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Enfermer ou soigner, accueillir ou exclure

par le Docteur Christian Sueur

Mise en ligne : 21 mai 2003

Texte de l'article :

LES GRANDS ECARTS DE LA PSYCHIATRIE

Enfermer ou soigner, accueillir ou exclure,
Dedans, dehors, secteur, réseau ?

Laragne 7 et 8 mars 2002
AFREPSHA

Docteur Christian Sueur
Psychiatre, Praticien Hospitalier
CHU de Pointe à Pitre, Guadeloupe

Les organisateurs de ce colloque m’ont proposé de participer à cette table ronde « Enfermer ou soigner, accueillir ou exclure », dans le cadre d’un thème plus général : « Les grands écarts de la psychiatrie ». Sans doute car, d’une certaine manière, mon exercice professionnel m’a confronté, tant dans le service publique, que dans le monde associatif, « aux grands écarts du psychiatre ».

Praticien hospitalier à temps partiel au SMPR de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis (la plus grande prison d’Europe) pendant près de dix ans, et membre du conseil d’administration de l’Observatoire International des Prisons, je me suis également investi dans des champs marginaux de la psychiatrie ou de la santé mentale, en particulier avec l’association Médecins du Monde auprès des usagers de drogues, héroïnomanes ou raveurs « ecstasiés », des populations traumatisées par la guerre et la torture (Tchétchénie), ou par la violence administrative d’état (« sans papiers »).

Aujourd’hui, praticien au CHU de Pointe à Pitre, ce sont les séquelles de l’esclavagisme et du colonialisme, autres violences d’état, autres crimes contre l’humanité, qui infiltrent ma clinique quotidienne.

Grands écarts s’il en est, mais il s’agit toujours de situations où une véritable souffrance psychique est incontestable, légitimant donc la présence du psychiatre, mais où les origines de cette souffrance appartiennent plus à des causes traumatiques et aliénantes extérieurs, qu’à une folie ou une névrose intérieure. « La psychiatrie, c’est la pathologie de la liberté » ; plus que jamais, effectivement, cette formule d’Henry Ey est d’actualité, particulièrement dans ces situations d’enfermement, d’exclusion et de violence que j’ai été amené à côtoyer.

« L’obsession sécuritaire infiltre sournoisement les institutions psychiatriques comme le reste de la vie des hommes » est-il rappelé dans l’argument de ces journées ; en prison, n’oublions jamais que l’obsession sécuritaire, la restriction des libertés structurent véritablement la vie carcérale et les relations entre ses protagonistes, prisonniers et membres de l’administration pénitentiaire. Ceci va être constitutif à mon avis du premier « traitement inhumain et dégradant » appellation « soft » de la torture, au sens du Comité Européen de Prévention de la Torture et des Traitements inhumains et dégradants (CPT), émanation du Conseil de l’Europe, chargé de « rappeler à l’ordre » les Etats membres qui ne respecteraient pas les droits de l’homme dans les lieux de réclusion (prisons, centres de rétention administrative, commissariats de police, services fermés des Hôpitaux Psychiatriques, Unités pour Malades Difficiles (UMD).

C’est en effet cette obsession sécuritaire qui va entraîner toute une série de mesures « de sécurité », qui organisent le cadre et la vie carcérale. Quelques témoignages, romans, films, enquêtes, récits d’anciens détenus ont montré l’horreur bien réelle qui règne en prison. Mais il est difficile à celui qui n’y est pas rentré, de s’en rendre compte (même pour nous soignants, car nous ne serons que très rarement témoins de la plupart de ces horreurs, dont témoignent les détenus, ceux qui vivent en prison, lorsque nos yeux de témoins extérieurs sont ressortis à la fin de la journée de travail).

Pour illustrer mon propos, je vais me servir d’un exemple récent qui me paraît démonstratif du système d’enferment qui règne dans les sociétés « démocratiques », c’est celui du « bagne de Guantanamo », dont quelques images se sont affichées ces derniers jours sur nos écrans, et dans un cahier spécial du Monde intitulé « les prisonniers » : en effet, le traitement qui est appliqué aux prisonniers arabes et afghans déportés dans cette base américaine cubaine, révèle avec éclat certains des processus sécuritaires constitutifs d’une véritable torture quotidienne des détenus, et ne sont que la caricature de la situation de nombre de prisons en France.
Tout d’abord, la lumière 24 heures sur 24 (dans nos prisons, ce sont les réveils plusieurs fois dans la nuit pour « raisons de surveillance particulière », les coups de pieds dans les portes plusieurs fois par nuit « pour apprendre à vivre » certains détenus rebelles, c’est la lumière artificielle permanente et l’absence de fenêtres de certains quartiers disciplinaires). On connaît les retentissements de ces pratiques en psychobiologie expérimentale : cela peut constituer l’un des moyens pour « rendre l’autre fou ».

