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(2005) Les bibliothèques des établissements pénitentiaires

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Date : 10-06-2005

III Le fonctionnement des bibliothèques non satisfaisant

Mise en ligne : 26 juin 2005

Texte de l'article :

II. LA BIBLIOTHÈQUE EST DÉSORMAIS UN LIEU ANCRÉ DANS L’ESPACE CARCÉRAL, MAIS SON FONCTIONNEMENT ACTUEL N’EST PAS SATISFAISANT

1. Les textes réglementaires

Les textes réglementaires (Cf. Annexe) qui encadrent le développement de l’action culturelle en prison inscrivent clairement la bibliothèque dans l’espace carcéral et établissent les bases d’une programmation régulière des activités culturelles.
Les articles D 441, D 441-1, D 441-2 et D 443, du code de procédure pénale disposent que :
« Chaque établissement possède une bibliothèque dont les ouvrages sont mis gratuitement à la disposition des détenus. Sa localisation doit permettre un accès direct et régulier des détenus à l’ensemble des documents. Un bibliothécaire ou, à défaut, le service pénitentiaire d’insertion et de probation assure les achats, organise la formation et encadre les détenus qui en assurent la gestion quotidienne. »
« Le règlement intérieur détermine les conditions d’accès des détenus aux activités culturelles et socio-culturelles. Il précise également les conditions dans lesquelles les détenus empruntent les ouvrages ou documents de la bibliothèque. Il doit notamment prévoir et favoriser les conditions d’accès direct des détenus à la bibliothèque. »
« Une programmation culturelle, résultant de la représentation la plus étendue des secteurs de la culture, est mise en oeuvre dans chaque établissement pénitentiaire. Ce programme a pour objectif de développer les moyens d’expression et les connaissances des détenus. »
« Le service pénitentiaire d’insertion et de probation, en liaison avec le chef d’établissement, est chargé de définir et d’organiser la programmation culturelle de l’établissement. A cet effet, il sélectionne et met en oeuvre, avec l’appui des services compétents de l’Etat et des collectivités territoriales, des projets proposés par des organismes ou des opérateurs culturels. »

Cette base réglementaire et la logique de développement issue de la circulaire interministérielle de décembre 1992, cosignée par le directeur de l’administration pénitentiaire et le directeur du livre et de la lecture, ont donné à la bibliothèque de prison une véritable légitimité, renforcée par la conviction désormais partagée par la majorité du personnel de l’administration pénitentiaire selon laquelle la bibliothèque est un espace fondamental dont l’activité s’inscrit dans l’ensemble des propositions socio-éducatives offertes aux détenus.

Cet espace permanent est devenu une base physique et concrète à partir de laquelle se développe une multitude d’activités culturelles. L’espace bibliothèque et l’usage de cet espace sont donc des acquis apparemment irréversibles. Mais cette inscription dans l’espace est une première étape. La prochaine étape doit être celle de la structuration pérenne du fonctionnement des bibliothèques qui va de pair avec l’amélioration des locaux dévolus à cette activité.
A cet égard, la mission a pu constater que si les chefs d’établissement sont effectivement soucieux d’ouvrir et d’animer un espace réservé à la bibliothèque, des contraintes architecturales, le manque de ressources humaines, la surpopulation carcérale et certaines résistances du personnel de surveillance contredisent parfois cette volonté.

2. L’espace de la bibliothèque

Des surfaces variables, des locaux souvent modestes

Les configurations et les surfaces varient de manière aléatoire d’un endroit à l’autre et d’une région administrative à une autre. Mais qu’il s’agisse d’une région comme Rhône-Alpes (moyenne des surfaces de bibliothèques : 30,4 m2), Poitou-Charentes (49 m2), Basse- Normandie (30 m2) ou Limousin (29,75 m2), les chiffres sont excessivement médiocres, mis à part quelques cas particuliers (Haute-Normandie 100 m2).

La surface moyenne de la bibliothèque de prison demeure très restreinte. On peut l’estimer à environ 40 m2. Elle se situe nettement en-dessous des normes recommandées. Il existe bien sûr de brillantes exceptions, comme la médiathèque du Centre pénitentiaire de Rennes (280m2). Les bibliothèques des établissements pour peine, ou celles du programme des 13 000 sont aussi souvent mieux dotées. Mais dans l’ensemble, la confrontation avec les deux étalons préalablement déterminés, que ce soit la bibliothèque publique ou les normes indicatives à l’usage des établissements pénitentiaires, n’est pas encourageante.

A titre de comparaison, on rappellera en effet que :
- L’IFLA préconise 100 m2 pour 100 détenus, 160 m2 pour 400 détenus, 200 m2 pour 600 détenus.
- Les conventions établies en 1990-91 entre la Direction de l’administration pénitentiaire et la Direction du Livre recommandent une surface minimale de 80 m2 : "au dessous d’un seuil de 80 à 100 m2, un aménagement rationnel de l’espace devient difficile".
On ne saurait mieux dire, alors qu’actuellement les bibliothèques de 80 m2 ou davantage, loin de représenter la norme, sont considérées comme un espace généreux, une aubaine plutôt rare.
Le mode de calcul couramment utilisé pour les bibliothèques publiques, qui consiste à définir la surface nécessaire proportionnellement au nombre d’habitants à desservir, ne sert pas ici de critère de base. Hormis dans les établissements récemment construits, la nature du local alloué tient davantage aux circonstances et à l’histoire de la prison elle-même. Ainsi la bibliothèque de la Maison d’arrêt de Rouen, qui s’est installée dans l’ancienne infirmerie, bénéficie-t-elle de 167 m2 pour 800 détenus. A l’inverse, celle de Villefranche-sur-Saône, qui va pourtant s’agrandir, n’atteindra que 60 m2 pour 600 détenus.
Le tableau suivant, consacré à deux régions différentes et classé selon les surfaces, donne une idée des diversités. Il fait apparaître que la relation entre l’espace attribué à la bibliothèque et l’importance de la population carcérale est faible.

