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L’alimentation

Type : Word

Taille : 40 kio

Date : 13-06-2016

L’alimentation

Publication originale : 1er mai 2002

Dernière modification : 13 juin 2016

Objet de controverses, l’alimentation distribuée gratuitement trois fois par jour par l’administration pénitentiaire apparaît de qualité très variable. « Gamelle » infecte pour les uns, trop éloignée des habitudes des autres, ou prestations équivalentes à celles de n’importe quel service de restauration collective… Les avis divergent, si bien que certains jettent la nourriture aussitôt distribuée et compensent par des achats effectués en cantine, tandis que d’autres s’en satisfont. Dans la plupart des prisons, les détenus prennent leurs repas en cellule, sauf dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) où des espaces collectifs sont prévus à cet effet. Il est également toléré qu’ils cuisinent en cellule, dans des conditions souvent rudimentaires, si ce n’est dangereux pour la santé, du fait de l’utilisation de pastilles chauffantes toxiques et cancérogènes.

Texte de l'article :

Qui assure la composition du menu, la préparation et la distribution de la nourriture en prison ?

Aux termes du Code de procédure pénale, « la composition du régime alimentaire des détenus est fixée par l’administration », qui a pour mission d’assurer un « hébergement, un accès à l’hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques ». Les menus doivent être en principe élaborés en lien avec un diététicien et communiqués à l’UCSA. « Trois distributions journalières » sont prévues dans chaque prison à des heures déterminées par le règlement intérieur, sachant que « les deux principaux repas doivent être espacés d’au moins six heures ». En pratique, l’administration n’assure pas elle-même dans tous les établissements pénitentiaires la composition du menu, la préparation et la distribution de la nourriture. En 2010, 26 millions de repas, hors petit-déjeuner, ont été distribués en « gestion publique » par l’administration, tandis que les prestataires privés auxquels elle a délégué cette mission dans 48 établissements ont assuré la distribution de 19 millions de repas. Les sociétés de restauration collective qui, en 2011, étaient titulaires d’un marché public passé avec l’administration pénitentiaire sont la Sodexo Justice Service, Compass, Sogeres et Avenance. Cette externalisation a conduit à une certaine uniformisation des repas, présentés sous forme de « barquettes individuelles » conservées dans des chambres froides et livrées en liaison froide, un à plusieurs jours avant d’être consommées. La remise à température est la plupart du temps effectuée en cuisine ou dans les chariots chauffants utilisés par les détenus chargés de la distribution des repas (auxiliaires du service général, surnommés « gamelleurs »). En principe, des formations doivent être « dispensées systématiquement aux personnels ou détenus affectés aux cuisines ainsi qu’aux auxiliaires d’étage ainsi que chacun, en fonction de son niveau d’activité ou de responsabilité, puisse s’approprier les connaissances nécessaires à la maîtrise des règles d’hygiène en restauration collective et acquérir les comportements adaptés dans le cadre de la gestion du risque alimentaire ». Chaque établissement doit veiller « scrupuleusement au respect de la mise en œuvre des protocoles HACCP (plan de maîtrise sanitaire élaboré dans chaque établissement) en termes de réception des marchandises, de stockage, d’élaboration des produits, de distribution, de contrôles bactériologiques des produits et autres contrôles par les organismes habilités, ainsi que le nettoyage des locaux de stockage et de restauration ». Les détenus intervenant dans la chaîne alimentaire (de la réception à la distribution) doivent également se voir dotés de « tenues adaptées (tablier, charlotte, gants, pantalons, chaussures) », qui doivent être changées tous les jours.
Article 46 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ; ; articles D. 247 et D. 342 du Code de procédure pénale ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français (2008-2012), mars 2011.

Quelles sont les normes de qualité applicables à la nourriture distribuée en prison ?

