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Réinsertion / réhabilitation / Bannissement / Droit à l’oubli

Quelle utilisation du Concept de Réinsertion ?

ARAPEJ

Mise en ligne : 21 mai 2002

Dernière modification : 23 janvier 2011

Texte de l'article :

QUELLE UTILISATION DU CONCEPT DE REINSERTION DANS LA FUTURE LOI PENITENTIAIRE ? 
(Texte destiné à contribuer à la définition de la politique de l’ARAPEJ et aux travaux de l’AFC) 

Les quatre grandes lignes directives posées par l’ARAPEJ pour définir sa politique dans ce texte programmatique en préparation sont capitales. Pourtant, j’aimerai particulièrement m’attarder sur l’une d’elles pour essayer d’expliciter l’importance qu’il y a à répondre à cette question : « qu’est-ce que la réinsertion, qu’est-ce qu’insérer ? ». En préambule, je voulais souligner deux enjeux que pose cette question. 

- Le premier enjeu de cette question est celui de l’évaluation de la politique pénale. Le critère objectif principal pour juger cette politique, c’est le taux de récidive et d’une certaine manière, l’inverse, le négatif de la récidive c’est la réinsertion. La mesure de l’efficacité de l’action des pouvoirs publics et des acteurs de la société civile est donc possible et passe par cette notion d’où l’intérêt de s’y arrêter. 

- Le deuxième enjeu consiste en cette affirmation : réfléchir sérieusement à cette problématique de la réinsertion, c’est se donner les moyens de penser les conditions de possibilité d’une transformation de la prison. Autrement dit, le risque est grand, malheureusement, qu’on utilise beaucoup cette « notion porte-drapeau » dans la future loi pénitentiaire mais sans vraiment savoir à quoi renvoie ce concept « fourre-tout » et qu’en définitive, cela serve davantage à afficher une bonne volonté politique (que je ne conteste d’ailleurs pas) qu’à traduire effectivement cette volonté dans les faits. L’histoire de la politique pénale est celle d’une oscillation perpétuelle (entre le pôle « réinsérer » et le pôle « punir »), l’objectif de nos travaux est d’en sortir. Dans cette perspective, on peut considérer que nous sommes dans un moment historique puisque deux des trois conditions sine qua non à une transformation radicale de la prison sont réunies. En effet, des proportions d’amélioration concrètes et tout à fait applicables existent (et ont déjà fait leurs preuves : mesures alternatives à l’incarcération, relance de la libération conditionnelle, etc.) et l’opinion publique est sensibilisée puisqu’une majorité commence à être convaincu de la nécessité de changement. La troisième et dernière de ces conditions est l’affirmation d’une volonté politique forte. A cet égard, les travaux des deux commissions parlementaires sont porteurs de très grands espoirs. Pourtant, on peut craindre que cette volonté politique, exprimée par les assemblées, ne trouve pas forcément les relais nécessaires au sein du gouvernement s’épuise d’elle-même (sûrement aidée en cela par la « force d’inertie » de l’administration pénitentiaire) et finalement se traduise par une loi décevante qui comptera certainement des avancées non-négligeables dans différents domaines mais qui ne sera pas la réforme profonde espérée. Est-on condamné à vérifier ad vitam aeternam le bien-fondé de ce constat (qui est en même temps une prophétie) de Michel Foucault : « la « réforme » de la prison est un peu près contemporaine de la prison elle-même. Elle en est comme le programme. La prison s’est trouvée dès le début engagée dans une série de mécanismes d’accompagnement qui doivent en apparence la corriger mais qui font partie de son fonctionnement même, tant ils ont été liés à son existence tout au long de son histoire » ? Probablement si on n’accorde pas une importance particulière à cette « apparence » qui ici prendra sûrement la forme d’une « priorité donnée à la réinsertion ». En raison de ce contexte politique donc, et parce que, par sa raison d’être, l’ARAPEJ se confronte tous les jours à cette question de la réinsertion, il est nécessaire de ne pas ménager ses efforts pour la cerner et la penser au mieux, le texte qui suit n’est qu’un point de départ destiné à poursuivre cet objectif. 

