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(2001) Nasuko : Méthadone et séjours résidentiels

Mise en ligne : 21 septembre 2003

Dernière modification : 25 mars 2005

Texte de l'article :

NASUKO 2001
Conférence Nationale sur les traitements de substitution

Atelier 6 : Méthadone et séjours résidentiels
Animation : Bruno Gravier, médecin psychiatre

La Suisse, avec quelques autres pays, est un véritable laboratoire en matière d’expérimentation de nouvelles pratiques dans le traitement de substitution. La situation n’est donc pas figée, mais lorsque l’on évoque les traitements de substitution en milieu résidentiel, la notion recouvre une réalité plus complexe qu’il n’y paraît. En prison ou dans les institutions, les modalités de prise en charge sont différentes, mais dans les deux cas, les changements d’optique restent difficiles à mettre en œuvre.
Or il existe, en Suisse, de nombreux toxicomanes qui souhaiteraient suivre un traitement de substitution en résidentiel (20% des héroïnomanes à Bâle) mais ils se heurtent à des institutions qui pratiquent souvent l’abstinence. Et rares sont les établissements pénitenciers (4 dans tout le pays) qui acceptent que les détenus poursuivent ou démarrent une substitution à la méthadone.
Un consensus est-il possible et à quelles conditions ?

La méthadone en prison : une apparente contradiction.

Le séjour en prison, notamment pour les peines de longue durée, vise la réparation de l’erreur commise par la sanction. L’abstinence est donc la règle. Il y a donc apparemment contradiction entre l’entretien de la dépendance par la prise d’un médicament de substitution et la finalité du séjour. La pratique du sevrage constitue encore la norme, même si certains établissements autorisent les toxicomanes à poursuivre ou démarrer une cure, pour autant qu’ils aient été condamnés à des peines de courte durée. Mais les conditions du traitement ne sont pas toujours idéales. En effet, il peut arriver que certains gardiens, contre l’avis du médecin de l’établissement diminuent les doses sans rien dire, faisant ainsi preuve d’une fermeture moralisante. 
La méfiance est encore générale et beaucoup de préjugés circulent sur la substitution à la méthadone. Les infirmiers, par exemple, craignent les effets de la circulation de stupéfiants dans l’enceinte de la prison. Les gardiens perçoivent la méthadone comme un désaveu de la fonction première de la prison : la sanction ! On touche là à leur identité profonde. Et force est de constater que le monde médical n’a peut-être pas assez « médiatisé » les bénéfices d’un tel traitement qui augmente notamment les aptitudes socio-professionnelles. Les gardiens ont plutôt intégré, comme une fatalité, les absences au travail, notamment après les congés. 

La méthadone dans les institutions : un changement de philosophie.
 
Pendant longtemps, un toxicomane sous méthadone n’avait qu’une solution, le traitement en ambulatoire. Or, dans les institutions, il existe une frange de résidents qui ne peuvent être abstinents, alors même qu’ils ont besoin de vivre en résidentiel. 
La Fondation du Levant, lors de l’ouverture d’un centre de traitement mère-enfant, a finalement accepté les mères qui était sous méthadone. Tout en gardant l’éthique de la maison, la substitution médicamenteuse a été introduite à grand renfort de sensibilisation de l’équipe soignante. Cette ouverture, après dix de pratique de l’abstinence, a nécessité un travail de fond pour que l’équipe perçoive le bien-fondé d’un choix thérapeutique médicalisé.
La Villa Argentina au Tessin a rencontré les mêmes difficultés. Après discussion avec le comité de l’établissement, la direction, convaincue de l’utilité de la méthadone dans la panoplie des soins, a dû déployer des efforts considérables pour vaincre les résistances de l’équipe et de certains toxicomanes qui incitaient leurs camarades médicalisés (méthadone ou anti-dépresseurs) à laisser tomber, en arguant du fait que c’était de la « saloperie ». 
Les institutions qui ont pratiqué ou qui pratiquent l’abstinence doivent, pour relever le défi doivent répondre à la question suivante :comment travailler avec la méthadone sans entrer dans la pensée magique du toxicomane qui croit qu’avec une pilule tout ira mieux ?

Quel consensus et à quelles conditions ?

Le traitement de substitution à la méthadone marque des points. La substance , qui ne guérit pas une toxicomanie, est cependant perçue comme une alternative à l’abstinence, tant par les établissements que par les institutions qui proposent des séjours résidentiels. Le but du traitement n’est donc plus toujours l’abstinence qui passe au second plan, mais la maintenance.
Il apparaît donc essentiel d’imaginer les conditions d’un consensus pour assurer une continuité dans la prise en charge du patient toxicomane ainsi qu’un partenariat respectueux des missions respectives des uns et des autres.

Dans les prisons, la discussion provoque les mêmes réticences que l’introduction des seringues ou des préservatifs, à la différence que le travail avec des stupéfiants touche à la sécurité de la prison. Dès l’entrée du détenu, une rencontre avec les différents secteurs se révèle nécessaire pour définir les règles du jeu. Notamment en ce qui concerne le secret médical et sa mise en débat lors de toute transgression des règles.

Les institutions ne vivent plus dans une tour d’ivoire. Pour un individu ou un toxicomane donné - certains « chroniques » ont besoin d’une substitution médicamenteuse - une radiographie multiple s’avère nécessaire. La réalité du monde des toxicomanes rattrape les institutions qui doivent s’adapter à de nouvelles populations. 

De manière générale, plusieurs questions se posent :

· Pour les prisons, comment améliorer la préparation à la sortie ?
· Comment concevoir la continuité du traitement lors du passage entre ambulatoire et résidentiel (prison ou institution) ?
· Comment effectuer le passage ? La méthadone peut-elle être un « fil conducteur » ?
· Quelle possibilité de commencer une cure en prison ?
· Comment appliquer des règles générales reconnues et faisant consensus ?
· Comment adapter les règles reconnues (Rand) et les adapter au milieu, aux choix institutionnels ?Comment mettre fin à des situations inacceptables ? Par exemple aux quotas de patients qui ont droit à la méthadone dans certaines prisons, alors qu’il serait utile de poursuivre le traitement ?

Quelques recommandations

· Les situations différentes doivent inciter à des règles de prescription différentes (dosage et surveillance)
· Le traitement doit être pratiqué par une équipe motivée et formée
· L’environnement théorique doit être adapté
· La prise en charge doit être multidisciplinaire pour mobiliser une équipe autour du toxicomane
· Les besoins individuels du patient doivent être pris en compte
· La durée du traitement doit être aussi longue qu’il est nécessaire

En outre, l’expérience démontre qu’un soutien psycho-social est un facteur important de la réussite d’un traitement à la méthadone. Soutien qui passe par la nécessité d’une formation. Les acteurs de la prise en charge des toxicomanes ont besoin d’une spécialisation de plus en plus grande pour affronter des situations de plus en plus complexes.
Pour conclure, une bonne formation, des supervisions régulières de l’équipe de prise en charge, et la pratique en réseaux multidisciplinaires sont susceptibles d’assurer la continuité du traitement de substitution et donc des relais de soins indispensables au patient.

Source : http://www.nasuko2001.ch/nasuko/Background/WS-6f-residentiel.doc