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Date : 30-09-2007

Blervaque Catherine - Monde judiciaire et monde pénitentiaire : coopération ou cohabitation ?

Mise en ligne : 3 novembre 2007

Texte de l'article :

UNIVERSITE de LILLE II - Droit et Santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Ecole doctorale n°74
MEMOIRE DE DEA (DEA Droit et Justice)
présenté et soutenu publiquement par
Catherine BLERVAQUE
le 4 septembre 2003
Monde judiciaire et monde pénitentiaire :
coopération ou cohabitation ?
Sous la Direction de MM. N. DERASSE et J. LORGNIER

JURY :
M. S. DAUCHY, directeur de recherches au C.N.R.S.,
Mme V. DECROIX, directrice de la maison d’arrêt de Loos,
M. N. DERASSE, maître de conférences, Université de Lille II,
M. P. LEMAIRE, procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille,
M. J. LORGNIER, chargé de recherches au C.N.R.S.

Remerciements :
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à mes directeurs de mémoire, qui n’ont été avares ni de temps ni de conseils.
Je remercie les chefs de juridiction, Monsieur le président du Tribunal de Grande Instance de Lille, Monsieur Egret et Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille, Monsieur Lemaire, qui m’ont ouvert les portes de leur tribunal ; et particulièrement ce dernier, pour sa participation active et ô combien enrichissante à cette
étude.
La direction de l’administration pénitentiaire, au travers de son directeur régional, Monsieur Toulouze, m’a permis de pénétrer dans des établissements pénitentiaires et d’y effectuer des entretiens et une diffusion de questionnaires. Qu’elle trouve ici l’expression de ma reconnaissance.
Ce travail de recherche a enfin été rendu possible grâce aux professionnels du monde judiciaire et du monde pénitentiaire qui ont accepté de répondre à mes questions et de partager leur expérience. Je les en remercie.

Introduction :
La prison est un lieu hors du monde, un lieu d’enfermement de personnes dangereuses, voire de personnes a-normales [1], c’est-à-dire de personnes autres que soi, des “Autres”. La prison fait naître à la fois des sentiments d’attirance, de par son caractère opaque, et de répulsion, du fait de sa mission de garde des délinquants, et constitue pour la majorité des français « un objet de fantasmes plus que de réel intérêt » [2].
Dès que la peine d’emprisonnement fut placée dans “l’arsenal” pénal, c’est-à-dire dès la promulgation du Code pénal de 1791, et partant dès qu’elle ne fut plus essentiellement considérée comme un moyen de garder certains individus mais comme une sanction à part entière, des contestations émanant de personnes averties se sont élevées, et ce avant même qu’un certain laps de temps s’écoule entre la création de cette peine privative de liberté et sa remise en cause. « La "réforme" de la prison est à peu près contemporaine de la prison elle-même » [3].
Les spécialistes de l’univers carcéral s’interrogent toujours sur l’utilité et la légitimité d’enfermer des êtres humains, qui ont certes commis des crimes ou des délits et qui doivent de ce fait être sanctionnés, mais qui vont passer une période de leur vie en-dehors de la société, dans des établissements pénitentiaires qui n’offrent pas le plus souvent des conditions de détention satisfaisantes [4]. Et de manière apparemment paradoxale, un des buts de l’emprisonnement est de réinsérer les délinquants dans la société alors que pour ce faire, on les en écarte.
Essentiellement depuis l’année 2000 avec la parution du livre de Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé et son retentissement dans les médias, le débat sur la prison, qui était réservé à quelques experts, s’est ouvert à tous.
Cet ouvrage a servi de catalyseur. Documentaires, livres, témoignages, mais aussi commissions et rapports parlementaires se sont alors succédé pour tenter de comprendre le fonctionnement de ce monde clos, décrire les conditions de détention, dénoncer la prison comme étant une école du vice et de la récidive, révéler des durées de détention provisoire trop longues, montrer les conséquences de l’enfermement sur le psychisme des délinquants, dévoiler l’augmentation du nombre de personnes atteintes de troubles mentaux parmi la population carcérale...
Ce faisant, on a une vision réductrice du monde pénitentiaire et on oublie encore une fois les personnes qui y travaillent : le personnel pénitentiaire.
Au 1er janvier 2003, l’administration pénitentiaire compte 28 590 agents5, qui sont affectés principalement à des fonctions de surveillance, mais il ne faut pas oublier que l’administration pénitentiaire comprend également du personnel de direction, d’insertion et de probation, de
service social, administratif et technique.
Il faut se garder d’une méprise : tous les professionnels intervenant en prison n’appartiennent
pas à l’administration pénitentiaire. Le personnel hospitalier ainsi que les enseignants n’en
dépendent pas. Les premiers sont en effet rattachés depuis 1994 au ministère ou au secrétariat
de la Santé ; et les seconds à l’Education Nationale6.
Nous ne parlerons pas non plus du rôle des agents du Service Pénitentiaire d’Insertion et de
Probation (SPIP), c’est-à-dire du rôle des assistants de service social et des conseillers
d’insertion et de probation, pourtant membres de l’administration pénitentiaire, quant au suivi
des peines effectuées en milieu ouvert tels que les travaux d’intérêt général et les sursis avec
5Ministère de la Justice, direction de l’administration pénitentiaire, Les chiffres clés de l’administration
pénitentiaire, juillet 2003, p. 4.
6www.justice.gouv.fr.
8
mise à l’épreuve car nous nous bornerons à ce qui se passe dans l’enceinte des prisons et au
personnel pénitentiaire y intervenant.
Enfin, ce travail analyse les rapports entre les professionnels du monde judiciaire et ceux du
monde pénitentiaire. Nous n’envisagerons donc pas les relations qui peuvent ou doivent
s’établir entre les détenus et les magistrats.
Pendant la Révolution7, le monde pénitentiaire8 relevait du ministère de l’Intérieur9 en raison
du nouveau principe de séparation des pouvoirs, l’autorité judiciaire ne pouvant intervenir
dans l’exécution de ses décisions, et aussi par réaction contre l’Ancien Régime, époque
pendant laquelle le contrôle des prisons et l’exécution des peines étaient le plus fréquemment
confiés aux magistrats10.
Ces tâches relevèrent alors des attributions des préfets11.
Le monde judiciaire, restreint ici aux magistrats exerçant leurs fonctions à titre permanent, (en
excluant les jurés, qui mériteraient également une analyse), furent ainsi placés à l’écart du
monde pénitentiaire.
De nombreux cahiers de doléances exprimaient pourtant le souhait de voir perpétuer l’ancien
état des choses, et notamment un contrôle des établissements pénitentiaires par les officiers de
justice.
Dès 1808 et le Code d’instruction criminelle, on organisa des rapports entre le monde
judiciaire et le monde pénitentiaire. A titre d’exemple, certains magistrats étaient tenus de
visiter les prévenus et les détenus12 et de parapher et signer toutes les pages des registres
7Les indications historiques qui vont suivre proviennent de la thèse de Joseph MAGNOL, De l’administration
pénitentiaire dans ses rapports avec l’autorité judiciaire et de son rattachement au ministère de la justice, thèse
de doctorat (sciences politiques et économiques), Toulouse, 1900, pp. 5 - 56.
8En excluant pour les besoins de cette étude les établissements qui se trouvent en dehors du territoire continental
de la France, placés sous l’autorité du ministère des Colonies, ainsi que ceux rattachés au ministère de la Guerre
et de la Marine (ateliers de militaires condamnés, pénitenciers et prisons militaires, prisons spéciales dans
lesquelles étaient détenus les marins condamnés par les tribunaux maritimes).
9L’Assemblée Nationale décréta le 22 décembre 1789 que les prisons seraient placées sous l’autorité
administrative et la loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) rattacha les prisons au ministère de l’Intérieur.
10Durant l’Ancien Régime, le roi, les seigneurs justiciers et les officialités possédaient chacun leurs prisons. En ce
qui concerne les prisons du roi, la surveillance était confiée au chancelier, et concrètement aux Parlements, et
donc à l’autorité judiciaire.
11Article 605 du Code d’instruction criminelle de 1808.
12Les juges d’instruction devaient visiter une fois par mois les personnes détenues dans les maisons d’arrêt (les
personnes condamnées à une peine inférieure à une année d’emprisonnement, les condamnés de moins de seize
9
d’écrou13. Si cela était nécessaire pour l’instruction ou pour le jugement, des juges pouvaient
donner des ordres à exécuter dans les établissements pénitentiaires14.
Une ordonnance du 9 avril 1819 créa les commissions de surveillance des prisons, composées
notamment de magistrats, qui se virent confier en 1889 par le ministre de l’Intérieur le soin de
« vérifier les causes de détention, de constater les abus qui pourraient exister et de les signaler
à l’autorité qui a compétence pour les faire cesser »15.
Ces rapports avec le monde pénitentiaire, loin d’être imposés, étaient même désirés par le
monde judiciaire. « Voici donc le juge saisi par le désir de la prison » analysera Michel
Foucault16. En effet, plusieurs conflits opposèrent l’administration pénitentiaire aux magistrats
cherchant à obtenir de plus en plus de prérogatives en prison. Le ministère public, chargé de
veiller à l’exécution des peines, affirma que cette mission lui permettait de contrôler celle des
décisions de justice dans les établissements pénitentiaires ; il voulut avoir l’initiative des
actions judiciaires ouvertes à la suite de crimes ou de délits commis en prison et prétendit
qu’il lui revenait d’ordonner les élargissements des détenus.
C’est pourquoi à partir des années 1870, et plus particulièrement lors de la grande enquête
pénitentiaire de 1873, se posa la question du rattachement de l’administration pénitentiaire au
ministère de la Justice, ce qui provoqua de nombreux débats. Le rattachement fut décidé en
191117 mais ne fut pleinement effectif que de longues années après18. « L’administration
pénitentiaire rest[a] en quelque sorte inconfortablement suspendue entre les deux ministères
[...] pendant un quart de siècle »19.
Ce n’est d’une part qu’en 193520 que les fonctionnaires du service central de l’administration
pénitentiaire furent intégrés dans le corps des magistrats et des fonctionnaires du ministère de
ans, le femmes de mauvaises moeurs) et les présidents de cour d’assises, les personnes enfermées dans les
maisons de justice (les personnes attendant d’être jugées par une cour d’assises) au moins une fois au cours de
chaque session (article 611).
13Les juges d’instruction pour les registres d’écrou des maisons d’arrêt et les présidents de cours d’assises, pour
les registres d’écrou des maisons de justice (article 607).
14Le juge d’instruction et le président de la cour d’assises pouvaient donner des ordres l’un dans les maisons
d’arrêt, l’autre dans les maisons de justice (article 613).
15Circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets, du 17 septembre 1889 (Dalloz, supp. au répertoire, v° Prisons,
n°35).
16FOUCAULT (M.), op. cit., p.252.
17Décret du 13 mars 1911.
18L’annexe 1 reproduit l’organigramme du ministère de la Justice.
19VOGEL (M.), Contrôler les prisons, L’Inspection générale des services administratifs et l’administration
pénitentiaire, 1907 - 1948, Mission de recherche Droit et Justice, collection Perspectives sur le justice, Paris : La
documentation française, 1998, p. 10.
20Décret-loi du 30 octobre 1935.
10
la Justice. De 191221 à 1935, ce personnel était placé en position de détachement du ministère
de l’Intérieur, auquel il devait son avancement.
D’autre part, l’Inspection générale des services administratifs, « acteur discret mais influent
des politiques administratives conduites au ministère de l’Intérieur »22, continua, jusqu’en
194823, à exercer son contrôle sur le monde pénitentiaire. « La normalité administrative définie
et promue par l’Inspection générale des services administratifs [est] donc v[enue] s’interposer
dans le face-à-face entre spécialité pénitentiaire et conceptions d’ensemble propres au
ministère de la Justice »24.
Précisons enfin que lors de la seconde guerre mondiale, l’administration pénitentiaire fut
détachée du ministère de la Justice25.
L’évasion de Jean de Lattre de Tassigny de la centrale de Riom dans la nuit du 2 au 3
septembre 1943 servit de prétexte aux allemands pour exiger la mise sous tutelle de
l’administration pénitentiaire. Le gouvernement chercha une position intermédiaire et le 15
septembre 1943, on la rattacha au secrétariat d’Etat à l’Intérieur, puis, en janvier 1944, au
secrétariat d’Etat au maintien de l’ordre de Joseph Darnand. Toutefois, dès la Libération, plus
précisément en août 1944, l’administration pénitentiaire retourna dans le giron du ministère de
la Justice.
Aujourd’hui, le rattachement de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice peut
paraître utile. Les rapports entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire sont
certainement facilités depuis qu’ils sont tous deux sous l’autorité d’un même ministre ; et
demeurent fondamentaux pour trois raisons principales.
Tout d’abord, l’individualisation des peines est un des principes du droit pénal. S’il est aisé
d’individualiser par exemple la peine d’amende, en se représentant facilement quelle partie
d’un budget peut être grevé et les conséquences qui en découlent, il est pratiquement
impossible de connaître l’effet que produit l’enfermement sur un être humain pour qui n’a
21Décret du 4 juillet 1912.
22VOGEL (M.), op. cit., p. 6.
23Décret 48-376 du 4 mars 1948.
24VOGEL (M.), op. cit., p. 7.
25Voir à ce sujet PETIT (J.-G.), FAUGERON (C.), PIERRE (M.), Histoire des prisons en France, 1789 - 2000,
collection Hommes et communautés, Toulouse : Privat, 2002, pp. 169 - 178.
11
jamais pénétré dans une prison. Le juge qui est au fait du monde pénitentiaire pourra alors, en
pleine connaissance de cause, choisir la peine qui lui parait le mieux adaptée à la personnalité
du délinquant et aux circonstances de son crime, et préférer tantôt la peine privative de liberté,
tantôt les peines alternatives à l’emprisonnement, tantôt l’aménagement ab initio de la peine,
comme le fractionnement de celle-ci26.
Ensuite, la magistrature et les personnels pénitentiaires doivent nécessairement connaître leurs
logiques respectives pour collaborer efficacement, afin que l’administration de la justice soit
sereine. Le législateur rappelle cette nécessité de coopérer notamment dans la loi n° 87-432 du
22 juin 1987, qui dispose dans son article premier que « le service public pénitentiaire
participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité
publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité
judiciaire [...] ».
Enfin, le procès pénal ne s’arrête pas lors du prononcé de la peine. Il est même possible
d’affirmer, à la suite de Joseph Magnol27 que « le châtiment consiste moins dans la décision
qui l’inflige que dans la manière dont il sera exécuté ». Dès lors, il est inconcevable que le
monde judiciaire et le monde pénitentiaire s’ignorent, puisque le monde pénitentiaire est en
quelque sorte le prolongement du processus judiciaire. Pour paraphraser la célèbre formule de
Carl von Clausewitz, « la guerre est une simple continuation de la politique par d’autres
moyens »28, nous pourrions dire que “le monde pénitentiaire est une simple continuation du
processus judiciaire par d’autres moyens”.
Ces arguments restent très théoriques, c’est pourquoi il est opportun de s’interroger quant à la
réalité des relations existant entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire.
Les rapports entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire sont-ils actuellement ressentis
et vécus par ces deux institutions comme fondamentaux ?
26Article 132-27 du Code pénal.
27De l’administration pénitentiaire dans ses rapports avec l’autorité judiciaire et de son rattachement au
ministère de la justice, thèse de doctorat (sciences politiques et économiques), Toulouse, 1900, p. 6.
28De la guerre, collection Le monde en 10 18, Paris : Editions de Minuit, 1965, p. 62.
12
Les magistrats et les agents de l’administration pénitentiaire ne font-ils que cohabiter sous le
toit du ministère de la Justice, en respectant les contacts imposés, ou en ont-ils profité pour
tisser des liens fructueux ?
Afin de répondre à ces questions, outre des informations et des témoignages déjà recensés
dans des ouvrages, j’ai procédé à des entretiens et diffusé des questionnaires.
J’ai sollicité un nombre important d’établissements pénitentiaires, mais seuls une maison
d’arrêt et un centre de détention m’ont répondu positivement. La communication est encore
difficile et la prison reste opaque.
Le directeur adjoint d’une maison d’arrêt a accepté de participer à cette étude. Il a grandement
facilité mes démarches et m’a fait rencontrer un gradé formateur qui avait auparavant occupé
des fonctions de surveillant. Ce dernier s’est chargé de diffuser les questionnaires.
Une seconde visite à la maison d’arrêt m’a permis de récupérer ceux qui avaient été remplis et
aussi de m’entretenir une nouvelle fois avec des membres et des futurs membres de
l’administration pénitentiaire : un surveillant ayant une longue expérience dans
l’administration pénitentiaire, étant à trois ans de la retraite, un surveillant chargé de la mise
en place et du contrôle des individus placés sous bracelet électronique, un agent du greffe,
deux élèves surveillants et un élève surveillant-chef.
Parallèlement, la directrice d’un centre de détention a bien voulu accéder à ma demande de
diffusion de questionnaires au sein de son établissement. J’ai ensuite été reçue par le directeur
adjoint, qui m’a affirmé se charger de la distribution des questionnaires Toutefois après
plusieurs relances infructueuses, j’ai dû renoncer à cette source d’information.
En outre, par l’intermédiaire de Monsieur Derasse, mon codirecteur de mémoire, j’ai pu
contacter téléphoniquement le directeur d’un centre de détention qui est sur le point d’intégrer
la magistrature.
13
Enfin, j’ai eu la possibilité de m’entretenir avec deux membres du Service Pénitentiaire
d’Insertion et de Probation : une assistante de service social et un conseiller d’insertion et de
probation ; ainsi qu’avec une étudiante préparant le concours permettant d’accéder aux
fonctions de directeur d’établissement pénitentiaire.
En ce qui concerne le monde judiciaire, j’ai contacté téléphoniquement des magistrats
occupant et ayant occupé des fonctions diverses (un substitut du procureur de la République à
la section économique et financière, un juge d’instance auparavant juge d’instruction, deux
vice-présidents de tribunaux de grande instance également juges des libertés et de la
détention, l’un ayant été juge de l’application des peines, une vice-présidente chargée de
l’application des peines, deux juges de l’application des peines), ainsi que deux auditeurs de
justice, dont le nom et les coordonnées m’avaient été fournis par des tiers. J’ai rencontré une
grande partie de ces professionnels - seuls deux magistrats ont rempli un questionnaire - et
l’accueil qui m’a été réservé a toujours été très chaleureux.
De plus, je me suis entretenue avec le procureur de la République près le Tribunal de Grande
Instance de Lille, lequel avait été chef de service, adjoint au directeur de l’administration
pénitentiaire d’avril 2000 à décembre 2001. La comparaison de sa vision de la prison et du
personnel pénitentiaire avec celle des autres magistrats a enrichi considérablement cette
étude29.
Deux étudiants préparant le concours d’entrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature ont
également accepté de répondre à mes questions.
Le questionnaire utilisé lors des entretiens ainsi que le questionnaire distribué étaient divisés
en deux parties, une partie commune et une partie spécifique selon le poste occupé par la
personne interrogée30.
Toutes les questions étaient ouvertes, de façon à n’exclure aucune réponse en raison
d’éventuels préjugés.
Au regard des réponses obtenues lors des entretiens, certaines questions ont été approfondies
alors que d’autres ont été plus rapidement posées.
29L’annexe 5 contient la retranscription de l’entretien qu’il m’a accordé.
30Voir annexe 2. Les annexes 3 et 4 se composent de plus des questionnaires et des entretiens les plus
représentatifs.
14
Les membres de l’administration pénitentiaire étant astreints à une obligation de réserve,
comme les magistrats, les réponses ne seront citées que par référence à la fonction exercée.
Pour garder leur portée et leur authenticité, je me suis interdit de modifier les témoignages
retranscrits dans ce travail.
Le résultat de ces recherches est nuancé.
Le monde judiciaire et le monde pénitentiaire apparaissent comme deux mondes cloisonnés à
cause d’une méconnaissance et de préjugés réciproques et, de ce fait, ils tentent tant bien que
mal de cohabiter sous un même toit (chapitre I), mais il existe de sérieuses raisons d’espérer
une évolution, une “chute du mur” qui les sépare encore (chapitre II).
15
16
CHAPITRE I. DEUX MONDES CLOISONNES
La cloison entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire est due à la fois à des sentiments
personnels, à une perception négative de l’autre (section I), et à l’inefficacité de mesures
théoriquement destinées à les rapprocher (section II).
SECTION I. UNE QUESTION D’IMAGE
Les rapports entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire sont entravés par le fait que
chacun pense être perçu par l’autre de manière négative (§ 1), ce qui nécessitera une analyse
afin de déterminer quels sont les éléments censés altérer ou ternir cette image (§ 2).
§ 1. L’appréhension d’un retour sur image négatif
Selon une grande proportion d’agents de l’administration pénitentiaire, les magistrats ont une
« mauvaise image » d’eux, voire une « image néfaste ». Les personnes qui précisent leur
pensée, essentiellement les surveillants, croient être considérés par les magistrats comme des
« brutes ».
Ils ont de plus l’impression d’être constamment soupçonnés par le monde judiciaire lorsqu’un
détenu souffre de blessures, ou pire, s’est suicidé. Le directeur d’un centre de détention parle
ainsi de « regards suspicieux », et un gradé formateur « d’un acharnement des magistrats ».
17
A l’instar du personnel pénitentiaire, les auditeurs de justice imaginent que l’impression
donnée par le monde judiciaire n’est pas non plus positive. Ils pensent que les magistrats
passent pour des « naïfs », des « personnes qui ne connaissent pas le terrain, qui se font un peu
avoir, ou alors qui appliquent un peu trop la Convention des Droits de l’Homme », des
personnes « hors de la réalité ».
Cette description peu élogieuse ne semble toutefois pas illogique dans la mesure où, les
auditeurs de justice étant en formation, le personnel pénitentiaire peut difficilement avoir une
autre opinion. L’un des objectifs de la formation délivrée par l’Ecole Nationale de la
Magistrature est justement de faire découvrir la réalité de l’univers carcéral aux futurs
magistrats. Il parait donc normal que ces derniers ne sachent pas avant d’apprendre.
Le quiproquo vient d’une généralisation de cette image à l’ensemble du monde judiciaire. En
d’autres termes, les auditeurs de justice croient que les agents de l’administration pénitentiaire
ont la même vision des magistrats, qu’ils soient en formation ou en exercice, voire même
expérimentés. Il aurait été intéressant de connaître le point de vue des magistrats en exercice à
ce sujet. Or, la question « à votre avis, quelle image l’administration pénitentiaire a-t-elle des
magistrats ? » a été éludée. Soit les personnes interrogées ne répondaient pas, soit la réponse
ne correspondait pas à la question posée puisqu’il y était alors fait état des relations entre les
magistrats et le personnel pénitentiaire et non de l’image qu’a ce dernier du monde judiciaire.
Les magistrats ne se sont peut-être jamais interrogés sur ce sujet parce qu’ils sont peu en
contact avec l’administration pénitentiaire. Or, même un juge de l’application des peines, qui
est tenu d’entretenir certains rapports avec cette dernière, ne répond pas non plus. On peut y
voir un manque d’intérêt envers l’administration pénitentiaire, ou tout simplement une preuve
du cloisonnement entre ces deux institutions.
L’amertume de l’administration pénitentiaire est aggravée par le fait que nombreux sont ceux
qui estiment que les magistrats, comme le « public », méconnaissent leur travail ou s’en
désintéressent. Un membre du personnel de direction de l’administration pénitentiaire ainsi
qu’un surveillant affirment :
« C’est vrai que le grief qui est souvent formulé [...], c’est que notre fonction n’est pas assez
reconnue et souvent ignorée. A chaque fois qu’on parle des autorités de service public, la
prison est souvent oubliée. On a parfois l’impression que lorsque la personne est mise en
18
prison, le problème est réglé, comme si elle avait disparu, alors qu’il faut gérer tout l’après.
[...] Par rapport à ça, et ce n’est pas propre aux magistrats, on a l’impression d’être ignoré. »
« Vous devez être les seuls à s’intéresser à nous. »31
La prison est, selon eux, un lieu d’oubli tant pour les détenus que pour les personnes
travaillant en prison. Cette désaffection avait déjà été longuement analysée à propos des
surveillants32 mais le phénomène s’étend à toutes les catégories de l’administration
pénitentiaire, du personnel de surveillance à celui de direction.
Les commissions mandatées par le Garde des Sceaux, par le Sénat et l’Assemblée Nationale à
la suite de la publication du livre de Véronique Vasseur parviennent à la même conclusion :
« Souvent dénoncée, cette opacité de l’administration pénitentiaire a été aggravée par la
société qui a rejeté non seulement les détenus, mais l’institution pénitentiaire tout entière, au
point que l’on a parlé "d’exclusion pénitentiaire", phénomène "d’exclusion globale, affectant
non seulement les bâtiments, mais aussi les hommes qui, derrière les murs, y exercent une
mission de service public". »33
« [...] un même sentiment semble animer l’ensemble des agents de l’administration
pénitentiaire : celui de ne pas être reconnu par la société [...] »34
« J’ai été étonné de voir des personnels qui, habituellement, ont une vision très mesurée des
choses, arbitrant bien entre le reproche fondé et l’injustice, basculer dans le camp des
découragés et dire qu’ils sont des parias »35.
Dans le cas exceptionnel où un individu extérieur à l’univers carcéral éprouve un intérêt pour
ce qui se passe en prison, ce sont les personnes incarcérées et non le personnel pénitentiaire
qui retiendront son attention. C’est d’ailleurs l’une des raisons invoquées par le directeur
adjoint de la maison d’arrêt pour avoir retenu ma requête aux fins de diffusion de
questionnaires et d’organisation d’entretiens dans son établissement, mon objet d’étude étant
les agents de l’administration pénitentiaire et non les détenus.
31MARO (C.), SIMON (E.), Le surveillant de prison : le travailleur de l’ombre, mémoire de DEA théorie du droit et
sciences judiciaires sous la direction de M. Royer (J.-P.), Université de Lille II, 1998, p. 72.
32MARO (C.), SIMON (E.), op. cit., pp. 72 - 74 ; KROMMENACKER (N.), « Surveillant pénitentiaire, un consultant pour
une possible métamorphose », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 1992, pp. 141 - 208 ; TARTAKOWSKY (P.), La
prison, Enquête sur l’administration pénitentiaire, Paris : Payot & Rivages, 1995, pp. 236 - 251 ; CHAUVENET
(A.), ORLIC (F.), BENGUIGUI (G.), Le monde des surveillants de prison, collection Sociologies, Paris : PUF, 1994,
pp. 17 - 34.
33Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.), Amélioration du contrôle
extérieur des établissements pénitentiaires, collection Les rapports officiels, Paris : La documentation française,
2000, p. 14.
34Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, I, B.
(www.senat.fr).
35Témoignage de Monsieur Philippe Maître, chef de l’inspection des services pénitentiaires, dans le tome 2 du
rapport n°2521 à l’Assemblée Nationale de Monsieur FLOCH (J.), sur la situation des prisons françaises, p. 115,
(www.assembleenationale.fr).
19
Or, à l’autre bout du processus pénal, le travail des policiers est connu du grand public, par le
biais de reportages, de téléfilms, mais également de la politique du ministre de l’Intérieur. Ce
sont les élèves surveillants qui m’ont tenu un tel discours :
« L’administration pénitentiaire n’est pas assez reconnue par rapport à la police. La police, on
la voit tout le temps. »
D’après d’autres études, ces propos ne sont cependant pas propres à la nouvelle génération de
surveillants :
« Qu’on reconnaisse notre métier, pour notre orgueil, notre fierté. On a un métier aussi
respectable que la police. Nous, on nous voit intervenir sur rien du tout. La télévision montre
la prison quand il y a une émeute et c’est tout. On est des bons à rien...Notre métier est un
sujet tabou. On nous cache. On ne veut pas savoir. Oh ! Là, là ! Les prisons ! La prison est très
peu connue des gens. Un flic, on le voit évoluer. Le maton, c’est le détenu qui donne
l’information, alors... »36
Cette comparaison avec les policiers n’est pas récente puisque par exemple, lors des grèves
des personnels de surveillance dans les années cinquante, l’une des revendications était
d’obtenir la parité indiciaire avec les policiers37.
