belge a été renvoyé en Belgique, le néerlandais transféré dans un CD ainsi que les deux autres personnes.
 Notre choix était de créer un climat de confiance pour les aider à partager leurs avis, leurs sentiments par rapport à la culpabilité, par rapport à la victime ; par rapport à leur histoire personnelle et familiale...
Un contrat (consentement éclairé) a été signé avec chacun d’eux. Il mentionne les règles de confidentialité, de non violence physique et verbale et de liberté et parole et de liberté de quitter le groupe à tout moment mais après en avoir averti le groupe.
 Ce groupe a fonctionné très très bien plusieurs mois (jusqu’au 17 juillet 1997), c’est-à-dire le moment, où l’un des juges d’instruction a demandé au directeur de la maison d’arrêt de faire stopper immédiatement ce groupe en prétextant le non-respect du secret d’instruction. Le directeur nous a interdit de continuer (profitant du départ du psychiatre en vacances) du jour au lendemain.

 Nous avons interrogé nos collègues qui pratiquaient ce type de thérapie et nous avons constaté que nous étions les seuls à avoir ce problème. Nous avons informé puis rencontré le président de l’association des psychiatres dans le milieu pénitentiaire, le Dr Evry Archet qui nous a promis son soutien. Il a fallu cependant le 18 mars 99 pour reprendre ce travail, bien sûr, avec de nouvelles personnes, les premiers étant transférés ou libérés.

Le deuxième groupe
débute le 18 mars 1999 avec 10 participants)
 Après la première expérience, nous avons souhaité laisser le groupe ouvert et non limité dans le temps ; la personne qui quitte le groupe peut être remplacée par une autre sans que cela génère des problèmes particuliers : le groupe, suffisamment fort, peut accepter un « nouveau » même si cela ne paraît pas simple.
 La raison ce de choix était, d’une part, la rotation importante des détenus et, d’autre part, la nouvelle loi sur la présomption d’innocence : les participants au groupe peuvent se voir être libérés du jour au lendemain sans s’y attendre.
 Nous proposons aux détenus de participer au groupe de parole en leur expliquant les règles. A leur arrivée dans le groupe, nous rappelons ces règles et nous signons avec eux le « consentement éclairé »
 Actuellement ce groupe tourne avec 5 personnes : 3 pédophiles homosexuels, 2 pères incestueux. Tous, ils apprécient les rencontres et souhaitent poursuivre le même type de travail une fois libérés.

Etant donné qu’en 2000 notre équipe a été renforcée par la venue de deux psychologues, l’une à temps plein, l’autre à mi-temps,

Le troisième groupe de parole
animé par le psychologue Denis Grüter et moi-même, a débuté le 13 décembre 2000, sur les mêmes principes que le précédent, avec 8 participants, majoritairement pédophile. Ce groupe est dynamique et aidant malgré la différence d’instruction et culture.

Le quatrième groupe
sera animé dès la rentrée prochaine par le psychiatre Dr Minervini et la psychologue Sophie Royer.

Ainsi chacun de nous progressera dans cette prise en charge groupale à laquelle nous pensons adapter très prochainement certains modules du Programme d’évaluation et de traitement des abus sexuels intrafamiliaux des thérapeutes québécois Alain Perron et Jean-Pierre Paradis de Trois Rivières.

Source : site psy désir