Ensuite, l’enfermement dans des cages « où l’on voit tout » (dans nos prisons, c’est l’oeilleton du gardien, du mateur, du « maton » ; c’est cette nécessité de toujours tout voir ce qui se passe dans la cellule, à tout moment, jusqu’à empêcher les cloisons pour les toilettes, jusqu’à punir le détenu qui s’abrite pour ses besoins intimes derrière une serviette tendue comme un rideau). L’absence permanente d’intimité, cette surveillance persécutive, « la machine à espionner », met à rude épreuves les mécanismes de défense de l’individu et le précipite bien souvent dans des fonctionnements du registre psychotique, dans une angoisse paranoïde.
Ces prisonniers sont habillés de combinaisons oranges, look futuriste ou déguisement de guignol, attirer le regard sur soi, et annuler l’individualité dans l’uniforme, vieille tenue des taulards, des bagnards (dans nos prisons modernes, plus d’uniforme, mais une uniformisation subtile subie par les détenus, entre rackets et vols de vêtements entre détenus, et injonctions fermes de la pénitentiaire à ne se « distinguer » d’aucune manière). Plus d’identité propre, une chosification du sujet, une abjection, qui constitue, pour Julia Kristeva, le lieu « où le sens s’effondre » . Comme le disait ce matin Jean Paul Charrier « on en fait des choses, des objets manipulables » ; revoyez cette photo des soldats américains manipulant les prisonniers avec des gants en plastiques, j’ai la même image des matons de Fleury Mérogis « accueillant » systématiquement les entrants avec des gants chirurgicaux aux mains (contre la saleté, le risque de contamination, ou le caractère « étranger » de ces détenus… ?).

Bien d’autres caractéristiques entrent dans ce registre de la déshumanisation violente ; mais enfin, et surtout, la « désignation », l’imparable effet de sens qui fait disparaître toute interrogation, toute discussion, toute individualité, il s’agit de « terroristes » ; le mot est lâché, il ne prête pas à confusion, il classe le sujet du côté du mal, et « le tour est joué » ; il ne s’agit pas de soldats, de combattants, de rebelles, de résistants, d’ennemis idéologiques, d’agresseurs semblables à nous, mais de « terroristes » (ce que ne sont pas les « justes combattants du bien contre le mal », qui bien évidemment ne commettent jamais d’actes terroristes, la notion de terrorisme d’état n’étant pas vraiment reconnu par ceux qui ont le pouvoir, et par les médias au service de ce pouvoir…). En ce qui concerne le « terroriste », on dirait que l’atteinte au droits de l’homme est consubstantielle à son essence même, ce qui justifie (« peut-être » ?) l’atteinte à ses droits les plus élémentaires en retour…

En prison, en deçà de cette comparaison caricaturale, c’est le délinquant qui est désigné, avec le toxico, le fou, le « pointeur » (le violeur), l’arabe, « l’étranger », le clandestin, le voyou, et maintenant le « sauvageon »... Sans que, bien sûr, la réalité ne soit forcement connue par ceux qui désignent l’autre ainsi : « à peu près », stigmatisation, rumeurs, ce qui va constituer cette désignation n’est souvent pas le reflet exact de la réalité.

 Cette désignation, en ce qui concerne le terroriste, autorise apparemment les Etats Unis à commencer par infliger des traitements inhumains et dégradants à ces détenus, et ce avant même tout jugement, et au mépris des chartes juridiques pourtant ratifiés par les Etats unis (non application des garanties assurées aux prisonniers de guerre par la III° Convention de Genève sur les conflits armés internationaux, créations de tribunaux militaires d’exception…). Leur statut symbolique de terroristes autorisant certainement le traitement « animal » qui leur est infligé (bien évidemment pour des « raisons de sécurité »).