Questions d’aménagement

L’agrément et l’aménagement rentrent aussi largement en compte. Mieux vaut parfois un lieu petit, clair, accueillant, qu’un grand local aveugle et lugubre. Très souvent localisée dans le quartier socio-éducatif, la bibliothèque est généralement pourvue du mobilier spécifique de base, comme étagères, banque de prêt, bacs et parfois présentoirs. Les serre-livres - un petit détail qui a son importance - semblent une denrée peu répandue. Le mobilier destiné à la lecture de détente - chauffeuse, table basse - n’est pas assez présent.
Dans les bibliothèques récemment ouvertes lors du dernier programme immobilier, ce sont des prestataires de service qui, par délégation de service public, ont fourni le mobilier neuf, qui n’est visiblement pas du matériel professionnel. Pour citer un exemple, dans deux lieux visités (Toulon La Farlède et Liancourt), les tablettes d’étagères sont toutes identiques et de grande profondeur, alors que les documents les plus courants dans les bibliothèques d’établissements pénitentiaires ne sont pas les ouvrages d’art ou les encyclopédies, mais bien les livres de format courant et de largeur banale [1].
Le désavantage des petits locaux est qu’ils n’ont pas vraiment la capacité d’intégrer un espace de consultation sur place pour les revues par exemple, ou pour les codes et les dictionnaires qui fréquemment ne sont pas prêtés. Simplement, ils ne permettent pas de disposer d’un coin accueillant, pour lire, échanger des propos, proposer une activité comme un jeu de société ou un club de lecture. Or les salles polyvalentes servent prioritairement de salles de sport ; plutôt aménagées dans cette perspective, elles se prêtent généralement assez mal aux activités culturelles, surtout celles qui réunissent un cercle limité et ont besoin d’une certaine intimité.
Dès que les locaux sont agréables, soulignent les chargés de mission régionaux, la bibliothèque devient plus qu’une simple zone de lecture, un lieu de rencontres et de dialogue. Elle crée du lien social et constitue pour le détenu un espace de respiration, une oasis, puisque contrairement à la majorité des activités, les visites à la bibliothèque ne se déroulent pas sous le regard d’un surveillant. Elle représente, sans aucun doute, bien plus qu’une bibliothèque, un lieu de "sociabilité privilégiée" si bien décrit par les études sociologiques [2].
Revers de la médaille, la bibliothèque est parfois considérée par le directeur d’établissement et le personnel pénitentiaire comme une zone potentiellement dangereuse. Il est vrai que l’endroit laisse la possibilité de contacts, d’échanges, et peut se révéler propice à certains trafics. Tout en se gardant à la fois de tomber dans l’angélisme ou la paranoïa, on conviendra que la probabilité d’incidents relationnels est plus faible lorsque la configuration de la bibliothèque est simple et claire, et que les flux de fréquentation sont homogènes et pas trop élevés. Si l’on ajoute à ce simple constat les modalités actuellement employées pour accéder à la bibliothèque, (qui prévoient une fréquentation par petits groupes), il n’est pas sûr au total que le volume des bibliothèques de prison puisse et doive connaître une extension radicale. Ce n’est pas en tout cas l’évolution qui se profile.
Enfin, on insistera sur la nécessité de s’assurer en amont qu’il existe un dispositif garantissant la sécurité des intervenants dans la bibliothèque. Bien qu’aucun incident grave n’ait été rapporté, la mission a observé que, dans certains établissements (comme la prison de la Santé), la disposition des locaux est telle que cette sécurité n’est pas suffisamment prise en compte.

Une tendance forte à la dissémination

Les établissements pénitentiaires comportent un ou plusieurs quartiers (hommes, femmes, mineurs...) à l’intérieur desquels la vie s’organise de plus en plus en circuit fermé. S’il faut maintenir les hommes en cellule à chaque passage des femmes vers la bibliothèque, située dans le quartier majeur, il est plus simple de créer un espace de bibliothèque dans chacun des lieux de détention concernés. La parcellisation qui s’ensuit est loin d’être évidente. A la place d’une grande bibliothèque centrale, dont la taille permettrait d’apporter un bien meilleur service, plus riche et plus complet, il va falloir se résoudre à multiplier la gestion de petites unités, dans un milieu qui ne brille pas par l’abondance des moyens, surtout en personnel. L’informatique, qui devrait alors fonctionner en réseau, est une autre difficulté non résolue.

Les programmes de nouvelles constructions d’établissements pénitentiaires

Les programmes de nouvelles constructions vont dans le même sens en accentuant fortement la tendance. A la suite du programme des 13 000 (15 établissements ouverts entre 1987 et 1992, où l’espace réservé à la bibliothèque était assez généreux), le programme des 4000 (2000 - 2004, en dernière phase de réalisation) comprend l’ouverture de 6 établissements avec pour chacun une capacité de 600 détenus environ. Dans la programmation initiale, une bibliothèque centrale de 80 à 100 ou 120 m2 était prévue dans ce qu’il est convenu d’appeler "la grand’ rue", c’est-à-dire le lieu qui concentre toutes les activités des détenus.

