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Réponse au rapport Bénisti

Mise en ligne : 10 février 2005

Texte de l'article :

Au secours !

En ce moment se prépare dans notre pays un projet qui par sa naiveté et son ignorance me désole.

Je veux parler du Rapport préliminaire de la commission prévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure (GESI), ayant pour titre "Sur la prévention de la délinquance" ; rapport remis au Ministre de l’Intérieur, en octobre 2004 (http://www.jabenisti.com/article.php3?id_article=202)

Ce rapport stipule simplement l’interdiction aux mères "étrangères" de parler une autre langue que le français à leurs enfants sous peine de voir ceux-ci engagés sur la voie de la délinquance.

Partant de la volonté louable de prévenir la délinquance dans nos verts pâturages, le rapport propose d’aborder le problème à ses racines, donc, à la petite enfance. Une courbe pseudo- scientifique démontre (page 7 ) que la déviance vers la délinquance commence dès les années maternelles, et les raisons en sont - tout aussi pseudo-scientifiquement - clairement nommées : les difficultés de langue de certains petits écoliers.

Les illustres auteurs du rapport ont enfin trouvé l’origine du mal dans nos cités (puisque c’est de ces verts pâturages qu’il s’agit) : ce sont les mères étrangères qui refusent de parler français avec leurs enfants !
Car, pour Monsieur Benisti et ses collègues , un enfant né dans une famille "étrangère" (ne se pourrait-il pas qu’une famille "française" ait fait le choix de garder comme langue familiale sa langue d’origine ?) n’est pas apte à faire une scolarité normale. Car, affirment-ils, un enfant qui arrive à l’école maternelle sans comprendre ni parler le français, " va alors, au fur et à mesure des mois, s’isoler dans sa classe et de moins en moins communiquer avec les autres" (p10) Ce constat est non seulement en dépit du bon sens, il est aussi réfuté par les résultats de la totalité des recherches (1) menées sur les stratégies sociales et cognitives mises en place par les enfants face à un groupe de pairs dont ils ne parlent pas la langue. Toutes ces recherches insistent au contraire sur la rapidité avec laquelle les enfants acquiérent la langue de l’école .

J’ai peine à croire que les auteurs du rapport se soient lancés dans une entreprise aussi importante que la prévention de la délinquance, sans faire appel à l’avis éclairé des nombreux spécialistes, que ce soit en psycho-linguistique, en psychologie sociale ou en sciences de l’éducation qui se sont penchés sur la question du bilinguisme des enfants de migrants.

Avancer une causalité équivaut à nier le rôle de l’école maternelle dont la vocation est d’ aider TOUS les enfants à s’épanouir, à s’approprier le langage oral et à l’enrichir. Le petit francophone qui fréquente une école bilingue anglaise est bien dans la même situation que le petit "étranger" avec son "patois" (sic) : il ne comprend pas l’anglais mais il s’appropriera cette langue au fil des mois. Par quel mécanisme (M. Benisti a-t-il peut-être une idée ?) cette même démarche ne s’appliquerait-elle pas au petit arabophone (osons l’appeler par son nom !) en maternelle française ?

Les actions proposées par le GESI sont à la hauteur de ses théories : pas question de demander à l’école d’oeuvrer à l’épanouissement linguistique du jeune écolier "étranger" , l’unique mission qui incombe à l’institutrice (sic) est la mise en demeure des parents si ceux-ci "persistent" à parler leur langue (pardon ! patois), en famille ! Dans ce cas, l’nstitutrice passe le relais à "un orthophoniste" (sic).

J’ai toujours pensé que les orthophonistes intervenaient en cas de troubles du langage, voilà comment une langue comme l’arabe (parlée par 200 millions de personnes dans le monde), se trouve reléguée par de braves députés français au niveau d’un "trouble du langage" !

Non, il doit y avoir erreur ! Je ne peux pas croire que dans mon pays, la France, en l’an 2004, un groupe de parlementaires respectés aient pu sérieusement rédiger un document ouvertement xénophobe et incitant à la délation - dois-je craindre que prochainement je sois signalée à la DDASS parce que je parle parfois allemand et parfois (pas souvent, je le jure !), arabe avec mes enfants ? Je plaisante, bien sûr, car je n’habite pas dans une cité et j’ai su faire usage de mes capacités lingustiques et intellectuelles pour contrecarrer toute tentative de certains professionnels voulant m’inciter à parler français avec mes enfants quand ceux-ci étaient petits.

J’ai toujours considéré la diversité des langues et cultures que j’ai la chance de côtoyer en France comme une richesse pour ce pays, diversité saluée d’ailleurs par l’Education Nationale. Le Bulletin officiel de l’Educaiton Nationale (2002) ne dit-il pas :
"l’école maternelle est partie prenante de l’effort du système éducatif en faveur des langues étrangères ou régionales. ...Elle utilise à ce propos la multiplicité des langues parlées sur le territoire national et, plus particulièrement, celles qui sont les langues maternelles de certains de ses élèves." (2)

A l’ère de la mondialisation, que propose un groupe de députés français ? Au lieu d’exploiter les ressources naturelles culturelles et linguistiques sur le sol français en formant de jeunes bilingues, utiles dans les relations internationales, le GESI prône l’interdiction de l’utilisation de la langue maternelle dans les familles et le tout français dans les écoles - une régression sans pareille qui nous rappelle les temps de l’interdiction du breton ou de l’occitan !

Nier le droit à un enfant de se construire avec et grâce à sa langue maternelle, imposer à une mère de parler une langue qui ne vient pas du coeur, provoque une blessure émotionnelle dans les relations parents - enfant, une rupture avec les grand-parents, l’histoire familiale, les racines, avec des conséquences à l’adolecence facilement prévisibles.

Seraient-ce ces conséquences que le groupe GESI veut prévenir ?......

 

Barbara Bauer Abdelilah, janvier 2005

Site source : Les enfants bilingues

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(1) voir les dernières publications :

Baker, C. (2001), Foundations of Bilingual Education and Bilingualism, Clevedon, Multilingual Matters

Cummins, J. (2000). Language, power, and pedagogy. Bilingual children in the crossfire. Clevedon, England : Multilingual Matters.

Skutnabb-Kangas, T. (2000). Linguistic genocide in education-or worldwide diversity and human rights ? Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum Associates.

(2) Bulletin officiel de l’éducation nationale : http://www.education.gouv.fr/bo/2002/hs1/maternelle.htm