1/ RETOUR SUR LA NOTION DE REINSERTION Soulignons d’abord qu’un retour sur le concept de réinsertion, c’est tout simplement un retour sur la naissance même de la prison. Comme chacun sait, après la révolution française, au tournant du XVIIIème et du XIXème siècle, si la prison s’impose parmi les différentes manières de punir, c’est bien parce qu’elle est aussi d’une certaine façon une manifestation de la générosité du projet républicain tel qu’il est en train de naître et que l’expression de cette générosité réside dans la réinsertion que doit aussi permettre la prison. Avant ce moment historique, quand on envoie aux galères ou ensuite aux bagnes, on ne s’occupe pas de réinsertion. Autrement dit, avant la prison et après la prison, on ne considère pas de la même manière l’homme qu’on punit. Inventer la prison et de la même manière supprimer la peine de mort en 1981, c’est inventer la réinsertion et c’est là même reconnaître que l’être humain est un être complexe, qu’à ce titre il peut évoluer et se transformer et donc que le rôle de la société consiste à lui en laisser la possibilité. Pour arriver à cette notion de rédemption, le préalable est d’établir un premier distinguo entre la personne et son acte aussi délictueux ou criminel puisse-t-il être. Comme l’expliquait déjà Hegel « désigner quelqu’un substantivement comme criminel signifie nier en lui tous les autres aspects de sa vie qui ne sont pas fondamentalement criminel ». Pour autant, cette position n’est pas, pour Edgar Morin « une sorte de latitudinarisme mou, flasque puisque essayer d’expliquer, de comprendre les conditions d’un acte criminel n’est pas pour autant l’ignorer, l’excuser, etc. Il est là. Mais cela étant dit, il est permis de le situer, et ne pas réduire tout ce qui fait partie de l’être à cet acte, de l’enfermer dans cet acte passé, surtout alors que le temps passe après cet acte passé, de l’enfermer dans la réinsertion de cet acte comme si c’était le seul acte significatif de son existence. ». L’axiome d’Edgar Morin (je tire ses propos de sa très belle intervention lors des rencontres « culture justice Bretagne et Pays de la Loire » en novembre 1992), c’est que : « l’homme est un petit cosmos (...) l’être humain est complexe (...) bien qu’il existe une constante qui est l’autoréférence. Cette référence au « je » ne doit pas nous faire oublier la multiplicité de nos personnalités et tout d’abord de nos potentialités. Du reste, la multipersonnalité, je dirai que c’est un phénomène normal, inaperçu parce qu’on saute d’une personne à l’autre sans se rendre compte et on dit simplement « je suis en colère » ou « je suis de bonne humeur » mais la personne en colère, la personne de bonne humeur, la personne amoureuse ou la personne haïssante sont structurées de façon absolument différente l’une de l’autre ». Selon ce point de vue, un être peut se transformer puisque nous avons des personnalités multiples et des potentialités qui s’expriment ou qui ne s’expriment pas. Tout le travail de réinsertion consiste donc à créer des circonstances, un contexte dans lequel des potentialités peuvent se développer et une transformation intervenir, ce qui est, convenons-en, particulièrement difficile en prison car cette institution base son fonctionnement sur la déresponsabilisation de l’individu. Pour les détenus, favoriser la réinsertion, permettre cette transformation, c’est d’abord faire face à une double urgence, celle d’une « reconquête sociale » évidemment qui consiste à assurer tous les besoins basiques (se nourrir, se chauffer, s’habiller, avoir un toit, être en règle administrativement, bénéficier d’un suivi médical etc.)A ce propos, peut-être n’est-ce pas inutile de rappeler qu’en moyenne, les libérés sortent avec 907 francs. Toutefois, on observe de grandes disparités puisque la médiane est de 333 francs. La moitié de la population sort avec moins de 333 francs, l’autre moitié avec 333 francs ou plus. Un quart des libérés sort avec moins de 15,24 euros. Source : cahier de démographie pénitentiaire (numéro 5 - février 98. Ministère de la justice) et celle que Nicolas Frize appelle la « reconquête du moi » « Culture et travail en prison » Nicolas Frize dans le numéro 69 de Hommes et libertés. Revue de la ligue des droits de l’homme. en expliquant qu’avant de s’insérer quelque part, il faut d’abord se réinsérer à soi-même, ce qui n’est jamais simple à la sortie d’une institution qui (encore une fois, pour pouvoir assurer son fonctionnement même) dépersonnalise, « désautonomise » l’individu. 