Dans les prisons récemment ouvertes, les bibliothèques n’ont pas pu fonctionner selon ce schéma, à la fois pour des raisons de sécurité incendie [3] et à cause des difficultés de service engendrées par la circulation des différents groupes de détenus se rendant à la bibliothèque.
C’est par exemple le cas de Toulouse-Seysses, où le local de la bibliothèque a été voué au stockage. Lille-Sequedain, qui ouvrira prochainement en Nord-Pas-de-Calais, a modifié ses plans.
Le nouveau centre de détention de Liancourt (60), ouvert en mai 2004, ceux de Toulon La Farlède (juin 2004) et de Meaux-Chauconin transforment, ou vont transformer leur grande bibliothèque centrale. Ils ont trouvé plusieurs locaux plus petits (40 à 60 m2 au total) [4] mais plus pratiques, car situés dans les structures d’hébergement des détenus. La perte de mètres carrés est sensible, puisque la surface cumulée des bibliothèques des quartiers atteint à peine la moitié du programme initial.
Le programme qui va suivre (13 200) tient compte des observations précédentes. Il prévoit une bibliothèque de 25 m2 dans chaque quartier, ainsi qu’une bibliothèque centrale de 30 m2 servant de lieu de stockage et de traitement des documents, uniquement accessible aux intervenants ainsi qu’au détenu-bibliothécaire.
Cette parcellisation est inéluctable, en raison des exigences de la sécurité. Il faut bien voir que tous les aspects n’en sont pas négatifs. On retrouve là en particulier les avantages de la petite bibliothèque de proximité : familière, adaptée à ses usagers. On peut espérer peut-être une évolution des bibliothèques vers l’accès libre, dans la mesure où la circulation des détenus sera, à l’intérieur de ces quartiers, beaucoup plus sécurisée et plus facile à assurer.
L’évolution vers l’émiettement des bibliothèques pose cependant plusieurs questions :
 ? la capacité des bibliothécaires des collectivités territoriales à gérer simultanément les collections sur plusieurs lieux éparpillés dans la prison. On notera en complément que la localisation des nouveaux établissements pénitentiaires hors des villes, dans des zones périurbaines qui ne sont pas parmi les mieux desservies, allonge et complique les allers et venues.
 ? la mise en place et la gestion d’une informatique en réseau, qui n’est pas actuellement à l’ordre du jour.
 ? la pertinence de la configuration prévue dans le programme à venir (13 200), qui conjugue l’existence contestable d’une bibliothèque centrale servant uniquement au service interne avec de trop petites surfaces de bibliothèque, où la convivialité risque d’être sacrifiée au fonctionnel.

3. Collections et acquisitions

3.1 Le volume des collections : un stock aux proportions variables

Les rayons des bibliothèques ne sont pas vides, loin de là. En 1984 déjà, l’une des premières enquêtes réalisées sur les bibliothèques des établissements pénitentiaires [5] établissait que, sur 159 bibliothèques, un tiers possédait plus de 3000 ouvrages. L’enquête la plus récente indique que, sur 141 bibliothèques, plus de la moitié (56%) a un fonds de livres égal ou supérieur à 4000 ouvrages [6].
L’étude des chiffres détaillés montre en effet que les collections sont suffisantes en nombre dans les établissements petits et moyens, selon les recommandations de l’IFLA - un minimum de 20 volumes par détenu -.
Cependant il n’existe pas de relation systématique entre l’importance de la population desservie et l’étendue de la collection. Autrement dit, les collections ne sont pas forcément plus étendues dans les établissements d’une certaine importance, c’est-à-dire ceux dont la capacité est de 400 à 600 détenus. Les 8 bibliothèques de Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe avec actuellement une population de 4300 détenus, contiennent un fonds de 30 500 documents, ce qui n’est pas négligeable, mais qui ne représente pas plus de 7 ouvrages par détenu en moyenne.
Enfin, la population pénitentiaire n’accédera de plus en plus qu’à un fonds éclaté, d’autant que l’existence d’un catalogue unique semble actuellement irréaliste (cf. II,4). A Fleury comme ailleurs, il n’existe pas de catalogue général et chaque bâtiment n’a accès qu’à une portion de collection.
Les bibliothèques publiques, municipales ou départementales apportent un complément qui reste par définition marginal, à savoir quelques centaines d’ouvrages.

3.2 Des fonds à revitaliser

 ?? Un manque d’attractivité

 ? Le manque d’attractivité de ces fonds apparaît comme un défaut majeur, à l’égard d’une population qui, pour l’essentiel, n’a pas vraiment la lecture comme occupation favorite. L’état et la cohérence des fonds se sont améliorés. Le temps des ouvrages recouverts de papier kraft, dont l’existence était encore évoquée en 1995 [7], est certes bien révolu. Mais plus encore que dans une bibliothèque en milieu ouvert, le fonds destiné à une population souvent éloignée de l’écrit doit être débarrassé très régulièrement de ses scories, renouvelé et proche des préoccupations ou des goûts de ses utilisateurs.

 ? Les collections sont généralement pauvres en ouvrages techniques et documentaires ; elles comprennent peu de textes en langue étrangère. Les besoins à satisfaire portent sur les dictionnaires, les codes juridiques, et, régulièrement, sur les ouvrages de religion, de philosophie, psychologie, sur la poésie et sur le domaine médical. Le fonds de bandes dessinées, particulièrement prisé, serait à renouveler fréquemment. Les livres dans les langues des nouvelles nationalités représentées - langues des pays de l’Est, par exemple - sont rares.

 ? Les abonnements de périodiques (surtout les quotidiens), relativement chers, ne sont pas assez présents, alors que journaux et magazines sont peut-être les seules lectures pratiquées par une bonne partie de la population carcérale, en particulier les jeunes. [8]

 ? Enfin, à la différence de la plupart des bibliothèques publiques, les bibliothèques de prison ne remplissent pas encore les fonctions contemporaines des médiathèques. Les collections, sauf quelques exceptions, ne sont jamais multimédia. Uniquement vouées à l’imprimé, elles ne contiennent ni disques, ni cédéroms, ni audiovisuel.

Se pose certes la question du matériel nécessaire pour écouter ou visionner. Les détenus ne sont d’ailleurs pas dépourvus de ce type de supports, qu’ils possèdent parfois à titre individuel.
Il n’est pas simple de démêler, dans les discours, la part des difficultés réelles et des problèmes supposés, ni d’évaluer l’importance qu’il convient d’apporter à la logique sécuritaire.
Quelques trop rares établissements ont en tout cas réussi à les vaincre [9] et offrent l’usage de ces supports multimédias que les détenus utilisent exclusivement sur place. Actuellement, les "nouveaux" supports, d’ordre pédagogique, restent généralement dans les quartiers scolaires, le matériel se trouvant dans les salles de classe ou d’activité. Au total, les documents multimédias demeurent donc inaccessibles à l’ensemble des détenus.