Toutefois, le rapprochement est poussé à son paroxysme puisqu’un futur membre de
l’administration pénitentiaire m’a affirmé vouloir à nouveau dépendre du ministère de
l’Intérieur. Ce souhait, outre le fait que les policiers soient mieux connus et perçus par
l’opinion publique, tient peut-être au rôle que joue dans les établissements pénitentiaires le
représentant de l’Etat et du ministère de l’Intérieur dans les régions. « Celui qui est chargé du
maintien de l’ordre à l’heure actuelle, c’est le préfet »38. Bien que l’administration
pénitentiaire ne dépende plus du ministère de l’Intérieur, les préfets n’ont pas perdu toutes
leurs prérogatives dans les prisons. Les surveillants se sentent sûrement plus proches d’un
ministère qui a pour vocation de maintenir l’ordre dans les établissements pénitentiaires que
d’un ministère ayant sous sa responsabilité les personnes qui sont chargées de rendre la justice
au nom du peuple français. Un surveillant a d’ailleurs prétendu : « dehors, la police gère, ici,
c’est nous ».
36CHAUVENET (A.), ORLIC (F.), BENGUIGUI (G.), op. cit., pp. 60 - 61.
37PETIT (J.-G.), FAUGERON (C.), PIERRE (M.), op. cit., p. 201.
38Témoignage de Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille et articles
D 266, D 280 et D 283 du Code de procédure pénale.
20
Cette impression d’être la « dernière roue du carrosse »39, d’être oublié doit être mise en
rapport avec le reproche que les agents de l’administration pénitentiaire font assez souvent
aux magistrats : ne pas connaître la prison.
Le terme de prison doit ici être compris dans le sens de lieu de travail de l’administration
pénitentiaire, administration pénitentiaire qui aimerait faire connaître les difficultés
rencontrées dans l’exercice de sa profession.
Le désir des agents de l’administration pénitentiaire de promouvoir l’univers carcéral auprès
des magistrats résulte plus de la volonté de revaloriser l’image de leur profession que d’une
intention philanthropique de montrer les conditions de détention des détenus afin de faciliter
leur évolution.
Bien sûr, il existe quelques exceptions, comme un conseiller d’insertion et de probation qui
affirme que « plus que la perception de la prison, il serait intéressant [que les magistrats aient]
une perception du public qu’il y a en prison » ; mais en règle générale, les membres de
l’administration pénitentiaire souhaitent que les magistrat aient des connaissances sur la
prison pour savoir comment est vécue une détention de leur côté, pour évaluer « la situation
sur le terrain comme les difficultés d’isolement »40, pour comprendre comment les détenus
agissent avec les surveillants car « un détenu n’a pas les mêmes rapports avec un surveillant
qu’avec un juge »41.
Le monde pénitentiaire et le monde judiciaire se méfient de la façon dont ils sont perçus l’un
par l’autre, les agents de l’administration pénitentiaire souffrant en outre d’un manque de
reconnaissance vis-à-vis non seulement des magistrats mais encore de l’ensemble de la
population. Ces constatations doivent être étudiées plus avant afin de définir leurs diverses
origines.
§ 2. Les altérations subies par l’image
39Témoignage d’un surveillant exerçant dans une maison d’arrêt.
40Ibidem.
41Témoignage d’un formateur exerçant dans une maison d’arrêt.
21
Les représentations négatives réciproques sont certainement le résultat de l’histoire de
l’administration pénitentiaire et de ses conséquences actuelles, ainsi que de la formation et du
recrutement de chaque professionnel du monde judiciaire et du monde carcéral.
Si cette hypothèse reflète la réalité, il n’y a guère de chance pour qu’un changement se
produise dans les sentiments des protagonistes.
En ce qui concerne l’histoire de l’administration pénitentiaire, rappelons tout d’abord que la
fonction de surveillant était assurée par des gardes-chiourmes et des geôliers réputés ivrognes
et illettrés. Ces propos peuvent paraître exagérés mais ils reflètent ce que l’on pouvait penser
et dire des personnes gardant des détenus.
Il est alors aisé de comprendre pourquoi actuellement les agents de l’administration
pénitentiaire, et particulièrement le personnel de surveillance, pensent avoir une mauvaise
réputation auprès des magistrats et de la société en général, à l’instar de ce gardien qui écrit
sous le pseudonyme de Vincent Antoine :
« Je voudrais que beaucoup de personnes commencent à comprendre ce métier de gardien,
qu’ils ne le voient comme par le passé bête et méchant mais d’une corporation tout à fait
respectée et respectable, ne plus être les mal aimés de la société [...] »42
« Tous les anciens films représentaient les matons mal habillés, sales, toujours dans les
vapeurs de l’alcool, le litre de gros rouge faisant partie du décor naturel de la table avec le jeu
de cartes à la main [...] Mais pour changer une image aussi mauvaise, [...], il faudra encore
bien un quart de siècle pour habituer la plupart des personnes à cette transformation du
gardien bête et méchant en surveillant humain et intelligent »43.
L’administration pénitentiaire pense que le monde judiciaire se désintéresse d’elle et de la
prison en général. Or, le système carcéral s’est construit en vase clos et en secret. Lors de la
création de la prison en tant que peine privative de liberté, le délinquant était remis aux
membres de l’administration pénitentiaire, comme « le relaps était autrefois abandonné par
l’Eglise au bras séculier »44, de façon à ce que ses juges ainsi que l’ensemble de la population
n’aient plus à s’en préoccuper. Cette idée persiste aujourd’hui.
42Profession, gardien de prison, Montigny en Gohelle : Vincent Antoine, 1985, p. 5.
43 Idem, p. 15.
44LEVASSEUR (J.), « Le décloisonnement de l’administration pénitentiaire et des autres administrations publiques,
séance de section du 24 novembre 1973 », Revue pénitentiaire et de droit pénal, janvier-mars 1974, p. 14.
22
En outre, la prison n’a jamais été mise sur le même pied que toutes les autres institutions
nécessaires au fonctionnement d’une société. Elle a toujours été décriée, dénoncée et cela a
rejailli sur toutes les personnes s’y intéressant de près ou de loin.
Bien sûr, la première victime fut le personnel pénitentiaire qui est identifié à la prison ellemême,
à la représentation qui en est généralement faite, c’est-à-dire un lieu de correction et
d’amendement. De ce fait, dans l’esprit de beaucoup, les agents de l’administration
pénitentiaire doivent certainement être “contaminés”.
L’opinion publique, de plus, ne comprend pas comment des individus peuvent exercer leur
profession dans ce monde clos, s’occuper d’individus qui sont enfermés, et suppose qu’un tel
métier est nécessairement malsain45.
La magistrature a été également touchée. Dès sa création en 195846, le juge de l’application
des peines a été perçu par ses collègues comme un “sous-juge” parce qu’il ne rendait pas de
décisions de justice mais modifiait celles d’autres magistrats. La loi n°78-1097 du 22
novembre 1978 a d’ailleurs qualifié les décisions de ce juge de mesures d’administration de la
justice47. Une vice-présidente chargée de l’application des peines a ainsi indiqué que la
nomination d’un magistrat aux fonctions de juge de l’application des peines équivalait il y a
peu de temps encore à une sanction. Cette fonction était considérée comme occupée par « les
derniers du classement de sortie à l’Ecole Nationale de la Magistrature »48, comme « une voie
de garage où l’on orient[ait] ceux que l’on ne voulait pas appeler à des fonctions plus
éminentes »49. Toutefois, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 a restreint le champ des mesures
d’administration judiciaire aux permissions de sortir, aux réductions de peine et aux
autorisations de sortir sous escorte, laissant au juge de l’application des peines la possibilité
de rendre des décisions de justice à part entière, ce qui a entraîné une certaine revalorisation
de sa fonction au sein des juridictions50.
Enfin, dans une grande majorité des cas, précédemment à l’obtention du concours d’entrée à
l’Ecole Nationale de la Magistrature ou à l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire,
45KROMMENACKER (N.), op. cit., p. 177.
46Ordonnance n°58-1296 du 23 décembre 1958.
47Article 733-1 du Code de procédure pénale.
48HERZOG-EVANS, (M.), Droit de l’application des peines, collection Dalloz référence, Paris : Dalloz, 2002, p. 56.
49Intervention de Monsieur ANCEL, magistrat, « Réunion du comité d’honneur de l’Association Nationale des
juges et des anciens juges de l’application des peines du 8 février 1974 », Revue pénitentiaire et de droit pénal,
avril-juin 1974, p. 290.
50HERZOG-EVANS, (M.), op. cit., p. 56.
23
les magistrats et le personnel pénitentiaire ne partagent pas une même culture, bien que cela
soit de moins en moins vrai, et n’envisagent pas leur entrée dans la vie active de la même
façon.
Le niveau des diplômes exigé pour se présenter au concours externe organisé par l’Ecole
Nationale de la Magistrature et aux concours externes de l’administration pénitentiaire sont
d’une part souvent très disparates.
Les candidats à la magistrature doivent être titulaires d’un diplôme sanctionnant une
formation égale à quatre années d’études après le baccalauréat, ou d’un diplôme délivré par un
Institut d’Etudes Politiques, ou être un ancien élève d’une école normale supérieure, alors que
le niveau d’études, lorsqu’il est exigé pour accéder à un poste de l’administration
pénitentiaire51, est soit le brevet des collèges ou un diplôme équivalent52, soit le baccalauréat53,
soit un diplôme sanctionnant une formation égale à deux ou trois années après le
baccalauréat54. Parmi les concours externes de l’administration pénitentiaire, seul le concours
permettant d’accéder au grade de directeur d’établissements pénitentiaires requiert une culture
juridique semblable à celle exigée pour accéder au corps des magistrats.
Les magistrats jouissant toujours du niveau de connaissance théorique le plus élevé passent
alors pour des penseurs éloignés des réalités de terrains.
Cela engendre donc chez la plupart des agents de l’administration pénitentiaire un sentiment
d’infériorité, sentiment qui est également alimenté par leur appartenance à une catégorie
sociale d’origine généralement moins porteuse.
Il faut toutefois apporter une nuance car bien souvent, le diplôme dont ils sont titulaires est
supérieur à celui requis. Par exemple, un conseiller d’insertion et de probation interrogé avait
obtenu le concours d’entrée à l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire au cours de
l’année de maîtrise en droit, diplôme lui permettant de concourir pour la fonction de
magistrat. Il a donc bénéficié d’une même formation juridique que les futurs membres du
corps judiciaire. Il affirme d’ailleurs « qu’on ne peut pas étudier la question des magistrats et
de la prison sans étudier la culture professionnelle. D’où viennent les magistrats, qui sont-ils,
51Aucune condition de diplôme n’est exigée pour passer le concours d’adjoint administratif, d’agent administratif
ou d’agent des services techniques.
52Les surveillants doivent posséder le brevet des collèges ou un diplôme équivalent.
53Les secrétaires administratifs doivent posséder le baccalauréat.
54Les chefs de service pénitentiaires doivent être titulaires d’un Diplôme d’Etudes Universitaires Générales
(DEUG) ou d’un diplôme équivalent. Les conseillers d’insertion et de probation doivent être titulaires d’un
DEUG ou d’un diplôme équivalent ou d’un diplôme d’assistant de service social ou d’éducateur spécialisé. Le
personnel de direction et les attachés d’administration et d’intendance doivent posséder une licence ou un
diplôme équivalent.
24
quelle culture, quelle classe sociale, comment sont-ils formés, qu’est-ce qu’on leur dit là-bas,
à l’Ecole Nationale de la Magistrature, quelle image ont-ils d’eux-mêmes. Et la même chose
pour l’administration pénitentiaire. On va s’apercevoir que ce sont deux mondes relativement
différents, mais que ça s’homogénéise peut-être pas mal parce que les conseillers d’insertion
et de probation sont de plus en plus des juristes dans le recrutement ». Selon un rapport
sollicité par le Sénat sur la situation des prisons françaises, les élèves conseillers d’insertion et
de probation « sont maintenant recrutés à 85% au niveau de la maîtrise, essentiellement en
droit »55.
Ce jugement ne peut cependant pas s’appliquer aux surveillants car bien que quelques uns
aient autant de diplômes qu’un magistrat et que selon ce même rapport sénatorial, 85% des
surveillants aient le baccalauréat, le niveau du concours a baissé au lieu de croître comme
pour tous les autres concours. Lors d’une des dernières sessions de recrutement, 761 candidats
avaient été reçus alors que 1200 postes étaient à pourvoir. Il a donc « fallu baisser le niveau
de sélection »56, tant est si bien qu’un auditeur de justice parle de « fossé sociologique » entre
magistrats et surveillants.
Tous les magistrats interrogés ne se sont, d’autre part, présentés qu’au concours d’entrée à
l’Ecole Nationale de la Magistrature et n’ont jamais envisagé de préparer les concours de
l’administration pénitentiaire. Seuls l’examen d’entrée au centre de formation professionnelle
des avocats et le concours de greffier ont été évoqués, comme pis-aller. Le monde judiciaire
exerce donc véritablement son métier par vocation.
Au contraire, la grande majorité des membres de l’administration pénitentiaire se sont
présentés par obligation à un certain nombre de concours et n’exercent leurs fonctions que
pour des raisons de circonstances. Le directeur de l’Ecole Nationale de l’Administration
Pénitentiaire, Monsieur Mounaud, constate ainsi que « majoritairement, il n’y a pas de
vocation »57, sauf peut-être pour les personnels d’insertion et de probation et pour les
personnels de direction, dont « l’entrée dans la carrière [semble] constitue[r] un choix
délibéré »58. Le témoignage du sous-directeur de Fleury-Mérogis recueilli dans l’ouvrage
Prisons, la vérité, est éloquent :
55Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, I, B, 3, a)
(www.senat.fr).
56DÉCUGIS (J.-M.), LABBÉ (C.), RECASENS (O.), « Prisons, trafic à tous les étages », Le Point, 21 mars 2003, pp.112
- 114.
57Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, I, B, 3, a)
(www.senat.fr).
58Ibidem.
25
« Je n’ai pas vraiment choisi de faire carrière dans l’administration pénitentiaire. C’est,
comme on dit, le hasard et la nécessité qui ont décidé pour moi. J’ai une formation de juriste.
Etant donné qu’après mes études de droit, je ne savais pas très bien dans quelle branche
m’orienter et qu’il me fallait trouver un emploi, j’ai passé plusieurs concours
administratifs. »59
De plus, certains membres de l’administration pénitentiaire ont préparé le concours d’entrée à
l’Ecole Nationale de la Magistrature mais ne se sont pas présentés ou l’ont raté.
Tout ceci engendre chez les agents de l’administration pénitentiaire des sentiments de
frustration et d’infériorité, et chez les auditeurs de justice un sentiment de supériorité qui
s’extériorise peut-être dans le fait qu’ils pensent donner une image de personnes « hors de la
réalité » alors qu’ils estiment avoir en sus une vision pratique de l’univers carcéral.
Ainsi, le cloisonnement entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire est dû en partie au
passé de ceux-ci, et au passé de chaque individu, sa formation et son mode de recrutement, le
tout produisant dans l’esprit de chacun le sentiment que l’autre a une image négative de luimême
ou pire, s’en désintéresse. Une assistante de service social le résume en disant, à propos
des magistrats : « C’est une autre fonction, une autre culture, un niveau différent du mien ».
Des raisons qui ne tiennent pas à la personnalité humaine contribuent également à éloigner les
magistrats des membres de l’administration pénitentiaire.
SECTION II. L’INANITE DES RAPPORTS IMPOSES
Il existe lors de la formation initiale (§ 1) des membres du monde judiciaire et de ceux du
monde pénitentiaire comme durant leur vie professionnelle (§ 2) des mesures leur imposant
d’entretenir certains rapports mais ces mesures s’avèrent pour la plupart vaines.
59BILALIAN (D.), Prisons, la vérité, collection Documents, Paris : Presses de la Cité, 1986, p. 81.
26
§ 1. L’inanité des rapports imposés lors de la formation initiale
Ayant perçu combien « une culture minimale commune »60 était nécessaire, l’Ecole Nationale
de la Magistrature et l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire ont, à partir de
l’année 1999, multiplié leurs liens en matière de formation initiale.
Il faut remarquer que dans les brochures offertes à chaque élève de l’Ecole Nationale de
l’Administration Pénitentiaire expliquant les enseignements dispensés, le but de ceux-ci et
leur future profession figure l’association des membres de l’administration pénitentiaire et des
magistrats. Transparaît ainsi la volonté de cette école de faire comprendre à ses élèves qu’ils
font partie du même ministère que le monde judiciaire et qu’ils devront être des partenaires
lors de leur vie professionnelle. Par exemple, la première phrase du programme de formation
de la 157ème promotion d’élèves surveillants est une adaptation aux surveillants du premier
alinéa du décret n°93-1113 du 21 septembre 1993 :
« Les surveillants de l’Administration Pénitentiaire participent à l’exécution des décisions et
sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Ils assurent la garde des personnes
incarcérées, sont associés au traitement de la peine et à son individualisation et participent aux
actions de réinsertion ».
Le fascicule remis aux élèves directeurs indique aussi qu’à « l’issue de leur formation, ils
devront être capables [...] de participer à la conduite de la politique d’exécution des peines en
liaison avec les magistrats »
Le programme de formation des auditeurs de justice issus de la promotion 2002 insiste peutêtre
un peu moins sur la future collaboration entre les magistrats et les agents de
l’administration pénitentiaire car il y est seulement mentionné que :
« Le rôle du juge de l’application des peines au sein de la juridiction, son statut et les
procédures spécifiques de l’application des peines sont analysés afin d’appréhender la place
de ce magistrat tant dans le processus pénal que dans ses relations avec ses différents
interlocuteurs : administration pénitentiaire [...] ».
60Bilan des 40 ans de l’ENM, 1999 (www.enm.justice.fr).
27
L’Ecole Nationale de la Magistrature ne semble donc pas dispenser autant d’informations que
l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire concernant la nécessaire et future
collaboration entre les magistrats et les agents de l’administration pénitentiaire. Si effort il y a,
cette simple constatation montre de quel côté il doit porter.
L’organisation de la formation initiale est identique et se compose d’une partie théorique et
d’une partie pratique conformément au principe de la formation en alternance.
Pendant l’apprentissage théorique, les élèves sont amenés en premier lieu à entrer en contact
avec l’autre entité du ministère de la Justice, que ce soient des professionnels ou des élèves.
Quant aux élèves de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, les différents
fascicules indiquent que des membres des « services judiciaires » font partie du réseau des
intervenants. Ce n’est que dans la brochure concernant la formation des élèves directeurs et
dans celle des élèves conseillers d’insertion et de probation que sont précisées les fonctions de
ces conférenciers : juges de l’application des peines et représentants du parquet.
Le personnel enseignant de l’Ecole Nationale de la Magistrature est exclusivement composé
de magistrats. Toutefois, les membres de l’administration pénitentiaire sont appelés à
effectuer des interventions, particulièrement dans le cadre de la formation aux fonctions de
juge de l’application des peines. Ces futurs magistrats auront ainsi la chance de s’entretenir
avec des travailleurs sociaux, ainsi que, selon le programme de formation initiale de l’année
2002, avec « différents intervenants du monde pénitentiaire ».
Des rencontres entre élèves directeurs d’établissements pénitentiaires et auditeurs de justice
sont également organisées : une semaine de session commune sur un thème relatif à
l’emprisonnement, une journée de formation commune avec les futurs juges de l’application
des peines, une session inter-écoles du service public.
Ces mesures n’ont cependant pas un grand succès.
28
Quand on interroge les agents de l’administration pénitentiaire sur les contacts qu’ils ont eu
avec le monde de la Justice lors de leur formation, ils ne citent pas ou peu les conférenciers
intervenant dans leur école. Il en va de même du côté des magistrats, avec en sus un reproche
formulé par une auditrice de justice, qui insiste sur le fait qu’elle n’a eu l’occasion de
rencontrer que des cadres de l’administration pénitentiaire et non des représentants de chaque
catégorie de personnel.
En outre, les rencontres entre élèves des deux écoles n’ont été mentionnées que par le
directeur adjoint d’une maison d’arrêt, et ce, pour indiquer qu’il était très difficile de nouer un
véritable lien avec des auditeurs de justice par ce biais. La durée des échanges est trop brève et
peu d’élèves, que ce soient des élèves directeurs ou des auditeurs de justice, saisissent cette
opportunité pour mieux se connaître.
Les contacts voulus par les deux écoles sont par conséquent encore insuffisants. Un
accroissement de leur nombre ainsi qu’une meilleure organisation des rencontres entre les
élèves pourrait être salutaire.
Des enseignements portant sur des matières relatives à l’autre direction du ministère de la
Justice sont en second lieu dispensés afin que les élèves aient une approche des institutions
dont dépendront leurs futurs interlocuteurs.
Les élèves de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire doivent tous suivre
l’enseignement du droit de l’individualisation des peines, ce qui leur permettra de mieux
appréhender les différentes mesures d’aménagement de peines ainsi que le fonctionnement
des commissions de l’application des peines et des audiences d’aménagement de peines.
Les autres matières diffèrent ensuite selon la fonction qu’exerceront les élèves. Les futurs
directeurs choisiront, s’ils l’estiment utile, d’assister aux cours de droit pénal, alors qu’il
s’agit d’un enseignement obligatoire pour les autres élèves. Les étapes du procès pénal sont
expliquées aux élèves surveillants tandis que les autres doivent suivre un cours de procédure
pénale. Ce sont les élèves conseillers d’insertion et de probation qui bénéficient d’un
enseignement juridique plus complet dans la mesure où outre ces matières, leur programme
comprend également des modules relatifs au droit des personnes, au droit social et aux droits
de l’Homme.
29
Aucun professionnel ne m’a parlé de ces enseignements théoriques. Lorsque je leur ai
demandé s’ils avaient eu suffisamment de relations avec le monde judiciaire pendant leur
formation, personne n’a fait allusion à ces cours.
Des journées débats portant sur le choix de la peine, sur la prison et ses alternatives avec « une
approche plus historique, philosophique, sociologique ou anthropologique permett[ant] de
mieux appréhender les aspects complexes de la sanction et de comprendre davantage ses
évolutions et les finalités qui lui sont assignées » ont été proposées aux auditeurs de justice de
la promotion 2002 aux termes du programme de formation initiale. Cette étude portant sur la
prison parait très ambitieuse mais un auditeur de justice ayant auparavant occupé des
fonctions d’enseignant pendant deux années dans une maison d’arrêt dans le cadre de la
mission que s’est fixée le GENEPI, Groupement Etudiant National d’Enseignement aux
Personnes Incarcérées, et partant qui connaît le monde pénitentiaire, a affirmé :
« Sur le plan théorique, la formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature est très faible. Il
n’y a qu’une seule journée prison, qui est très faible : pas de sociologie de la prison, un peu de
socio-démographie avec Pierre Tournier qui est un chercheur qui s’intéresse à ça, mais pas de
sociologie au sens strict, ce qui est un peu étonnant. On n’a même pas cité Michel Foucault.
[...]. On parle très peu de la réflexion sur le sens de la peine. On a une journée très technique,
où on a des dossiers, puis on discute en amphi de la peine à donner. Il n’y a pas de réflexion
sur le sens de la prison, sur l’utilité de la prison. »
La partie pratique de la formation initiale, est quand à elle, majoritairement citée comme
permettant une approche, encore bien imparfaite, de l’univers soit judiciaire, soit pénitentiaire.
Curieusement, seuls certains élèves de l’Ecole Nationale de l’Administration pénitentiaire
peuvent ou doivent effectuer un stage en juridiction.
Les élèves surveillants ont la possibilité de faire « un stage de découverte soit au sein d’autres
services pénitentiaires, soit au sein d’une institution partenaire ou non de l’administration
pénitentiaire »61 pendant une semaine. Les juridictions peuvent ainsi accueillir le stagiaire.
L’objectif est « d’éveiller la curiosité et l’intérêt de l’élève pour d’autres métiers et d’autres
61Programme de formation de la 157ème promotion d’élèves surveillants.
30
fonctionnements institutionnels »62. Ce but est louable c’est pourquoi nous nous interrogeons
sur son caractère facultatif et sur le fait qu’il ne soit pas toujours accompli au sein des
juridictions alors que connaître le fonctionnement d’une telle institution parait indispensable
pour ces futurs partenaires que sont les élèves surveillants.
Les élèves conseillers d’insertion et de probation doivent quant à eux travailler trois semaines
dans un tribunal de grande instance. Certes, aux dires d’un conseiller en place, le stage permet
de comprendre « le processus pénal », puisque chaque magistrat explique sa fonction et que le
stagiaire participe à l’activité juridictionnelle en tant qu’observateur. « Découvrir les
différentes phases de la chaîne pénale » est d’ailleurs l’objectif recherché selon le programme
de formation de la huitième promotion de conseillers d’insertion et de probation. Il est
cependant regrettable que le futur agent de l’administration pénitentiaire ne soit pas davantage
en contact avec le juge de l’application des peines afin de comprendre les logiques qui soustendent
son action dans la mesure où ce sont principalement les décisions de ce juge qui
déterminent la façon dont la peine d’emprisonnement sera exécutée. Un conseiller d’insertion
et de probation a précisé qu’il avait « dû rencontrer les juges de l’application des peines
pendant deux heures » et que « dans [son] futur travail avec les juges de l’application des
peines, cela ne [lui] a rien apporté ».
Les élèves de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire n’ont donc pas tous la
chance d’effectuer un stage en juridiction. Les causes de cette disparité paraissent obscures. Il
ne s’agit certainement pas de la fréquence des contacts futurs avec le monde judiciaire puisque
les surveillants, à la différence des conseillers d’insertion et de probation et des directeurs
d’établissements pénitentiaires, ne seront pas amenés à travailler souvent avec des magistrats.
Peut-être est-ce dû simplement aux coordinateurs des formations, qui ont chacun une
conception différente du contenu souhaitable des études.
Tous les auditeurs de justice recrutés par concours ou sur titres, quelle que soit la fonction
qu’ils exerceront à la sortie de l’école, sont amenés à découvrir le monde judiciaire lors de
stages. Les magistrats recrutés directement ne bénéficient donc pas d’une telle opportunité car
le stage probatoire qu’ils effectuent a uniquement trait aux fonctions judiciaires, l’objectif
étant de mettre le candidat en mesure de démontrer qu’il est apte à exercer. Lorsque ce stage
est un succès, une formation préalable à l’exercice du métier de magistrat est fréquemment
62Ibidem.
31
imposée, et si l’impétrant a choisi une fonction pénale, un stage en prison peut être organisé63.
Ce stage n’est pas systématiquement effectué alors que depuis la loi organique n°2001-539 du
25 juin 2001 relative au statut de la magistrature et au conseil supérieur de la magistrature,
l’obligation de mobilité des magistrats est renforcée. Un magistrat peut commencer sa carrière
aux affaires familiales et ensuite exercer une fonction nécessitant cette fois des connaissances
sur l’univers pénitentiaire.
Au cours du stage juridictionnel d’un an, les futurs magistrats passent quatre semaines auprès
d’un juge de l’application des peines. Une semaine est consacrée aux activités du Service
Pénitentiaire d’Insertion et de Probation. Pendant le reste du stage, ils participent aux
commissions de l’application des peines qui se tiennent dans les établissements et
éventuellement aux visites des prisons.