En principe, « les détenus doivent recevoir une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l’hygiène, compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de la nature de leur travail et, dans toute la mesure du possible, de leurs convictions philosophiques ou religieuses ». Les gestionnaires « publics et privés » des établissements pénitentiaires sont tenus de respecter un certain nombre de règles « relatives à la qualité nutritionnelle des repas qu’ils proposent » et de « privilégier, lors du choix des produits entrant dans la composition de ces repas, les produits de saison ». Un décret du 30 janvier 2012, entrant en vigueur le 1er juillet 2013, précise ces règles, édictant notamment que « quatre ou cinq plats » devront être « proposés à chaque déjeuner ou dîner, dont nécessairement un plat principal avec une garniture et un produit laitier ». En réalité, tant quantitativement que qualitativement, les repas s’avèrent dans certains cas insuffisants, et les détenus qui le peuvent complètent leur alimentation par des achats en cantine. Dans son avis 71 du 1er décembre 2011 sur l’ « alimentation en milieu carcéral », le Conseil national de l’alimentation (CNA) signale surtout que l’uniformité des repas distribués apparaît inadaptée à la diversité des besoins nutritionnels des personnes détenues, selon leur catégorie d’âge notamment. Il estime qu’un éventail démographique large devrait interdire à l’administration et aux prestataires de services privés de « raisonner en termes de moyennes, par exemple, pour évaluer la réalité des besoins ». La consultation des personnes détenues sur les quantités, les horaires ou la qualité de la nourriture distribuée n’est jamais organisée dans les établissements pénitentiaires. En tout état de cause, la « distribution de nourriture impropre à la consommation », est susceptible de caractériser un traitement inhumain et dégradant (Cour européenne des droits de l’Homme, arrêt Ilascu et autres c/Moldova et Russie du 8 juillet 2004).
Article 3 de la convention européenne des droits de l’Homme ; articles D. 247, D. 342 et D. 354 du Code de procédure pénale ; articles L. 230-5 et D. 230-26 du Code rural et de la pêche maritime ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français (2008-2012, version 3), mars 2011 ; Recommandation nutrition, Groupe d’Étude des marchés de restauration collective et de nutrition, juillet 2011.

Une alimentation spécifique est-elle envisagée pour certains prisonniers ?

Les détenus de moins de vingt et un an doivent disposer d’un régime alimentaire amélioré par rapport à celui des adultes, ce qui se traduit par l’ajout d’un « goûter », distribué par l’administration en même temps que le déjeuner. Les situations des femmes allaitantes, des personnes âgées et des nouveaux arrivants doivent également faire l’objet d’une attention particulière en matière d’alimentation. Les régimes alimentaires stricts, prescrits par un médecin en raison de maladies comme le diabète ou le cholestérol, doivent être impérativement respectés par l’administration (régimes diabétiques-hypocaloriques, pauvres en graisses saturées, hyposodés, hypercaloriques…). Des apports complémentaires peuvent également être prescrits par le médecin de l’UCSA et délivrés directement aux personnes concernées. Sous réserve que cela ne cause ni « perturbation dans la gestion de la prison ni baisse de la qualité des repas servis aux autres détenus », l’administration doit par ailleurs servir des repas tenant compte de la religion des détenus (Cour européenne des droits de l’Homme, arrêt Jakobski c/ Pologne du 7 décembre 2010, n° 18429/06), ce qui n’est pas toujours respecté en pratique. Des régimes sans porc et végétarien ont très souvent prévus, mais il n’existe généralement pas de possibilité pour les détenus de se fournir en viande « halal » par exemple. L’administration pénitentiaire doit enfin faciliter l’ « acquisition par les détenus (via les cantines) de denrées à titre de complément alimentaire de confort ou répondant à des critères d’ordre cultuel ou philosophique ».
Article 9 de la convention européenne des droits de l’Homme ; articles D. 354, D. 361 et D. 369 du Code de procédure pénale ; note DAP du 26 juillet 1979 ; DAP, Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français (2008-2012), mars 2011.

Quelles autorités saisir à propos de l’alimentation ?