 ?? L’insuffisance du suivi

La régularité et le suivi sont indispensables au bon fonctionnement de la bibliothèque. Des budgets d’acquisition sont généralement dégagés par les SPIP ou par les établissements. Ils varient beaucoup suivant les lieux et suivant les années. Il peut arriver qu’une bibliothèque se voie dépourvue de livres neufs une année, voire plusieurs années de suite. Les dons sont trop fréquemment intégrés dans les collections sans tri préalable. Les choix d’ouvrages sont réalisés, souvent dans l’urgence, par l’un ou l’autre de ceux qui interviennent dans la bibliothèque - membres référents du SPIP, agents de justice, enseignants...- On comprend, dans ces conditions, les difficultés à conduire une politique d’acquisition sur le long terme, et au final, le manque d’adéquation des fonds aux attentes de leurs usagers.
Comme toute structure permanente, la bibliothèque a besoin de suivi, de continuité dans la gestion. Selon les chargés de mission régionaux, cette notion est difficile à faire comprendre et à faire rentrer dans les pratiques des établissements et des SPIP.

Deux exemples illustrent particulièrement ce qui vient d’être avancé.

 ? L’aide du Centre national du livre (CNL)
Le CNL apporte deux types d’aide aux acquisitions d’ouvrages des bibliothèques :
- annuellement au titre du développement de fonds thématiques,
- pendant deux années consécutives lors de créations ou d’extensions.
Une cinquantaine de dossiers est envoyée chaque année au CNL par les SPIP ou les établissements, ce qui ne représente guère qu’un tiers environ des bibliothèques d’établissements pénitentiaires. Les aides sont pourtant intéressantes : accordées à parité, elles permettent en fait de doubler le budget d’acquisition de la bibliothèque. En 2003, 116800 € et en 2004, 116 450 €, ont ainsi été distribués.
Les bénéficiaires réguliers sont moins nombreux encore. En cinq ans (2000 - 2004), plus de la moitié (53 %) a quasi ignoré l’utilisation de cette procédure : 20% des bibliothèques n’ont présenté au CNL qu’un seul dossier, et un tiers n’en a soumis aucun. La subordination des aides à un certain nombre de critères de fonctionnement [10], incitatifs et d’ailleurs appliqués très souplement par le CNL, n’est pas le frein à mettre en cause. Le reproche principal fait aux subventions porte sur l’impossibilité d’acheter avec cet argent des ouvrages courants. Or, on se saurait faire grief au CNL de satisfaire à sa mission d’aide à l’édition française de vente lente. Il ne paraît pas si compliqué de répartir proprement les achats en jouant sur la part du budget qui ne relève pas de la subvention du CNL. Mais ce travail, qui repose là aussi sur une politique d’acquisition, a besoin d’un suivi et d’une régularité très difficile à apporter dans les conditions actuelles de fonctionnement. Le montage de ces dossiers, une tâche perçue comme techniquement ardue, pourrait par contre être allégé grâce à une simplification du dossier de demande.

 ? Les pertes d’ouvrages
Régulièrement, un nombre assez important d’ouvrages empruntés ne sont pas rendus à la bibliothèque. Ces pertes s’expliquent par la mobilité considérable du public, et le manque de vigilance. Il serait certainement possible de récupérer une partie des manquants par des moyens simples (par exemple croiser les listes des détenus sortants et celle des emprunteurs), mais qui là aussi demanderaient davantage de temps, d’attention et de suivi dans la gestion quotidienne.

4. Un équipement informatique en progrès, mais de médiocre qualité et ne
fonctionnant pas en réseau

L’informatique, facteur d’amélioration, s’est installée dans les bibliothèques - une présence encore timide et parfois balbutiante. En 1998, la gestion (prêt et catalogue) de 54% des bibliothèques était informatisée ou en cours d’informatisation [11].En 2004, 62% des bibliothèques ayant répondu au questionnaire de l’administration pénitentiaire pratiquent le prêt informatisé. On ne peut guère parler de progression fulgurante. Le maniement du cahier et du crayon ou des fiches manuelles est encore largement répandu. L’achat du matériel, par l’établissement ou le SPIP, ne fait pas problème, mais l’opération elle-même reste du domaine professionnel, et difficile à lancer sans l’intervention d’une bibliothèque publique.

Les logiciels utilisés sont de qualité très inégale. Au mieux, ce sont de petits logiciels du commerce (du type Winbib ou Atalante), au pire, des produits "maison" développés localement par un féru d’informatique ou une association (comme BIB 3 en Bretagne). L’idéal consisterait en un logiciel compatible avec celui de la bibliothèque territoriale partenaire, une tendance qui est loin de prédominer, mis à part quelques exceptions comme en Aquitaine. Les performances médiocres - ou l’absence - des systèmes informatiques rendent la gestion des fonds très imprécise : on ne sait pas bien ce que l’on possède, ce que l’on prête, ce que l’on perd, ce dont on aurait besoin. L’incompatibilité de ces petits logiciels entre eux et avec les systèmes extérieurs empêche aussi tout travail en réseau.
Une rationalisation des logiciels de gestion dans les bibliothèques d’établissements pénitentiaires serait extrêmement utile : à défaut de l’adoption du logiciel de la bibliothèque partenaire, une étude de ce marché au niveau national ou (inter)régional favoriserait une cohérence de gestion, actuellement inexistante, tout en autorisant peut-être la négociation de prix intéressants.

L’idée même de "réseau" est mal perçue à l’intérieur des établissements pénitentiaires, l’absence de bibliothécaires professionnels constituant un facteur aggravant. Il est cependant admis que l’informatique soit utilisée auprès des détenus par un personnel stable et fiable, institutionnel, comme les enseignants. Mais ses dangereuses facultés de transmettre des données à l’extérieur continuent de susciter une grande suspicion. L’informatique documentaire, bien que par nature fermée sur elle-même, ne fonctionne donc jamais en réseau, même dans les très gros établissements comportant de nombreuses bibliothèques - Fleury-Mérogis ou la Santé. La prison ne saurait rester à l’écart des évolutions technologiques, surtout lorsqu’elles apportent un supplément d’efficacité.

