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I. Le travail auprès des mineurs, un projet pour les services pénitentiaires

Guide du travail auprès des mineurs en détention

Mise en ligne : 28 octobre 2003

Dernière modification : 28 novembre 2003

Texte de l'article :

I. Le travail auprès des mineurs, un projet pour les services pénitentiaires

Les enjeux

La délinquance des mineurs est une préoccupation permanente au sein de la société française. La prévention et le traitement de cette délinquance sont un axe prioritaire de l’action gouvernementale et mobilisent de façon forte l’Etat, ses administrations, les collectivités territoriales et toutes les institutions et organismes concernés.

L’administration pénitentiaire y est impliquée, car elle doit assumer, conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, l’exécution des décisions judiciaires privatives de liberté. Ses personnels sont confrontés au quotidien aux difficultés inhérentes à l’exécution de cette charge.

L’administration pénitentiaire veut améliorer la qualité de sa prise en charge des mineur(e)s incarcéré(e)s. Plus que toute autre, l’incarcération des mineurs la confronte aux valeurs qui la fondent et la légitiment.. Elle est convaincue que c’est du point de vue de sa compétence, une des fortes contributions qu’elle peut apporter à l’objectif de prévention de la délinquance.

Le travail auprès des mineurs incarcérés est parmi les charges et les responsabilités qu’assume l’administration pénitentiaire l’une des plus complexes et des plus lourdes. A ce titre elle requiert une attention soutenue et justifie que soit mis en place et maintenu un dispositif spécifique qui puisse répondre aux objectifs assignés par la loi et l’institution judiciaire ainsi qu’aux exigences générées par l’incarcération elle-même. Ce dispositif est élaboré et mis en œuvre avec un souci constant de cohérence et de complémentarité avec l’intervention des services de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Les mineurs, ce qui les caractérise

L’autorité parentale

Les mineurs sont placés sous l’autorité de leurs parents. Ils en sont dépendants pour accomplir un certain nombre d’actes juridiques, mais celle-ci correspond également pour les parents à une obligation de protection, d’éducation. Cette autorité parentale appartient dans la très grande majorité des cas aux parents qui n’en sont dessaisis qu’exceptionnellement.

Les parents sont les médiateurs naturels entre l’enfant et la société, même s’ils n’en sont pas les seuls, la famille élargie, l’Education nationale, le Jeunesse et les Sports, le monde associatif ayant aussi une part importante à prendre en la matière. Ils conservent cette responsabilité indépendamment de l’incarcération de leur enfant et doivent rester impliqués dans nombre de décisions concernant celui-ci.

La responsabilité pénale

La minorité n’établit pas un principe d’irresponsabilité et dans le champ pénal un dispositif spécifique est organisé par l’ordonnance du 2 février 1945. Elle pose au regard de cette minorité, la priorité de l’éducatif et prévoit à ce titre des mesures spécifiquement destinées aux mineurs comme la mesure d’investigation et d’orientation éducative, la liberté surveillée préjudicielle, la liberté surveillée, la réparation pénale. Des mesures applicables aux majeurs comme le contrôle judiciaire, le sursis avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général, l’incarcération leur sont aussi applicables. Ce panel de mesures vise à adapter la réponse judiciaire à l’âge du mineur, sa personnalité, l’acte ou les actes commis, et à l’évaluation de son degré de responsabilité.

L’incarcération des mineurs doit conserver en tout état de cause un caractère exceptionnel.

Elle est d’ailleurs définie de façon restrictive, notamment en matière de détention provisoire, comme pour les condamnations. C’est ainsi que s’agissant d’enfants de moins de 13 ans aucune mise en détention n’est possible.

Pour les mineurs de 13 à 16 ans, la détention provisoire n’est possible qu’en matière criminelle et limitée dans le temps. Seuls les mineurs de 16 ans et plus peuvent être placés en détention provisoire en matière correctionnelle.

Lorsqu’ils sont condamnés, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs ne peuvent prononcer une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue, de façon systématique pour les mineurs de 13 à 16 ans, à l’appréciation du tribunal pour les mineurs de 16 ans et plus. Dans ce cas, la décision doit être spécialement motivée.

Traits de caractère et de psychologie

Les mineurs incarcérés sont et restent des enfants ou des adolescents dont la personnalité est en voie de formation et en constante évolution. Ils vivent un passage où les repères identitaires sont bousculés tant physiquement que psychologiquement. Ils sont confrontés à leur implication dans de graves passages à l’acte dont ils ont à assumer d’une certaine façon la responsabilité ; des enfants connaissent de graves difficultés d’équilibre affectif, psychologique et d’insertion. Leurs histoires se ressemblent et ont souvent été émaillées de ruptures précoces, de violence, de manque de repères affectifs, d’insécurité, de carences familiales.