2/ NE PLUS CONFONDRE REINSERTION ET REPARATION Mais la réinsertion n’est pas que cela. Si l’on en reste aux principes énoncés plus haut, on peut même considérer que cette conception de la réinsertion très réductrice comporte de grands dangers à terme. C’est une vision des choses partielle, parcellaire où prédomine - sûrement avec les meilleures intentions du monde - une approche du problème centrée sur le seul détenu. Cela veut dire que l’on oublie à la fois la victime et le corps social dans son ensemble et donc que l’on s’interdit de traiter la problématique correctement c’est à dire globalement, totalement. Pour dire autrement, la réinsertion doit passer par la confrontation du détenu avec son délit ou son crime. La réinsertion, ce doit être l’aide, le soutien apporté au condamné dans son travail personnel sur sa culpabilité. C’est très difficile, c’est très exigeant mais l’objectif est de tenir à la fois le fait que l’acte criminel ou délictueux n’est pas effacé, ne peut pas être effacé, ne sera jamais effacé avec le fait que celui qui l’a commis peut malgré tout se transformer. Tout l’enjeu de la notion de réinsertion est là : montrer qu’il est possible de tenir ces deux choses l’impossible effacement et la possible transformation. A ce niveau d’exigence, on ne devrait plus parler de réinsertion (car ce n’est qu’une partie du problème, c’est à dire ce n’est que la réinsertion du détenu) mais de réparation. Cette réparation est triple. C’est d’abord, on l’a vue, celle du détenu car, à mon sens, une explication puissante du taux de retour en prison, c’est précisément ce manque de travail sur la signification de la peine (c’est à dire aussi sur la culpabilité) qui peut entraîner aussi une difficulté à se reconstruire, à répartir, à se réhabiliter. Il s’agit aussi de la réparation très délicate du mal commis, des victimes. Est-ce excessif de dire que les victimes sont les oubliées quasi-systématique des questions portant sur la prison ? En tout cas, une partie de la crispation autour des prisons réside sûrement dans cette mauvaise prise en compte des victimes (en dehors de la partie financière, les victimes sont probablement pas assez prises en compte dans leur douleur, dans leur souffrance etc.). La réparation, c’est enfin celle de la société. Si vivre ensemble est problématique alors la société ne peut pas faire l’économie de sanction. Elle doit prononcer fortement une sanction pour punir quand un acte fondamentalement contraire aux valeurs qui la régissent a eu lieu. Sûrement est-ce en ce sens, qu’il faut lire cette phrase de Michel Foucault : « la prison est la détestable solution dont on ne saurait faire l’économie ». Dans cette perspective évidemment la prison idéale existe : c’est une prison construite symboliquement au cœur de la cité pour montrer la possibilité de sanction mais qui serait vide, sans personne dedans... On peut bien rêver pour une fois. On comprend donc que ces trois réparations sont liées et se tiennent entre elles. Comme l’explique simplement Claude Lucas dans Suerte ( Claude Lucas, Suerte, l’exclusion volontaire Collection terre humaine / poche), la réinsertion est : « le plus grand service que l’institution peut rendre au détenu qu’un jour elle doit bien relâcher et par contrecoup à la société qui doit alors l’accueillir » Cette réinsertion peut devenir réparation quand elle parvient à tenir compte du mal commis (aux victimes et à la société). Pour reprendre, en substance, l’affirmation de l’association « le verlan » dans leur texte destiné à contribuer aux débats et distribué lors de la première réunion AFC : faire de la prison un lieu où se prépare la réinsertion n’obtiendra l’accord de l’opinion publique, uniquement si on arrive à traiter le problème dans son entier avec les trois entités qui le compose : le détenu, la victime, la société. Pourquoi est-ce si important ? Finalement, pourquoi est-ce si crucial de veiller à ce que cette problématique soit posée le mieux possible ? Pourquoi est-ce capital de ne pas laisser dans les déclarations d’intentions du ministère et des législateurs se développer l’idée de « priorité donnée à la réinsertion » sans plus d’attention donnée à ce concept « cardinal » ? En dehors, du fait que le danger perpétuel est le décalage entre les principes et les faits (et que le flou, qui entoure