 Le résultat individuel de tout ceci, pour nous psychiatre, est une clinique de l’angoisse, de l’attaque contre l’identité, de la privation relationnelle et sensorielle, du déni de l’intimité…

 C’est aussi ce que l’on constate dans les prisons françaises où règnent les sanctions et brimades innombrables, décrétés par ces « tribunaux d’exceptions » que sont les prétoires, les fouilles à corps en permanence (dès que le détenu est amené à se déplacer dans la prison hors de son bâtiment d’incarcération, à chaque parloir par exemple), l’isolement des DPS « détenus particulièrement surveillés », les restrictions de visite, la lecture systématique du courrier, les chicanes administratives de toutes sortes qui, dans la réalité, rendent bien souvent caduques les « avancées sociales » vantées dans les médias par le Ministère de la Justice ; en outre, le détenu est bien souvent livré sans recours aux violences, qu’elles viennent des autres détenus, ou de certains personnels de surveillance et de l’administration pénitentiaire. Le détenu attend en permanence, le juge, l’avocat, les parloirs, les activités, la visite médicale qu’il a demandée parfois en urgence, les réductions de peine… Cette incapacité à obtenir l’objet de sa demande dans un délai raisonnable induit également des troubles manifestes sur le plan psychologique, sur le plan de la capacité fantasmatique et des relations d’objet.

 Ajoutons à cela la promiscuité permanente, la négation de la liberté d’expression, et des conditions de travail scandaleuses (travail à la pièce, interdiction de parler dans les ateliers, nécessité d’attendre la pause pour aller aux toilettes, tutoiement par les « concessionnaires » qui règnent dans les ateliers carcéraux, qui peuvent se permettre de choisir les ouvriers qu’ils emploient, comme du bétail, tel les anciens esclavagistes, en fonction de leurs besoins en terme de rentabilité, l’absence de droit à des arrêts de travail pour cause de maladie, des « déclassements » à la tête du client, des facturations aux détenus sur leur feuille de paye d’accessoires de travail obligatoires… toutes choses qui seraient interdites immédiatement, si l’on appliquait à l’intérieur des prisons le code du travail), et vous avez d’évidence tous les éléments qui montrent le caractère délibérément inhumain et dégradant qui est la norme dans la situation d’enfermement. Ne parlons même pas des anciens QHS (quartiers de haute sécurité, qui existent toujours sous des formes « alternatives »), ou des quartiers disciplinaires, pour lesquels la France a été rappelée à l’ordre par le CPT.

 Ce qui est également frappant, c’est de constater ces 20 dernières années la quasi absence de travail psychopathologique sur les conséquences humaines de ce système ; il est vrai que les psychiatres travaillant en prison s’intéressent beaucoup plus à la criminologie, à l’explicitation psychopathologique des délits causés par les « grands criminels » (5 à 10 % de la population carcérale), ce qui revient peut-être à justifier le système dans lequel ils travaillent, plutôt qu’à en critiquer les effets pervers… Or, de nombreux détenus, c’est l’enseignement de la clinique quotidienne en prison, deviennent, dans cette ambiance de dépersonnalisation, de dépendance, de déresponsabilisation, comme « étrangers à eux-même », dans une sorte d’effondrement psychique, ou bien par une mobilisation massive de tous leurs mécanismes de défense, participant à cette sorte de « décorporellisation anhédonique » que l’on rencontre si souvent en prison. Ces états psychiques particuliers, variantes de la « stupeur » des anciens sémiologues, ressemble beaucoup à ce que l’on observe lors de traumatismes psychiques bien réels que constitue les états de guerre ou les expériences de torture.

 Il serait pourtant nécessaire de pouvoir, comme le demandait ce matin Jean Paul Charrier, « resituer les symptômes dans l’histoire du sujet ». Qu’est-ce qui va prendre sens chez le détenu, dans le cours de son histoire carcérale, vis à vis, par exemple, des humiliations ou des violences qu’il a pu subir dans son enfance.