Un stage en prison de quinze jours est par ailleurs organisé, permettant de découvrir la réalité
de l’univers carcéral. L’Ecole Nationale de la Magistrature a pris une initiative très
intéressante : les auditeurs de justice ont depuis cette année l’obligation d’endosser l’uniforme
de surveillant pendant une semaine, la deuxième étant consacrée à « une approche plus
globale de l’institution pénitentiaire et du monde carcéral »64, partant à une découverte des
autres métiers du monde pénitentiaire. Précédemment, une seule fonction du monde
pénitentiaire faisait l’objet du stage, soit surveillant, conseiller d’insertion et de probation,
travailleur social, ou directeur.
Si ce n’était déjà fait, les futurs magistrats sont ainsi amenés à se rapprocher de la prison. Leur
premier contact est renforcé par l’obligation nouvelle de suivre un surveillant dans son travail.
Toutefois, les quinze jours ne sont pas exclusivement consacrés à la pratique de l’institution.
En effet, selon le planning prévisionnel qui m’a été confié par le formateur d’une maison
d’arrêt65, les auditeurs ne passent que neuf journées en prison, et parmi celles-ci, la première et
la dernière sont déjà prises par l’accueil et l’évaluation.
Par ailleurs, tous les magistrats estiment que la longueur du stage est « raisonnable compte
tenu de la durée globale de la formation », Monsieur le procureur de la République près le
Tribunal de Grande Instance de Lille ajoutant « qu’on oblige désormais les magistrats à revêtir
l’uniforme de surveillant pendant une semaine et en une semaine, on voit énormément de
choses dans cette fonction, dans cette position-là avec l’uniforme ». Au contraire, le personnel
pénitentiaire pense que ce stage est trop court pour percevoir toutes les difficultés auxquelles
63Les informations relatives aux auditeurs recrutés directement ont été recueillies lors d’un contact par courrier
électronique avec Eric Maillaud, sous-directeur des stages à l’Ecole Nationale de la Magistrature.
64Programme de formation initiale 2002.
65Voir annexe 5.
32
il doit faire face, que découvrir toutes les fonctions en quinze jours équivaut « à ne rien faire »
et que le stage se déroule toujours pendant les vacances de printemps, lorsque les prisons
doivent fonctionner en effectifs restreints. Ces réflexions pessimistes du monde pénitentiaire
sont certainement révélatrices de sa forte attente en termes de formation pratique des auditeurs
de justice, car quand bien même des stages en prison sont organisés, il souhaite les parfaire,
alors que le monde de la Justice se satisfait de l’organisation actuelle.
La formation initiale des professionnels du monde judiciaire et du monde pénitentiaire, bien
qu’elle contienne des enseignements et des stages leur permettant de se connaître et de se
rencontrer, est loin d’être parfaite dans la mesure où ces éléments ne bénéficient pas à tous les
élèves et qu’ils sont critiqués. Le rapport demandé par l’Assemblée Nationale sur la situation
des prisons françaises propose ainsi « d’accroître la formation des magistrats sur le monde
pénitentiaire »66. De même, lors de la vie professionnelle, les rapports entre les deux mondes
peuvent être sensiblement améliorés.
§ 2. L’inanité des rapports imposés lors de la vie professionnelle
Le monde judiciaire et le monde pénitentiaire devraient, lors de leur vie professionnelle,
entretenir des relations suivies. Ces liens sont cependant quasi-inexistants en ce qui concerne
les contrôles que les magistrats sont tenus d’effectuer quant au fonctionnement des prisons
(A). Lors de l’institution du juge de l’application des peines, on a pu croire que ce magistrat
allait établir un pont entre les deux mondes, mais ces espoirs furent en partie déçus (B).
66Rapport n°2521 à l’Assemblée Nationale de Monsieur FLOCH (J.), sur la situation des prisons françaises, p.201,
(www.assembleenationale.fr).
33
A/ La quasi-inexistence de contrôles
Les magistrats du parquet prennent des réquisitions, et éventuellement décident de
l’enfermement d’un délinquant ; les juges du siège, pour leur part, aidés le cas échéant par une
enquête du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation67 afin d’individualiser au mieux la
sanction, ont la faculté de prononcer des peines d’emprisonnement, dont la mise à exécution
incombe au ministère public68. Avant la mise à exécution des courtes peines
d’emprisonnement69, le magistrat du parquet doit avertir le juge de l’application des peines,
qui pourra en déterminer les modalités d’exécution, éventuellement après une enquête du
Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation70. Les plus longues peines d’emprisonnement,
quant à elles, ne pourront faire l’objet d’aménagements que lors de leur exécution, c’est dire
lorsque le condamné est placé sous la surveillance des membres de l’administration
pénitentiaire. L’aménagement de peines devrait donc associer à la fois le monde judiciaire et
le monde pénitentiaire. Nous verrons ce qu’il en est réellement dans la division suivante.
Ces relations professionnelles théoriques entre les magistrats et les membres de
l’administration pénitentiaire sont celles qui sont le plus largement connues, mais il en existe
bien d’autres.
Le personnel de direction de maisons d’arrêt doit informer chaque mois le président du
tribunal de grande instance du ressort, le juge de l’application des peines et le procureur de la
République du nombre de détenus par rapport au nombre de places en principe disponibles71.
Des magistrats interviennent dans le fonctionnement des établissements pénitentiaires, par
exemple en donnant leur avis sur le règlement intérieur dressé par le directeur
d’établissement72.
Le procureur de la République peut exiger du chef d’établissement pénitentiaire que ce dernier
fasse prélever sur les valeurs pécuniaires du détenu les sommes dues aux créanciers
d’aliment73.
67Article D.574 du Code de procédure pénale.
68Article 707 du Code de procédure pénale.
69Peines inférieures à un an d’emprisonnement.
70Article D.49-1 du Code de procédure pénale.
71Article D.92 du Code de procédure pénale.
72Il s’agit du juge de l’application des peines (article D.255 du Code de procédure pénale).
73Article 728-1 du Code de procédure pénale.
34
Des ordres nécessaires pour l’instruction ou pour le jugement peuvent être donnés par certains
magistrats, ordres qui devront être exécutés dans les maisons d’arrêt74.
En cas d’incident grave, le chef d’établissement doit notamment prévenir le procureur de la
République et soit le magistrat saisi du dossier d’information si l’incident concerne un
prévenu, soit le juge de l’application des peines si l’incident concerne un condamné75.
Ce dernier magistrat est prévenu de toute mise à l’isolement ou de toute prolongation de
l’isolement76 et des transferts des condamnés dans d’autres établissements77.
Les détenus peuvent formuler des réclamations aux magistrats78.
Le monde judiciaire fait également partie des autorités de contrôle. Cette surveillance est
assurée lors de visites ponctuelles et de réunions de commissions de surveillance, et est
matérialisée par des observations ou des rapports.
Le juge de l’application des peines est tenu de visiter une fois par mois les établissements
pénitentiaires pour « vérifier les conditions dans lesquelles les condamnés y exécutent leur
peine »79. Il fait part de ses observations aux autorités compétentes. Le président de la chambre
de l’instruction et le procureur de la République sont obligés de procéder à une visite au
moins une fois par trimestre80, le juge des enfants et le procureur général, au moins une fois
par an81 et le juge d’instruction, « aussi souvent qu’il l’estime utile »82. A l’issue de ces visites,
le premier président de la cour d’appel et le procureur général adressent au ministre de la
Justice un rapport conjoint sur le fonctionnement des établissements pénitentiaires et sur le
service assuré par le personnel de ces établissements83.
Des magistrats composent les commissions de surveillance : le premier président de la cour
d’appel, le procureur général, le président du tribunal de grande instance, le procureur de la
République, le juge de l’application des peines, un juge d’instruction et éventuellement le juge
des enfants84. Cette commission est chargée de « la surveillance intérieure de l’établissement
74Il s’agit du juge d’instruction, du président de la chambre de l’instruction, du président de la cour d’assises, du
procureur de la République, du procureur général et du juge des enfants (articles 715 et D.55 du Code de
procédure pénale).
75Article D.280 du Code de procédure pénale.
76Article D.283-1 du Code de procédure pénale.
77Article 722 du Code de procédure pénale.
78Chaque détenu peut demander à être entendu par les magistrats chargés de la visite ou de l’inspection de
l’établissement (article D.259 du Code de procédure pénale). Le juge de l’application des peines reçoit les
observations des détenus mis à l’isolement (article D.283-1 du Code de procédure pénale).
79Article D.176 du Code de procédure pénale.
80Articles D.177 et D.178 du Code de procédure pénale.
81Ibidem.
82Article D.177 du Code de procédure pénale.
83Article D.179 du Code de procédure pénale.
84Articles D.180 et D.184 du Code de procédure pénale.
35
pénitentiaire en ce qui concerne la salubrité, la sécurité, le régime alimentaire et l’organisation
des soins, le travail, la discipline et l’observation des règlements, ainsi que l’enseignement et
la réinsertion sociale des détenus »85. Elle se réunit au moins une fois par an mais un ou
plusieurs de ses membres peuvent être délégués pour visiter plus fréquemment l’établissement
pénitentiaire. Le chef d’établissement doit lui présenter un rapport sur l’organisation et le
fonctionnement de l’établissement et la commission peut auditionner toute personne en vue de
satisfaire sa mission ainsi que recevoir les requêtes des détenus portant sur des matières
relevant de sa compétence. Elle doit communiquer au ministre de la Justice toute
« observation, critique ou suggestion »86.
Trois précisions doivent encore être apportées.
Premièrement, le conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, qui se compose entre
autres de magistrats, formule des avis et des rapports sur des questions relevant de la
compétence de la direction de l’administration pénitentiaire87. Le Garde des Sceaux, Elisabeth
Guigou, l’a convoqué le 19 mars 1998 à l’effet de débattre sur le projet d’élaboration d’un
code de déontologie des personnels pénitentiaires, alors qu’il ne l’avait pas été depuis douze
ans88. Depuis, sont par exemple soumis à son étude le renforcement des contrôles extérieurs
des établissements pénitentiaire ou bien encore les conditions d’incarcération des mineurs89. Il
existe donc une volonté politique de réunir ce conseil qui permet à des magistrats de se
trouver assemblés avec des membres de l’administration pénitentiaire afin de discuter de
sujets concernant cette dernière.
Deuxièmement, Gilbert Azibert, le directeur de l’Ecole Nationale de la Magistrature, préside
le conseil d’administration de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire90 et a
succédé au premier président de la Cour de Cassation, Guy Canivet.
Il faut enfin remarquer qu’à l’administration centrale, au sein de la direction de
l’administration pénitentiaire, des magistrats de l’ordre judiciaire occupent des postes parmi
les plus élevés. Selon Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande
Instance de Lille, ils seraient une vingtaine sur un effectif total de 320 personnes. Pendant
85Article D.184 du Code de procédure pénale.
86Ibidem.
87Il comprend le premier président de la Cour de Cassation, le procureur général près la Cour de Cassation, le
président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation, le premier président de la Cour d’appel de Paris, le
procureur général près la Cour d’appel de Paris, un premier président, un procureur général et un juge de
l’application des peines (article D.237 du Code de procédure pénale).
88www.prison.eu.org.
89Informations fournies par le SCeRI.
90www.justice.gouv.fr.
36
longtemps, le directeur de l’administration pénitentiaire a été un magistrat, puis par alternance
un préfet et un magistrat, et depuis peu, cette fonction est uniquement exercée par un préfet ou
par un administrateur civil. Le directeur adjoint est alors un magistrat.
Ces trois dernières précisions montrent que les magistrats sont impliqués dans le
fonctionnement de l’administration pénitentiaire et de son école, alors que ce n’est pas vrai
dans l’autre sens.
Quoi qu’il en soit, le monde judiciaire et le monde pénitentiaire sont amenés à entretenir de
nombreux rapports, bien que certains domaines échappent encore sans motif apparent à cette
collaboration imposée comme la procédure disciplinaire suivie dans les établissements
pénitentiaires, où la décision de sanctionner on non un détenu est prise par le chef
d’établissement ou par son délégué. Ce membre de l’administration pénitentiaire est pourtant
à la fois juge et partie.
Mes recherches ont mis l’accent sur les missions de contrôle des magistrats.
Les témoignages et informations recueillies font apparaître que les visites et la surveillance ne
sont que très rarement effectuées, principalement à cause d’un manque de moyens matériels et
humains.
Dans la grande majorité, les magistrats interrogés ne suivent pas les prescriptions légales ou
réglementaires leur imposant d’effectuer des visites en prison, voire ne connaissent pas ces
mesures :
« Je crois qu’à l’époque, il y avait un reste de texte qui disait que les juges d’instruction
devaient aller dans les maisons d’arrêt de leur ressort au moins une fois par an ou quelque
chose comme ça »91.
Ils ne peuvent donc rédiger les rapports qui leur sont demandés concernant le fonctionnement
de ces établissements. Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande
Instance de Lille a conscience de ces carences, qu’il déplore :
« Ce qui manque en revanche beaucoup, c’est les contacts avec les prisons par la suite, en
cours de vie professionnelle. Moi, ce qui me frappe ici, c’est que je suis obligé de pousser les
professionnels à aller visiter la prison. Par exemple, certains présidents de juridictions
91Témoignage d’un juge d’instance ayant auparavant occupé les fonctions de juge d’instruction.
37
correctionnelles n’ont pas mis les pieds en prison depuis le début de leur prise de fonction.
Moi, j’y vais avec le président. J’y vais tous les trimestres, parfois plus en cas de crise. [...].
Les juges d’instruction, il faut qu’ils y aillent, entendre leurs propres mis en examen sur leurs
conditions de détention. Il n’est pas admissible que des juges d’instruction n’aient pas
suffisamment conscience de ce qui se passe en prison pour laisser des mis en examen sans
audition pendant plusieurs mois. Ceci étant, c’est sûr qu’ils sont surbookés, mais il faut y
aller, les présidents de correctionnelles, il faut qu’ils y aillent, le président de la chambre de
l’instruction, il faut qu’il y aille, c’est ce qu’il fait d’ailleurs, on a beaucoup modifié ça. »
Ce constat rejoint celui formulé par les commissions d’enquêtes parlementaires et par la
commission présidée par le premier président de la Cour de Cassation, Guy Canivet, chargée
d’étudier plus particulièrement la question du contrôle extérieur des établissements
pénitentiaires. Le rapport de cette dernière commission est éloquent puisqu’il y est mentionné
que les contrôles « ne sont pas satisfaisants, ni en quantité, ni en qualité, ni en cohérence »92,
et qu’ils sont « multiples mais imparfaits »93.
L’explication avancée par les magistrats que j’ai rencontrés est très simple. Ils font remarquer
le nombre de dossiers à traiter, et le manque de disponibilité pour de tels contrôles. Un
manque de personnel, et non une indifférence au monde pénitentiaire, serait, selon eux, la
source de cette absence de contrôle des prisons.
D’autres causes sont formulées dans les rapports des commissions ci-dessus définies.
L’absence « d’une mission spécifique de contrôle confiée par les textes aux magistrats »94
selon l’une, la « difficulté pour les magistrats d’appréhender le rôle qui doit être le leur en
détention », selon l’autre95. Le problème viendrait donc également d’une mauvaise rédaction
des textes imposant aux magistrats de contrôler les établissements pénitentiaires.
Une nuance doit être cependant apportée. Des magistrats se rendent au sein des établissements
pénitentiaires : les juges de l’application des peines et les substituts du procureur de la
République chargés de l’exécution des peines. Bien que les juges de l’application des peines
ne procèdent pas toujours aux visites mensuelles qui leur sont imposées, ils pénètrent en
détention ne serait-ce que pour assister aux commissions de l’application des peines et aux
92Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.), op. cit., p. 123.
93Idem, p. 139.
94Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, III, D.
(www.senat.fr).
95Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.), op. cit., p. 141.
38
audiences. Il en va de même pour les substituts du procureur de la République chargés de
l’exécution des peines. Il est donc erroné de dire qu’aucun magistrat ne se rend dans les
prisons. Selon la formule de Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de
Grande Instance de Lille, le monde judiciaire a « délégué à des magistrats spécialisés [...] la
mission d’aller en prison. ».
Et si le juge de l’application des peines n’effectue que très rarement les visites des
établissements pénitentiaires, c’est parce qu’il rencontre des difficultés pour exercer cette
surveillance. Outre l’insuffisance de moyens matériels, ce magistrat n’a qu’un droit de regard
et de dénonciation mais aucun pouvoir effectif de contrôle. La dénonciation d’un
dysfonctionnement de l’établissement pénitentiaire le mettrait de plus en porte à faux par
rapport au personnel pénitentiaire.
Quant aux commissions de surveillance instituées en 1972, elles sont à l’instar de leur ancêtre,
la commission de surveillance des prisons instaurée par une ordonnance du 9 avril 1819, et
qui, selon Joseph Magnol, « n’a jamais fonctionné régulièrement »96, « encore plus formel[les]
et inefficace[s] »97 que les visites et les rapports des magistrats.
J’en veux pour preuve les termes qui la caractérisent : « visites de château » 98, « raout
mondain »99, « messe » 100, voire « grand messe d’une solennité extrême »101.
Il leur est essentiellement reproché de ne pas se réunir plus d’une fois par an, comme dans la
maison d’arrêt qui m’a ouvert ses portes, alors que la visite annuelle n’est, à la lecture du code
de procédure pénale, qu’un minimum ; de n’effectuer aucun suivi des observations formulées
lors de la commission précédente ; de faire une visite très rapide des locaux sous la conduite
du chef d’établissement.
Les visites des commissions de surveillance sont ainsi « plus formelles que réelles »102.
Il est pourtant fondamental que l’administration pénitentiaire travaille avec et sous le contrôle
des magistrats dans la mesure où les membres de l’administration pénitentiaire exécutent les
96MAGNOL (J.), op.cit., p. 29.
97PONCELA (P.), Droit de la peine, collection Thémis droit privé sous la direction de Madame Labrusse-Riou (C.),
2ème édition, Paris : PUF, 2001, p. 281.
98Rapport n°2521 à l’Assemblée Nationale de Monsieur FLOCH (J.), sur la situation des prisons françaises, p.112,
(www.assembleenationale.fr).
99Ibidem.
100Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, III, C, 1,
b), (www.senat.fr).
101Ibidem.
102Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.), op. cit., p. 148.
39
décisions judiciaires pénales. Robert Badinter, au cours de l’audition par la commission
d’enquête présidée par Guy Canivet a déclaré :
« Il y a tout un système très cohérent, pas très pesant, mais qui implique la présence de
magistrats dans la prison. Je ne parle pas du juge de l’application des peines qui, par
définition, y est très souvent. Mais les autres devraient y aller. [...]. Véritablement, comment
ne pas s’interroger sur une prise de conscience suffisante de la part de la magistrature en ce
lieu ? »103
Alors que la majorité du personnel pénitentiaire souhaite l’application effective des textes
relatifs aux visites des magistrats afin d’améliorer son image dans une société où la notion de
transparence est mise en avant, seul un conseiller d’insertion et de probation prétend qu’une
visite « ne vous apprend rien » car l’administration pénitentiaire est informée de la date de
celle-ci. Les contrôles n’ont plus l’effet escompté dès lors qu’ils sont programmés. L’exemple
qui a été donné est celui d’un couloir repeint une semaine avant un contrôle.
Les rapports parlementaires ainsi que le rapport de la commission mandatée par le Garde des
Sceaux n’envisagent cependant pas de supprimer les contrôles judiciaires mais de les
améliorer. Par exemple, il est suggéré de « mieux définir les pouvoirs de contrôle des
magistrats sur le fonctionnement des établissements pénitentiaires, en attribuant notamment
au juge de l’application des peines un véritable pouvoir d’injonction »104 ou encore
« d’envisager un système de rotation entre magistrats du parquet, juges d’instruction et juges
des libertés et de la détention dans les maisons d’arrêt »105. Les propositions les plus
pertinentes ont été formulées par la commission présidée par Guy Canivet. Il faudrait
« préciser, dans les textes, l’objet du pouvoir des magistrats chargés d’exercer un contrôle
dans les établissements pénitentiaires, ainsi que les modalité de son exercice », et « charger les
premiers présidents des cours d’appel et les procureurs généraux près ces cours de vérifier la
réalité et l’effectivité de ces contrôles »106.
La proposition de loi sur la peine et le service public pénitentiaire présentée par Marylise
Lebranchu à la suite de ces rapports entendait insérer dans le code de procédure pénale un
article 728-94 autorisant les magistrats à visiter « à tout moment tout l’établissement
103Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.), auditions, p.1
(www.reseauvoltaire.net).
104Rapport n°2521 à l’Assemblée Nationale de Monsieur FLOCH (J.), sur la situation des prisons françaises, p.201,
(www.assembleenationale.fr).
105Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, IV, F,
(www.senat.fr).
106Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.), p. 263.
40
pénitentiaire de leur ressort, en toutes ses parties, sans restriction aucune »107. Cette loi n’a
cependant jamais été adoptée. Sa rédaction a débuté en février 2001, et le 11 janvier 2002, le
ministre de la Justice annonçait qu’elle ne pourrait passer en première lecture avant la fin de la
session parlementaire, le 21 février, mais qu’elle serait alors présentée au Conseil des
ministres début mars. Le 7 mars 2002, la proposition de loi a été rayée de l’ordre du jour du
Conseil des ministres108.
La mise en oeuvre des suggestions formulées par les différentes commissions permettrait
sûrement de remédier à l’absence de contacts entre le monde judiciaire et le monde
pénitentiaire découlant de l’insuffisance des contrôles. Des solutions devraient également être
recherchées en matière d’aménagement de peines.
B/ Des espoirs déçus en matière d’aménagement de peines
Durant la seconde guerre mondiale, beaucoup de français furent détenus dans des camps ou
des cellules et firent alors l’expérience personnelle de l’enfermement. Monsieur Amor fut l’un
d’entre eux. C’est pourquoi, dès la Libération, une commission qu’il présidait formula
quatorze principes destinés à améliorer les conditions d’exécution des peines
d’emprisonnement. Le neuvième principe institue un juge chargé de surveiller l’exécution des
longues peines d’emprisonnement, juge dont l’existence a été officiellement consacrée par le
décret n°52-355 du 1er avril 1952109.
Le juge de l’application des peines (JAP) ne fut institué qu’en 1958, lors de l’élaboration du
Code de procédure pénale110.
Selon la formule de Monsieur Aydalot, premier président de la Cour de Cassation en 1974,
antérieurement à la réforme Amor, « il y avait une césure totale entre le judiciaire et le
107P. 43 (www.assembleenationale.fr).
108www.reseauvoltaire.net.
109Voir à ce sujet PETIT (J.-G.), FAUGERON (C.), PIERRE (M.), op. cit., pp. 174 - 184 ; LEAUTE (J.), Les prisons,
collection Que sais-je ?, 2ème édition, Paris : PUF, 1990, pp. 41 - 47.
110Ordonnance n°58-1296 du 23 décembre 1958.
41
pénitentiaire »111. Dans l’esprit de leurs créateurs, le juge de l’application des peines et son
ancêtre devaient ainsi faire figure de pont entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire,
l’aménagement des peines devenant le symbole de la collaboration entre les magistrats et le
personnel pénitentiaire.
Dans la pratique, cette coopération est loin d’être évidente.
D’une part, il a fallu un certain temps pour que l’institution du juge de l’application des peines
soit acceptée par le personnel pénitentiaire car « le juge pénétrant dans la prison, c’était tout
de même un inconnu dans la maison. Bien sûr, ce n’était pas un ennemi, ce n’était pas tout à
fait un gêneur, mais c’était un étranger »112. Le syndicat Force Ouvrière (FO) avait d’ailleurs
comme slogan « JAP go home »113. Aujourd’hui, aucun membre de l’administration
pénitentiaire ne remet en cause les fonctions de ce magistrat dans la mesure où une meilleure
gestion des détenus est ainsi assurée. Le juge de l’application des peines a une action sur le
temps d’enfermement mais aussi sur les modalités d’exécution de la peine. Pour cela, il se
base sur un certain nombre de critères dont le comportement du détenu et il peut révoquer les
mesures accordées. C’est pourquoi l’on a pu dire que le juge de l’application des peines « sait
donner mais il sait aussi reprendre »114.
D’autre part, les modalités concrètes d’aménagement de peines ne reflètent pas une véritable
collaboration entre partenaires. Curieusement, le juge de l’application des peines, quoique
dans une moindre mesure, et le personnel pénitentiaire souffrent de ce manque de coopération.
Pour plus de clarté, rappelons que l’aménagement des peines est décidé en règle générale par
un juge de l’application des peines en prenant l’avis de certains membres de l’administration
pénitentiaire.
Le juge de l’application des peines peut ainsi accorder des réductions de peine, des
autorisations de sortie sous escorte et des permissions de sortir, et ce, sauf urgence, après
consultation d’un dossier élaboré par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation et
111« Réunion du comité d’honneur de l’association nationale des juges et des anciens juges de l’application des
peines », Revue pénitentiaire et de droit pénal, avril-juin 1974, p. 279.
112Discours du premier président de la Cour de Cassation AYDALOT, « Réunion du comité d’honneur de
l’association nationale des juges et des anciens juges de l’application des peines », op. cit., p. 280.
113TARTAKOWSKY (P.), op. cit., p. 184.
114Témoignage d’un gradé formateur.
42
après avis d’une commission de l’application des peines composée notamment du chef
d’établissement pénitentiaire, d’un membre du personnel de direction, d’un membre du
personnel de surveillance et de travailleurs sociaux115, et, selon un arrêt de la Cour d’appel de
Reims en date du 28 avril 1983116, il ne peut fonder une réduction du quantum de la peine que
sur des considérations relatives à la conduite en détention.
Les mesures de placement à l’extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et de suspension
des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle lorsque
la peine prononcée est d’une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que la durée de détention
restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, sont prises par le juge de l’application des
peines lors d’une audience, et après que le représentant de l’administration pénitentiaire ait
fourni un avis écrit synthétisant les opinions des différents services pénitentiaires117.
La juridiction régionale de la libération conditionnelle, composée d’un président de chambre
ou d’un conseiller à la cour d’appel et de deux juges de l’application des peines, prend les
mesures de libération conditionnelle qui ne relèvent pas de la compétence du juge de
l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines et après
lecture d’un dossier constitué par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation118.
En outre, ce dernier assiste le juge lorsque la libération conditionnelle est assortie de mesures
d’assistance et de contrôle119.
Toutefois, le juge souffre d’un manque de collaboration quand il s’agit de procéder à des
réductions de peines.
En principe, il les accorde lorsque les condamnés « ont donné des preuves suffisantes de
bonne conduite »120.
Or, pour savoir si le détenu satisfait à cette condition, le juge se fonde sur le dossier
disciplinaire. Si l’intéressé a été sanctionné, soit il n’aura pas droit à une réduction de peines,
soit le nombre de jours accordé pour bonne conduite sera minime, tant et si bien qu’un
surveillant affirme que « les réductions de peines dépendent davantage de lui [du surveillantchef]
que du juge de l’application des peines qui prend ses décisions en fonction du rapport
reçu de la prison »121 dans la mesure où le surveillant qui constate un incident doit établir un
115Articles 722, alinéa 1, D.117-1 et D.461 du Code de procédure pénale.
116Dalloz 1984, Informations rapides 75.
117Articles 722, alinéa 6 et 730 du Code de procédure pénale.
118Articles 722-1et D.461 du Code de procédure pénale.
119Article 731 du Code de procédure pénale.
120Article 721 du Code de procédure pénale.
121BILALIAN (D), op. cit., p.76.
43
compte-rendu transmis au surveillant-chef, qui décide de rédiger ou non un rapport
communiqué au directeur d’établissement. La vice-présidente chargée de l’application des
peines explique :
« Dans la pratique, on enlève tant de jours selon les mises aux arrêts. Si l’administration
pénitentiaire sanctionne un comportement de 14 jours avec sursis, cela fait 7 jours en moins
de réduction de peine. [...]. C’est la pratique qui s’est créée petit à petit. ».