Dans ces conditions, l’évolution actuelle vers une multiplication de petits lieux à l’intérieur d’une même prison est préoccupante : pas de catalogue unique, aucune possibilité efficace de prêt entre les micro-structures.

5. Le personnel : une combinaison aléatoire et fragile

On ne peut guère parler de personnel, au sens classique du terme, pour désigner celles et ceux grâce à qui la bibliothèque fonctionne. Pour une bonne raison : dans l’espace carcéral, il existe très peu de bibliothécaires permanents chargés de sa bonne marche, comme les enseignants peuvent l’être de l’éducation, ou le personnel médical de la santé. C’est davantage la somme des bonnes volontés qui permet à ce lieu d’exister et d’assurer la disponibilité régulière des documents.

Les intervenants sont multiples et les fonctions variables. Succinctement, les rôles des acteurs sont les suivants :
Les SPIP (Services pénitentiaires d’insertion et de probation), réglementairement chargés des activités culturelles, continuent de se situer à l’origine du choix des animations, regroupées si possible dans une programmation annuelle. Ils apportent à la bibliothèque les moyens de ses acquisitions.

Les conseillers d’insertion et de probation (CIP) désignés comme référents s’impliquent souvent aussi dans sa gestion même, et l’achat de nouveaux documents. Les limites de l’action des SPIP tiennent d’une part au peu de temps qu’ils peuvent consacrer à la culture avec l’accroissement de leurs tâches sociales et administratives (cf. III.3), d’autre part à une rotation des personnels parfois rapide qui introduit des ruptures dans un domaine où la légitimité ne s’acquiert que sur une certaine durée.

Les agents de justice (emplois jeunes) venus en renfort, ne doivent pas s’appréhender comme une simple force d’appoint. lls ont vite trouvé leur place dans un dispositif qui conjugue faiblesse et dispersion des moyens humains avec des besoins constants d’assistance quotidienne et de coordination. Leur activité varie en fonction des établissements et des personnes : les profils d’emploi se bâtissent à pied d’oeuvre sur le terrain. Chargés ici de la gestion d’une bibliothèque - par exemple celle des mineurs, qui par nature ne dispose pas de détenu-bibliothécaire - là de tâches administratives, ils coordonnent aussi les activités culturelles, assurent les relations avec les associations et les intervenants ou la parution du journal des détenus. Ils remplissent un rôle multiforme et nécessaire.

Les détenus-bibliothécaires présents dans beaucoup de bibliothèques, sont des acteurs essentiels, grâce au travail technique qu’ils effectuent [12], et au rôle qu’ils tiennent auprès de leurs camarades. Les tâches bibliothéconomiques quotidiennes comprennent le prêt, le classement et le
rangement, parfois un catalogage simplifié. Elles peuvent s’étendre jusqu’à l’informatisation (avec une aide professionnelle). Même si les profils diffèrent, certains directeurs privilégiant, lors du recrutement, les qualités de caractère plutôt que les aptitudes intellectuelles, ils cultivent généralement une bonne familiarité avec le fonds d’ouvrages, et apportent aux usagers une présence permanente et des conseils de lecture. Au-delà de quelques problèmes ponctuels, on peut affirmer que le dispositif fonctionne dans l’intérêt de tous et qu’il donne satisfaction. Le seul inconvénient, déjà signalé, réside dans l’inévitable mobilité de ces détenus-auxiliaires, qui contraint à renouveler fréquemment le processus. Restent à examiner plusieurs questions :

 ?? La rémunération. Suivant les établissements, les détenus-bibliothécaires sont répertoriés en classe 3, 2 ou plus rarement en classe 1 (la plus élevée, à l’égal des cuisiniers). La modicité des émoluments proposés oblige parfois à recruter des détenus plus âgés, parce qu’ils ont le complément d’une petite retraite. Une harmonisation serait nécessaire, dans le sens d’une meilleure considération de la fonction.

 ?? La formation. Elle s’effectue le plus souvent "sur le tas" : le détenu acquiert les notions de bibliothéconomie en autodidacte, ou avec l’aide de bibliothécaires professionnels. Les formations extérieures, du type de celles dispensées par l’Association des bibliothécaires français (ABF) ou par l’enseignement à distance, sont très rarement pratiquées, peut-être faute de passerelles avec le service chargé de la formation professionnelle. L’expérience acquise à la bibliothèque par le détenu n’est guère prise en compte [13], alors que l’on pourrait penser à une validation professionnelle des acquis (VAE).

Les bibliothécaires professionnels, personnels des collectivités territoriales

Ils appartiennent aux bibliothèques municipales et/ou aux bibliothèques départementales proches des établissements pénitentiaires desservis, sans que le partage des tâches soit systématisé. A grands traits, les bibliothèques départementales de prêt (BDP) interviennent plus souvent sur la formation et le dépôt d’ouvrages (renouvelé deux à trois fois par an), cependant que les BM assurent la fourniture de livres spécialisés et propose des animations ; la gestion et le désherbage sont du ressort des unes et des autres. Ce schéma est loin d’être général. Le partage du territoire n’est pas davantage formalisé, les nouvelles implantations de prison à l’extérieur des grandes villes contribuant à brouiller les cartes [14].
Les collaborations avec les BDP ou BM existent presque partout : 67% de l’ensemble des établissements pénitentiaires ont déclaré en bénéficier [15]. L’effort des collectivités territoriales se traduit par la mise à disposition d’heures de travail, très ponctuellement de postes ou demi postes avec souvent le soutien de la DRAC et/ou de la DRSP (Bordeaux, Gap, Tourcoing). S’il débouche dans certaines régions sur un partenariat vivant avec plusieurs services municipaux (école de musique, musée, théâtre...) comme en Aquitaine ou Rhône-Alpes, dans d’autres(Languedoc-Roussillon), l’absence de lien ou d’interlocuteur entre les différents services des collectivités locales ne permet pas la prise en compte réelle des projets en prison.