Qu’est-ce qui va être réactualisé dans la psyché du sujet, lorsqu’il est soumis à ces incessantes fouilles à corps, lorsqu’il est condamné à un régime d’isolement, à des restrictions de visite, à la lecture de son courrier, à des chicaneries administratives innombrables dès qu’il s’agit d’obtenir quelque chose qui dépasse le stricte cadre de la quotidienneté carcéral, lorsqu’il est livré sans recours aux violences physiques ou aux intimidation, à la loi du silence, lorsqu’il doit tout attendre en permanence sans rien pouvoir provoquer de sa propre volonté (les visites de l’avocat, les comparutions chez le juge, les activités, les visites médicales, les réductions de peine…), lorsqu’il baigne de façon permanente dans la promiscuité, qu’il n’a aucune intimité, ni aucune liberté d’expression ; à quoi peut renvoyer chacune de ces situations dans l’histoire intime du sujet…
Les productions littéraires des soignants en prison sont bien pauvres sur ce sujet, et bien rares sont les écrits sur les effets cliniques de ces situations traumatisantes, sur la traumatologie de la punition.

De même les interrogations sur les contradictions entre le soin psychique et les effets psychiques délétères produits en permanence par l’univers carcéral ne sont pas souvent posées. Comment peut-on prendre soin d’un détenu qui est « attaqué » psychiquement de façon quotidienne ? La distanciation opérée par les psychiatres et psychologues en prison, constitue-t-elle un élément technique au service du patient, ou une défense du soignant, au service de sa propre survie psychique… ?

Il me semble ainsi que la première des nécessités éthiques est de dénoncer cet état de fait, de refuser de collaborer avec un système qui attaque la psyché, et de limiter ses interventions au seul service du patient détenu, de refuser par conséquent de développer toute sorte de procédure ou d’institution commune « santé-justice », qui de fait, légitiment la prison pour des gens qui n’ont rien à y faire, qui prétendent insidieusement qu’on pourrait lier la punition et le soin, qui justifieraient que la prison puisse être autre chose qu’un simple lieu d’enfermement, comme un éventuel lieu de « rééducation » par exemple. De refuser d’emboîter le pas à cette chimère qui ferait de la prison un lieu « pour préparer le détenu ou le condamné à sa réinsertion » ; ce qui est l’une des missions officielles de l’administration pénitentiaire. Or, on sait bien que celui qui n’était pas inséré dehors avant son entrée n’aura aucun moyen de préparer une réinsertion lors de sa sortie, et que celui qui avait un minimum d’insertion avant, aura toutes les chances de l’avoir perdu pendant son incarcération. Depuis longtemps, l’on sait que si la prison a un rôle éducatif, c’est en tant « qu’école du crime ». Le pragmatisme si souvent mis en avant, comme philosophie de l’action, le « réalisme », la soit-disant objectivité, désubjectivent le sujet et le manipulent ; relisons dans cet esprit nombre de circulaires « santé-justice », d’un œil critique, et par là même, nous éviterons bien souvent de devenir les alliés d’un système d’oppression, au lieu de rester l’allié de notre patient.

Il est bien clair qu’il s’agit là de refuser toute collaboration « même pour la bonne cause », c’est à dire toute compromission avec les instances répressives ; de refuser toute injonction socio-politique de collaboration avec la justice ou l’administration pénitentiaire, de refuser les institutions communes (quartiers intermédiaires sortants, dépistage systématique des troubles psychiques chez tous les entrants (système inimaginable dans toute autre institution fonctionnant de manière démocratique), consultations post-pénales, unités médico-judiciaires, « unités sans drogues » mais avec analyses d’urines permanentes, aménagements de peines en fonction de l’acceptation de tel ou tel démarche de soins, libération sous contrôle d’un bracelet électronique (à quand le certificat psychiatrique pour attester que le sujet ne présente pas de contre-indication psychologique au placement sous surveillance électronique, véritable « machine à dépersonnaliser » ?) ; refuser l’hypocrisie, l’illusion que l’on va « inclure » un sujet en l’adaptant à sa peine…
 « Le soin n’a progressé qu’hors des enfermements, des ségrégations des exclusions » est-il rappelé dans l’argument de ces Journées de Laragne, et ce n’est pas pour moi un discours idéologique, c’est le simple constat de la réalité. Ce constat devrait nous conduire à un devoir de résistance, à un refus permanent de toute injonction qui de près ou de loin, correspond à un projet social inacceptable, (et ce par contre, pour des raisons idéologiques) : « je te punis pour que tu te soignes ».