Un auditeur de justice s’est insurgé à juste titre contre ce système qui rend le juge de
l’application des peines « prisonnier d’une prédécision de l’administration pénitentiaire »122 :
« Ce qui a été jugé en interne doit s’imposer aux magistrats, et doit faire obstacle à telle ou
telle mesure. Moi, ça me pose un problème parce que je pense que le juge doit garder son
autonomie. ».
Lorsqu’il sera en activité, on peut légitimement se demander si cet auditeur aura effectivement
le temps et les moyens de sauvegarder cette autonomie.
Toutefois, les sanctions disciplinaires devraient certes être prises en compte lors de la décision
relative aux réductions de peine, mais cela ne devrait pas constituer l’unique critère. La loi
indique qu’il faut prendre en compte les preuves de bonne conduite en détention. Le juge de
l’application des peines pourrait s’enquérir par exemple du comportement du détenu vis-à-vis
des autres détenus et du personnel pénitentiaire, de sa participation aux activités proposées et
ainsi apprécier de façon globale l’attitude du détenu. Bien sûr, le juge de l’application des
peines serait dépendant de l’administration pénitentiaire car seule celle-ci possède un savoir
sur le détenu, mais le magistrat pourrait user de son pouvoir d’appréciation sur les faits
rapportés.
Le personnel pénitentiaire manque aussi de collaboration effective. La carence apparaît
surtout lorsque l’on étudie le fonctionnement des commissions de l’application des peines.
Ces commissions avaient été instituées en 1972123 dans le but de réunir dans une même
structure le monde judiciaire et le monde pénitentiaire afin qu’ils discutent et travaillent
ensemble sur l’avenir des détenus124. Elles symbolisaient une tentative de coopération. Toutes
les décisions d’aménagement de peines étaient prises lors des commissions de l’application
des peines. L’ensemble des juges de l’application des peines s’accordent sur le fait qu’il s’agit
122HERZOG-EVANS, op. cit., p. 74.
123Loi n°72-1226 du 29 décembre 1972.
124HERZOG-EVANS, op. cit., pp. 69 - 70.
44
là de véritables lieux d’échange, à l’instar de cette vice-présidente chargée de l’application des
peines :
« Les commissions de l’application des peines sont très riches. Chacun va s’exprimer, et
notamment l’administration pénitentiaire. »
Malheureusement, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 a juridictionnalisé la majeure partie des
décisions d’aménagement de peines et les fait décider lors d’audiences. En effet, il a été jugé
que la procédure en commission de l’application des peines viole les règles du procès
équitable, le procureur de la République en étant membre de droit et le détenu ne pouvant s’y
exprimer personnellement ou par l’intermédiaire de son avocat125. L’administration
pénitentiaire est appelée à donner un avis écrit en vue de cette audience, et à ce titre, collabore
encore avec le monde judiciaire, mais le débat avec des représentants des différents services
pénitentiaires ne peut plus s’instaurer. Les commissions de l’application des peines gardent
quand même certaines prérogatives, mais selon la formule de Pierrette Poncela, elles
deviennent « une instance de consultation dans de nombreux cas »126.
En matière de relations entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire, les commissions
de l’application des peines semblent être favorables au rapprochement et à la compréhension
entre les hommes, mais, on peut le déplorer, leur champ d’application a été considérablement
réduit.
Néanmoins, il ne faut pas idéaliser cette formation. En effet, il est premièrement assez
fréquent que le juge de l’application des peines utilise la possibilité qui lui est offerte par la loi
de décider seul, en cas d’urgence, des mesures devant en principe être prises lors d’une
commission de l’application des peines. Deuxièmement, un membre en principe obligatoire
n’y est que très rarement représenté : le surveillant. Seuls 6% du personnel de surveillance dit
avoir participé à une commission de l’application des peines127, et même si le surveillant y
assiste, « son avis est rarement pris en considération »128, ce qui est fâcheux puisqu’il est
quotidiennement en contact avec les détenus et est donc le mieux à même d’exposer au juge
de l’application des peines le comportement du condamné.
Il faut enfin préciser que le décret du 13 avril 1999 portant création des Services Pénitentiaires
d’Insertion et de Probation a, selon Pierre Couvrat129, « renvoyé [le juge de l’application des
peines] à ses fonctions judiciaires » dans la mesure où il n’a plus sur le service nouvellement
125Ibidem.
126PONCELA (P.), op. cit., p. 267.
127CHAUVENET (A.), ORLIC (F), BENGUIGUI (G.), op. cit., p. 43.
128MARO (C.), SIMON (E.), op. cit., p. 75.
45
créé l’autorité qu’il avait sur les comités de probation et d’assistance aux libérés et qu’il ne
formule plus de directives relatives au fonctionnement des comités mais « détermine les
orientations générales » relatives à l’exécution des mesures confiées au Service Pénitentiaire
d’Insertion et de Probation.
Lorsqu’ils sont imposés, peu de rapports entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire
existent réellement, tant et si bien qu’un substitut du procureur de la République conclut que
la magistrature et l’administration pénitentiaire « sont deux administrations qui dépendent
d’un même ministère mais qui sont totalement à part ». Toutefois, les contacts professionnels,
quand ils sont effectifs, semblent donner satisfaction et laissent entrevoir des perspectives
d’ouverture de chaque monde à l’autre.
129COUVRAT (P.), « Quelques propos sur les nouveaux services d’insertion et de probation », Revue de science
pénitentiaire et de droit pénal comparé, 1999, chronique 626.
46
47
CHAPITRE II. VERS LA CHUTE DU MUR DE LA
MECONNAISSANCE
Deux raisons permettent d’espérer la chute du mur qui sépare le monde judiciaire et le monde
pénitentiaire. Les rapports qui existent peuvent être bons (section I) et en outre, les intéressés
souhaiteraient multiplier leurs contacts professionnels (section II).
SECTION I. UNE ENTENTE « G LOBALEMENT » EFFECTIVE
Les magistrats et les agents de l’administration pénitentiaire s’entendent. Non seulement ils
entretiennent des rapports convenables (§1), mais encore ils cultivent la même philosophie de
l’emprisonnement (§ 2).
§ 1. L’entente dans les rapports professionnels
Lorsque les magistrats et les agents de l’administration pénitentiaire sont amenés à se
rencontrer, les rapports qu’ils nouent satisfont chacun et le regard qu’ils portent l’un sur
l’autre est alors nettement plus positif.
Pour eux, les rapports réciproques au sein du Ministère de la Justice sont « globalement »
« bons », même si beaucoup se rabattent ensuite pour dire que l’entente dépend de la
personnalité de l’interlocuteur ; mais une telle constatation est vraie pour n’importe quelle
relation.
48
Une assistante de service social s’exprime ainsi :
« C’est difficile de globaliser, cela dépend des individus, aussi bien de notre côté que du côté
des magistrats. Quand je travaillais en milieu fermé, je n’ai pas senti un rapport de pouvoir. Je
dirais que dans l’ensemble, les rapports étaient plutôt bons [...] Bien sûr, parfois, il y a des
heurts, soit dus à la personnalité, soit dus à une politique différente. »
En outre, une vice-présidente chargée de l’application des peines ainsi qu’un juge de
l’application des peines indiquent qu’« il n’y a pas de conflit ouvert, pas de rivalité » et
qu’« on ne [les] déteste pas trop ». Ces magistrats abondent dans le sens de la majorité de
leurs confrères et des membres de l’administration pénitentiaire, mais ils n’utilisent pas
l’adverbe « globalement » et usent de termes à connotation négative, « conflit », « rivalité »,
« déteste ». J’ai ressenti une certaine gêne chez ces magistrats. Les expressions qu’ils
emploient pourraient révéler comme nous l’avons vu une certaine inquiétude quant à leur
image auprès de leurs interlocuteurs de l’administration pénitentiaire.
D’autres membres du monde judiciaire m’ont fait part simultanément des bons rapports qu’ils
entretiennent avec les agents de l’administration pénitentiaire et de la méfiance dont ils font
preuve envers ces derniers, ce qui est paradoxal. Comment en effet qualifier des relations
professionnelles de correctes et collaborer sans un minimum de confiance ?
Deux observations concernant le stage que les auditeurs de justice doivent effectuer dans les
établissements pénitentiaires illustrent ce propos. Celle d’un substitut du procureur de la
République : « Mais on ne voit que ce que les surveillants ou plutôt l’administration
pénitentiaire et les détenus veulent bien nous montrer. ». Ou bien celle d’une auditrice de
justice : « Il y a un matin où on s’est présenté un peu trop tôt, puis ne voulant pas rester là les
bras ballants, on a pris notre service. On a demandé avec qui on pouvait travailler. On nous a
aiguillé sur quelqu’un qui n’était visiblement pas censé nous donner du travail. D’abord, on a
senti qu’on n’était pas vraiment attendu, puis, on avait affaire à un gros bras, avec l’insigne
parachutiste. Je pense que la direction ne nous aurait pas envoyés en stage avec lui. D’ailleurs,
quand le chef de détention est arrivé, il a remis les choses en place. »
Certains magistrats, bien qu’ils reconnaissent que leurs rapports avec l’administration
pénitentiaire sont satisfaisants, persistent à penser qu’on leur cache parfois certains éléments.
Quoi qu’il en soit, toutes les personnes interrogées ayant des contacts suivis avec l’autre entité
du ministère de la Justice déclarent que l’entente est réelle dans de nombreux domaines, et
49
cela concerne, parmi les agents de l’administration pénitentiaire, non seulement la direction,
mais aussi le personnel administratif et plus particulièrement le greffe, les travailleurs sociaux
et également les surveillants amenés à rencontrer fréquemment le monde judiciaire, par
exemple lorsqu’ils sont chargés de la mise en place et du contrôle des bracelets électroniques.
L’un d’eux affirme avoir d’abord été surpris puis ravi du tutoiement du juge de l’application
des peines à son égard, et enfin a trouvé cela « normal » dans la mesure où ils appartiennent
« à la même famille » et oeuvrent dans le même sens. Il faut toutefois relativiser ce propos car
il s’agissait là du seul surveillant ayant entretenu des relations professionnelles fréquentes
avec des magistrats.
Il reste certain que le personnel de direction et le monde judiciaire sont en bons termes comme
l’a confirmé Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de
Lille :
« Avec les directeurs des services pénitentiaires, les rapports sont bons car ces fonctionnaires
ont fait des études assez comparables à celles des magistrats, et ont choisi très souvent leur
fonction. [...].On a un dialogue que je qualifierais de confiant. Au fond, on a les mêmes
perceptions. Globalement, on travaille bien ensemble. »
Il en va sûrement de même avec les travailleurs sociaux puisqu’ils présentent le même cursus
juridique et qu’en outre, ils « travaill[ent] sur une chose qui est plus gratifiante, qui est la
réinsertion »130
Contrairement à l’opinion dominante, l’image que chacun donne à l’autre est assez favorable.
Il faut immédiatement signaler que lorsque les magistrats parlent des agents de
l’administration pénitentiaire, à de rares exceptions près, ils font allusion seulement au
personnel de surveillance. On retrouve ce phénomène dans un hôpital. Les patients
n’envisagent que le travail du personnel soignant et non celui des administratifs. De même, les
magistrats n’évoquent que la surveillance.
Il est difficile de synthétiser les conceptions du monde judiciaire sur les surveillants. Deux
traits principaux ressortent toutefois des témoignages.
130Témoignage de Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille.
50
D’aucuns louent le labeur accompli par le personnel de surveillance dans son ensemble. Ils
mettent en avant la difficulté et l’ambiguïté de son travail, qui consiste non seulement à garder
les détenus mais également à tenter d’entamer un dialogue afin de faciliter leur réinsertion
future, comme cet ancien directeur de l’application des peines, qui affirme :
« On lui [le surveillant] demande à la fois d’avoir un contact avec le détenu pour développer
les relations humaines au sein de la prison et en même temps, on veille à ce qu’il ne soit pas
trop proche de ceux qu’il est chargé de garder pour éviter les risques de corruption. »131
Les difficultés liées à cette fonction sont également souvent évoquées, comme le fait « d’être
eux-mêmes incarcérés huit heures par jour, sinon plus »132, le phénomène de surpopulation
carcérale qui produit chez les surveillants « l’impression d’exercer un métier à la fois écrasant
et peu gratifiant aussi bien du point de vue psychologique que du point de vue matériel »133,
les « rapports de force constants avec les détenus »134.
De plus, les droits accordés aux détenus les choqueraient car eux-mêmes n’en bénéficieraient
pas, comme par exemple celui d’être automatiquement et gratuitement assisté par un avocat
en cas d’insulte.
Un vice-président d’un tribunal de grande instance termine ainsi son propos : « Tout ça fait
que c’est très dur, et que franchement, je ne voudrais pas être surveillant de prison ».
D’autres, notamment Eva Joly135, assurent qu’il existe deux catégories de personnel
pénitentiaire :
« Régulièrement, je devais me rendre à Fleury-Mérogis. Là encore, je découvrais une
institution à deux vitesses. Une partie restait archaïque, avec encore quelques surveillants de
prison qui restaient la caricature du genre, minés par le sentiment d’être enfermés avec les
détenus dans cet univers glauque. Mais on trouvait aussi de jeunes surveillants, des
éducateurs, des médecins, des directeurs de prison qui se battaient avec peu de moyens et
beaucoup de conviction. »
La première catégorie regroupe donc les surveillants qui, exerçant depuis longtemps et ayant
l’impression d’être enfermés, font peser un climat de violence en prison car ils éprouvent eux-
131BILALIAN (D.), op. cit., p. 19.
132Témoignage d’une auditrice de justice.
133Témoignage d’une auditrice de justice, BILALIAN (D.), op. cit., p. 33.
134Témoignage d’un vice-président d’un tribunal de grande instance.
135JOLY (E.), avec la collaboration de Laurent BECCARIA, Notre affaire à tous, Paris : Les Arènes, 2000, p. 90.
51
mêmes beaucoup de difficultés à vivre dans l’univers carcéral. Ils « jouent aux cracks et
affichent un mépris total et même de la haine envers les détenus »136. Ce sont les « brutes »137.
La seconde catégorie est celle des surveillants « humains »138. Ils font ce qu’ils peuvent pour
accomplir au mieux leurs missions. En dépit du peu de moyens, ils intègrent dans la
conception de leur fonction le souci du devenir du détenu. Les témoignages recueillis se
rapprochent des opinions favorables des magistrats à propos des surveillants en général.
Ainsi, le monde judiciaire s’accorde sur un point : il existe des surveillants qui font
consciencieusement leur travail, bien que ce soit très difficile.
Des magistrats tempèrent malgré tout cette vision assez idyllique du personnel de
surveillance, en admettant que l’ensemble des surveillants n’est pas passionné par ses
fonctions, voire les assume de façon insuffisante. Ils font ici écho aux propos tenus par des
détenus et des médecins :
« Les matons ? Il y a de tout parmi eux, du pas mauvais et du pas bon, si vous voyez ce que je
veux dire »139
« Les gardiens, c’est comme dans tout, il y en a des bons et des mauvais »140
« C’est incroyable de voir le comportement des gens ici...Rien de mitigé : soit ils se dévouent
pour aider leur prochain et améliorer le sort de ces pauvres bougres, soit ils se vengent sur eux
de leur aigreur, de leur propre médiocrité »141
Distinguer parmi les surveillants entre ceux qui sont « humains » et les « brutes » semble être
l’exact reflet de la réalité. Il est dès lors légitime de se demander pourquoi certains magistrats
ont une image qui serait complète et exacte du personnel de surveillance et d’autres une vision
parcellaire. La fréquence des relations entre ces professionnels serait une explication. Une
seconde justification résulterait du fait que, ignorant si leur nom allait ou non figurer dans
cette étude, certains magistrats n’ont peut-être pas souhaité ou ne se sont pas senti autorisés,
en leur qualité, à exprimer le fond de leur pensée.
Il apparaît en tout état de cause que les magistrats ont leur conception du travail du personnel
pénitentiaire, et s’en désintéressent beaucoup moins qu’on le croit.
136Témoignage d’une auditrice de justice, BILALIAN (D.), op. cit., p. 54.
137Témoignage d’une auditrice de justice.
138Idem.
139Témoignage d’un détenu, BILALIAN (D.), op. cit.,p. 27.
140Témoignage de Patrick Henry, LEBELLEY (F.), Tête à tête, Paris : Bernard Grasset, 1989, p. 82.
141VASSEUR (V.), Médecin-chef à la prison de la Santé, collection Documents dirigée par Pierre Drachline, Paris :
Le cherche-midi, 2000, p. 29.
52
Quant aux membres de l’administration pénitentiaire qui ont des contacts professionnels
fréquents avec des magistrats, ils les décrivent comme des « personnes abordables » et
« accessibles », avec lesquelles il est possible de discuter, même si certains « sont un peu
hautains ».
Suivant qu’il s’agisse du regard du monde pénitentiaire sur les magistrats ou du regard du
monde judiciaire sur le personnel de surveillance, les critères de qualification ne sont pas les
mêmes.
Alors que les magistrats définissent les surveillants par le travail qu’ils accomplissent, les
membres de l’administration pénitentiaire caractérisent le monde judiciaire par leur
comportement lors de leurs relations professionnelles. Par conséquent, d’un côté, nous avons
un critère objectif ou supposé tel, à savoir ce que les magistrats connaissent ou pensent
connaître du travail des surveillants ; et de l’autre côté, un critère subjectif qui tient plus de
l’analyse transactionnelle.
En outre, cette présentation d’un magistrat « abordable », « accessible » et quelquefois « un
peu hautain » est à rapprocher de celle des surveillants qui ne rencontrent que très rarement les
magistrats, si ce n’est lors des contrôles auxquels ces derniers sont astreints, et qui voient tous
les magistrats comme des personnages orgueilleux.
Ce faisant, ils font de cas particuliers une généralité. Pour eux, les magistrats restent des
personnes distantes, « derrière leurs bureaux », ayant « beaucoup de préjugés », n’étant « pas à
l’écoute des problèmes », « mépris[ant] les agents de l’administration pénitentiaire » et
« reconnaiss[ant] difficilement leurs erreurs ».
Des surveillants syndicalistes ont d’ailleurs utilisé les termes « d’"ouvrier pénitentiaire" »142
pour se qualifier. Par ce biais, ils expriment le sentiment de nombre d’entre eux, qui sont
quotidiennement en contact avec les détenus, « qui [font] marcher la détention comme des
ouvriers font tourner des machines »143 alors qu’ils ne rencontrent que très rarement les
magistrats dans l’enceinte des établissements. Ils pensent que ces derniers les mésestiment
comme pourraient le faire des dirigeants d’entreprises envers leurs ouvriers. C’est pourquoi ils
tiennent les relations entre le monde judiciaire et le monde pénitentiaire pour « très
difficiles », voire impossibles, à cause de la superbe des magistrats et de leur ignorance des
problèmes pratiques qui se posent en milieu fermé. Une exception est toutefois souvent citée.
142Témoignage de Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille.
143Témoignage d’un surveillant, TARTAKOWSKY (P.), op. cit., p. 47.
53
La venue fréquente du juge de l’application des peines en détention rend des « liens » avec lui
indispensables. Les préjugés qu’ils prêtent aux magistrats sont aussi nombreux que les leurs,
alors que l’entente est bonne et que la fréquence des rapports permet une meilleure
compréhension mutuelle. Cette entente est également rendue possible grâce à une
convergence des conceptions théoriques de l’emprisonnement.
§ 2. Une entente sur les principes de l’enfermement
Le discours des magistrats sur les fonctions de la prison, sur l’emprisonnement à perpétuité et
l’incarcération des mineurs est sensiblement identique à celui des personnes travaillant en
permanence ou fréquemment dans les établissements pénitentiaires.
Il serait intéressant d’établir une liste de tous les problèmes théoriques que pose
l’emprisonnement et de comparer les réponses du monde judiciaire et du monde pénitentiaire
afin de compléter cette recherche. Ce travail d’ampleur qui nécessiterait des développements
beaucoup plus importants dans le cadre d’un autre travail, ne sera pas traité ici.
En premier lieu, ils s’accordent quant aux buts de la prison.
En majorité, les missions de garde, d’élimination et de réinsertion du délinquant sont citées, et
ce sans grande originalité car ce sont les objectifs qui sont communément fixés.
Leurs sentiments personnels semblent toutefois diverger sur un point. La réinsertion relève
d’une utopie pour bon nombre d’agents de l’administration pénitentiaire. Ce sont les
travailleurs sociaux qui en parlent le mieux :
« La première fonction est de punir, de permettre à quelqu’un de se réhabiliter. [...].
Officiellement, il y a une mission de garde et d’insertion. La mission de garde est claire. La
mission d’insertion est moins claire. Je crois qu’il ne faut pas demander à l’insertion plus
qu’elle ne peut faire. Si le passage par la prison impliquait que les gens, en sortant, réglaient
leurs problèmes, on ferait passer tout le monde en prison et il n’y aurait plus de cas sociaux. »
54
« La fonction de la prison n’est pas la réinsertion pour la grande majorité. Officieusement, la
fonction de la prison est de neutraliser les gens, les mettre à l’écart de la société pendant un
temps. Les gens sont rassurés parce qu’ils sont derrière les murs, on ne voit pas ce qui se
passe. La neutralisation, la garde, c’est la fonction de la prison. »
Les surveillants mentionnent par ailleurs l’incompatibilité des fonctions de garde et de
réinsertion. C’est pourquoi lors de la consultation en vue de l’élaboration de la loi
pénitentiaire144, une grande proportion d’agents avait indiqué souhaiter une division des
surveillants, entre ceux qui n’exerceraient que la garde et ceux qui s’occuperaient de la
réinsertion des détenus145.
En revanche, les magistrats veulent croire à l’amendement du délinquant et à son retour dans
la société après l’incarcération, à l’instar de cette auditrice de justice :
« J’aimerais que la prison amende les gens, qu’ils ressortent meilleurs. Ca arrive. Sinon, c’est
une punition et on met les gens hors d’état de nuire pendant un certain temps. Si on n’avait
que ça comme préoccupation, à la sortie, ils seraient pires. Et comme perpétuité, c’est
impossible sinon on a des bêtes fauves...Il faut tendre à améliorer les gens. Pour certains, il y
a un effet électrochoc. »
Les magistrats espèrent en la mission de réinsertion assignée à la prison car cela les « libèrent
[...] du vilain métier de châtier. Il y a dans la justice moderne et chez ceux qui la distribuent
une honte à punir, qui n’exclut pas toujours le zèle ; elle croît sans cesse »146.
Les membres du corps judiciaire se veulent moins désabusés mais un peu plus loin dans le
questionnaire, ils indiquent, comme les agents de l’administration pénitentiaire, que cette
mission s’avère de plus en plus ardue à cause de l’augmentation de détenus déjà non insérés
lors de leur condamnation et du manque de moyens.
Les magistrats, même s’ils tiennent un discours plus optimiste, sont conscients des difficultés
que pose la réinsertion, et partagent ainsi la même conception que celle de l’administration
pénitentiaire sur les finalités de la prison : garde, élimination et le cas échéant, réinsertion.
En second lieu, les réponses apportées à deux problèmes sensibles, l’incarcération des
mineurs et l’emprisonnement à perpétuité, se ressemblent fortement.
144Voir supra, pp. 41 - 42.
145HERZOG-EVANS (M.), op. cit., p. 82.
146FOUCAULT (M.), op. cit., pp. 15 - 16.
55
Quant au premier point, les magistrats et les membres de l’administration pénitentiaire
interrogés affirment qu’au regard des faits commis par les mineurs et de la violence qu’ils sont
capables d’afficher, la peine d’emprisonnement est nécessaire. Comme le déclare sincèrement
une auditrice de justice :
« C’est vrai que lorsqu’on est face à des mineurs de 15 ans qui volent une voiture pour ensuite
braquer des supermarchés, malgré tous les beaux principes de l’ordonnance de 1945, on se dit
qu’il y a quand même une société à protéger. »
Les mineurs auraient besoin de repères et de limites, l’emprisonnement jouant ainsi le rôle de
dernier recours puisqu’aux yeux de tous, l’incarcération des mineurs devrait être considérée
comme la peine ultime. Pour le directeur adjoint d’une maison d’arrêt :
« C’est toujours facile de juger et de dire que ce n’est pas la bonne solution. En attendant, il ne
faut pas perdre de vue la mission de sécurité publique. Les mineurs qui sont incarcérés, il faut
quand même un garde-fou. Il faut qu’ils aient commis des faits relativement graves. Donc, vu
la violence qu’ils sont capables d’afficher, il faut parer à l’essentiel. »
Ils reconnaissent toutefois que l’enfermement n’est pas en théorie la meilleure solution
puisque, selon un juge d’instruction, il « amélior[e] le carnet d’adresses personnelles par de
nouvelles relations de cellule, [et] durci[t] le mineur au contact du régime carcéral »147. La
prison constituerait ainsi un pis-aller tant qu’une alternative à l’emprisonnement qui allie tous
ses avantages sans y adjoindre ses inconvénients n’est pas découverte.
Quant à l’emprisonnement à perpétuité, il est, pour la majorité, « utile dans certains cas »,
pour les « crimes les plus horribles », l’exemple invariablement cité étant le cas de Patrick
Henry.
Certains magistrats, les plus jeunes, ont toutefois dit « ne pas concevoir une telle peine ». Rien
de tel ne ressort des propos des agents de l’administration pénitentiaire ou de ceux des
magistrats expérimentés. Confrontés soit quotidiennement, soit depuis de plus longues années
à la monstruosité des crimes, ces derniers se montrent certainement plus pragmatiques.
Tous mettent en avant les problèmes qui en découlent : la délicate perspective d’un
enfermement de longue durée, l’impossibilité de sauvegarder pleinement des liens familiaux,
partant, les difficultés de gestion de ces personnes, et les problèmes de réinsertion puisque
l’emprisonnement à perpétuité est de fait supprimé par des aménagements de peines.
147SAMET (C.), Les aveux d’un juge d’instruction, Paris : Flammarion, 2001, p. 100.
56
L’administration pénitentiaire tire en outre parti de cette question épineuse pour se révéler
majoritairement favorable à la peine de mort, à l’instar de ces deux surveillants, qui ont écrit :
« Jamais elle [la peine de mort] n’aurait dû être abolie, car maintenant, plus rien ne peut les
dissuader ; qu’ils tuent une ou une cinquantaine de personnes, le tarif est le même :
condamnation à perpétuité »148
« Une balle coûte 0,50 € »149
Par contre, le monde judiciaire n’aborde pas cette question, si ce n’est pour justifier
l’emprisonnement à perpétuité par l’abolition de la peine capitale :
« Je pense qu’on ne peut pas l’[l’emprisonnement à perpétuité] écarter à partir du moment où
il n’y pas plus de peine de mort, il faut bien réserver une peine extrêmement sévère pour les
crimes les plus horribles, et notamment pour les multirécidivistes criminels. Il faut bien
trouver une solution et je ne pense pas qu’on puisse la barrer. »150
Le magistrat est donc moins virulent dans ses propos que l’administration pénitentiaire, ce qui
peut s’expliquer par le fait que ses fonctions le contraignent à toujours peser ses mots.
Néanmoins, leurs conceptions de la prison sont quasiment identiques.
Ainsi, les opinions et positions du monde de la Justice et des Prisons quant aux fonctions de la
prison, l’emprisonnement à perpétuité et l’incarcération des mineurs, trois sujets délicats, se
rejoignent. Les conceptions théoriques de l’enfermement ne constituent donc pas un obstacle à
une augmentation des relations professionnelles, ce que d’aucuns souhaitent.
SECTION II. UNE VOLONTE D’ACCROITRE LES RELATIONS
PROFESSIONNELLES
148ANTOINE (V.), op. cit., p. 112.