Une incarcération au nom de la loi

La décision d’incarcération appartient au juge. Elle résulte, pour nombre de mineurs, de la multiplicité de passages à l’acte que les accompagnements éducatifs n’ont pas permis d’éviter. Elle peut aussi répondre à un acte particulièrement grave. Elle est alors l’ultime réponse de rappel à la loi.

Les motifs juridiques et judiciaires du placement en détention doivent être clairement explicités au mineur. C’est parce qu’il est prévenu, accusé d’une infraction ou condamné qu’il est placé en détention, à défaut de toute autre mesure alternative possible au regard de la répétition des actes de délinquance ou de la gravité de l’acte commis. Les motifs juridiques et judiciaires doivent être clairement distingués de ce qui pourrait être de l’ordre d’une volonté éducative, afin de permettre la cohérence de la parole judiciaire et que chaque institution (PJJ, AP, juge) puisse être clairement située dans le processus judiciaire. La décision d’incarcération ne vient pas par défaut, en lieu et place d’une autre : c’est à cette condition que l’administration pénitentiaire est en mesure de prendre pleinement sa place dans le processus judiciaire.

Dans le contexte carcéral les divers intervenants doivent avoir le souci fort de légitimer les limites qu’ils posent. Il y va de la capacité de l’institution pénitentiaire à énoncer la loi, ce qui est l’essence de sa mission. Cette légitimité se construit par l’affirmation vérifiable que la prison est un lieu où tous respectent la loi, et donc se respectent les uns les autres. Un tel message se transmet au quotidien par des postures et attitudes adaptées. Par exemple, l’obligation d’être à l’heure ne peut être que partagée sauf à devenir une brimade. Il en est de même pour la correction vestimentaire…L’interdiction de fumer dans certains lieux s’impose à tout le monde, mais de même on ne fume pas dans la cellule d’une personne détenue sauf si elle en donne l’autorisation, etc. Cette légitimité se construit par la démonstration que la prison est un lieu où les mineurs sont sous la protection de la loi. De ce fait, les infraction commises dans le contexte carcéral sont particulièrement déstructurantes si elles n’apparaissent pas comme clairement interdites, donc sanctionnées selon les procédures internes mais aussi par la voie judiciaire. Que dit de fait au mineur l’institution carcérale dans le cas d’une telle carence, tant à l’auteur qu’à la victime ? Qu’à l’intérieur des murs de la prison il n’y a plus d’interdit ? Les phénomènes de racket et de violences entre mineurs détenus doivent mobiliser et faire réagir l’institution ; à défaut, elle court le risque qu’ils deviennent destructeurs de toute légitimité.

Une démarche constructive

Sous peine d’être disqualifiée et en contradiction avec l’esprit et la lettre de la loi, la prise en charge de ces mineurs se doit d’être constructive. Les projets de service et l’engagement des personnels travaillant en quartier mineurs témoignent de ces exigences éducatives :
- incitations fortes relatives à la vie quotidienne : lever, repas, promenades, activités ;
- paroles échangées dans les moments difficiles ou le soir ;
- interventions sur les comportements et même le langage des jeunes ;
- manière de sanctionner en veillant à être compris ;
-incitations à aller en activités.

La qualité d’une prise en charge se mesure à la prise en compte de la manière dont le mineur appréhende son incarcération, à sa capacité à se mobiliser sur les choix qui lui sont proposés de participer à diverses activités, lesquels peuvent lui être donnés sous une forme plus ou moins contractualisée. Le suivi doit mesurer et respecter le cheminement singulier de chacun, indispensable aux prises de conscience et à la construction de nouvelles attitudes.

L’intervention auprès des mineurs se doit d’être une démarche dynamique, volontaire, fondée sur la parole, visant à ouvrir, de façon fortement individualisée, de réelles perspectives pour chacun d’entre eux. Elle rappelle au mineur qu’il a un travail à faire sur la compréhension de ce pour quoi il est en prison, ce qui l’y a amené, sur ses passages à l’acte et leurs conséquences. Elle doit l’amener à prendre en considération les victimes de sa délinquance.

