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Lettre 065 Prison de Turi, 4 novembre 1930

Mise en ligne : 27 février 2005

Dernière modification : 10 avril 2005

Texte de l'article :

Prison de Turi, 4 novembre 1930

Très chère Julie,

J’ignore si tu te trouves toujours à Sotchi et si cette lettre devra t’être réexpédiée ou si tu es déjà rentrée de ta cure de repos. C’est pourquoi je ne t’adresse pas encore une longue lettre à la manière du docteur Grillo, lettre que j’avais déjà imaginée avec toute sa composition de dissertation académique. Ce sera pour une prochaine fois. En attendant je te préviens que « tout est découvert », qu’il n’existe plus de mystères pour moi, que j’ai été minutieusement informé sur ton véritable état de santé. C’était, à vrai dire, ce qu’en Italie on appelle « le mystère des choses connues », dans ce sens que j’avais compris que tu allais assez mal et que, pour le moins, tu traversais une crise morale qui devait avoir une base physiologique. J’aurais été un bien méchant « lettré » si je n’avais pas compris cela en lisant tes lettres qui, après une première lecture, que je dirais désintéressée et au cours de laquelle seule me guide mon affection pour toi, sont relues, pour ainsi dire en critique littéraire et psychanalyste. Pour moi, l’expression littéraire (linguistique) est un rapport de forme et de contenu : l’analyse me démontre et m’aide à comprendre si entre la forme et le contenu il y a une adhésion complète ou s’il existe des craquelures, des déguisements, etc. On peut certes se tromper si on veut particulièrement trop déduire, mais si on a de l’esprit critique on peut saisir beaucoup de choses et tout au moins un état d’âme général. Je t’écris tout cela pour t’avertir que désormais tu peux et tu dois écrire avec une extrême franchise. J’ai reçu, plusieurs photographies de nos enfants, très mal réussies techniquement parlant, mais malgré cela très intéressantes pour moi.

Je t’embrasse affectueusement.

ANTOINE