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Lettre 004 Prison d’Ustica, le 8 janvier 1927

Mise en ligne : 5 janvier 2005

Dernière modification : 16 mars 2005

Texte de l'article :

Ustica, le 8 janvier 1927

Ma très chère Julca,

... En vérité, je ne croyais pas posséder une telle réserve de force physique et d’énergie. Je n’ai ressenti aucun trouble depuis mon arrestation. Tous les autres, d’une manière ou d’une autre, ont eu des crises de nerfs, parfois très graves et toutes du même genre. Dans les cachots de Palerme, Molinelli, en une même nuit, s’est évanoui trois fois durant son sommeil en proie à des convulsions aiguës qui duraient jusqu’à vingt minutes sans qu’il fut possible d’appeler qui que ce fût pour le soigner. Ici, à Ustica, un ami abruzzais qui dort dans ma propre chambre s’est pendant de nombreuses nuits continuellement réveillé en proie à de sauvages cauchemars qui le faisaient hurler et sursauter de manière impressionnante. Moi je n’ai éprouvé aucun malaise, si ce n’est celui de dormir peu, chose peu nouvelle et qui, par ailleurs, ne pouvait avoir les mêmes conséquences qu’auparavant, étant donné l’état d’inertie où je me trouve réduit. Et pourtant mon voyage a été inconfortable et tourmenté puisque la tempête nous a par trois fois empêché d’atteindre Ustica. Je suis très fier de cette vertu de résistance physique que je ne croyais pas posséder. C’est pourquoi je t’en parle, c’est quelque chose qui compte dans ma situation actuelle et qui n’est pas négligeable.

Je t’écrirai souvent et longuement et je te décrirai dans le détail toute mon existence. Toi aussi écris-moi, ou fais-moi écrire par Genia ou par ta mère sur la vie des enfants et la vôtre. Tu dois être bien occupée et fatiguée. Je vous sens tous près de moi. Je t’embrasse tendrement.

ANTOINE