les notions grâce auxquelles sont formulés ces principes, sert ce décalage), s’il est important d’être vigilant sur ce point, c’est tout simplement pour éviter que, ce qu’on ne manquera pas de nous présenter comme une avancée considérable ne soit qu’un retour de 55 ans en arrières et aux réformes Amor de 1945... Cette réforme (Réforme elle-même destinée à remédier à « un retard d’une soixantaine d’années dans le domaine pénitentiaire », selon les propres termes de Paul Amor.) est fondamentale et a marqué de son empreinte le dernier demi-siècle de politique pénale. Pourtant la plupart de ses propositions n’ont pas été mis en application. Dans la future grande loi pénitentiaire, une grande partie sera certainement (et heureusement) consacrée aux améliorations des conditions de détention. Or on lisait déjà en 1945 dans le troisième paragraphe de ces réformes : « le traitement infligé aux prisonniers, hors de toute promiscuité corruptive, doit être humain, exempt de vexation et tendre principalement à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration ». Dans le meilleur des cas, la future loi mettra également l’accent sur le sens de la peine et son exécution entendue comme un processus vers la sortie. L’article VIII des réformes Amor était le suivant : « un régime progressif est appliqué dans chacun de ces établissements en vue d’adapter le traitement du prisonnier à son attitude et à son degré d’amendement. Ce régime va de l’encellulement à la semi-liberté ». Ces cinquante dernières années, beaucoup d’évènements très remarquables concernant l’institution carcérale ont eu lieu mais finalement on peut les lire de la même manière que tout le reste de l’histoire de la prison c’est à dire : d’incessants retours en arrière qui font suite à des avancées importantes (à moins que ce ne soit l’inverse)... Après ces fameuses réformes de 1945 et jusqu’à l’adoption du code de procédure pénale en 1958, on assiste à une relative modernisation de l’institution carcérale qui semble s’arrêter dans les années soixante, date de la mise en place de politiques sécuritaires dictées par « l’angoisse de l’évasion ». Puis sous le poids conjugué d’une prise en considération du problème par certains milieux intellectuels et surtout des minuteries des débuts des années 70, on observe une politique de « décloisonnement » avant un retour à une autre politique sécuritaire mené par Alain Peyrefitte contrebalancée immédiatement après par l’arrivée aux responsabilités de Robert Badinter qui précédera la droite avec Albin Chaladon et le scandale des prisons privées (Scandale qu’on ne dénoncera, à mon sens, jamais assez et qu’il est nécessaire de remettre en cause.) Le tout avec pour toile de fond une inflation carcérale impressionnante ces dernières décennies. Mais, au total, la prison reste la prison. C’est à dire que la question qu’elle pose et les mauvaises réponses qu’elle y apporte (comme l’atteste indéniablement le taux de récidive) n’ont pas changé. Les termes de la problématique sont eux (contrairement à l’histoire de la prison) parfaitement stables et le rôle qu’on assigne à cette institution est encore et toujours cette double mission : punir et réinsérer. Une grande loi pénitentiaire serait une loi qui se donnerait pour objectif de sortir de l’étau de cette injonction paradoxale. Mon inquiétude principale, c’est que cette future loi pénitentiaire même en voulant « donner la priorité à la réinsertion » n’atteigne pas son objectif, car il y a plus important que la notion de réinsertion : la notion de réparation. L’article I des généreuses réformes Amor était le suivant : « la peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné ». Chacun sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions et ces réformes de 1945, en ce concentrant trop sur les seuls condamnés et n’arrivant pas, de ce fait, à se saisir de la totalité du problème posé par la prison, préparaient le terrain à un retour du boomerang (ou du refoulé) sécuritaire. Le risque est le même aujourd’hui et on peut craindre que le législateur utilise inconsidérablement ce concept de réinsertion pour éviter de se poser la question essentielle et extrêmement difficile : quel est le véritable rôle de la prison et quel devrait-il être dans l’actualisation de l’édifice républicain toujours en construction. 