149Témoignage d’un surveillant exerçant dans une maison d’arrêt.
150Témoignage d’un vice-président d’un tribunal de grande instance.
57
Afin de développer leurs relations professionnelles, le monde judiciaire et le monde
pénitentiaire insistent sur la nécessité de mieux se comprendre grâce à des actions de
formation communes (§ 1). Une fois ce postulat posé, leurs priorités ensuite divergent (§ 2).
§ 1. Une fondation solide : des actions de formation communes
Lorsque j’ai demandé à mes interlocuteurs s’ils désiraient une multiplication de leurs relations
professionnelles, et en cas de réponse positive, leurs propositions en vue de satisfaire ce
souhait, beaucoup m’ont fait remarquer la proximité géographique de l’Ecole Nationale de la
Magistrature, à Bordeaux et de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, depuis
juillet 2000, à Agen.
Lors de la formation initiale, il est ainsi suggéré de multiplier les sessions communes entre les
auditeurs de justice et les futurs agents de l’administration pénitentiaire.
Nous avons en effet constaté précédemment que les sessions communes ne sont réservées,
parmi les élèves de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, qu’aux élèves
directeurs, et que ces sessions ne durent pas assez longtemps pour qu’un véritable échange
puisse se créer.
Or, un audit de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire a, en 1997151, souligné les
carences dues à la juxtaposition de cinq enseignements distincts et a proposé de décloisonner
les formations en vue d’une meilleure collaboration future. Si on poursuit jusqu’au bout ce
raisonnement et qu’on le met au service de la coopération nécessaire entre magistrats et agents
de l’administration pénitentiaire, on rejoint la suggestion des personnes interrogées.
Le suivi d’un même enseignement théorique permet de se connaître, d’apprendre les logiques
qui sous-tendent l’action des uns et des autres, et pose les bases d’une coopération future.
Cette idée de formation conjointe n’est pas récente puisqu’en 1974, le Garde des Sceaux, Jean
Taittinger, déclarait déjà :
151Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, I, B, 3,
b) (www.senat.fr).
58
« Il me semble, en effet, indispensable que les juges, les chefs d’établissements, les éducateurs
et tous les autres spécialistes se préparent tout au long de leur formation à travailler avec leurs
futurs interlocuteurs, j’allais dire : partenaires. »152
Une difficulté a cependant été exposée.
Les directeurs d’établissements pénitentiaires ainsi que bien souvent les conseillers d’insertion
et de probation ont le même parcours juridique que les auditeurs de justice, et ce,
contrairement aux surveillants, qui, le plus souvent, n’ont guère de connaissance en droit lors
de leur entrée à l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire. Il parait très difficile
d’envisager des sessions communes dans les matières juridiques. Mes interlocuteurs ont donc
de facto exclu les surveillants de ces enseignements communs.
Cependant, étant donné la diversité des matières enseignées tant à l’Ecole Nationale de
l’Administration Pénitentiaire qu’à l’Ecole Nationale de la Magistrature, il est tout à fait
envisageable de regrouper les auditeurs de justice et les élèves surveillants aux fins d’étudier
par exemple le positionnement professionnel du surveillant face à la population pénale, les
psychopathologies, ou bien encore les actions d’insertion.
De plus, les élèves surveillants sont tenus d’effectuer des stages en établissements
pénitentiaires, durant lesquels une formation théorique leur est également dispensée. Une
rencontre avec des magistrats peut alors être envisagée, comme le suggère un gradé formateur,
qui m’a fait part de son souhait de voir un juge de l’application des peines expliquer sa
fonction aux futurs surveillants. J’ai alors contacté la vice-présidente chargée de l’application
des peines pour lui faire part en vain de cette carence.
Une autre proposition consiste à organiser la venue de tous les élèves de l’Ecole Nationale de
l’Administration Pénitentiaire dans les juridictions lors de stages, afin qu’ils maîtrisent le
« fonctionnement de chaque entité du ministère de la Justice »153, et plus particulièrement pour
qu’ils connaissent le quotidien d’un juge occupant des fonctions pénales et d’un juge de
152« Conseil supérieur de l’Administration Pénitentiaire, réunion annuelle du jeudi 7 mars 1974 », Revue
pénitentiaire et de droit pénal, juillet-septembre 1974, p. 392.
153Témoignage d’un surveillant exerçant dans une maison d’arrêt.
59
l’application des peines, à l’instar des auditeurs de justice, qui sont tenus d’effectuer un stage
dans un établissement pénitentiaire. Un futur magistrat a ainsi affirmé : « Je pense que c’est
important que nous, nous soyons en stage, mais eux aussi ». C’est également l’opinion d’une
étudiante préparant le concours d’entrée à l’Ecole Nationale de l’Administration
Pénitentiaire : « Les membres de l’administration pénitentiaire devraient peut-être faire un
stage auprès de magistrats pour comprendre réellement leur rôle et leur travail. »
Un accent pourrait enfin être mis lors de la formation continue. On organiserait des
conférences durant lesquelles chacun expliquerait sa fonction et la logique de son action. Elles
permettraient aussi aux magistrats de commenter les évolutions législatives et leurs
applications concrètes. Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande
Instance de Lille déclare ainsi :
« La prison est un milieu qui évolue beaucoup. Donc moi je pense qu’on devrait avoir des
formations obligatoires d’un ou de deux jours, même régionales, tous les ans, avec les
directeurs de l’administration pénitentiaire régionaux, les directeurs d’établissements, les
associations, pour revoir ensemble les conditions de détention, les évolutions des règlements,
c’est ça qui manque ».
Pourtant, le Garde des Sceaux154, en 1998, ainsi que le Sénat155, en 1999, avaient déjà relevé
ces besoins. L’Ecole Nationale de la Magistrature, en collaboration avec l’Ecole Nationale de
l’Administration Pénitentiaire semblaient y avoir répondu, mais certainement insuffisamment
aux yeux des intéressés.
154Madame Guigou, garde des Sceaux, dans un discours du 22 juin 1998 : « J’attends de (...) l’Ecole Nationale de
la Magistrature (...) et de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (...) qu’elles renforcent et
développent leurs relations par des actions communes en matière de formation continue » (www.enm.fr).
155« Dans le cadre de la formation continue, l’Ecole Nationale de la Magistrature entretient des rapports de
coopération avec les écoles du service public. Toutefois, jusqu’à cette année, cette coopération n’existait pas en
matière de formation initiale. Or (...) il est indispensable de multiplier les liens entre l’Ecole Nationale de la
Magistrature et l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, afin de développer une culture minimale
commune » (rapport général fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation sur la projet de loi de finances pour 2000, par Monsieur MARINI, sénateur,
(www.senat.fr).
60
Ces propositions qui ont comme objet de « mieux se connaître [...] afin de se faire
confiance »156 paraissent réalisables si les deux écoles ont la volonté d’oeuvrer dans ce sens.
Justice et Prisons souhaiteraient accroître sur ces fondements les relations professionnelles
mais leurs priorités divergent.
§ 2. Des priorités divergentes
Alors que le corps judiciaire aimerait multiplier les occasions de connaître les lieux
d’enfermement de délinquants (A), le monde pénitentiaire s’intéresse davantage à un
développement de ses contacts avec les magistrats, avec les hommes (B).
A/ Le monde judiciaire et les lieux de détention
Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille, dont les
propos reflètent non seulement l’intérêt qu’il porte aux locaux d’incarcération mais aussi au
personnel pénitentiaire constitue une exception. Après avoir assumé des responsabilités au
sein de la direction de l’administration pénitentiaire, et ainsi avoir vu au plus près le
fonctionnement des établissements pénitentiaires, il est probable que les conditions de
détention le préoccupent et que le travail du personnel pénitentiaire suscite son intérêt et sa
réflexion.
L’importance que revêtent les lieux de détention pour les magistrats n’est pas récente
puisqu’ils participèrent par exemple au Groupement d’Information sur les Prisons (GIP), créé
en 1971 pour collecter des informations sur le monde carcéral et permettre aux détenus de
156Témoignage d’une assistante de service social.
61
s’exprimer, sans que leur nombre exact soit connu à cause du caractère officieux de ce
groupement157.
Les raisons invoquées par la majorité des magistrats pour développer leurs rapports avec la
prison sont multiples.
Connaître la réalité de l’endroit où ils enverront les délinquants purger une peine est
primordial disent deux auditeurs de justice et un juge de l’application des peines, « savoir où
on met les gens », « matérialiser le prononcé de la peine » ; l’un des deux auditeurs ajoutant
qu’il souhaite notamment comprendre les difficultés que rencontrent les personnes détenues.
Cette motivation est également avancée par le sous-directeur des stages à l’Ecole Nationale de
la Magistrature, lorsqu’il écrit :
« On interroge chaque année les auditeurs sur la pertinence de ce stage. [...]. Ils estiment
presque tous que ce stage est impératif pour un futur magistrat qui doit avoir une idée de ce
qui se passe dans les établissements où il est susceptible d’envoyer des gens dans l’exercice de
ses fonctions ».
157PAOLUCCI (G.), Les mutineries de 1971 à 1974 dans les prisons françaises, rapport de recherche, séminaire
forces de l’ordre et enfermement, DEA Droit et Justice, Université de Lille II, 2003, p. 7.
62
Pour un vice-président d’un tribunal de grande instance, il serait utile de proposer aux jurés de
visiter un établissement pénitentiaire, afin qu’ils sachent que la différence entre une peine de
dix ans de réclusion et une peine de quinze années « n’est pas négligeable ». A fortiori, de
telles visites et donc une connaissance pratique de la prison sont nécessaires aux juges
professionnels pour des raisons similaires, afin de permettre une meilleure individualisation
de la peine.
Une vice-présidente chargée de l’application des peines témoigne que pénétrer dans une
prison lui a permis de se « sentir concernée » par la personne condamnée, ne pas la voir
comme un individu abstrait mais comme une personne ; comprendre que chacun est
susceptible de comparaître un jour devant un juge, ne serait-ce que le juge aux affaires
familiales. Les tribunaux ne sont pas destinés à des gens autres que les “normaux” dont les
magistrats seraient les protecteurs.
D’ores et déjà, le monde judiciaire met tout en oeuvre pour connaître la prison, dont il a
aujourd’hui une image assez pessimiste. C’est une « ville dans la ville », un « Etat dans
l’Etat », une « mini société » dans laquelle « les rapports sociaux sont différents de ceux
auxquels on est habitué ».
Au contraire, Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de
Lille réfute cette conception :
« [...] c’est une administration qui est légitimiste. Donc moi j’y ai vu une administration
moderne, au contraire de ce que j’entends beaucoup, de ce qui est écrit dans les rapports
parlementaires, je conteste la vision d’une administration repliée sur elle-même, insensible à
tout mouvement. C’est faux. Elle est capable de se transformer, encore faut-il qu’il y ait une
volonté politique claire derrière. Elle est légitimiste, c’est-à-dire contrairement à ce qu’on peut
penser, ce n’est pas un Etat dans l’Etat, l’administration pénitentiaire, ce sont des gens très
imprégnés de la notion de service public parce qu’ils exercent la violence légitime, donc il
faut qu’ils aient ces valeurs-là, sinon ce n’est pas supportable d’exercer une telle violence. »
Une meilleure connaissance de la prison permet de passer outre l’apparence archaïque et de
non droit qu’elle renvoie.
63
Beaucoup collectent des informations relatives à l’univers carcéral avant même de devenir
magistrats puisqu’en majorité, ils attestent ne pas avoir été choqués par ce qu’ils ont vu en
prison lors du stage de formation initiale :
« Je m’attendais à voir ce que j’ai vu. »158
« La détention ne m’a pas surpris. Les conditions de détention non plus parce que je m’étais
un peu intéressé à ça, j’avais lu certaines choses et j’avais regardé certains reportages. Donc
cela n’a pas été une surprise. »159
Les sources sont assez variées.
Outre les reportages, les articles de la presse écrite et les ouvrages consacrés à l’univers
carcéral, il faut de nouveau signaler qu’un auditeur a occupé des fonctions d’enseignant
pendant deux années en maison d’arrêt dans le cadre de la mission que s’est fixé le GENEPI,
Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées.
Aux dires des magistrats et des futurs magistrats, ces connaissances principalement théoriques
sur la prison ne sont pas suffisantes. C’est pourquoi le stage en prison qu’ils sont tenus
d’effectuer lorsqu’ils sont auditeurs de justice est très utile. D’ailleurs, les magistrats
interrogés ont tous choisi d’endosser l’uniforme de surveillant, pour « mieux appréhender les
problèmes de détention »160.
Ils formulent en outre des propositions pour connaître au mieux la prison.
Trois magistrats auraient souhaité avoir une connaissance pratique approfondie. Le stage des
auditeurs de justice ne s’effectue que dans l’établissement pénitentiaire choisi par les
stagiaires. Or, les magistrats en fonction qui ont eu l’occasion de pénétrer dans divers types
d’établissements pénitentiaires constatent des différences significatives. Par exemple, un
substitut du procureur de la République assimile le centre de détention dans lequel il a
effectué son stage au « club Med », ce qui n’est pas du tout le cas de maisons d’arrêt. Ils
proposent alors de raccourcir la durée du stage dans un seul établissement pénitentiaire mais
de recommencer cette expérience dans chaque type de prison : maison d’arrêt, centre de semiliberté,
centre de détention, maison centrale.
Ensuite, lors de leur vie professionnelle, des visites en prison sont, aux yeux de la majorité des
magistrats, fondamentales. Certes, ces visites ont été créées dans le but de contrôler le
fonctionnement des établissements pénitentiaires, mais les magistrats y voient un moyen
158Témoignage d’un substitut du procureur de la République à la section économique et financière.
159Témoignage d’un vice-président d’un tribunal de grande instance.
160Ibidem.
64
d’actualiser leurs connaissances sur les prisons. C’est pourquoi tous estiment que la mesure
imposant notamment au procureur de la République de visiter les établissements pénitentiaires
au moins une fois par trimestre est nécessaire. Ceux qui ne le font pas le déplorent. Aucune
proposition concrète n’est cependant nettement formulée, mais le monde judiciaire désire
implicitement une augmentation des effectifs afin de pouvoir disposer de temps pour
multiplier ses rapports avec la prison. Malheureusement, il semble difficile actuellement de
satisfaire cette demande.
Par ailleurs, à la question de savoir si les conditions de détention entrent ou devraient entrer
en ligne de compte dans leur décision d’emprisonner ou non un délinquant, la réponse est
majoritairement négative, à l’exception d’un jeune membre du parquet, qui a reconnu que ses
collègues n’y prêtent guère attention :
« Dans des grosses boîtes comme à Lille, on ne l’a pas à l’esprit à chaque instant, on oublie
vite. Mais dans mes réquisitions, je tiens compte de ce que représente une peine
d’emprisonnement. C’est un des critères, je ne le perds jamais de vue. »
D’aucuns éludent même ces considérations :
« Ce n’est pas le problème du juge. »161
« Ceci étant, c’est le travail du parquet, ensuite, c’est le travail du juge de l’application des
peines. »162
« Ce serait prendre sur nous les difficultés de l’administration pénitentiaire, qui doit recevoir
les gens même si les conditions ne sont pas bonnes. »163
La connaissance que les magistrats acquièrent sur l’univers carcéral n’a pas comme but de les
rendre plus indulgents. De mauvaises conditions de détention ou une surpopulation ne devant
pas empêcher les magistrats du parquet de requérir une peine d’emprisonnement et les juges
de la prononcer, s’il échet.
Au contraire, Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de
Lille a été fortement marqué lors des visites qu’il a pu faire dans les établissements
pénitentiaires par les conditions de détention et son discours a radicalement changé :
161Ibidem.
162Ibidem.
163Témoignage d’un juge de l’application des peines.
65
« [...] je n’ai plus le même oeil qu’avant sur la prison. Mon discours, c’est : usez de la prison
avec modération. C’est quand même un instrument de violence très forte, et qui doit être
utilisé pour des gens dangereux, des vrais délinquants. On doit trouver des solutions pour les
autres délinquants. Pour l’instant, c’est quand même pas ce que majoritairement nous faisons.
Pour des tas de raisons, la plupart du temps très louables, mais on n’y arrive pas. »
L’éventualité d’un numerus clausus revient assez régulièrement dans les débats164, afin de
lutter contre le surpeuplement carcéral, mais aussi pour sensibiliser les juges aux conditions
de détention et les inciter à ne recourir à des peines d’emprisonnement que pour les infractions
les plus graves.
Or, à la lumière des témoignages recueillis, il semble que ce raisonnement soit erroné. Seules
des visites fréquentes dans les établissements pénitentiaires voire des stages auront sûrement
une telle incidence sur le comportement des magistrats face à l’incarcération, à l’instar du
changement opéré chez Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande
Instance de Lille. Des connaissances théoriques s’avèrent insuffisantes.
De plus, la création du juge des libertés et de la détention a été appréciée négativement, à
l’exception d’une auditrice de justice qui a dit, rejoignant par-là même l’avis d’un grand
nombre d’agents de l’administration pénitentiaire :
« Il a été beaucoup décrié, mais je pense qu’un regard différent de celui du juge d’instruction
pour prendre une mesure grave, cela ne me paraît pas être une mauvaise chose. Alors,
évidemment, tous les systèmes ont leurs inconvénients. Il faudrait moins de dossiers...Je
pense qu’un degré de plus pour décider de la détention, ce n’est pas inutile. »
Les magistrats se sentent tout à fait capables de décider d’un emprisonnement seuls, sans
qu’un autre juge intervienne car ils affirment que cela revient « à faire sortir du tribunal tout le
monde plus tard pour en arriver à la même décision que le juge d’instruction aurait prise trois
heures avant »165. Mais les personnes extérieures au monde judiciaire, ou qui n’ont fait que
164PONCELA (P.), op. cit., p. 289.
165Témoignage d’un juge de l’application des peines.
66
l’aborder comme l’auditrice de justice, n’ont pas vu la chose sous cet angle. Pour eux, le juge
des libertés et de la détention constitue une double garantie contre un emprisonnement
injustifié.
Ainsi, les magistrats affirment d’un côté vouloir mieux connaître la prison, mais d’un autre
côté, cela n’a actuellement pas d’incidence sur leur conception de leur travail, et ceci très
certainement à cause d’un manque de moyens. L’exemple de la création du juge des libertés et
de la détention illustre à merveille ce propos. Les magistrats ne conçoivent pas cette nouvelle
fonction comme une amélioration pour les libertés individuelles mais comme une perte de
temps. Ils ont une réaction épidermique et une vision réductrice de cette nouveauté.
Si la priorité judiciaire est une meilleure connaissance des conditions de détention, les agents
de l’administration pénitentiaire, souhaitent, quant à eux, un développement de la
collaboration avec les magistrats.
B/ Le monde pénitentiaire : l’homme au coeur des relations professionnelles
Les membres de l’administration pénitentiaire suggèrent d’une part aux magistrats des visites
systématiques des prisons lors des prises de fonction dans la mesure où « chaque
établissement a sa façon de travailler »166. Ils veulent faire comprendre leurs difficultés. Ce
serait un premier pas vers une meilleure coopération dans laquelle ils font prévaloir les
relations humaines.
166Témoignage d’un gradé formateur.
67
Nombre de leurs revendications concernent d’autre part l’aménagement de peines, et donc une
collaboration avec le juge de l’application des peines. Pratiquement tous les agents de
l’administration pénitentiaire qui ne prennent pas part à ce processus d’aménagement
aimeraient y participer. Un gradé formateur affirme qu’être associé à la décision du juge de
l’application des peines serait « un bon moyen de créer un contact entre [les] deux mondes.
Or, il y a de plus en plus de clivages. »
Des surveillants souhaiteraient assister aux audiences ou aux commissions. Leur présence est
en principe obligatoire dans les commissions de l’application des peines, mais comme nous
l’avons précédemment fait remarquer, cette disposition n’est que très rarement respectée en
pratique.
D’autres proposent d’organiser des rencontres plus informelles entre personnel de surveillance
et magistrats afin de discuter de l’avenir des détenus et des mesures d’aménagement pouvant
lui être accordées. Un surveillant a donné un exemple : lorsqu’un détenu a manqué à une
obligation imposée par le règlement intérieur, le surveillant doit faire un rapport. Si l’individu
est condamné lors de l’audience disciplinaire, il ne pourra bénéficier d’une réduction de peine.
Or, l’attitude générale en détention pourrait justifier une autre issue, il faudrait pour cela que
le surveillant puisse en discuter avec le juge de l’application des peines.
Puisqu’ils côtoient quotidiennement les condamnés, les surveillants, qui sont les « généralistes
de la détention » selon la formule de Monsieur Casadamont167, sont bien placés pour donner
un avis concernant les mesures dont pourraient bénéficier les détenus. « Ils ont tous les droits,
ils prennent toutes les décisions, pourtant c’est nous qui avons le contact avec les détenus »,
s’insurge un surveillant168.
Il faut encore une fois relativiser notre propos. En effet, les témoignages recueillis proviennent
d’agents de l’administration pénitentiaire exerçant tous leurs fonctions dans une maison
d’arrêt. Or, la population carcérale est composée soit de prévenus, soit de détenus ayant été
condamnés à une peine d’une durée inférieure ou égale à un an d’emprisonnement ou dont le
reliquat est inférieur à un an. La caractéristique des maisons d’arrêt est le traitement de
l’urgence. Dans les établissements pénitentiaires où les détenus purgent une plus longue peine
d’emprisonnement, une action de réinsertion efficace peut être menée en laissant place aussi à
des initiatives locales. Par exemple, au centre de détention de Loos, chaque audience est
précédée d’une réunion où les différents membres de l’administration pénitentiaire sont
167La détention et ses surveillants, Représentation et champ carcéral, thèse de sociologie, EHESS, Paris, 1984, p.
75.
168CHAUVENET (A.), ORLIC (F.), BENGUIGUI (G.), op. cit., p. 51.
68
représentés : les travailleurs sociaux, les surveillants, les éducateurs, les psychologues, le
personnel de direction. Un avis commun est alors établi, sur lequel se prononcera le juge de
l’application des peines lors de l’audience. C’est pourquoi il aurait été très enrichissant de
comparer les réponses des surveillants de maisons d’arrêt et ceux de centres de détention à
propos de leur éventuelle influence sur l’aménagement des peines.
En fait, le personnel de surveillance aspire à être consulté et non à prendre les décisions :
« chacun son monde », « chacun son rôle ». Un pouvoir décisionnel pourrait perturber la
gestion des détenus en cas de rejet des demandes.
Or, de la naissance de la prison en tant que peine privative de liberté dans le Code pénal de
1791 à l’institution du juge chargé de surveiller l’exécution des longues peines
d’emprisonnement en 1952169, le monde pénitentiaire statuait sur la manière dont la peine
serait exécutée. Michel Foucault donne ainsi l’exemple du projet de libération conditionnelle
de Bonneville de Marsangy en 1846, libération conditionnelle accordée par l’administration
pénitentiaire après avis de l’autorité judiciaire, et il l’explique par le fait que « des
surveillants, un directeur d’établissement, un aumônier ou un instituteur sont mieux capables
d’exercer cette fonction corrective que les détenteurs du pouvoir pénal »170.
Nous voyons donc qu’actuellement l’administration pénitentiaire ne remet pas en cause le
pouvoir décisionnel de la magistrature, mais que le personnel de surveillance aimerait y être
associé effectivement.
Encore une fois, faute de moyens humains, cette demande risque de ne pas aboutir, d’autant
plus que le monde judiciaire s’accommode très bien du système actuel.
Aux dires des juges de l’application des peines interrogés et d’une auditrice de justice, la
collaboration avec les membres de l’administration pénitentiaire concernant l’aménagement
des peines est fondamentale car elle permet de prendre des décisions plus fines. Ils estiment
que l’information sur la façon dont se comporte le détenu est suffisamment bien relatée par les
avis ou par les rapports fournis lors des audiences. Un juge de l’application des peines a
illustré son propos en disant :
« Jusque l’année dernière, le représentant de l’administration pénitentiaire était présent lors
des débats contradictoires, mais sa présence physique avait peu d’intérêt car il n’avait pas
grand-chose à dire de plus que ce qu’il avait écrit dans son rapport. »
169Décret n°52-355 du 1er avril 1952.
170FOUCAULT (M.), op. cit., pp. 249 - 250.
69
Un juge d’instance, qui avait auparavant davantage de contacts avec les agents de
l’administration pénitentiaire du fait de ses fonctions de juge d’instruction, résume ainsi la
pensée de ses collègues :
« Je ne suis pas sûr qu’il existe, à l’heure actuelle, de véritables besoins en la matière ».
Ainsi, le monde judiciaire et le monde pénitentiaire veulent développer leurs relations
professionnelles mais ils ne parlent pas de la même chose. Le premier met l’accent sur les
rapports avec la prison en tant que lieu de détention, avec l’institution, alors que le second
insiste sur la nécessité de nouer des liens avec les hommes.
70
71
Conclusion :
Le monde judiciaire et le monde pénitentiaire, aujourd’hui, cohabitent au sein du ministère de
la Justice beaucoup plus qu’ils ne coopèrent.
Des nuances doivent cependant être apportées à ce constat global.
Alors que des juges prononçant des peines d’emprisonnement ou décidant de la détention
provisoire n’ont jamais franchi le mur d’enceinte de l’établissement pénitentiaire de leur
ressort depuis leur prise de fonction, certains magistrats, plus particulièrement le juge de
l’application des peines et le substitut du procureur de la République chargé de l’exécution
des peines, pénètrent fréquemment dans les prisons et entretiennent des relations
professionnelles suivies avec le monde pénitentiaire, du surveillant au personnel de direction.
Ces contacts, qui selon les dires de représentants de chaque monde sont satisfaisants,
permettent une meilleure compréhension de l’interlocuteur, voire du partenaire.
Chacun s’accorde en outre à dire que ces relations professionnelles devraient se renforcer.
Ce mouvement de rapprochement « s’accentuera encore, si l’on joint à l’enseignement du
droit pénal, ce qui en est le complément obligé, l’enseignement de la science pénitentiaire ».
Cette opinion était exprimée par Joseph Magnol171, dans sa thèse soutenue en 1900 sur les
rapports entre l’administration pénitentiaire et l’autorité judiciaire. Déjà à cette époque, il
préconisait l’enseignement dans les universités de la science pénitentiaire. Cette idée n’a que
très rarement été mise en application. Or, l’apprentissage de la science pénitentiaire est le
socle sur lequel les relations entre magistrats et agents de l’administration pénitentiaire
pourraient venir s’appuyer, c’est la réforme essentielle sans laquelle les propositions émises
pour rapprocher ces deux entités du ministère de la Justice n’auront guère d’effet.
Ce pourrait être aussi en en parlant plus et mieux lors des formations spécialisées.
171Op. cit., p. 121.
72
Acquérir une connaissance théorique sur le fonctionnement des établissements pénitentiaires
est aussi important pour les membres de l’administration pénitentiaire que pour les magistrats.
Nous pourrions donc envisager dans le programme du concours d’entrée à l’Ecole Nationale
de la Magistrature une épreuve écrite portant sur la science pénitentiaire ou une épreuve orale
permettant aux examinateurs de déterminer l’aptitude du candidat à entretenir des relations
professionnelles avec des membres d’un autre corps que le sien, à savoir le corps
pénitentiaire, ainsi qu’à décider en association avec ces derniers de l’avenir d’un condamné.
Un même magistrat pourrait rassembler en sa personne les fonctions de juge d’un tribunal
correctionnel et de juge de l’application des peines. Il connaîtrait l’effet que produit
l’enfermement ainsi que les conditions d’incarcération dans les établissements de son ressort
et pourrait décider en toute connaissance de cause, assurer le suivi de la peine et travailler à la
réinsertion avec le personnel pénitentiaire.