Elle mobilise le mineur face à la nécessité et l’utilité, conformément aux dispositions légales et réglementaires définissant ses droits et obligations, de se remettre à niveau dans le domaine scolaire et de la formation professionnelle, du point de vue de sa santé et de ses relations familiales au sens large. Elle doit permettre et consolider l’acquisition de repères clairs et identifiés, l’apprentissage des règles de vie en société, le respect des autres et de soi, de la vie en collectivité.

La prise en charge des mineurs incarcérés relève plus que toute autre d’un partenariat diversifié, permettant à chaque institution d’assumer vis-à-vis du mineur les responsabilités et prérogatives qui lui sont propres. Elle exige que soit définie une organisation particulièrement élaborée et cohérente, permettant une distribution dynamique des rôles entre tous les intervenants, entre personnels pénitentiaires et également au sein des personnels de surveillance eux-mêmes. La clarification des missions et le développement des compétences des personnels de surveillance au sein des quartiers mineurs sont des éléments déterminants de l’amélioration de la qualité des prises en charge pluridisciplinaires.

Elle doit éviter deux écueils :

- dans une situation carcérale où les intentions qui sous-tendent la décision d’incarcération échappent souvent autant au mineur qu’aux équipes, où les effets attendus sont mal identifiés et le moment de la sortie difficilement prévisible (80% des mineurs incarcérés le sont au titre de la détention provisoire), où les comportements du sujet s’exacerbent et désespèrent les intervenants, le risque est de voir la détention se réduire à une simple gestion alimentaire des mineurs détenus, qui sont alors en situation d’abandon.

- A l’inverse, il faut se garder d’utiliser la situation carcérale à la seule fin d’intégrer le mineur détenu dans des programmes d’activités préconçus et appliqués avec un souci minimum d’individualisation, de façon plus ou moins imposée, en jouant de la contrainte de l’enfermement. Plus qu’à la réalisation à son terme d’un programme d’activités préformatées, la qualité d’une prise en charge se mesure aux évolutions individuelles que chaque mineur a pu construire, si minimes soient-elles, en s’appuyant sur l’accompagnement mis en place.

Une forte implication des personnels

Les postures et attitudes justes des personnels, en dehors de tout arbitraire, créant de la fiabilité et de la confiance, sont des éléments essentiels pour que les mineurs commencent à retrouver une meilleure estime de soi et une plus solide prise de conscience de soi. Elles sont les meilleurs vecteurs d’une amélioration de la relation des mineurs avec le monde adulte.

Le terme de médiation décrit bien l’investissement des personnels, et cette position de bonne distance qui échappe au double piège de la commisération et de l’indifférence à l’égard du mineur et qui s’oppose aux attitudes d’abandon ou d’intervention par trop « comportementaliste ».
Parler de médiation c’est évoquer une attitude faite d’exigences et de respect de la place du sujet. Or les mineurs détenus ont souvent manqué ou n’ont pu bénéficier dans leur histoire des médiations sociales fondamentales qui permettent l’intégration de comportements sociaux autonomes et la mise en place d’un fonctionnement cognitif efficient.
Ainsi l’équipe pluridisciplinaire doit-elle s’organiser autour de ce rôle de médiateur. Si la médiation sociale est ce qui a manqué essentiellement à ces jeunes, il n’y a pas mieux à faire que de leur offrir dans le temps de détention une médiation forte, attentive à leurs initiatives et à leurs réactions. Ainsi a-t-on attribué au sujet une capacité à comprendre, à communiquer et donc à progresser alors qu’il n’a généralement qu’une image extrêmement négative de lui-même et ne s’en croit pas capable. Dès lors les conditions existent pour que le sujet advienne dans une progression, un avenir et ne s’identifie plus seulement au passé, à la répétition.

Une méthode fédérative et d’accompagnement

Cette méthode, définie de façon suffisamment précise pour pouvoir servir utilement de cadre normatif et d’évaluation, laisse la place qui doit revenir à l’adaptation et l’initiative sans lesquelles il n’y a ni efficacité ni innovation.
Elle doit servir de référence pour analyser et valider, dans le cadre du projet d’établissement, les projet de service des quartiers mineurs sous tous leurs aspects : organisation du travail des uns et des autres, organisation du partenariat, organisation du fonctionnement quotidien de ces quartiers, niveau d’équipement, etc.

Elle vise à accompagner l’engagement et le travail de chacun dans cette ambition d’ouvrir aux mineurs incarcérés au-delà des actes de délinquance qu’ils ont posés et qu’ils ont en tout état de cause à assumer, des perspectives réelles de développement personnel et d’insertion.