3/ NE PAS CONFONDRE REINSERTION ET INTEGRATION CRITIQUE Pour conclure, je voudrais rapidement faire le lien entre la notion d’intégration critique telle qu’elle est développée par le philosophe belge Luc Carton et un des enjeux, pratiques cette fois, de la future loi pénitentiaire : la réforme du travail en détention. Dans un court article paru dan la revue CULTURE ET PROXIMITE ? Luc Carton explique qu’il lui paraît important que ceux qu’on définit comme les damnés de la terre aient autre chose à dire que « s’il vous plait, insérez-nous ! », qu’ils soient finalement en position suffisamment forte d’intégration critique pour pouvoir dire aussi éventuellement « s’insérer là dedans, eh bien non, ça ne vaut pas le coup ». Cette réflexion a l’avantage de nous rappeler l’interrogation suivante (qu’on oublie souvent quand on parle de réinsertion) : qu’est-ce que réinsérer ? Est-ce pousser des gens à se normaliser pour rentrer dans les statistiques ou bien est-ce les aider à se cultiver, à leur donner des armes pour eux-mêmes, à trouver les moyens de se réfléchir, de comprendre, d’avancer individuellement pour se réinsérer singulièrement dans la société ? Pour rattacher cela à la réforme du travail en prison, on peut d’abord dire que, fort heureusement, tout le monde semble convaincu qu’un changement est indispensable (instaurer le droit du travail, revenus décents - y compris pour pouvoir payer les victimes - etc.) mais que le droit véritable évolution consisterait à suivre cette préconisation de Nicolas Frize (Dossier « Travail carcéral pour quelle réinsertion ? ». Dedans dehors numéro 4, décembre 1997) : « il faut se battre pour qualifier le travail, e remplir de contenu, de sensibilité et de sens. » La place qu travail dans les processus de sortie de prison est sûrement une des questions - Avec l’enseignement aussi par exemple ou la culture - concrètes, pratiques par lesquelles la prison peut être améliorée en profondeur. Comme le dit, la sociologue A-M Marchetti : « on ne peut pas à la fois affirmer que la prison est un lieu de réinsertion et y faire exécuter un travail considéré comme humiliant, non qualifiant et inutile pour la sortie ». A ce sujet, l’analyse de Nicolas Frize est implacable : « pour l’administration pénitentiaire, le but est d’occuper les détenus à tout prix. ». « N’importe quoi, plutôt que rien » entend-t-on partout. Je crois pour ma part que ce « n’importe quoi » peut être irrémédiablement destructeur car il confirme les détenus dans leur exclusion, leur inexistence et il sera encore plus difficile de leur proposer de travailler plus tard (Alors même que la réinsertion et donc l’autonomie financière passe nécessairement par le travail, c’est là où c’est problématique). Ils ne connaissent que le travail « forcé » et dehors, ils voient les travailleurs comme des prisonniers. (...) Ils ont une perception très dégradée du travail et en parlent ainsi : « mon père s’est fait rouler toute sa vie en allant travailler à la chaîne au SMIG, je ne suivrai pas ce chemin ». L’administration pénitentiaire réussit qu’une chose actuellement : assortir définitivement chez eux travail à humiliation. (...) Autrement dit, pour encourager un détenu à acquérir un métier et faire quelque chose dans sa vie, on entretient chez lui la confusion entre ordre et consigne, on l’habitue à la contrainte par et dans le travail. Une idéologie s’est organisée ici et a été plusieurs fois énoncée que dans le travail il n’y a pas de réalisation personnelle, pas d’expression, pas de qualification, pas de responsabilité, seulement de la hiérarchie, de l’obéissance et des obligations. ».(Dossier « Le travail en milieu carcéral » revue « dedans dehors ») Terminons donc avec une notre d’espoir en citant ce même Nicolas Frize qui, toujours dans ce dossier Dedans dehors, concluait avec ces propos optimistes : « Se servir du lieu du travail comme le nœud de la transformation radicale de la prison, c’est à dire partir de l’activité professionnelle en tant que lieu d’enjeu immédiat, relationnel, social, citoyen, lieu de construction personnelle, sensoriel, idéologique. Cesser évidemment d’en faire un lieu d’occupation, d’humiliation, de dévalorisation pour l’envisager comme un lieu d’élévation et de réparation. Implanter le droit du travail car c’est indissociablement lié. Tout cela est beaucoup plus simple à réaliser qu’on ne le croit : nous avons besoin comme jamais d’une volonté politique réelle, avec à ses côtés la détermination d’un grand nombre de citoyens soucieux de construire une relation de partenariat responsable et exigeant avec l’administration pénitentiaire. Hormis une poignée d’extrémiste, un grand nombre de personnels de l’administration ne cédant ni à l’inertie, ni à l’appel de leur propre carrière, n’attendent que de se mobiliser pour repenser les objectifs de l’institution et l’améliorer en profondeur. ». 

Jean-Baptiste Jobard
Bénévole au bureau de l’ARAPEJ