Une telle réforme, il faut l’avouer, serait très difficile à réaliser dans la mesure où les effectifs
des magistrats sont actuellement restreints, ce qui implique une nécessaire spécialisation de
ces derniers afin d’accélérer les procédures. Un juge qui devrait à la fois conduire des
audiences correctionnelles au sein d’un tribunal de grande instance, des commissions de
l’application des peines et des audiences d’aménagement de peines dans des établissements
pénitentiaires perdrait beaucoup de temps dans ses déplacements.
Une solution consisterait peut-être à instituer, comme le suggérait la proposition de loi sur la
peine et le service public pénitentiaire172, une « commission d’exécution des peines » qui
réunirait « des magistrats du siège et du parquet participant au prononcé, à l’exécution et à
l’application des peines ainsi que des représentants de l’administration pénitentiaire » et qui
permettrait à ses membres « d’échanger sur les conditions de mise en oeuvre des peines
prononcées et sur les moyens d’accélérer leur exécution »173. L’objectif de connaissance par le
juge pénal de la façon dont la peine prononcée est exécutée serait rempli, tout en laissant le
soin à un magistrat spécialisé de suivre les dossiers des personnes détenues.
La dernière proposition que nous voudrions formuler afin de rapprocher le monde judiciaire et
le monde pénitentiaire consisterait dans l’obligation pour les magistrats d’effectuer un stage,
172Voir supra, pp. 41 - 42.
173P. 3 et 11 (www.assembleenationale.fr).
73
ou mieux, d’occuper des fonctions au sein de la direction de l’administration pénitentiaire car
aux dires de Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de
Lille, « tous ceux qui sont passés par cette administration, que ce soit sur le terrain, dans les
prisons, ou que ce soit comme moi, en administration centrale, vous diront qu’ils sont
marqués pour le restant de leur vie. Moi je le suis incontestablement et je n’ai plus le même
oeil qu’avant sur les prisons. »
Il ne faut toutefois pas oublier que ce ne sont pas uniquement des juges professionnels qui
prononcent les plus longues peines d’emprisonnement, mais que cette tâche revient également
à des jurés. Dans le prolongement de cette étude, il serait opportun de s’interroger sur les
conceptions qu’ont les jurés de l’emprisonnement, sur le discours que leur tient le président de
la cour d’assises et sur l’impact des visites en prison rendues obligatoires dans certaines
juridictions comme à la cour d’assises de la Roche-Sur-Yon174.
174PEYROT (M.), « Une expérience de formation judiciaire en Vendée », Le Monde, 24 juin 1991.
74
75
ANNEXES
76
77
Annexe 1 :
Organigramme du ministère de la Justice
78
79
80
81
Annexe 2 :
Questionnaires-type
82
83
Questions destinées à l’ensemble des personnes interrogées :
 ? Quelle formation avez-vous reçue ?
 ? Quel est votre parcours professionnel ?
 ? Quelle image avez-vous de la prison ?
 ? Quelles sont pour vous la ou les fonctions de la prison ?
 ? Pensez-vous que le travail en prison aide à réinsérer le détenu ?
 ? Que pensez-vous de l’emprisonnement des mineurs ?
 ? Que pensez-vous de l’emprisonnement à perpétuité ?
 ? Pensez-vous que la détention provisoire soit opportune ? Pensez-vous qu’un vrai travail de
réinsertion puisse être mené durant cette période d’incertitude ?
 ? Pensez-vous que l’emprisonnement puisse être considéré comme une double peine (liens
familiaux), voire comme une triple peine (conditions de détention) ?
 ? En principe, le Procureur de la République visite une fois par trimestre les établissements
pénitentiaires. Que pensez-vous de cette mesure ?
 ? Que pensez-vous du travail du juge de l’application des peines (JAP) ? Le JAP connaît-il
les détenus ou se fonde-t-il sur le rapport effectué par le personnel pénitentiaire ? Le
personnel pénitentiaire n’intervient pas dans le processus. Qu’en pensez-vous ? Que
pensez-vous de la juridictionnalisation de la grande majorité des décisions du JAP depuis
la loi du 15 juin 2000 ?
 ? Que pensez-vous du fait que le juge d’instruction n’ait plus le pouvoir de prononcer un
placement en détention provisoire ? La création du JLD (juge des libertés et de la
détention) était-elle utile ?
 ? Que pensez-vous des relations entre les juges et l’administration pénitentiaire ?
 ? Avez-vous des propositions pour multiplier les rapports entre personnel pénitentiaire et
magistrats ?
 ? A votre avis, les jurés ont-ils la même image de la prison que celle des magistrats
professionnels ?
 ? Pensez-vous qu’ils soient plus cléments ou plus durs ?
 ? Que pensez-vous de l’initiative de la Cour d’Appel de la Roche-sur-Yon, qui a invité les
jurés à visiter un établissement pénitentiaire lors de leur formation judiciaire ?
84
85
Questions destinées aux membres de l’administration
pénitentiaire :
 ? Avez-vous passé d’autres concours que celui de l’administration pénitentiaire ?
 ? Durant votre formation à l’ENAP, avez-vous eu la possibilité de nouer des liens avec des
magistrats ou avec de futurs magistrats ? Si oui, lesquels ?
 ? Pensez-vous que de tels liens entre l’administration pénitentiaire et la magistrature soient
véritablement utiles ? Pourquoi ?
 ? Votre établissement a-t-il déjà reçu des auditeurs de justice qui accomplissaient un stage
dans le cadre de leur scolarité ? Quelles ont été leurs premières impressions ? Leur vision
de la prison a-t-elle été modifiée ? Quel accueil leur a été fait ? Que pensez-vous de ces
stages ?
 ? A votre avis, quelle perception les juges ont-ils de la prison ? Et de l’administration
pénitentiaire ?
 ? Quelle image avez-vous de la magistrature ?
 ? Quels sont vos rapports, si vous en avez, avec la magistrature ?
 ? Pensez-vous que les magistrats (ou les juges) sont trop enclins à prononcer des peines
d’emprisonnement ? Si oui, pourquoi ?
 ? Selon vous, sur quels critères les magistrats se basent-ils pour prononcer une peine
d’emprisonnement ? Aimeriez-vous avoir votre mot à dire ?
 ? Voudriez-vous être davantage associé à la prise de décision du JAP ?
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Questions destinées aux magistrats :
 ? Avez-vous passé d’autres concours que celui de la magistrature ? Si oui, lesquels ?
 ? Lors de votre apprentissage à l’ENM, on vous a proposé d’effectuer un stage en prison.
L’avez-vous effectué ? Pourquoi ? Dans quel établissement et pourquoi ? Est-ce que c’est
utile ? Est-ce que la durée du stage est suffisante ? Quelle fonction avez-vous exercée ?
Comment cela s’est-il passé concrètement ? Etait-ce votre première entrée dans une
prison ? Qu’avez-vous ressenti ? Votre vision de la prison a-t-elle été modifiée suite à ce
stage ? Quelle image aviez-vous de la prison avant ? Et depuis, quelle image avez-vous de
la prison ?
 ? Hormis ce stage, avez-vous eu d’autres possibilités de nouer des contacts avec
l’administration pénitentiaire durant votre formation ? Pensez-vous que cela soit utile ?
 ? A votre avis, quelle image le personnel pénitentiaire a-t-il des magistrats ?
 ? Que pensez-vous du travail du personnel pénitentiaire ?
 ? Quelle image avez-vous du personnel pénitentiaire ?
 ? Quels sont vos rapports, si vous en avez, avec le personnel pénitentiaire ?
 ? Dans les réquisitions ou les jugements, sur quels critères les magistrats se basent-ils pour
demander une peine d’emprisonnement ? et une peine de substitution ? Est-ce que vous
tenez compte, dans vos réquisitions ou vos jugements, des conditions d’incarcération ?
Est-ce que cela doit constituer un critère ?
Questions destinées aux juges de l’application des peines :
 ? Que pensez-vous des réductions automatiques de peine ?
 ? Trouvez-vous légitime de modifier le quantum et les modalités d’exécution d’une peine
prononcés par une juridiction de jugement ? Les détenus comprennent-ils ?
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 ? Les détenus vous parlent-ils de leurs conditions de vie ? Cela vous incite-t-il à être plus
clément lors du prononcé de vos décisions ?
 ? Est-ce que le nombre de dossiers que vous avez est un obstacle à une véritable
individualisation des modalités d’exécution de la peine ?
 ? Pensez-vous qu’il serait utile que l’administration pénitentiaire participe à la prise de
décision ?
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Annexe 2 :
Questionnaire et entretien les plus représentatifs
du monde pénitentiaire
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92
93
Entretien avec un directeur adjoint d’une maison d’arrêt
Quelle formation avez-vous reçue ?
Maîtrise de droit à Toulouse
Durant votre formation, avez-vous eu la possibilité de nouer des liens avec des magistrats ou
avec des futurs magistrats ?
Ces liens sont pratiquement inexistants. On a eu une session inter-école à l’Ecole Nationale de
la santé publique à Rennes, et là, on a été amené à rencontrer des auditeurs de justice. Et on a
eu une journée d’échanges sur le thème de la réforme de la procédure de l’application des
peines (loi du 15 juin 2000) avec des auditeurs de justice qui devaient être nommés comme
juge de l’application des peines. Et une semaine de session à l’Ecole Nationale de la
Magistrature, mais là, il n’y a pas au vraiment d’échange. De façon symbolique, c’était
organisé par l’Ecole Nationale de la Magistrature. C’était sur les conditions d’incarcération,
avec des témoignages. C’était un débat assez controversé parce qu’il y avait la présence de
personnes médiatiques qui avaient été amenées à faire de la prison, comme Pierre BOTTON.
Je le regrette d’ailleurs. Durant notre formation, on fait des bilans intermédiaires car l’école
voulait que la formation soit interactive, et qu’on fasse des propositions pour l’améliorer. Et à
chaque fois, on faisait remarquer l’absence de liens avec des personnes de notre
environnement professionnel futur.
Quel a été votre parcours dans l’administration pénitentiaire ?
J’ai débuté en tant que directeur adjoint. J’ai fait un an d’école théorique, un an de stage ici,
en pré-affectation. Puis j’ai soutenu un mémoire qui a marqué la fin du processus scolaire. J’ai
été titularisé il y a à peu près un an.
Pouvez-vous présenter votre fonction ?
Elle est assez vaste mais très intéressante. Il y une diversité de missions qui fait tout l’intérêt
de notre fonction, on est amené à toucher au management, à la gestion du personnel, à la
gestion de la population pénale, à la procédure pénale, présider les commissions de discipline,
établir le règlement intérieur, assurer la gestion financière, assurer l’organisation des services
administratifs, actuellement, l’actualité, c’est le management par l’objectif, donc on a des
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formations continues là-dessus, ça fait partie de la modernisation des services publics : on
veut donner plus de sens à notre action en la ciblant bien, comment être un élément
dynamique par rapport aux projets qui nous sont demandés. Il y a aussi l’aspect répressif avec
les cellules et le respect du règlement, mais il y a aussi l’aspect réinsertion : activités
socioculturelles, aménagements de peine, là aussi, on s’y intéresse. Par exemple, de nouveaux
ateliers vont être construit, la bibliothèque vient d’être ouverte, on s’y intéresse...On
s’intéresse à tout ce qui est travaux avec le directeur technique, puisque pour proposer des
activités, il faut des salles, un minimum de confort, et puis ce sont des structures vieillissantes,
il faut qu’elles soient remises à neuf régulièrement. Avec ça, il y a la représentation, la
communication, et puis être toujours à la disposition des événements, une agression, les
rapports...On dit souvent qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer parce que les problèmes à
régler en détention sont réguliers et sont divers.
Avez-vous passé d’autres concours que celui de l’administration pénitentiaire ?
J’ai aussi passé le concours de lieutenant de police, et je l’ai eu. J’étais au départ plus
intéressé par la police. J’ai découvert par la suite ce concours. L’administration pénitentiaire
ne communiquait peut-être pas assez. C’était un concours qui n’était pas trop mis en avant,
dont on ignorait même l’existence. J’ai choisi d’entrer à l’Ecole Nationale de l’Administration
Pénitentiaire car le poste me paraissait plus complet, plus intéressant. La police, c’est
intéressant aussi, mais il n’y a que l’aspect répressif.
Mais je m’étais également inscrit à l’Institut d’Etudes Juridiques et donc au concours de la
magistrature. Par fainéantise,(je connaissais la difficulté du concours), je n’avais pas la
motivation nécessaire pour être au top pour tout ce qui touche à la procédure et à l’ensemble
des matières qu’il fallait réviser. Quand j’ai su que j’avais le concours de directeur, j’ai
abandonné. Même si c’est une fonction qui ne m’aurait pas déplu.
Quels sont les mots qui vous viennent à l’esprit quand je vous dit le mot prison ?
Promiscuité, je ne dirais pas violence parce quand même, les conditions se sont améliorées...
c’est vrai que c’est un environnement particulier, mais par rapport à l’image qui est véhiculée
par la presse,...La population pénale arrive quand même à respecter l’ensemble des règles de
vie en collectivité. On a tendance à imaginer une défiance permanente avec les surveillants.
Tout est amplifié en fait, exacerbé, et les relations humaines sont déterminantes, ce qui donne
du piment à cette fonction.
95
Quelle image aviez-vous de la prison avant d’entrer dans l’administration pénitentiaire ?
Comme tout le monde. La première fois que je suis entré dans une prison, comme tout le
monde, on a une appréhension, une boule au coeur, on s’imagine un prisonnier, quelqu’un de
différent, alors qu’on en croise régulièrement entre les mesures d’aménagement des peines, les
libérations. Ces gens ont vocation à retourner dans la société. On a l’impression de bêtes
sauvages. Alors qu’ici, quotidiennement, on parle avec eux, on les voit, on sait quand ils vont
sortir, hormis 5% de la population pénale, des personnes qui sont totalement réfractaires à tout
autorité, inaccessibles à tout raisonnement, qui souffrent de troubles psychologiques. Ces
personnes-là, d’accord, elles peuvent causer des problèmes de sécurité, des problèmes de
gestion quotidienne. Mais dans les autres cas, c’est comme un collège, un lycée, et j’imagine
que ça doit être encore plus dur pour eux car nous encore, on a des moyens coercitifs plus
importants qu’eux. On a la possibilité de les faire comparaître devant une commission où ils
devront s’expliquer, tandis que les directeurs de collège, quand on voit tous les dossiers qu’ils
doivent monter, ça ne doit pas être évident.
Quelles sont pour vous la ou les fonctions de la peine en général, et de la prison en
particulier ?
Faire réfléchir la personne sur la gravité des actes qui l’ont amenée à être en prison, et puis,
même si c’est un voeu pieu, essayer d’assurer sa réinsertion le mieux possible. Je dirais
réinsertion entre guillemets, car pour beaucoup, c’est assurer leur insertion. S’ils sont en
prison, c’est souvent qu’il y a un échec de leur insertion. Quand on analyse leur situation, il y
a toujours plus ou moins des circonstances atténuantes : carences affectives, drames
familiaux, pauvreté. Ce n’est pas pour autant qu’il faut leur pardonner, mais cela doit nous
conforter dans le fait qu’il faut essayer de travailler avec eux, et avec des gens compétents :
médecins, psychiatres. Ils ont un rôle primordial à jouer.
Pensez-vous que l’emprisonnement puisse être considéré comme une double peine (liens
familiaux), voire comme une triple peine (conditions de détention) ?
Oui. Ce serait injuste de priver un détenu de la possibilité de maintenir des liens familiaux.
C’est pas non plus notre intérêt. Pour lui, c’est fait dans un but d’insertion et de réinsertion et
il a besoin d’un soutien. Nous, ce soutien, on ne peut pas se substituer à la famille. Il faut que
la famille joue un rôle de relais. C’est évident que c’est important. Quand une personne est
condamnée et affectée dans un établissement, les textes précisent qu’il doit être affecté dans
96
un centre de détention proche de sa famille. La règle est quasiment respectée, sauf, toujours
pareil, les problèmes liés à la localisation de la famille ( pas de structure ), et puis par rapport
au comportement de certains détenus qui ne respectent pas les règles et qui sont trop difficiles
à gérer, ils sont transférés dans un établissement qui les éloignera de leur famille.
Donc pour vous, on essaie de respecter les liens familiaux ?
Bien sûr, et c’est la règle première. Je n’imagine pas que l’administration pénitentiaire déroge
à cette règle, car ce ne serait pas son intérêt, ne serait-ce que dans le cadre de la sécurité, du
confort de travail. Une personne qui est privée de la possibilité de voir sa femme et ses enfants
deviendrait folle, et cela deviendrait un affrontement quotidien.
Pensez-vous que le travail en prison aide vraiment à réinsérer les détenus ?
Oui. C’est évident, ne serait-ce que l’obligation de respecter certaines règles de vie, apprendre
à avoir un emploi du temps assez chargé. La plupart, à midi, sont dans leurs cellules en train
de dormir, et quand on leur propose une formation ou un travail, beaucoup ont de la difficulté
à inscrire leur effort dans la durée. Je pense que la réinsertion passe par là. Celui qui n’est pas
capable de se lever, de se laver, de s’habiller, jamais il ne pourra prétendre à une réhabilitation
à l’extérieur. Beaucoup critiquent le travail qui leur est proposé. C’est vrai qu’on ne prétend
pas leur fournir un travail très intéressant, c’est assez répétitif... Mais là, c’est un autre débat,
avec les chômeurs...En tout cas, cela a un intérêt très important. Cela leur apprend à
s’occuper, le sens de l’effort que beaucoup ont perdu. D’ailleurs, c’est en lien avec le fait
qu’ils atterrissent en prison. On est surpris. Malgré la bonne volonté qu’ils affichent au départ,
beaucoup ne donnent pas satisfaction parce qu’ils sont incapables pour X raisons de fournir un
effort sur la durée. Pour avoir discuté régulièrement avec les différents partenaires, les
enseignants, c’est ce qui ressort. Il y a toujours des exceptions. Mais surtout les jeunes, ils
n’ont d’une part aucune référence au travail. Mais je pense que c’est général. Les jeunes
veulent tout sans travailler, c’est hallucinant. Et on a le même problème pour le recrutement
des surveillants et à tous les niveaux. Il leur faut tout tout de suite, les contraintes, ils ne
connaissent plus, il leur faut la paie sans avoir les contreparties, il leur faut être proche de leur
domicile...
Avez-vous un quartier pour mineurs dans votre établissement ?
97
Non.
Que pensez-vous de l’emprisonnement des mineurs ?
C’est toujours facile de juger et de dire que ce n’est pas la bonne solution. En attendant, il ne
faut pas perdre de vue la mission de sécurité publique. Les mineurs qui sont incarcérés, il faut
quand même un garde-fou. Il faut qu’ils aient commis des faits relativement graves. Donc, vu
la violence qu’ils sont capables d’afficher, il faut parer à l’essentiel. Après, c’est sûr, ce n’est
pas une solution. Mais pour avoir vu des quartiers de mineurs, il y a une violence, ils sont très
difficiles. Souvent, ce sont des jeunes qui n’ont rien à perdre, qui sont réfractaires à tout
autorité. Nouer un premier dialogue avec eux, c’est pas évident. Il y a peut-être d’autres
solutions qui ont été envisagées, mais moi, je n’y crois plus trop aux discours. Il faudrait plus
être à leur écoute, mais à un moment il faut dire stop, fixer les règles, et s’inscrire dans un
contrat de confiance. Ils ont besoin d’avoir des étapes, un parcours balisé. Chaque fois, ce
serait donnant-donnant. Mais leur donner une confiance démesurée, je pense que c’est voué à
l’échec. Et on le voit. Parfois, il suffit de hausser le ton une fois.
Que pensez-vous de l’emprisonnement à perpétuité ?
Ca paraît être une aberration. On a changé la peine de mort en un emprisonnement à
perpétuité. Si la personne sait que quels que soient les efforts, les projets qu’elle va monter,
elle est vouée à finir sa vie en prison, c’est pas très cohérent, et pour nous, cela constitue un
risque majeur. Ce sont des gens qui n’ont plus rien à perdre. Je pense qu’il faut toujours
prévoir une porte de sortie, mais très encadrée. Et puis c’est sûr qu’on ne peut jamais
généraliser. Il faut voir au cas par cas. Il ne faut pas non plus, sous prétexte d’un discours
philanthropique, que cela cause des problèmes à la société. Les condamnés à perpétuité ne le
sont pas pour des broutilles.
Votre établissement a-t-il déjà reçu des auditeurs de justice qui accomplissaient un stage
dans le cadre de leur scolarité ?
Oui.
Que pensez-vous de ces stages ?
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C’est nécessaire. Pour avoir discuté avec eux, ils considèrent que c’est très intéressant mais
pas suffisant. Ils n’ont pas le temps de s’imprégner des problèmes que l’on peut rencontrer,
même si c’est très bénéfique, ils ont appris énormément. Ils ont abandonné un certain nombre
de préjugés. Je n’imagine pas quelqu’un condamner à la prison alors qu’elle ne sait pas ce que
c’est. Donc cela me paraît fondamental. C’est vrai qu’ils sont particulièrement intéressés, et
cela leur permet de mieux comprendre nos contraintes car c’est vrai qu’on est amené souvent
à travailler avec eux, ne serait-ce que lorsqu’un transfert dans l’urgence est demandé, il faut
l’accord du magistrat, et parfois, on est surpris. Certains ne comprennent pas la difficulté de
gérer des gens parfois très violents, la nécessité d’agir vite. Certains ne sont pas à notre
écoute, même si c’est une minorité. En général, cela se passe bien. Ils comprennent que si on
les sollicite, c’est toujours par rapport à une difficulté.
Quel accueil leur est fait par le personnel de surveillance ?
Il faudrait leur demander. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’incompréhension, de
défiances, même s’il y a un dialogue qui se noue à l’occasion de ce stage. Les surveillants ne
comprennent pas toujours les décisions du juge de l’application des peines et considèrent les
juges comme des personnes dans un bureau, qui ne sont pas sur le terrain et qui ne sont pas à
l’écoute des problèmes qu’ils rencontrent. Donc il y a des rapports qui sont plus ou moins
tendus.
En principe, le procureur de la République visite une fois par trimestre les établissements
pénitentiaires
Ici, il vient beaucoup plus souvent et de manière informelle. Déjà, il vient tous les 15 jours
pour la commission d’application des peines, et à l’occasion, il va par exemple demander à
visiter à l’atelier, sachant qu’il y a des travaux de réfection. Il procède à une visite complète
dans le cadre de la commission de surveillance. Chaque année, les directeurs d’établissements
doivent faire un rapport avec toute la vie de l’établissement, les projets, les statistiques, les
procédures disciplinaires diligentées. Le rapport est présenté à une commission présidée par le
sous-préfet et les autorités administratives et judiciaires importantes. A l’issue, il y a une
visite de l’établissement. Les juge de l’application des peines et le procureur, sinon, viennent
régulièrement. Par exemple, un concert a été organisé et on leur a proposé de venir.
Que pensez-vous du travail du juge de l’application des peines ?
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Cela me paraît satisfaisant. La nouvelle loi sur les débats contradictoires a apporté un plus,
cela a permis au détenu de se présenter. Un échange direct permet de voir la personnalité,
même s’il y a des dissimulateurs. Il est important que la personne puisse exposer son projet.
Et à nous de poser les questions pertinentes si on voit qu’il y a un doute, ou si on considère
qu’il y des risques.
Voudriez-vous être davantage associé à la prise de décision du juge de l’application des
peines ?
On y est déjà associé puisqu’on est présent au débat contradictoire.
N’aimeriez vous pas prendre la décision conjointement avec le juge de l’application des
peines ?
Non. Et jusque là, il n’y a jamais eu une décision qui m’ait choqué. En général, il y a un
consensus. Parfois, il peut y avoir des nuances : avis réservé ou très réservé, mais jamais ...Je
considère que chacun doit être dans son rôle. On n’est pas juge. On a un rôle d’éclairage sur la
personnalité, sur son comportement, on peut émettre un avis, mais la décision revient au juge.
Sinon, ce serait gênant en terme de positionnement. Après, il serait difficile de gérer la vie
pénale. Parfois, il y a des mots assez durs. Ils ne peuvent pas nous mettre en cause même s’ils
savent qu’on a peut-être joué un rôle. Se mettre en retrait peut nous être utile. On est déjà
accusé de tout, si en plus on décidait l’aménagement des peines...
Pensez-vous que la détention provisoire soit utile et que pensez-vous de sa durée ?
C’est vraiment un problème. On parle de rapprochement familial, de l’emprisonnement
individuel, mais ce n’est possible que lorsque la personne est affectée à un centre de détention.
Pensez-vous qu’un vrai travail de réinsertion puisse être mené durant la détention
provisoire ?
Non. La personne a beaucoup d’appréhension pour son procès, donc elle se disperse. Il n’est
pas forcément très accessible. Il y a un blocage. A partir du moment qu’on ne connaît pas sa
durée de détention, il est très difficile de l’orienter vers une formation parce qu’il y a des
formations qui intéressent les personnes qui sont prochainement libérables. Mais donner cette
formation à un prévenu, cela n’aurait aucun sens, sachant que cette formation serait obsolète
quand il sortira. Pour nous, c’est une difficulté supplémentaire.
100
Selon vous, sur quels critères les magistrats se basent-ils pour prononcer une peine
d’emprisonnement ?
Sur les faits et sur la personnalité du délinquant.
Pensez-vous qu’ils prennent en compte les conséquences que les conditions de détention
pourraient avoir sur le délinquant ?
Ca devrait. Je ne pense pas que cela soit pris en compte. Enfin...c’est difficile à dire. C’est sûr
qu’ils doivent être bien au courant de l’évolution de l’administration pénitentiaire, des
conditions d’incarcération. Et c’est sûr qu’ils ne doivent pas être indifférents à ça. Dans des
périodes de surpopulation, bon là c’est plus le cas, un magistrat, par rapport à une personne
qui est fragile et par rapport à une peine à subir dérisoire, sur l’opportunité de mettre en
détention cette personne qui ne s’était jamais signalée auparavant, à mon sens, il doit
privilégier les mesures alternatives à l’incarcération. Même pour trois mois, je pense que c’est
fait systématiquement. Il y a le bracelet électronique. C’est vrai qu’il doit plus ou moins tenir
compte des conditions de détention.
Aimeriez-vous être associé à la décision de condamnation ?
Oui, si on avait les éléments, on pourrait l’éclairer. Mais on ne pourrait pas être associé à la
prise de décision. On n’a pas eu la formation pour, et je suis pour le respect des rôles de
chacun. Mais on pourrait être consulté, pourquoi pas, par rapport à l’éclairage qu’il pourrait
avoir sur le comportement du détenu en détention. Mais est-ce que cela doit être pris en
compte au niveau du jugement initial ? C’est déjà pris en compte pour les réductions de peine.
Donc,...je trouve le système assez cohérent. On est associé dans le suivi des réductions de
peine.
A votre avis, quelle perception les juges ont-ils de la prison ? Et de l’administration
pénitentiaire ?
C’est difficile de généraliser. Cela relève de la personnalité de chacun. C’est vrai que le grief
qui est souvent formulé à l’ensemble des autorités administratives, c’est que notre fonction
n’est pas assez reconnue et souvent ignorée, à chaque fois qu’on parle des autorités de service
public, la prison est souvent oubliée. On a parfois l’impression que lorsque la personne est
101
mise en prison , le problème est réglé, comme si elle avait disparu, alors qu’il faut gérer tout
l’après. C’est peut-être là qu’il y a la plus grande difficulté. Par rapport à ça, et ce c’est pas
propre aux magistrats, on a l’impression d’être ignoré.
A votre avis, les jurés ont-ils la même image de la prison que celle des magistrats
professionnels ?