Des conventions formalisent la plupart du temps les relations entre les différents partenaires. Beaucoup sont anciennes car une remise à jour régulière nécessiterait une dépense d’énergie sans commune mesure avec son objet. Elles sont fragiles, et peuvent s’interrompre très rapidement, leur existence ne garantissant pas forcément les prestations qui y sont stipulées. Le partenariat avec les bibliothèques territoriales reste difficile à mettre en oeuvre, dans les nombreux cas où les bibliothèques l’assument sans moyens supplémentaires. La disponibilité des personnels, qui doivent être volontaires, voire quelque peu militants, constitue le plus gros obstacle. Ce partenariat ne sera réellement effectif que si les bibliothèques des établissements pénitentiaires sont considérées par les collectivités territoriales comme des éléments ordinaires de leur réseau, selon la formule : une prison, une bibliothèque territoriale.

Les bénévoles

Alors que le monde carcéral paraît naturellement propice au bénévolat - plusieurs associations de bénévoles, comme les visiteurs de prison ou le GENEPI (Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées), travaillent régulièrement au plan national - ce recours est peu utilisé dans les bibliothèques.

Il serait plus juste de dire qu’il est mal intégré, puisque des associations interviennent, seules, dans de très gros établissements avec éventuellement l’aide de bénévoles. "Lire, c’est vivre" gère ainsi les huit bibliothèques de Fleury-Mérogis, "Bibliothèques pour tous" les 7 bibliothèques de la Maison de la Santé à Paris. [16]

S’agit-il de méfiance de la part des bibliothèques publiques ou de déficit des vocations ? Tout se passe comme si le monde des professionnels et celui du bénévolat n’étaient pas inter-pénétrables, si l’on excepte quelques bibliothécaires retraités volontaires. Mis à part la maison d’arrêt de Valence, où des bénévoles choisis et formés par la médiathèque publique apportent leur aide, la mission n’a pas eu connaissance de cas où le volontariat soit régulièrement impliqué par les professionnels dans le fonctionnement de la bibliothèque.

La mission regrette d’autant plus cet état de fait que l’appel au bénévolat, s’il est convenablement encadré par des professionnels, lui semble constituer un réservoir de forces vives à ne pas négliger dans un contexte de pénurie, d’autant que le recours à des bénévoles est utilisé avec profit depuis de longues années par les bibliothèques départementales de prêt.

Les chargés de mission régionaux

La fonction de chargé de mission en milieu pénitentiaire a été créée historiquement dans la région Aquitaine en 1993. Théoriquement 16 régions administratives en sont pourvues. [17] Les chargés de mission, actuellement au nombre de 13 à 14, coordonnent l’ensemble des activités artistiques et culturelles en milieu pénitentiaire, mis à part trois d’entre eux, dont la mission concerne uniquement la lecture (voir III.2). Possédant une excellente connaissance des situations régionales, ils rédigent ponctuellement des états des lieux très documentés, mais dont la fréquence semble irrégulière. Ils ne sont pas forcément investis dans le fonctionnement quotidient des bibliothèques et de leurs activités, mais passent beaucoup de leur temps de travail à la mise en relation des partenaires et au suivi des procédures, en particulier celui des conventions.

6. L’amélioration de l’accessibilité s’accompagne de résultats apparemment positifs mais difficilement mesurables

Le prêt sur liste ou sur catalogue a pratiquement disparu et l’accès direct est partout la règle. La classification Dewey est largement utilisée, le classement artisanal reste une exception. Sur tous ces points, la circulaire d’application de décembre 1992 a été entièrement mise en pratique.

Les réserves de la mission portent cependant sur :
 ? les temps ou plages d’accès à la bibliothèque, extrêmement limités par la procédure des régimes différenciés (cf. I.2), ce qui réduit mécaniquement sa portée d’action.

 ? l’espace souvent trop restreint accordé à la consultation et la lecture sur place, alors qu’il s’agit d’une pratique habituelle du lectorat, au demeurant à encourager.

Le taux d’inscription et le nombre de prêts sont difficiles à estimer, faute de statistiques informatisées dans la plupart des bibliothèques. Lorsqu’ils sont fournis, les chiffres de fréquentation atteignent des pourcentages importants : ils s’élèvent facilement à la moitié, voire aux trois quarts des détenus. Mais la notion de "lecteur inscrit", au sens où on l’entend d’ordinaire, ne peut pas être prise au pied de la lettre. Ces chiffres doivent être considérés avec précaution, puisque l’écart entre le nombre de personnes souhaitant se rendre à la bibliothèque, et ceux qui s’y rendent effectivement est susceptible de varier de manière très importante sous l’influence de divers facteurs.

Tous les usagers n’empruntent pas, mais comme l’indique l’une des rares enquêtes de public effectuées dans ces établissements, ils déclarent venir consulter le journal et les livres exclus du prêt (codes pénaux, dictionnaires, etc), rencontrer les visiteurs de prison et les bibliothécaires, se tenir au courant des activités proposées [18]. Certains viennent sans doute aussi regarder les livres ou simplement passer un moment.

7. La place de la lecture souffre d’un cloisonnement entre activités d’insertion et activités culturelles ; le partenariat avec les enseignants est fluctuant, et relève rarement d’un projet global

Alors que la réinsertion passe par la maîtrise de l’écriture et de la lecture, le partenariat est très loin d’être partout établi entre bibliothèques et services scolaires, pourtant géographiquement proches dans la prison. Certaines régions, comme l’Est, les Pays-de-la-Loire par exemple possèdent des habitudes de collaboration ou ont tissé des liens très étroits. Mais l’indifférence prévaut souvent, et s’accompagne parfois de méfiance réciproque. Pour éviter de scolariser la lecture, les enseignants sont peu associés aux projets d’activités culturelles. A l’inverse, la culture n’est pas formellement invitée à intervenir, par exemple, dans les actions relatives à la lutte contre l’illettrisme [19] menées par le secteur éducatif. Les enseignants disposent souvent par ailleurs de leur propre bibliothèque.