Aux termes de la loi, c’est l’administration pénitentiaire qui doit assurer aux détenus une « alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques ». Il lui appartient également d’ « élaborer un plan de maîtrise sanitaire (HACCP) », d’ « assurer la formation et la qualification des personnels et des détenus travaillant en restauration collective, ou de contrôler la qualification des personnels contractants pour les établissements en gestion déléguée », et plus globalement de résoudre tout problème relatif à l’alimentation. Si le détenu n’obtient pas de réponse à ses demandes auprès des personnels ou de la direction de l’établissement, il peut s’adresser à leur supérieur hiérarchique (direction interrégionale des services pénitentiaires pour le chef d’établissement), mais aussi des autorités sanitaires. En effet, le médecin responsable de l’UCSA doit également veiller à l’ « observation des règles d’hygiène collective et individuelle dans l’établissement pénitentiaire », et il est « habilité à visiter l’ensemble des locaux de l’établissement », y compris les cuisines. Il doit « signaler aux services compétents les insuffisances en matière d’hygiène et, de manière générale, toute situation susceptible d’affecter la santé des détenus », ainsi que donner « son avis sur les moyens d’y remédier ». Il se doit ainsi d’exercer une « vigilance particulière » sur l’ « hygiène alimentaire », au regard des conséquences possibles d’une « toxi-infection alimentaire collective ». Par ailleurs, le médecin doit effectuer les « contrôles médicaux et les examens bactériologiques » nécessaires au classement des personnes détenues affectées aux cuisines, et s’assurer que ces dernières sont « systématiquement informées des règles relatives à l’hygiène alimentaire ». L’organe de contrôle externe plus particulièrement chargé de veiller à l’ « hygiène et à la sécurité des produits alimentaires » est la « direction départementale de la protection des populations » (DDPP), parfois appelée direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). C’est donc cette autorité départementale, qui remplace les anciennes directions départementales des services vétérinaires (DDSV) qu’il est conseillé de saisir. L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et les agences régionales de santé (ARS) ont aussi pour mission de veiller de façon générale au respect des règles d’hygiène et peuvent être éventuellement saisies, même s’il n’est pas exclu qu’elles renvoient à la compétence de la DDPP. Les agents dépendant de la DDPP, de l’ARS ou de l’IGAS et chargés du contrôle de l’hygiène alimentaire disposent de pouvoirs d’enquête sur place, leur permettant notamment de faire des prélèvements. Lorsqu’un de ces agents constate la « méconnaissance de règles relatives à la qualité nutritionnelle » de l’alimentation, l’ « autorité administrative compétente » peut mettre en demeure le gestionnaire du service de restauration concerné de « respecter ces règles dans un délai déterminé ». Ce n’est qu’en cas de non-conformation à cette mise en demeure que peut être décidé l’ « affichage dans l’établissement concerné des résultats des contrôles diligentés par l’État ». Les comptes rendus d’enquête sur l’hygiène alimentaire devraient cependant être considérés comme communicables au détenu qui en fait la demande, et il peut saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en cas de refus. En pratique, les contrôles demeurent assez rares et cantonnés au respect de l’hygiène au sens strict, tandis que la quantité, la qualité ou la chaleur de la nourriture sont rarement contrôlées.
Article L. 230-5 du Code rural et de la pêche maritime ; articles D. 348-1, D. 380 du Code de procédure pénale ; Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, ministère de la Santé et de la Protection sociale, ministère de la Justice, septembre 2004.

La consommation d’alcool est-elle autorisée en détention ?

Depuis un décret du 8 décembre 1998, la vente en cantine de toute boisson alcoolisée est interdite. Seule est désormais admise la vente de bière dite « sans alcool », dont le taux d’alcoolémie est inférieur à 1,2 degré. Le fait de détenir des substances non autorisées par le règlement ou de se livrer à leur trafic ainsi que le fait de se trouver en état d’ébriété constituent des fautes disciplinaires.
Articles D. 249-1 et D. 346 du Code de procédure pénale ; circulaire JUSE984000SC du 9 décembre 1998.

Est-il possible de recevoir des produits alimentaires de l’extérieur ?