Non, parce que les magistrats sont des professionnels, des fonctionnaires du ministère de la
Justice et ils ont quand même certaines références par rapport à la prison, ils s’y intéressent,
ils n’ont pas la référence des médias. De par leurs fonctions, des échanges qu’ils peuvent avoir
avec d’autres magistrats, ils ont quand même un point de vue plus réaliste que celui véhiculé
par les médias. Alors qu’un juré ignore totalement la prison. Si peu qu’il s’intéresse à ce sujet,
il a pour seules références les médias. Les médias, souvent c’est très superficiel, ils abordent
les problèmes sous la mode du sensationnel. Ils généralisent beaucoup. Ce qui m’avait choqué
à l’époque, c’est les conditions d’incarcération. Je trouve aberrant de donner la parole à des
gens comme Pierre BOTTON, alors qu’ils ne sont pas du tout représentatif des prisonniers, de
leur misère sociale et affective. Les médias s’intéressent à un dysfonctionnement, à un
incident, sans jamais valoriser ce qui est fait au quotidien, les difficultés de nos missions. Je
pense que le rôle d’un journaliste est d’avoir une approche objective, comme on parle du
débat contradictoire, il faut aussi qu’il soit respecté dans le cadre de la médiatisation.
Que pensez-vous de l’initiative de la Cour d’Appel de la Roche-sur-Yon, qui a invité les jurés
à visiter un établissement pénitentiaire lors de leur formation judiciaire ?
C’est une très bonne initiative. C’est vrai qu’on entend parler les gens de la prison alors qu’ils
n’y connaissent rien du tout, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Pour certains ça va être :
la prison, c’est le Club Med, il faudrait les enchaîner, enfin, on retombe dans un discours
moyenâgeux. Il n’y a pas d’opinion réaliste ou mesurée. Et pour d’autres, la prison, c’est le
goulag, c’est l’enfer, vous cautionnez l’arbitraire...Ce serait important que les jurés, avant de
condamner à une lourde peine, connaissent les conditions de détention.
Pensez-vous que les jurés soient plus cléments ou plus durs que les magistrats
professionnels ?
102
Tout dépend. Tout ce qui est légitime défense, ils vont être plus cléments, et pour le reste, ils
auront tendance à être plus sévères.
Avez-vous des propositions pour multiplier les rapports entre personnel pénitentiaire et
magistrats ?
Ne serait-ce que lors de la formation comme je l’ai déjà dit, plus de formation
pluridisciplinaire puisque certains domaines de nos formations se recoupent. Et après, dans le
cadre de la formation continue, avoir l’occasion de faire un stage auprès d’instances
judiciaires, voir comment se passe le quotidien d’un juge de l’application des peines, une
comparution immédiate.
103
Annexe 3 :
Questionnaire et entretien les plus représentatifs
du monde judiciaire
104
105
Entretien avec un vice-président d’un Tribunal de Grande Instance
Quel est votre parcours universitaire ?
Licence à Dijon, puis maîtrise « carrières judiciaires » à Paris. J’ai eu le souhait d’effectuer
mon service militaire pour poursuivre mes études après. Je me suis inscrit au concours de
l’Ecole Nationale de la Magistrature, et en même temps j’ai été pris en DEA de droit privé,
avec M. Cornu. Puis, j’apprends que je suis reçu à l’Ecole Nationale de la Magistrature. J’ai
intégré immédiatement l’école car on ne m’a pas permis de poursuivre mon DEA.
Avez-vous passé d’autres concours que celui de la magistrature ?
Non.
Quel est votre parcours professionnel ?
Premier poste à Troyes, en tant que substitut chargé des mineurs ; puis deux ans après, je suis
venu à Lille, toujours au Parquet chargé des mineurs sur Roubaix, puis le secteur économique
et financier, avec un suivi plus particulier pour le Tribunal de commerce de Roubaix-
Tourcoing , et ceci de 1992 à 1995. Ensuite, départ sur Nice où j’ai effectué des fonctions au
siège : des fonctions civiles et des fonctions administratives puisque j’étais secrétaire général
du Président. Enfin, j’exerce des fonctions de vice-président.
Lors de votre apprentissage à l’Ecole Nationale de la Magistrature, on vous a proposé
d’effectuer un stage en prison. Dans quel établissement et pourquoi ?
Je l’ai effectué à la centrale de Clairvaux, selon mon choix, dans des fonctions de surveillant
pour mieux appréhender les problèmes de la détention.
Etait-ce votre 1ère entrée dans une prison ? Si oui, votre vision de la prison a-t-elle été
modifiée suite à ce stage ? Quelle image aviez-vous de la prison avant ?
Oui. La détention ne m’a pas surpris, les conditions de détention non plus parce que je m’étais
un peu intéressé à ça, j’avais lu certaines choses et j’avais regardé certains reportages. Donc
106
cela n’a pas été une surprise. Ce qui l’a été, c’est le travail des surveillants. Ils sont soumis à
une pression, à un rapport de force constant. Ils sont aussi enfermés la plupart du temps. Là,
ça a été plus une découverte que le côté détenu.
Est-ce que la durée du stage est suffisante ?
Oui. Au départ, pour une première vue, c’est bien. Après, quand on est en fonction, il faut
visiter les établissements. Il faudrait peut-être des stages moins longs, mais dans chaque type
d’établissement.
Quelles sont selon vous les fonctions de la prison ?
Pour certains, je pense qu’elle a une fonction sociale importante dans le sens qu’ayant compris
ce qu’est la prison, ils sont arrêtés dans leur envie de recommencer, ça agit contre la récidive
puisque certaines personnes supportent mal les conditions d’incarcération, qui sont dures non
pas par la promiscuité, la vétusté des bâtiments, mais plus par les conflits qui existent entre les
détenus. En revanche, pour une minorité, ils gagnent en prison un statut de dur, ils s’en
servent après dans les quartiers difficiles. Et puis, il ne faut pas se voiler la face : avec les
multirécidivistes, la prison a une utilité sociale dans le sens où quand ils sont en prison, ils ne
récidivent pas. C’est malheureux. On a quand même régulièrement des personnes qu’on
retrouve devant les tribunaux, avec qui des tentatives ont été effectuées au moyen de peines
alternatives qui n’ont pas donné de résultat tangible. Le parquet requiert alors l’incarcération,
le Tribunal suit. L’utilité sociale, c’est l’éloignement pendant un temps déterminé, c’est
l’écartement.
Pensez-vous que l’emprisonnement puisse être considéré comme une double peine (liens
familiaux coupés), voire comme une triple peine (conditions de détention) ?
La prison, c’est une notion acquise, c’est la privation de la liberté. Cela ne doit être que ça.
C’est vrai qu’il ne faut pas se leurrer. Il y a des prisons vétustes, qui le sont de moins en moins
car des efforts financiers importants ont été faits dernièrement. Et puis, il y a des détenus,
parce qu’ils sont éloignés, ne gardent pas de liens familiaux pendant la détention. Alors, c’est
relatif ; on ne peut pas généraliser dans la mesure où il y a beaucoup de détenus qui vivent
dans la marginalité, donc qui ont eux-mêmes coupé beaucoup de ponts, et la prison n’aide pas
à conserver ces liens. Ensuite, en règle générale, quand on purge une peine, il y a possibilité
d’obtenir des permis de visite, il y a les éducateurs qui les aident aussi, les détenus ont la
possibilité de voir leurs enfants, il y a des permissions de sortir qui sont accordées par les
107
juges de l’application des peines, il y a tout un arsenal qui fait que si on a un comportement
convenable en détention, il y a possibilité de garder des liens importants. Donc, en ce sens, je
pense qu’on ne peut pas généraliser et dire que la prison est un contenu avec de multiples
peines, c’est une peine, c’est la privation de liberté. C’est vrai qu’à côté de ça, il y a des
conséquences, des dommages collatéraux. Bon, maintenant, et c’est le souhait du législateur,
il faut que les établissements pénitentiaires soient correctement équipés, que les détenus
puissent y recevoir une formation, et exercer certains droits puisqu’il ne faut pas les couper
totalement des règles sociales, il faut leur réapprendre un certain nombre de choses :
l’éducation, la citoyenneté, l’exercice de leurs droits familiaux. Et puis il n’y a plus forcément
de privations des droits puisque maintenant, c’est une peine complémentaire. C’est différent
depuis la réforme du Code pénal en 1994.
Que pensez-vous de l’emprisonnement à perpétuité ?
Ce n’est pas perpétuité mais c’est tout comme. J’ai vu certains détenus quand j’étais à la
centrale de Clairvaux qui avaient plus de 25 ans d’incarcération derrière eux. Alors, je pense
qu’on ne peut pas l’écarter à partir du moment où il n’y a plus de peine de mort, il faut bien
réserver une peine extrêmement sévère pour les crimes les plus horribles, et notamment pour
les multirécidivistes criminels. Il faut bien trouver une solution et je ne pense pas qu’on puisse
la barrer. En réalité, il y en a très peu. Et le risque que l’on court avec ces gens-là, c’est qu’on
ne peut plus après un certain nombre d’années d’incarcération, les remettre en circulation dans
la société. Passé une vingtaine d’années, les détenus sont complètement déconnectés, se sont
adaptés à la prison, au cocon de la prison, ont leurs habitudes, sont pris en charge et sont
complètement déresponsabilisés. Donc, au bout de 20 ans, c’est aléatoire. Bien souvent, aussi,
ils ont perdu un grand nombre de repères intellectuels. Cela se traduit par une libération puis
un hôpital psychiatrique ou un centre de soins. Et puis, là c’est très difficile pour un détenu
d’avoir des relations suivies avec des proches. Tant on peut faire des projets quand on se situe
dans des créneaux de 3-5 ans puisqu’il y a des remises de peine, on voit la fin comme on dit ;
autant quand c’est la réclusion criminelle à perpétuité, si la personne était mariée par exemple,
on voit mal comment une femme pourrait continuer à investir sa relation, à la préserver dans
la mesure où il n’y a pas de délai. Même quand il y a des enfants. S’il a des enfants en bas âge,
20 ans après, ce sont des adultes. Donc sur le principe, il faut la conserver parce qu’il y a des
crimes odieux. Et puis parce que certaines personnes n’arrivent pas à s’amender. C’est le cas
de Patrick Henry. Quand il a dit à la formation de jugement « vous ne le regretterez pas », on
108
peut se demander si ce n’était pas une provocation. Pas plus tôt remis en liberté, il est
impliqué dans un vol d’outillage, alors qu’il n’en avait pas besoin car il a maintenant argent et
formation, et ensuite dans un trafic de cannabis en quantité important en Espagne. Je crois
qu’il a fait la démonstration qu’il n’était pas amendable. Et pourtant, il a passé des diplômes
de mathématiques avec succès dans le cadre de sa formation d’ingénieur. Maintenant, il faut
voir si au bout d’un certain temps, on ne peut pas la commuer en peine à temps et penser à
une libération conditionnelle, parce que passé plus d’une vingtaine d’années, c’est faire des
êtres complètement anormaux, qui potentiellement sont dangereux. On n’a pas encore
énormément d’études en la matière. Je crois qu’il faut encore attendre un certain nombre
d’années car on a une société qui devient de plus en plus sévère - je ne porte pas de jugement
de valeur là-dessus dans la mesure où les faits qu’on a à juger sont de plus en plus graves, on a
aussi beaucoup de meurtres d’enfants accompagnés d’actes de barbarie - et on n’en a pas
encore le retour.
A votre avis, les jurés ont-ils la même image de la prison que celle des magistrats
professionnels ?
On dit beaucoup de choses des jurés, qu’il sont sous la coupe du président...Il faut relativiser
dans la mesure où ça dépend de la personnalité du magistrat professionnel, des jurés. Même
les jurés les plus timorés, ils regardent, ils ne disent pas grand chose les premiers jours, mais
la deuxième semaine, ils savent donner leur avis. La prison, c’est pareil. Ils en ont une idée
qui est donnée dans les médias essentiellement. Ce qui s’est fait dans certaines cours
d’assises, et qui est une bonne chose, c’est que les présidents, la veille du début de la session,
organise une visite dans l’établissement pénitentiaire. Ca c’est très bien dans la mesure où il
faut montrer aux jurés ce que c’est que la prison. Et quand ils étudient la peine et hésitent
entre 10 et 15 ans, il faut voir que ce n’est pas négligeable. Là aussi, ça dépend des jurés, de
leur éducation. Tout s’est bien compliqué dans la mesure où ces formations conduisent parfois
à des peines trop sévères ou pas assez sévères par rapport à la « jurisprudence ». C’est le rôle
des magistrats professionnels de veiller à ce que la peine prononcée soit juste.
Que pensez-vous de l’emprisonnement des mineurs qui est possible depuis la loi Perben dès
qu’ils ont 13 ans ?
Dans certains cas, il faut en arriver là. Pour les mineurs, c’est complètement différent dans la
mesure où, premièrement, on a des êtres qui sont en devenir. Donc on ne peut pas oublier
109
l’aspect éducatif. Donc on ne peut pas fonctionner comme avec les majeurs. On accorde
d’ailleurs une étude de la personnalité beaucoup plus importante. Ensuite, l’incarcération ne
peut intervenir qu’après avoir épuisé toutes les autres possibilités, et qu’après que le mineur
ait été averti que s’il continuait dans ce chemin-là, il serait incarcéré. Il faut que la première
incarcération soit relativement courte. C’est d’ailleurs le voeu du législateur et des juges. Et
enfin, cette incarcération ne peut pas être vécue comme pour les majeurs, c’est-à-dire à partir
du moment où un mineur est en détention, il faut que les éducateurs travaillent à sa sortie,
qu’ils montent un projet de sortie. On ne peut pas les laisser pendant un mois dans leur coin.
On peut le faire avec les majeurs car on n’a pas assez de moyens pour s’occuper de tout le
monde ; mais pour les mineurs, c’est exclu. Quand je vois des dossiers de demande de
prolongation en détention et que je n’ai pas de rapport éducatif qui propose quelque chose,
cela me rend furieux.
Que pensez-vous de la création de la fonction de juge des libertés et de la détention ?
Je ne pense pas que cela soit un succès. Déjà, je ne vois pas trop ce que cela change dans la
mesure où parmi les objectifs, il y avait faire en sorte que le juge d’instruction ne place plus
en détention parce qu’il y avait trop de pouvoir dans les mêmes mains, et couper la détention
pour la diminuer. Et puis on voulait donner ces fonctions à un magistrat d’expérience. Alors le
résultat, c’est qu’il a fallu que les tribunaux s’organisent. Dans les gros tribunaux, ce sont des
magistrats spécialisés ; dans les petits tribunaux, ça tourne. Dans les gros tribunaux, je ne sais
pas si c’est une grande avancée pour les libertés individuelles que de confier à deux magistrats
ce qui auparavant était la compétence de 11 juges d’instruction. Suivant la sévérité ou non, la
conception de l’ordre public des juges de la liberté et de la détention, il peut y avoir des
placements et des prolongations en détention quasi systématiques.
Suivez-vous dans la plupart des cas l’avis du juge d’instruction ?
Il est vrai que presque partout en France, le juge de la liberté et de la détention suit les
réquisitions du juge d’instruction parce qu’en règle générale, ce qui vient devant le juge de la
liberté et de la détention, c’est le résultat de filtres au niveau de la police, du Parquet, des
juges. Donc quand on arrive, comme on le voit actuellement, à quasiment une remise en
liberté par mois, alors qu’on a 20 à 25 demandes de prolongation par semaine plus une bonne
vingtaine de déférés par semaine, on peut interpréter les chiffres de deux façons : le juge de la
liberté et de la détention valide le travail du juge d’instruction ; mais ça veut dire aussi que la
110
fonction est inutile. Quand on renverse les choses, si on regarde le côté financier, une remise
en liberté coûte énormément cher. Et puis ce ne sont pas des fonctions très valorisantes,
intellectuellement pauvres. Dans les autres services où ça tourne, c’est pire. Dans le précédent
système, on connaît les dossiers et il y une sorte de contrôle du juge d’instruction ; mais là, on
ne connaît pas vraiment les dossiers. Donc on risque de prolonger les gens alors que ce n’est
pas vraiment nécessaire, ou remettre en liberté parce qu’on n’a pas vu un élément du dossier
que le juge d’instruction connaissait. Franchement, je ne vois pas ce que cela apporte. Si on
voulait mettre en accord les grands principes avec les faits, il aurait fallu donner compétence à
une collégialité, parce que ça se passe différemment, je le vois bien à l’audience de
comparution immédiate, il y des avis divergents et il y a une véritable discussion. Par ailleurs,
le système est fait de façon à ce que le juge de la liberté et de la détention soit toujours saisi le
dernier, assez tard le soir. Ce ne sont pas des bonnes conditions pour statuer.
Le nouveau gouvernement est revenu sur l’idée de limiter le recours à la détention provisoire,
notamment à cause de l’affaire du « chinois ».Quel est votre sentiment quant à la durée de la
détention provisoire ?
Je n’ai pas ce sentiment-là. J’ai plutôt le sentiment ... en tout cas, ce que j’ai vu, je ne sais pas
si c’est un projet, on a au contraire facilité le placement en détention en ramenant les délais,
notamment en matière d’infractions aux biens. Il y a aussi le référé-détention, qui permet au
Parquet de contester la remise en liberté du juge de la liberté et de la détention, et c’est un
appel suspensif. Donc on montre bien à travers ces deux mesures importantes, que ce n’est
pas l’objectif du gouvernement. Mais je ne porte pas un jugement de valeur parce que nous,
on est là pour faire appliquer la loi. Je pense qu’on ne peut pas l’interpréter comme un
assouplissement. Il y a aussi une deuxième chose qui me fait dire qu’on ne va pas dans le sens
d’un assouplissement : outre l’opinion publique qui n’est pas du tout préparée pour le
moment, mais qui veut au contraire un durcissement important, c’est que les fonctions de juge
de la liberté et de la détention, dans les projets, pourront être exercées par n’importe quel juge.
Ca fait des années, depuis 1990, qu’on est en réforme constante.
Pensez-vous qu’un vrai travail de réinsertion puisse être mené durant cette période
d’incertitude ?
111
Oui, mais il faut les moyens. Quand on voit le nombre d’éducateurs qu’il y a en prison, ce
n’est pas suffisant. C’est toujours pareil, il faut faire de la formation professionnelle, il faut
sociabiliser les gens c’est à dire qu’on voit des gens qui ne savent ni lire ni écrire à 30 ans. Et
puis, il faudrait qu’il n’y ait pas de rupture entre la prison et l’extérieur. Il faudrait que les
éducateurs qui ont suivi certaines personnes en prison continuent à les suivre à l’extérieur, ce
qui n’est pas le cas actuellement. Il faudrait créer des foyers pour permettre aux gens qui
sortent de prison de trouver un logement. On sait bien que sans logement, on ne peut pas
trouver d’emploi, et aussi, ceux qui n’ont pas de logement à la sortie de prison zonent et
recommencent à commettre des infractions. Il faudrait aussi que ces centres d’accueil
intègrent une structure de soin parce qu’on a pas mal de toxicomanes. Tout ça nécessite des
moyens. Il faudrait plus de moyens pour les prisons, pour qu’elles soient dignes d’accueillir
tout le monde, il en faudrait plus car il y a de plus en plus de sanctions prononcées, il faudrait
plus d’éducateurs, plus de soins, des foyers pour la sortie, des établissements spécialisés pour
les mineurs, ce sont de lourdes dépenses.
S’agissant de votre fonction de Président d’une chambre correctionnelle, sur quels critères
vous fondez-vous pour prononcer une peine d’emprisonnement ?
Alors, c’est un peu différent car on a les comparutions immédiates à juger. Cela veut dire la
délinquance plus dure, de rue essentiellement. Le tri est fait par le parquet. On a un tel nombre
de procédures, que la comparution immédiate est utilisée non seulement pour les affaires en
état d’être jugées, mais essentiellement pour les affaires où le ministère public requiert un
placement en détention. Donc on a souvent des individus qui commettent des faits graves, qui
ont un casier judiciaire chargé. Le placement en détention, on le fait selon les critères définis
par le législateur. Quelqu’un qui est SDF et qui a un casier, il est quasiment inenvisageable de
le remettre en liberté.
Pensez-vous que la surpopulation carcérale et les conditions de détention doivent faire partie
de ces critères ?
On peut en tenir compte dans certains cas litigieux. Au lieu de la prison, on va privilégier une
mise à l’épreuve ou un travail d’intérêt général quand on sait que la maison d’arrêt est
remplie. On le sait par le parquet parce que les informations sont données au procureur. Donc
là, on va plus systématiquement favoriser les peines alternatives. Ceci étant, c’est le travail du
parquet, ensuite c’est le travail du juge de l’application des peines.
112
Que pensez-vous du travail du juge de l’application des peines ?
Je ne peux pas trop vous en parler car je n’ai jamais été juge de l’application des peines. C’est
sûr qu’il n’y a pas la prison d’un côté et la remise en liberté de l’autre. Il y a la prison quand
c’est vraiment nécessaire et le suivi lors de l’incarcération. Le suivi est important parce qu’on
a des fois des personnes qui sont tellement marginalisées, ou qui ont besoin de se soigner,
qu’il faut un suivi, une certaine contrainte judiciaire, qui peut même des fois être rassurant
pour les prévenus. Tout cela fait qu’on les saisit régulièrement, notamment dans le cadre de
sursis avec mise à l’épreuve.
En principe, le procureur de la République visite une fois par trimestre les établissements
pénitentiaires. Que pensez-vous de cette mesure ?
Le procureur en personne le fait fréquemment. C’est normal, de même qu’un président doit y
aller. Il faut y aller, se tenir au courant, discuter aussi avec les policiers du poste puisque eux
ont les renseignements sur les maisons d’arrêt. Maintenant, dans les grands tribunaux comme
ici, il y a un substitut chargé de l’exécution des peines. Donc il va toutes les semaines à la
maison d’arrêt parce qu’il y a les audiences maintenant. Donc le procureur a tous les outils
importants pour savoir ce qu’il se passe.
A votre avis, les relations magistrats - personnel pénitentiaire sont bonnes ?
On ne peut pas dire, ça dépend des établissements. Mais souvent il y a une méfiance
réciproque que je ne comprends pas bien. C’est vrai que l’administration pénitentiaire fait
partie d’un bloc à la Chancellerie, tout comme la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Il y a
toujours un petit peu de conflits parce que les objectifs ne sont pas les mêmes. Un juge va
mettre en détention dans le but d’éviter la récidive ultérieurement, d’éloignement. Le
surveillant, c’est pas vraiment l’aspect social général qu’il va voir. C’est quand on envoie le
soir un wagon de 20 personnes, il faut pouvoir les mettre, il n’y a pas forcément de place, la
surpopulation, c’est lui qui la supporte. Tout ça fait qu’on sait bien qu’il y a des petites
frictions parce qu’ils raisonnent différemment, ils ont à gérer la masse. Tout ça fait que c’est
très dur, et que franchement, je ne voudrais pas être surveillant de prison.
113
Annexe 4 :
Entretien avec Monsieur le procureur de la République
près le Tribunal de Grande Instance de Lille
114
115
Entretien avec M. le Procureur de la République près le TGI de LILLE,
M. Philippe LEMAIRE
J’ai appris que vous aviez occupé de hautes fonctions au sein de la direction de
l’administration pénitentiaire (AP). Avez-vous choisi d’intégrer cette direction ?
J’ai donné mon accord pour venir à la direction de l’administration pénitentiaire, qui
connaissait une situation difficile à la suite de la publication du livre de Véronique Vasseur.
J’avais envie de changer de métier, donc c’était une opportunité. Se remettre en cause, c’est
intéressant. Auparavant, j’étais directeur-adjoint à la direction des services judiciaires, en
charge de la gestion des juridictions.
Les juridictions et l’AP appartiennent tous deux au ministère de la Justice. Mais c’est deux
mondes qui sont extrêmement distincts l’un de l’autre. Ce n’est pas évident d’ailleurs que
l’AP soit rattachée à la Justice. Il y a toujours une hésitation entre le rattachement au ministère
de l’Intérieur et le ministère de la Justice. Le rattachement au ministère de la Justice est assez
récent, du point de vue de l’Histoire.
Cela date de 1911.
1911, oui, mais il y a eu des retours. Il y a eu un retour tragique en 1943, la mise sous tutelle
de l’AP par le secrétariat au maintien de l’ordre de Darnand du gouvernement de Vichy. 1943,
ce n’est pas une date innocente. C’est le basculement définitif de la France dans la
collaboration totale. Cela a été tragique pour l’AP. Bien sûr, avec Darnand, l’Allemagne a pris
totalement le contrôle des prisons, mais elle était déjà fortement à l’intérieur des prisons. Là,
qui plus est, on a donné à l’administration une légitimité apparente, alors que la France était
occupée par une puissance étrangère. Et il faut se rappeler que les principaux crimes au sein
de la prison ont été pour beaucoup le fait des français. Par exemple, on ne sait pas très bien ce
qui s’est passé au mois d’août 1944, juste avant la libération de Paris à la prison de Fresnes
par exemple, où il y avait la majorité des résistants qui était incarcérée. Autre exemple à Loos,
le tragique épisode du train de Loos, le 1er septembre 1944. Lille est libérée le 3 septembre. A
peu près 750 personnes ont été déportées alors que tout est bloqué, et on trouve le moyen de
faire passer un train. Sur 750 personnes, il n’y en a qu’une centaine qui vont survivre.
116
Il y a un aspect qui est plus méconnu, mais qui est, à mon sens, très important, qu’il faudrait
que vous creusiez pour votre mémoire, c’est le fait que l’Inspection des services pénitentiaires
va rester très longtemps, au moins jusqu’à la Libération sous l’autorité du ministère de
l’Intérieur.
Il y a un dernier point. Celui qui est chargé du maintien de l’ordre à l’heure actuelle au sein de
la prison, c’est le préfet. Dès que vous avez le moindre mouvement collectif...Bien sûr,
beaucoup de circulaires avec un style ampoulé disent que le Procureur doit être sur les lieux,
mais le patron, c’est le préfet.
Quelles fonctions avez-vous exercées au sein de la direction de l’AP ?
Mon titre, c’était chef de service, adjoint au directeur de l’AP. Donc la première fonction que
j’avais, c’était de pouvoir me substituer en tout temps au directeur de l’AP. C’est une
administration qui, par définition, vit 24 heures sur 24 puisqu’elle a la responsabilité de
détenus qui, à l’époque, étaient un peu plus de 48 000, aujourd’hui, on a dépassé les 60 000.
Et donc la première de mes fonctions, c’était de pouvoir prendre la direction immédiatement
pour assurer la continuité du service public. J’étais comme un second de navire, c’est
vraiment la meilleure comparaison que je puisse avoir, et j’étais capable en principe de
prendre la barre immédiatement en cas d’empêchement et je l’ai fait bien évidemment en
période de congé en ce qui concerne la période où j’ai exercé. Le directeur de l’AP a la
responsabilité directe de 185 établissements, de 27 000 agents, dont à peu près 23 000
surveillants pénitentiaires, 1 600 travailleurs sociaux, du personnel administratif, technique,
de l’ordre de 1 500 également, et puis 60 000 détenus aujourd’hui, plus 7,5 milliards de francs
de budget (14 milliards d’euros). Donc le directeur-adjoint exerce donc des responsabilités à
la fois de gestion du personnel, de gestion budgétaire et financière des bâtiments et de gestion
des détenus. En plus, j’avais des porte-feuilles particuliers qui m’étaient confiés par le
directeur de l’époque. J’ai négocié partiellement la mise en place des 35 heures, ce qui m’a
permis de pénétrer au coeur de l’AP. Je gérais également les détenus terroristes : la mouvance
islamiste, les basques, un petit peu les corses, et puis surtout les détenus « Action directe »,
qui commençaient à poser des problèmes car cela fait plus de 17 ans qu’ils sont en détention.
J’avais également la responsabilité de la tenue des commissions administratives paritaires,
notamment celles des chefs de services pénitentiaires, on va dire de l’encadrement
intermédiaire.