Le cloisonnement entre les différents services, dont le SPIP et les établissements pénitentiaires ne sont pas exempts, reste un obstacle majeur au développement d’actions concertées de prévention de l’illettrisme, de préparation à la vie professionnelle ou d’éducation à la santé. La bibliothèque est du reste trop souvent perçue comme un lieu culturel, dédié au loisir et à la détente, au détriment de sa fonction de centre de ressources documentaires.

Une clarification des domaines et compétences de chacun serait probablement utile. Le champ de l’éducation artistique permettrait de penser à nouveau une collaboration, ainsi qu’en témoigne l’expérience pilote menée en 2003 par le Languedoc-Roussillon, qui a montré l’intérêt des pratiques artistiques comme élément de dignité, de confiance en soi, et d’appétit culturel, mais aussi comme moteur du retour à la lecture [20]. Lieux symboliques, points de convergence, les bibliothèques ont en effet un rôle d’entraînement sur la diversification des pratiques culturelles qui leur est rarement contesté.

8. Socle de la vie culturelle, la bibliothèque favorise le développement des
autres activités culturelles

Les bibliothèques sont historiquement les plus anciens lieux d’activité culturelle en milieu pénitentiaire. A ce titre, elles ont favorisé le développement d’ateliers de pratique liés à la lecture et à l’écriture, mais aussi celui d’autres activités artistiques, par exemple dans le domaine du théâtre ou des arts plastiques. Parfois, les animateurs des bibliothèques sont à l’origine de l’offre globale d’activités culturelles dans la prison (cinéma, musique), à l’instar de l’association « Lire c’est vivre » de Fleury-Mérogis.
D’une manière générale, il est manifeste que les activités de lecture et d’écriture, ainsi que toutes les animations qui leur sont liées, ne sont pas concurrentes des autres activités artistiques. Les seules exceptions à cette règle s’expliquent par les tensions budgétaires qui peuvent parfois limiter
le volume global des activités.

L’activité de la bibliothèque et plus fondamentalement l’existence de ce lieu ont plutôt un effet d’entraînement sur toutes les autres propositions : expositions, expression théâtrale, calligraphie, spectacles de contes, journal...De manière interactive, les activités artistiques ont toujours une conséquence et un prolongement directs sur le développement de la bibliothèque par l’acquisition de fonds d’ouvrages thématiques correspondant à ces activités. La bibliothèque joue ici un rôle essentiel de centre de ressources.
La typologie des activités générées par la bibliothèque est très homogène d’un établissement à l’autre. Elles s’ordonnent en fonction d’une proximité plus ou moins grande avec la lecture ou l’écriture :

 ?? des ateliers réguliers de lecture et d’écriture, animés par des professionnels
 ?? des accueils d’auteurs ou des résidences d’écrivains
 ?? des ateliers d’expression poétique, de réflexion philosophique, de lecture ou d’écriture théâtrales
 ?? des animations ponctuelles liées aux manifestations littéraires locales (salons et fêtes du livre)
 ?? des animations liées aux grandes opérations nationales : Lire en fête, Le printemps des poètes

L’ouverture sur la vie culturelle locale est systématique, en lien avec les événements du calendrier culturel des territoires d’implantation des prisons ou à l’occasion des grandes fêtes nationales. La bibliothèque est aussi naturellement l’espace d’accueil :
 ?? d’expositions d’art plastique ou de photographies
 ?? d’activités de création plastique mêlant l’écrit et l’image
 ?? de petites formes spectaculaires : récits, contes

La mission a acquis la conviction, renforcée par le témoignage quasi unanime de tous les animateurs rencontrés, que la bibliothèque était bien ce lieu d’activités et d’échanges irremplaçable dont l’existence favorisait objectivement le développement global des activités artistiques et culturelles.

9. Les bibliothèques ont progressé par rapport à leur état antérieur, et doivent maintenant se rapprocher davantage du fonctionnement des bibliothèques publiques

La conclusion de cet état des lieux s’impose d’elle-même. Les bibliothèques se sont intégrées à l’établissement pénitentiaire comme des lieux ordinaires, habituels, dont l’utilité et le bénéfice ne se discutent plus. Ainsi se trouve atteint l’objectif principal de la circulaire conjointe de décembre 1992. Si l’on se rapporte à leur état antérieur elles ont progressé sur plusieurs points : des surfaces certes faibles, mais généralement pourvues du mobilier professionnel adéquat, des collections de livres quantitativement suffisantes dans beaucoup d’établissements, une informatisation en progrès, l’accès direct aux collections désormais acquis et, pour couronner le tout, une fréquentation apparemment honorable. Enfin, les bibliothèques constituent le point de départ d’une politique de développement culturel fondée sur la lecture et l’écriture, qui fait partager et met en scène ces actes d’ordinaire intimes, grâce aux ateliers, aux interventions d’écrivains et d’artistes.

Pour autant, la mission estime que la bibliothèque de prison ne peut pas remplir le rôle d’insertion qui lui est assigné si elle ne se rapproche pas davantage du fonctionnement des bibliothèques publiques, sur lequel elle accuse plusieurs dizaines d’années de retard. Alors que la circulaire de 1992 visait l’intégration des bibliothèques d’établissements pénitentiaires dans le réseau de lecture publique, l’évaluation fait apparaître bien des carences, et un grand déficit de modernisation.