L’envoi ou la remise de colis alimentaires à l’intention des détenus est interdit. Cependant, au moment des fêtes de fin d’année, les personnes titulaires d’un permis de visite permanent ou celles ayant obtenu une autorisation du chef d’établissement peuvent remettre (l’envoi reste interdit) un colis de vivres ne dépassant pas deux fois cinq kilos à l’intention d’un détenu. Les aumôniers israélites sont quant à eux autorisés à remettre aux détenus de leur confession un colis de denrées rituelles à l’occasion des fêtes de la pâque juive, du nouvel an israélite (Rosh ha-Shana) et du Grand Pardon (Yom Kippour). Il en est de même pour les détenus musulmans : ils peuvent recevoir des colis des imams pour les fêtes de l’Aïd El Fitr (fin du ramadan) et de l’Aïd El Kebir. À l’occasion de ces différentes fêtes, les denrées rituelles peuvent également être mises en vente en cantine et, pendant le ramadan, les modalités de distribution peuvent être aménagées. Chaque colis doit être accompagné d’un inventaire complet des denrées qu’il renferme. Les boîtes métalliques et récipients en verre sont prohibés.
Article D. 423 du Code de procédure pénale ; circulaire DAP E8940075C du 3 novembre 1989 ; notes DAP des 6 mars 1972, 11 mars 1993, 11 août 1994, 23 octobre et 3 décembre 1990.

Est-il possible de cuisiner en cellule ?

Le Code de procédure pénale prévoit que les « vivres vendus en cantine » ne doivent comporter que des denrées « qui peuvent être consommées sans faire l’objet d’aucune préparation », à moins que « le règlement intérieur de l’établissement ait prévu l’installation de cuisines spéciales ». Cependant, en permettant aux détenus de cantiner des ustensiles de cuisine ainsi que des aliments et des plats à cuire, l’administration autorise de fait les personnes détenues à cuisiner en cellule. Lorsque l’établissement ne dispose pas de cuisine collective (généralement aménagée dans les établissements pour peines), les détenus ont la plupart du temps la possibilité de cantiner et d’installer une plaque chauffante en cellule. Néanmoins, dans plusieurs dizaines d’établissements, l’usage de plaques chauffantes est prohibé, ce que l’administration explique par l’inadaptation des systèmes électriques. Les détenus peuvent alors acheter en cantine des pastilles chauffantes à base d’hexaméthylènetétramine (pastilles « Chofvit », « Amiflam »…), en principe dédiées au camping, comme l’atteste la mention « ne pas utiliser dans une atmosphère confinée » figurant sur leur emballage. Le formaldéhyde, gaz issu de la combustion de ces pastilles, est classé comme « cancérogène avéré chez l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer, rattaché à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour prévenir les risques liés à l’utilisation de ce produit, l’administration pénitentiaire se contente de diffuser une notice d’information dans laquelle elle recommande aux détenus de « pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion des pastilles ». Le 12 avril 2012, l’administration pénitentiaire a été condamnée pour faute par le tribunal administratif de Versailles pour avoir proposé les pastilles chauffantes comme seul moyen de cuisson à un détenu, sans accompagner cette mise à disposition de « mesures appropriées de nature à préserver la santé de l’intéressé » (TA de Versailles, 12 avril 2012, Mostefa, n° 0911827).
Enfin, nombre de détenus fabriquent leur propre « chauffe » artisanale, par exemple en imbibant d’huile de petits bouts de serpillière ou de tissu déchiquetés. Cette pratique, interdite par l’administration mais souvent tolérée en pratique, s’avère également nocive dans l’espace confiné de la cellule, qui ne possède aucun conduit d’évacuation des gaz de combustion. Quant aux réfrigérateurs, ils peuvent être loués au sein de certains établissements pénitentiaires.
Articles R. 57-7-33 et D. 345 du Code de procédure pénale ; Évaluation des risques liés à l’utilisation de l’hexaméthylènetétramine, combustible utilisé en milieu pénitentiaire, CCTV, janvier 2007.