117
J’ai fait partie du secrétariat permanent du comité d’orientation stratégique qui avait été créé
par Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, en vue de promouvoir la réforme d’une loi
pénitentiaire, qui a été malheureusement abandonnée. Cela a été un moment extrêmement
riche. Une quarantaine de spécialistes de toutes disciplines et des élus se réunissaient toutes
les semaines sur des thèmes relatifs à l’élaboration d’une loi pénitentiaire (sens de la peine,
droits des détenus, principes de l’exécution des peines, statuts des personnels de surveillance,
sécurité, travail pénitentiaire, etc.) Les travaux étaient bien avancés. Les projets de loi étaient
très largement rédigés sur la base principalement du rapport de Guy Canivet, premier
président de la Cour de Cassation plutôt que les rapports de l’Assemblée Nationale et du
Sénat. Le rapport Canivet me paraît plus directement productif. Les rapports parlementaires
ont été extrêmement importants pour faire bouger l’opinion publique, c’était leur rôle je
pense, mais le travail de Guy Canivet constituait la base juridique qui nous aurait permis
d’avancer et de mettre de l’ordre dans un fatras de règlements et de lois qui régit le milieu
pénitentiaire. Contrairement à une idée reçue et paradoxalement, le monde pénitentiaire est un
monde de sur-droit, sur-réglementé mais auto-réglementé. C’est un des gros problèmes. La
règle s’est faite parce que, comme il n’y en avait pas, il fallait bien l’inventer. En
conséquence, l’administration pénitentiaire a créé, petit à petit un corpus de règles, dont
certaines sont particulièrement pertinentes, mais qui n’ont qu’une faible légitimité juridique. Il
faut créer un véritable droit pénitentiaire.
Je suis resté à l’AP du 17 avril 2000 au 28 décembre 2001.
Est-ce que beaucoup de magistrats occupent des postes au sein de l’AP ?
Oui et non. Traditionnellement, le directeur de l’AP a été pendant très longtemps un
magistrat ; ensuite ça a été par alternance un magistrat et un préfet, puis depuis près de 6-8
ans, c’est toujours un préfet ou un administrateur civil. Mais en ce cas, le directeur-adjoint est
toujours un magistrat. Qu’est-ce que ça veut dire ? Je laisse le soin d’en tirer toutes les
conséquences. Moi, je constate que le directeur de l’AP est de plus en plus souvent un préfet,
et de fait, les problèmes qui se posent ressortent souvent de la compétence d’un
administrateur. Tout ce qui est budgétisation, construction de nouvelles prisons, maintien de
l’ordre,...Et moins ce qui relève plus souvent de la technique du magistrat, c’est-à-dire la
gestion des détenus, la réinsertion, etc.
118
Il y a toujours eu des magistrats dans cette administration. Ils sont au nombre d’une petite
vingtaine, sur une administration centrale qui comporte à peu près 320 personnes, c’est
beaucoup et peu. C’est beaucoup parce qu’ils occupent des postes importants. C’est toujours
un magistrat qui s’occupe de la sous-direction des personnes placées sous main de justice.
C’est le service où il y a le plus de magistrats, et ce de manière assez cohérente car c’est ce
service qui est chargé de toutes les politiques pénales mises en oeuvre, les politiques de
réinsertion, d’éducation, de formation. Le sous-directeur de l’administration des services
déconcentrés est souvent un magistrat. Aujourd’hui, c’est un administrateur civil, mais ça a
été pendant très longtemps un magistrat. Ce poste est pourtant un poste d’administrateur, avec
des compétences budgétaires et immobilières. Le sous-directeur du personnel est toujours un
administrateur civil.
Mais, il y a des fonctions qui, par destination relèvent des magistrats, par exemple, pour tout
ce qui est discipline. Ceux qui gèrent les détenus, comme la répartition des détenus, c’est
également des magistrats.
En ce qui concerne le binôme de direction, si le directeur est un préfet, le directeur-adjoint est
un magistrat, et inversement. Je pense que c’est une bonne chose. C’est une réforme qui a été
mise en place de manière consensuelle par la cohabitation. Ce principe du binôme, c’est à dire
l’association d’un Préfet et d’un magistrat pour gérer l’AP est un principe que je pense riche.
C’est la situation actuelle.
Est-ce que votre regard sur la prison ou sur l’administration pénitentiaire a changé depuis
que vous avez exercé ces fonctions ?
Totalement. C’est même un choc. Pourtant, j’avais un parcours classique de Procureur
pendant 11 ans, puis d’administration centrale pendant une dizaine d’années, et donc j’ai eu
les deux formations, de magistrat et d’administrateur civil. Quand je suis arrivé à l’AP, ce fut
un choc.
D’abord, en ce qui concerne le personnel pénitentiaire, je me suis d’abord penché sur les
questions relatives à la gestion du personnel, au statut, à leurs revendications, pour une raison
bien simple et un peu tragique, c’est que le sous-directeur du personnel de l’époque est tombé
malade. Je l’ai substitué pendant à peu près six mois à la tête de la sous-direction. J’ai
découvert un monde avec des règles, des codes, comme dans toute administration de tradition
(et l’AP est une administration de tradition), qui est beaucoup plus structurée qu’on ne le voit
de l’extérieur. Les personnels pénitentiaires, notamment les surveillants donnent d’eux-
119
mêmes une représentation souvent négative, avec leurs manifestations assez violentes faites
de barrages de pneus, parfois même de blocage des portes des établissements. Et en fait,
quand on va au-delà de cette première apparence qui traduit certainement les problèmes de
violence qu’ils rencontrent eux-mêmes dans la prison, et dont on peut penser qu’ils retournent
contre eux cette violence, quand on écarte cette façade, on découvre une administration qui est
majoritairement inspirée de règles militaires et du sens du service public. Avec des règles, des
grades, des mécanismes hiérarchiques qui sont extrêmement bien structurés, des traditions que
l’on retrouve, par exemple, dans les cycles de travail, que vous ne pouvez pas modifier
comme ça, c’est extrêmement compliqué, c’est complètement intégré à leur rythme de vie, la
manière avec laquelle la tutorisation se fait, de manière informelle, entre les plus anciens et
plus vieux, la transmission du savoir, qui a explosé, et cela a été un des derniers problèmes
qu’on n’a pas su résoudre, qui a explosé avec la bonification du cinquième (c’est à dire
l’octroi de la possibilité de partir en retraite à 55 ans en raison de la pénibilité du métier). Cela
a fait partir toute une génération de surveillants.
Les surveillants, c’est un monde avec ses codes d’honneur, ses populations, ses cultures même
si ça tend à se dissoudre un petit peu. Par exemple, c’étaient des populations locales entières
qui géraient la prison. Je donne souvent quelques exemples que j’ai bien vus : à l’île de Ré,
vieille histoire entre la pénitentiaire et l’île de Ré puisque c’est de là que partaient tous les
déportés vers Cayenne. Les « rétans » géraient la maison centrale de l’île de Ré, avec un état
d’esprit tout à fait particulier. On y entrait par familles entières. Même chose à Lannemezan,
maison centrale plus récente, où les surveillants sont issus des familles béarnaises du plateau,
durs au travail, durs avec eux-mêmes, mais en même temps très impliqués dans la mission de
service public. Vous avez des populations de surveillants antillaises dans la région parisienne,
pour des raisons de chômage dans leurs villes d’origine. Ils investissent massivement la
pénitentiaire. Ils travaillent pendant 10 ou 15 ans en métropole, puis terminent leur carrière
dans leurs îles d’origine. Et on pourrait multiplier les exemples. Ca, ça m’a frappé et ça m’a
beaucoup intéressé.
J’ai visité près de 25 établissements de toute taille, et j’y ai revu à la fois les mêmes codes et
ces différences-là. Et je trouve que c’est un monde passionnant. Si je dis ça, c’est qu’on peut
le faire évoluer parce que contrairement à l’idée qui en est donnée, c’est un monde avec ses
codes, ses structures, sa hiérarchie et c’est une administration qui est légitimiste. Donc moi j’y
ai vu une administration moderne, au contraire de ce que j’entends beaucoup, de ce qui est
écrit dans les rapports parlementaires, je conteste la vision d’une administration repliée sur
120
elle-même, insensible à tout mouvement. C’est faux. Elle est capable de se transformer,
encore faut-il qu’il y ait une volonté politique claire derrière. Elle est légitimiste, c’est-à-dire
contrairement à ce qu’on peut penser, ce n’est pas un Etat dans l’Etat, l’AP, ce sont des gens
très imprégnés de la notion de service public parce qu’ils exercent la violence légitime, donc il
faut qu’ils aient ces valeurs-là, sinon ce n’est pas supportable d’exercer une telle violence. Et
je pense qu’au contraire de ce qu’on entend et de l’image qu’ils renvoient trop souvent, c’est
une administration qui a des aspects extrêmement modernes, notamment en matière de
gestion, qui a évolué dans des conditions considérables notamment depuis les réformes de
Giscard d’Estaing de 1974, et bien sûr des grandes réformes Badinter de 1980.
En ce qui concerne les détenus, c’est le choc ! Pour les détenus, c’est d’abord une population
de maisons d’arrêt : les pauvres, les violents, de plus en plus les personnes atteintes de
troubles du comportement, voire de pathologies psychiatriques graves. La prison subit de
plein fouet la politique de fermeture des établissements psychiatriques ...Les malades
violents, qui ne sont plus enfermés en asile, et qui sont reconnus désormais comme
responsables de leurs actes se sont retrouvés ailleurs, c’est à dire principalement en prison et il
y en a beaucoup, beaucoup trop. Je considère que cette situation est une formidable
régression.
Et puis, il y a heureusement des points beaucoup plus positifs. Ce sont les établissements
extrêmement intéressants, dit du programme 13 000 (et des programmes suivants de
construction), avec la gestion mixte privée-public, où on peut faire des choses avec les
détenus. Je pense au centre de détention de Bapaume, où une majorité de détenus peuvent
travailler, ou se former, grâce à l’intervention des entreprises privées, véritables entreprises
citoyennes. A côté de ça, vous avez Loos, Lyon, les Baumettes, il faut quand même le dire,
c’est l’indignité absolue, quand il y a de la surpopulation, ça, ça m’a frappé beaucoup et cette
indignité continue à me frapper, parfois à me hanter. Et on s’aperçoit que dans ce monde de la
prison, ce qu’on dit, alors là, pour le coup, c’est vrai, que les exclus sont encore plus exclus :
les minorités bien évidemment, notamment les minorités sexuelles, les homosexuels. J’ai vu
des choses à Draguignan, où on les avait tous regroupés dans ce que l’on appelle des
chauffoirs, c’est-à-dire qu’ils étaient à 8 dans 14 mètres carré. Les femmes aussi. A Loos,
vous avez un quartier de femmes de 45 places, et hier, à ma connaissance, elles étaient 105.
Vous avez des femmes qui vivent à 5-6 dans 12 mètres carré. C’est insupportable. Et puis la
121
violence. J’ai été témoin de la mutinerie de Grasse le 3 août 2001, je m’en souviens encore
comme si j’y étais. J’y suis allé le lendemain après qu’on n’ait pas ouvert le feu mais sorti les
flash-balls quand même. Quand vous pénétrez dans une prison dévastée, que vous voyez les
taches de sang qui maculent les murs, que vous rendez visite aux blessés des deux côtés
d’ailleurs, ce sont des choses qui vous restent. Tous ceux qui sont passés par cette
administration, que ce soit sur le terrain, dans les prisons, ou que ce soit comme moi, en
administration centrale, ils vous diront tous qu’ils sont marqués pour le restant de leur vie.
Moi je le suis, incontestablement. Et je n’ai plus le même oeil qu’avant sur la prison. Mon
discours, c’est : usez de la prison avec modération. C’est quand même un instrument de
violence très forte, et qui doit être utilisé pour des gens dangereux, des vrais délinquants. On
doit trouver des solutions pour les autres délinquants. Pour l’instant, c’est quand même pas ce
que majoritairement nous faisons. Pour des tas de raisons, la plupart du temps très louables,
mais on n’y arrive pas.
A la lumière de cette expérience, pensez-vous que votre formation à l’ENM (Ecole Nationale
de la Magistrature) est suffisante en ce qui concerne les prisons ?
Oui, quand vous arrivez à l’ENM, vous avez tellement de choses à faire, de points à
engranger, de matières à réviser, de services à visiter, ce qui fait qu’on découvre la vie
professionnelle quand on arrive à l’ENM. Donc en 36 mois de formation, on consacre 15
jours à la prison, y compris d’ailleurs avec un système qui est remarquable : on oblige
désormais les magistrats à revêtir l’uniforme de surveillant pendant une semaine et en une
semaine, on voit énormément de choses dans cette fonction, dans cette position-là avec
l’uniforme. En termes de formation initiale, c’est bien fait. Je trouve que les promoteurs de
cette réforme ont fait oeuvre de précurseurs, de novateurs. Tous les élèves ont adhéré
d’ailleurs. Moi je pense que c’est bien.
Ce qui manque en revanche beaucoup, c’est les contacts avec les prisons par la suite, en cours
de vie professionnelle. Moi, ce qui me frappe ici, c’est que je suis obligé de pousser les
professionnels à aller visiter la prison. Par exemple, certains présidents de juridictions
correctionnelles n’ont pas mis les pieds en prison depuis le début de leur prise de fonction.
Moi, j’y vais avec le président. J’y vais tous les trimestres, parfois plus en cas de crise.
Comme j’ai trois établissements pénitentiaires, ce sont des énormes établissements, donc j’ai
un programme de visite, je visite morceau par morceau, et je visite systématiquement le
quartier disciplinaire, le quartier d’isolement. Puis je demande aux substituts chargés de
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l’exécution des peines d’y aller chaque semaine. Les juges de l’application des peines y sont
toutes les semaines. Le reproche que l’on peut faire légitimement à l’institution judiciaire, qui
était inscrit en filigrane dans les rapports des parlementaires, c’est qu’on ne va pas assez en
prison. Mais, les parlementaires, à mon sens, ont mal stigmatisé. Ils ont dit : « les magistrats
ne vont jamais en prison ». Ce n’est pas vrai. Les magistrats ont délégué à des magistrats
spécialisés, c’est-à-dire les juges de l’application des peines et les magistrats du parquet
chargés de l’exécution des peines, la mission d’aller en prison.
Il y a beaucoup de magistrats qui vont en prison. En revanche, là où les parlementaires ont
raison, c’est qu’il existe, pour la prison, une délégation implicite de la gestion de la prison à
des magistrats spécialisés, bien en phase avec la prison, qui la connaissent bien.
Mais ce n’est pas suffisant. Les juges d’instruction, il faut qu’ils y aillent, entendre leurs
propres mis en examen sur leurs conditions de détention. Il n’est pas admissible que des juges
d’instruction n’aient pas suffisamment conscience de ce qui se passe en prison pour laisser des
mis en examen sans audition pendant plusieurs mois. Ceci étant, c’est sûr qu’ils sont
surbookés, mais il faut y aller, les présidents de correctionnelles, il faut qu’ils y aillent, le
président de la chambre de l’instruction, il faut qu’il y aille, c’est ce qu’il fait d’ailleurs, on a
beaucoup modifié ça.
Après, il faut de la formation continue des magistrats, en relation avec les personnels
pénitentiaires et les différents intervenants en prison, notamment les associations. La prison
est un milieu qui évolue beaucoup. Donc moi je pense qu’on devrait avoir des formations
obligatoires d’un ou de deux jours, même régionales, tous les ans, avec les directeurs de l’AP
régionaux, les directeurs des établissements, les associations pour revoir ensemble les
conditions de détention, les évolutions des règlements, c’est ça qui manque.
Sinon, la formation initiale est bonne, elle est même excellente. Je le vois bien avec les
jeunes. Les jeunes, c’est les plus sensibilisés.
A votre avis, quelle image portent les membres de l’AP sur les magistrats ?
C’est une espèce de complexe. Il faut distinguer selon les catégories de personnels. Avec les
directeurs des services pénitentiaires, les rapports sont bons car ces fonctionnaires ont fait des
études assez comparables à celles des magistrats, et ont choisi très souvent leur fonction. La
plupart d’entre eux exercent cette fonction-là par vocation. Il n’y a pas que des juristes. Il y a
pas mal de philosophes ou de sociologues de formation, et ce n’est pas innocent d’ailleurs.
J’ai présidé le jury de classement des directeurs de prison à la sortie de l’Ecole Nationale de
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l’Administration Pénitentiaire. J’ai vraiment une vision des deux dernières promotions de
directeurs de services pénitentiaires, qui sont exceptionnels. Ce sont vraiment eux qui sont
l’épine dorsale de cette administration. On a un dialogue que je qualifierais de confiant. Au
fond, on a les mêmes perceptions. Globalement, on travaille bien ensemble. Je n’en ai pas
parlé tout à l’heure. Je précise que l’un des instruments essentiels de la modernisation de l’AP
est l’école nationale d’administration pénitentiaire.
Par contre, il existe des sentiments d’incompréhension ou de complexe entre les surveillants
et les magistrats. On a l’impression qu’on n’appartient pas à la même classe sociale alors que
nous appartenons au même service public de la justice. Les syndicats de surveillants me
disaient : « nous sommes les ouvriers pénitentiaires ». Je l’ai vécu très fort quand j’étais en
administration centrale. Connaissant mon statut de magistrat, ils me l’ont souvent renvoyé, en
me disant non seulement vous êtes patron, mais vous êtes un bourgeois même éclairé, tandis
que nous on est les ouvriers pénitentiaires, on est le peuple pénitentiaire. Avec ce que cela
implique de revendications d’une culture propre en opposition à une autre culture, et
également un complexe d’infériorité, et en même temps un désir de représentation forte par
une profession les magistrats, avec ce que cela comporte de considération. C’est donc un
sentiment mêlé. Et en même temps une forte attente de la part des magistrats qui représentent
la justice, d’être eux-mêmes des juges vis-à-vis d’eux. En ce qui me concerne, j’ai trouvé cette
confrontation de deux cultures, passionnante, et si elle est bien gérée, facteur de progrès.
Avec les travailleurs sociaux, les juges de l’application des peines ont souvent de bons
rapports, qui ont été modifiés, je pense d’une manière très saine, par la réforme des services
pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Et ça marche bien. Cela a permis de sérier ce
qui relevait de la pénitentiaire, des travailleurs sociaux, et ce qui relevait des magistrats, des
juges de l’application des peines. Cette réforme a permis à l’AP de mesurer l’importance du
milieu ouvert. Avec les travailleurs sociaux, on est proche au fond, en termes de concept, puis
on travaille sur une chose qui est plus gratifiante, qui est la réinsertion.
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Annexe 6 :
Programme prévisionnel du stage des auditeurs de
justice dans une maison d’arrêt
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PLANNING PREVISIONNEL
STAGE : Auditeurs de justice
Durée : du 07 au 18 /04/2003
Horaires de journée 8H30- 12H/ 13H30- 17H environ
Horaires postés 7H 13H/ 13H 19H / 19H 7H ( 19H-22H pour les stagiaires- petite nuit en
doublure)
Doublure en détention : passage dans les différents quartiers, aux ateliers, vestiaire, postes
protégés.
Parloir l’après-midi : se présenter à la porte d’entrée principale à 13H
Le 07 : Accueil et Présentation à la direction
Découverte de l’établissement
Présentation des personnels et de l’AP après-midi : découverte du service des
agents, des cantines, du service informatique (petite formation GIDE)
le 09 : matin détention-(affectations à définir avec le 1er surveillant)—l’après-midi : parloir
Le 10 matin greffe
AM détention( commission de discipline)
Le 11 : Matin doublure détention ! petite nuit (Affectations à définir avec le 1er surveillant de
service)
12 et 13:REPOS
Le 14 : détention (Affectation à définir avec le premier surveillant)
Le 15 : Matin : Doublure avec CSP2 section C
AM : rencontre avec responsable du SPIP( locaux centre ville de DOUAI)
Le 16 : 1 journée avec la direction
Le 17:1 journée avec le chef de détention pour permettre de découvrir :
 ? la gestion des ressources humaines
 ? la prise en charge quotidienne de la ppsmj
 ? Exécution des peines
 ? La gestion des relations avec les autorités judiciaires et administratives
 ? La sécurité. . .
Le 18 : Evaluation avec le directeur
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129
Bibliographie :
- Ouvrages :
Ouvrages généraux :
CLAUSEWITZ (C. von), De la guerre, collection Le monde en 10 18, Paris : Editions de Minuit,
1965, 312 pages.
FOUCAULT (M.), Surveiller et punir, Naissance de la prison, réimpression de 1982, Paris :
Gallimard, 315 pages.
HERZOG-EVANS (M.), Droit de l’application des peines, collection Dalloz Référence, Paris :
Dalloz, 2002, 501 pages.
LEAUTE (J.), Les prisons, collection Que sais-je ?, 2ème édition, Paris : PUF, 1990, 123 pages.
PETIT (J.-G.), FAUGERON (C.), PIERRE (M.), Histoire des prisons en France, 1789 - 2000,
collection Hommes et communautés, Toulouse : Privat, 2002, 254 pages.
PLAWSKI (S.), Droit pénitentiaire, Melun : Publication de l’Université de Lille III, 1989, 274
pages.
PONCELA (P.), Droit de la peine, collection Thémis droit privé sous la direction de Madame
Labrusse-Riou (C.), 2ème édition, Paris : PUF, 2001, 479 pages.
VOGEL (M.), Contrôler les prisons, L’Inspection générale des services administratifs et
l’administration pénitentiaire, 1907 - 1948, Mission de recherche Droit et Justice, collection
Perspectives sur le justice, Paris : La documentation française, 1998, 192 pages.
Recueils de témoignage(s) :
ANTOINE (V.), Profession gardien de prison, Montigny en Gohelle : Vincent Antoine, 1985,
168 pages.
BILALIAN (D), Prisons, la vérité, collection documents, Paris : Presses de la Cité, 1986, 212
pages.
CHAUVENET (A.), ORLIC (F.), BENGUIGUI (G.), Le monde des surveillants de prison, collection
sociologies, Paris : PUF, 1994, 227 pages.
130
JOLY (E.), avec la collaboration de Laurent BECCARIA, Notre affaire à tous, Paris : les Arènes,
2000, 234 pages.
LEBELLEY (F.), Tête à tête, Paris : Bernard Grasset, 1989, 274 pages.
MARCHETTI (A.-M.), Perpétuités, le temps infini des longues peines, collection Terre humaine,
Paris : Plon, 2001, 496 pages.
SAMET (C.), Les aveux d’un juge d’instruction, Paris : Flammarion, 2001, 251 pages.
TARTAKOWSKY (P.), La prison, Enquête sur l’administration pénitentiaire, Paris : Payot &
Rivages, 1995, 349 pages.
VASSEUR (V.), Médecin-chef à la prison de la Santé, collection Documents dirigée par Pierre
Drachline, Paris : Le cherche-midi, 2000, 199 pages.
- Thèses, mémoire et rapports de recherche :
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des travailleurs sociaux en milieu fermé, rapport de recherche, séminaire forces de l’ordre et
enfermement, DEA Droit et Justice, Université de Lille II, 2003, 21 pages.
CASADAMONT (G.), La détention et ses surveillants, Représentations et champ carcéral, thèse
de sociologie, EHESS, Paris, 1984.
MAGNOL (J.), De l’administration pénitentiaire dans ses rapports avec l’autorité judiciaire et
de son rattachement au ministère de la justice, thèse de doctorat (sciences politiques et
économiques), Toulouse, 1900, 122 pages.
MARO (C.), SIMON (E.), Le surveillant de prison : le travailleur de l’ombre, mémoire de DEA
théorie du droit et sciences judiciaires, sous le direction de Monsieur Royer (J.-P.), Université
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PAOLUCCI (G.), Les mutineries de 1971 et 1974 dans les prisons françaises, rapport de
recherche, séminaire forces de l’ordre et enfermement, DEA Droit et Justice, Université de
Lille II, 2003, 25 pages.
- Rapports et documents officiels :
131
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l’administration pénitentiaire, juillet 2003.
Rapport au Garde des Sceaux de la commission présidée par Monsieur CANIVET (G.),
Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, collection des rapports
officiels, Paris : La documentation française, 2000, 263 pages.
Rapport n°2521 à l’Assemblée Nationale de Monsieur FLOCH (J.), sur la situation des prisons
françaises, tome 1 (rapport) et tome 2 (auditions), 28 juin 2000.
Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la
République, tome 1 (rapport), 29 juin 2000.
Proposition de loi sur la peine et le service public pénitentiaire présentée par Madame
LEBRANCHU (M.), rédigée entre février 2001 et janvier 2002, 49 pages.
Ecole Nationale de la Magistrature, programme de formation initiale 2002 des auditeurs de
justice, 47 pages.
Ecole Nationale de l’Administration pénitentiaire, programme de formation de la 157ème
promotion d’élèves surveillants, 28 avril - 7 novembre 2003, 15 pages.
Ecole Nationale de l’Administration pénitentiaire, projet de formation de la 9ème promotion de
chefs de service pénitentiaire de 2ème classe, 3 mars - 10 octobre 2003, 20 pages.
Ecole Nationale de l’Administration pénitentiaire, programme de formation de la 8ème
promotion de conseillers d’insertion et de probation, 16 septembre 2002 - 16 septembre 2004,
84 pages.
Ecole Nationale de l’Administration pénitentiaire, programme de formation de la 34ème
promotion de directeurs, 3 mars 2003 - 3 mars 2005, 36 pages.
- Périodiques :
Discours du premier président de la Cour de Cassation AYDALOT et de M. ANCEL, magistrat,
« Réunion du comité d’honneur de l’association nationale des juges et des anciens juges de
l’application des peines, 7 février 1974 », Revue pénitentiaire et de droit pénal, avril-juin
1974, pages 279 - 292.
132
COUVRAT (P.), « Quelques propos sur les nouveaux services d’insertion et de probation »,
Revue de science pénitentiaire et de droit pénal comparé, 1999, chronique 626.
DECUGIS (J.-M.), LABBE (C.), RECASENS (O.), « Prisons, trafic à tous les étages », Le Point, 21
mars 2003, pages 112 - 114.
FAUGERON (C.), « Les personnels de surveillance : entre la méconnaissance et la
reconnaissance », Droit et société, 1992, n°22, pages 499 - 502.
KROMMENACKER (N.), « Surveillant pénitentiaire, un consultant pour une possible
métamorphose », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 1992, pages 141 - 208.
LEVASSEUR (J.), « Le décloisonnement de l’administration pénitentiaire et des autres
administrations publiques, séance de section du 24 novembre 1973 », Revue pénitentiaire et
de droit pénal, janvier-mars 1974, pages 9 - 27.
PEYROT (M.), « Une expérience de formation judiciaire en Vendée », Le Monde, 24 juin 1991.
PRIEUR (C.), « La prison reste un objet de fantasmes pour les Français », in « Les prisons de France », Le Monde Dossiers et Documents, février 2001, n°295.
Discours du Garde des Sceaux, Jean TAITTINGER, « Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, réunion annuelle du jeudi 7 mars 1974 », Revue pénitentiaire et de droit pénal, juillet-septembre 1974, pages 391 - 393.

- Sites internet :
www.assembleenationale.fr.
www.enm.justice.fr
www.justice.gouv.fr
www.prison.eu.org
www.reseauvoltaire.net
www.senat.fr

Notes:

[1Liberté littéraire d’accentuation, du préfixe grec privatif « a »

[2PRIEUR (C.), « La prison reste un objet de fantasmes pour les Français », in « Les prisons de France », Le Monde Dossiers et documents, février 2001, n°295

[3FOUCAULT (M.), Surveiller et punir, Naissance de la prison, réimpression de 1982, Paris : Gallimard, p. 236

[4Les conditions de détention sont « indignes de la patrie des Droits de l’Homme », Rapport n°449 au Sénat de Monsieur CABANEL (G.-P.), Prisons : une humiliation pour la République, Introduction (www.senat.fr)