Certains défauts ne pourront pas être évités. Ils sont inséparables des contraintes de l’espace carcéral et de la logique sécuritaire. C’est le cas des surfaces allouées à la bibliothèque, souvent inférieures aux normes indicatives. L’orientation qui se dessine vers une désagrégation de la bibliothèque centrale au profit de petites unités dans les quartiers accentuera ce constat. Faute d’espace suffisant, elle risque de ne pouvoir offrir à ses usagers les services qui sont l’essence même de la bibliothèque publique : consultation sur place propice aux échanges et discussions entre lecteurs, animations autour du livre et de la lecture, activités diverses. On peut donc craindre que disparaissent en partie les qualités intrinsèques de ce lieu de sociabilité, facteur appréciable de détente et d’apaisement.
D’autres peuvent être améliorés : manque d’attractivité, de modernisation et de diversification des collections, retard d’informatisation, absence de travail en réseau, limitation de l’accessibilité.
Les recommandations qui suivent ont pour but d’aider les bibliothèques de prison à évoluer. Elle se partagent en deux volets : l’un est consacré au fonctionnement et à la gestion, l’autre insiste plus particulièrement sur l’absence de personnel professionnel, le pire mal dont souffre la bibliothèque. Il n’est pas admissible en effet que son fonctionnement continue largement à dépendre du dévouement et du militantisme.

Notes:

[1Dans un des deux cas, (Liancourt), les étagères n’étaient pas non plus réglables en hauteur. A noter que des réserves ont été émises auprès du gestionnaire par le directeur d’établissement de Toulon La Farlède

[2Voir : Jean-Louis Fabiani, Lire en prison, une étude sociologique, avec la participation de Fabienne Soldini, Bibliothèque publique d’information, 1995. (collection Etude et recherches). "Dans les bibliothèques en accès direct, particulièrement en centre de détention, la bibliothèque devient un lieu de sociabilité privilégié, au sein duquel l’environnement livresque n’est qu’une toile de fond que les détenus ne perçoivent pas nécessairement"

[3Une bibliothèque, établissement recevant du public, est une zone à risque en matière d’incendie. Un RIA supplémentaire, non prévu au départ, aurait été nécessaire, ce qui a été jugé trop onéreux par l’administration pénitentiaire

[4Par exemple 27 m2 + 15 m2 pour les mineurs à Liancourt ; 21,6 m2 X 3, soit 64,80 m2 au total à Meaux-Choconin

[5Ministère de la Justice, Service des études et de l’organisation, Les activités culturelles en prison, 1984, 11p

[6Cf Op. Cit. Note 1

[7Fabienne Soldini (LAMES-CNRS), "Pratiques de lecture et incarcération", Actes des Rencontres nationales sur la lecture en prison, Paris, 27-29 novembre 1995, pp.47-55

[8Véronique Le Goaziou, Pratiques lectorales des jeunes en voie de marginalisation et rapport à la lecture, rapport de recherche, septembre 2004. Ce travail concerne la maison d’arrêt de Metz-Queuleu

[917. Hormis la médiathèque de Rennes (390 CD, 110 films), on note par exemple la maison d’arrêt de Tulle, qui propose des cédéroms ; une expérience d’écoute s/place en Aquitaine (maison d’arrêt de Pau avec le soutien de la BDP 64) ; du prêt de CD à Villeneuve les Maguelonne en Languedoc-Roussillon. En Rhône-Alpes, aucune présence des CD, ni des vidéos, mais des cédéroms en consultation sur place à La Talaudière (42) et Saint-Quentin-Fallavier (38)

[10L’aide est subordonnée à certaines conditions - 10 heures d’ouverture et une possibilité d’accès direct. Seuls les ouvrages français peuvent être acquis, dans les domaines culturels, scientifiques et techniques, à l’exclusion des annuaires, dictionnaires... Les cédéroms et DVD à caractère culturel peuvent être acquis dans la limite de 10% du montant du projet total

[11Cf Enquête de l’administration pénitentiaire en 1998

[12Bibliothèque & Lecture en prison, Guide à l’usage du détenu auxiliaire de bibliothèque, Coopération des bibliothèques en Aquitaine, Fédération française de coopération entre bibliothèques, 1997, 40 p

[13En Poitou-Charentes, les responsables de bibliothèques municipales intervenantes rédigent une attestation de validation des acquis du détenu-auxiliaire

[14Le cas de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses est représentatif : implantée sur le territoire de Seysses, la prison n’est plus desservie par les bibliothécaires de cette ville, parce qu’elle représente une trop lourde charge pour une petite commune, cependant que la ville de Toulouse demande à ses bibliothécaires de se désengager, au motif que la prison ne se situe plus sur sa commune

[15Enquête DAP déjà citée. Les deux DRAC des Départements d’Outre-mer ayant répondu au questionnaire envoyé par la mission font cependant état d’un partenariat pratiquement inexistant avec les bibliothèques publiques

[16"Lire, c’est vivre" reçoit des subventions de la DRAC, du Conseil général 91, de la DR via le SPIP, et du CNL.
Regroupant au départ des bibliothécaires du département, l’association a maintenant du mal à trouver des forces vives capables de prendre la relève. Elle gère deux salariés professionnels à temps partiel, sur des postes non budgétisés, et travaille avec l’aide de 16 détenus bibliothécaires. "Bibliothèques pour tous" anime à la Santé une équipe de 21 bénévoles coordonnée par une bibliothécaire, et gère les 7 bibliothèques sans détenus-bibliothécaires, malgré la demande insistante faite à la direction de l’établissement. Elle reçoit des subventions du SPIP et du CNL pour les acquisitions

[17Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Centre, Franche-Comté, Haute-Normandie, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Picardie, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes. CF annexe

[18Etude réalisée en 2004 par le SPIP auprès d’un échantillon représentatif de personnes détenues à la Maison d’arrêt de Saint Brieuc, pour mesurer l’adéquation entre la programmation culturelle et les attentes. La médiathèque du centre de détention de Rennes, bien fournie, fait par ailleurs état de 7500 prêts en 2004

[19De la même manière, les étudiants du GENEPI utilisent peu la bibliothèque dans le cadre de leurs activités

[20Il s’agissait d’ateliers écriture et musique, et destinés à provoquer un travail transversal entre le secteur scolaire et l’action culturelle afin d’intervenir auprès de détenus en grande difficulté de lecture