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Sans-papiers en prison

Mise en ligne : 23 mai 2005

Dernière modification : 7 mars 2006

0., 33 ans, est marocain. Au Maroc, il était mécanicien bateau. il a appris le métier grâce à son père. Il n’a pas de diplôme, mais connaît bien le métier pour l’avoir exercé trois ans. En France depuis douze ans, il a malheureusement connu, une fois, la prison pour une période de trois mois. Il témoigne, ici, de ce qu’il y a vécu et de son indignation quant au traitement réservé aux détenus étrangers, aux « sans papiers. »

Texte de l'article :

Passer une nuit, en cellule « arrivant », c’est le lot de tous les détenus entrants ! C’est le lendemain que l’on m’affecte dans un bâtiment. L’affectation se fait par origine culturelle. Les Maghrébins avec les Maghrébins, les Africains avec les Africains, les François avec les Français. La punition suprême, c’est de se retrouver au bloc C. Même si tu es Français, mais que tu as des origines africaines, tu peux t’y retrouver. Le bloc C, c’est le bloc des « sans papiers  », de ceux qui n’ont aucune visite de I’extérieur ou de leur famille, ceux qui ne reçoivent jamais de courrier. Le bloc C, c’est la misère totale. Si tu demandes une cigarette à quelqu’un, tu n’as aucune chance d’en obtenir une, car personne n’en possède. Au troisième étage, il y a ceux qui sont « riches », parce qu’ils avaient de l’argent avant d’enter en prison. Ceux-là ne sont pas du tout solidaires.
Quand tu arrives dans ce monde-là, que tu es « sans papiers  », on te met dans une cellule où tu peux tomber avec n’importe qui. Un dealer, un criminel, un violeur, un usager de drogues, un violent, mais pas un «  riche. » On met des petits délits avec des grands criminels. Quand tu arrives en prison et que tu n’as jamais touché à une quelconque drogue, il y a de grand risques que tu sois amené à en consommer ; du Subutex, pour oublier, ou des médicaments, pour dormir. Tu en trouves facilement en promenade, pourvu que tu aies de l’argent. Un Subutex de 8mg, tu le payes avec un paquet de cigarettes ou une boîte de café. À un moment ou à un autre, de toute manière, on t’en proposera un jour. Si tu ne supportes pas la prison, tu finiras par en prendre pour ne plus penser à l’endroit où tu es. Et, à ta sortie, tu te retrouves être un usager, alors que tu ne l’étais pas en entrant. Ce n’est pas si difficile de devenir un usager de drogues et tu ne t’en rends même pas compte ! Pour mes papiers, on m’a clairement fait comprendre que « je n’existais pas. » Pour ma santé, en trois mois, on m’a arraché quatre dents alors que je n’avais qu’un plombage à faire refaire. La raison invoquée par le dentiste « les soins coûtent cher, alors comme vous n’avez pas les moyens de payer...  » Pour le travail, c’est essentiellement par piston. Au retour de promenade, au croisement d’un corridor, on donne son numéro d’écrou à un surveillant responsable d’un atelier et s’il vous a à la bonne, vous avez une petite chance.

En seulement trois mois de prison, j’ai vu des « sans papiers », sans cesse aller et revenir, sans jamais que leur situation n’évolue. Sauf leur peine. Au début, on vous condamne à trois mois, puis à six mois. J’ai vu un gars être condamné à dix-huit mois, seulement parce qu’il n’avait pas de papiers. Son seul délit, s’être fait attraper plusieurs fois. J’aurais préféré que l’on me mette avec des détenus plus solidaires. Même les services sociaux m’ont ignoré.

Mais même les mauvais jours ont une fin. Le jour de ma sortie de prison, j’ai connu celle qui est devenue ma femme. Elle me demandait, à moi, sortant de prison, où se diriger pour se rendre à une adresse. Je lui ai proposé de lui offrir un café, histoire de parler avec quelqu’un, elle est devenue la mère de mes quatre enfants. N’y a-t-il pas un proverbe qui dit « avec l’amour, on peut traverser des montagnes ?  »

Propos recueillis par Didier Robert

Revue EGO - Alterego le journal n°47 / 1er trimestre 2005