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Empêchements et bannissement

Ceux et celles qui me connaissent savent que je suis sorti il y a 9 mois

Mise en ligne : 13 octobre 2003

Dernière modification : 3 décembre 2003

Texte de l'article :

David Acerbis
Le 03-10-03
Portable : 06-75-99-73-70

Bonjour à toute l’équipe ainsi qu’à toutes et tous les Aminches dedans/dehors.

Après un long silence de ma part, trop long silence, me revoici avec mes écrits et toujours ma rage au ventre. Rage contre ce système pourri, ce système qui crée des prisons tant physiques que virtuelles… Ceux et celles qui me connaissent savent que je suis sorti il y a 9 mois - le 26-12-2002 exactement- mais c’était, hélas, pour retomber dans une autre prison mais pas une prison avec de hauts murs en béton, non… celle-ci avait des murs invisibles, bien plus sournoise que celles que nous connaissons. Je suis sorti entier et debout (mais marqué) de ces murs ignobles… De cette prison virtuelle, je suis sorti abîmé mais toujours droit et mon combat repart de plus belle.

La prise de conscience inflige à toute personne douée de réflexion personnelle bon nombre d’émotions, pour ma part, elles sont légion ! Mais malgré cela, il n’est pas aisé de trouver les mots justes pour faire comprendre aux personnes envahies et éblouies par les mensonges journalistiques ce qu’est vraiment le monde carcéral ; ce monde froid et misérable, ce monde injuste et injustifié. La crainte d’une incompréhension probable face aux problèmes et injustices qu’entraînent la prison, l’évidente frontière comme des murs érigés trop hauts pour mieux entretenir l’ignorance entre deux mondes : le « notre », celui qui m’a amputé de ’quasi- 4 ans de ma vie et dont vous faites partie compagnes et compagnons de la mistoufle, lequel a été bâti dans celui des « autres » dont je fais partie maintenant mais dans lequel je me sens totalement étranger, bien que ce dernier se dise libre. 

Bon nombre de gens sont privés de liberté et n’en savent rien. L’ignorance est le premier verrou de leur cellule. Je me souviens de certaines lettres aux mots écrits serrés que j’avais reçu quand j’étais en ces murs ignobles ; je me sentais plus libre que leur auteur… car vous le savez mes Amis-es si, en étant détenu-e, on laisse les clés entrer dans nos têtes, là, on peut dire que l’on est PRISONNIER de ces murs infects !!! Alors, avec la force qui est mienne, de par mes écrits, j’amenais ces personnes prisonnières d’elles même, prisonnières de cette société immonde dans un monde de liberté… et quand bien même mes écrits sortaient de ces murs abjects, ils étaient imprégnés de LIBERTE !!!

L’écriture peut être salvatrice car elle peut être une arme de défense ou d’attaque. Elle est à mon sens une attention parfois plus sincère que bien d’autres formes de communication. Elle requiert une application et la sincérité tant dans la forme que pour le fond ; les mots écrits gardent vie dans leur entièreté par les marques qu’ils impriment à la feuille.

L’impression met au rencard l’amnésie et l’oubli. L’écriture est aussi de l’instant, elle prend forme aux couleurs du moment sous l’impression des sentiments, des pensées, des réflexions… Elle fixe ce qui ne peut être figé… Paradoxe ! Des mots tissés comme un canevas, une toile passe muraille… Pourquoi tous ces mots sur l’écriture ? Tout simplement pour vous dire à vous, personnes « libres », vous, Amis-es et famille d’embastillés et vous aussi détenus-es qu’il faut toujours écrire même si l’on croit que les mots sortis et imprégnés sur la feuille ne servent à rien… Ils sont une force, une arme, un espoir, un moyen d’évasion.

Pour ma part, je me remets activement aux écrits, tant personnels que « politiques », ce qui inclue les Aminches qui sont encore dans les geôles tant en ce pays que dans d’autres.

Certains-es évoquent la Liberté et en ce jour, je m’accorde celle d’écrire à l’unilatérale cette lettre à l’équipe ici présente mais aussi pour vous compagnes et compagnons de la mistoufle ! Un peu court diront certains ? Alors voilà donc cette Liberté qui se proclame en cause et faute à elle-même de n’être point moi-même ici, à la place de ces écrits pour vous dire de vive voix tout mon soutien et tout mon respect ! Mais ceux qui disent ceci, qui osent critiquer une telle démarche, celle d’écrire aux détenus-es et de par-là les soutenir, n’ont pas de respect pour la vie ou alors si peu…
Et croyez-moi, le respect n’est pas de ce côté-ci de la barrière, les murs qui nous séparent le savent ! Ils ont vue sur nos deux mondes ; c’est ainsi qu’ils affichent, arrogants, leur certitude de se savoir encore un « bel avenir », une confortable assurance de longévité.

Autant dire que les prisons seront toujours présentes tant que l’homme libre (ou qui se croit libre) ne saura qu’il ne peut y avoir de véritable Liberté sans un respect total, entier, de tous comme de soi. L’homme est simplement immature, triste animal en défaut d’Humanité !

Toujours sans vouloir juger les actes passés de ceux et celles qui sont embastillés, je ne peux retenir les nausées que m’infligent les trop nombreuses révélations portées à la connaissance de tous par les témoignages, rapports ou tous autres articles mis en ligne sur Internet ou émis à la radio… Détenus-es, famille de détenus-es, avocats, médecins, surveillants, visiteurs ; tous savent, beaucoup témoignent aujourd’hui et les problèmes ne sont pas résolus, pire ! Ils s’aggravent !

Témoignages, lettres, rapports dressent un état des lieux révoltant. Des dizaines de pensées me vrillent l’esprit en réaction et toutes me laissent avec une seule question : Pourquoi ? Que faut-il faire pour qu’enfin les décideurs agissent ? Haranguer les foules, organiser des débats, ne pas se décourager face à la bêtise des gens, face à leur ignorance, face à leur peur. Personnellement, je n’abandonne toujours pas tout espoir de sensibiliser un plus grand nombre de personnes aux problèmes actuels des détenus-es et il m’arrive parfois de trouver un écho là où je ne l’attendais pas ! A bien des gens cela semble futile mais qu’importe en réalité ! S’ils me jugent pour si peu, à mon tour je les juge pour plus grave ! A mes yeux, l’essentiel leur fait défaut et pour moi, l’essentiel est le respect de l’être humain et la LIBERTE… celle qui permet d’agir, de penser, d’aller où bon nous semble. Si actuellement, cette LIBERTE n’est pas évidente car physiquement et malgré que nous soyons dans un pays soi-disant libre, la LIBERTE est restreinte, la mienne, sans prétention aucune de ma part, est grande car jamais personne ne viendra marcher dans ma tête ! Et si j’arrive à transmettre cette LIBERTE à ne serait-ce qu’un-e embastillé-e et bien ça me prouvera que j’aurais été plus grand que moi même ! Souhaiter « approcher » un être dont on ignore tout ou presque si ce n’est son enfermement et ses souffrances n’est pas aisé mais étant passé par là, je fais acte ici et maintenant de vouloir et pouvoir correspondre avec toute et tout embastillé-é qui souhaiterait prendre un brin de liberté par le biais des écrits. 

Pour aujourd’hui j’en reste là, toutes mes meilleures pensées à l’équipe, à toutes et tous détenus-es,
Force et Détermination, DAVID...