 Or, « Les psychiatres ont une position très ambiguë face à l’autorité judiciaire et pénitentiaire, parce que tout se passe comme s’ils étaient implicitement comptables ou responsables devant la justice de l’état mental des détenus dont ils ont la charge ; or ils n’ont pour seule mission que de prendre soin et traiter des personnes exclues de la société pour avoir transgressé ses lois » .

Rappelons quand même que la situation est beaucoup moins simple : cette constatation s’affirme effectivement lorsque ces détenus ont effectivement et réellement été condamnés or, près de la moitié des détenus sont en détention préventive ; par ailleurs, bien des détenus le sont en raison de lois d’exceptions totalement discutables sur le plan des droits de l’homme : c’est le cas des détenus étrangers en situation irrégulière, des usagers de drogues dont le soit-disant délit ne lèse personne si ce n’est eux-mêmes, des malades mentaux incarcérés pour des petits délits, des détenus politiques, des contraintes par corps pour non paiement d’amendes diverses, des insoumis, de ceux qui ont insulté les forces de l’ordre… ; tous ces cas interrogent plutôt la légitimité du recours exorbitant à l’incarcération dans les sociétés occidentales, qu’ils ne s’imposent comme des réclusions « allant de soi ».

Les psychiatres sont donc en « position singulière » lorsqu’ils exercent en prison. Au delà de cette mission de soigner des détenus condamnés pour avoir nettement transgressé des lois à peu près universellement reconnues (atteintes aux biens et aux personnes), et qui sont sanctionnés par la prison, ils ont également affaire à des gens en « rétention légale », pour des raisons conjoncturelles sur un plan sociologique ou politique.

Bien souvent, dans les premiers cas, « la question de la causalité psychique de l’infraction se trouve posée à l’occasion de ces troubles, ou bien c’est la question d’une autre causalité : par exemple, celle de la sanction ou celle de la situation vécue, ou encore celle d’une vulnérabilité individuelle, toutes causalités qui ne sont d’ailleurs pas sans lien avec le délit »  ; dans les seconds cas, on est plus ou moins dans un cas de violence faite à autrui par l’administration d’un « traitement inhumain et dégradant », l’enfermement, avec tout son cortège de violences quotidiennes plus ou moins subtiles ou carrément abruptes.

Comment le médecin peut-il faire, lorsqu’il a à soigner des sujets dont les troubles ont clairement à voir avec ce type de violence sociale, alors là même qu’il ne peut admettre, (si « d’habitude », il pouvait légitimer en temps que citoyen, le recours à la prison), une violence totalement injustifiable, dans le cadre du respect des droits de l’homme et de la démocratie.

Ceci nous interroge vraiment sur le silence assourdissant de la communauté médicale en générale (rompue avec éclat par le livre du docteur Véronique Vasseur), et psychiatrique en particulier, concernant cette situation de non droit et de violence d’état. Pourquoi, « les psychiatres publics (à de rares exceptions près), intervenant pourtant en prison depuis beaucoup plus longtemps, n’ont jamais rien écrit de tel, jamais dénoncé l’univers pénitentiaire » . Pourquoi, « le discours psy, loin de justifier une sanction, (ne contribue-t-il pas) en amont du débat dont procèdent les lois juridiques et ensuite à l’aménagement du quotidien carcéral, pour que la subjectivité des hommes – d’un citoyen – y soit prise en compte ».

 Alors, que peut-on faire ? Tout d’abord, dénoncer l’oppression de la « police de la pensée », en refusant cette pseudo-anthropologie de la norme et des marges, de la technocratie des directives ministérielles de police sociale (J.P. Charrier), et organiser la solidarité. « Chaque fois que nous délaissons la manière humaine de traiter des problèmes humains, nous ôtons quelque chose de la dignité de la conscience personnelle et nous faisons un nouveau pas vers la voie qui mène des sujets responsables vers des systèmes de comportements programmés ».

Dénoncer, c’est la fonction de l’Observatoire International des Prisons, comme c’est l’une des fonctions d’organisations non gouvernementales telles Médecins du Monde, que ce soit là bas, au loin, dans des pays étrangers atteints de catastrophes naturelles ou humaines, où ici, ou règne également la misère sociale, et certaines violences politiques. Ici, c’est également dénoncer les loi iniques, qui servent plus la popularité des hommes politiques et leurs manœuvres électorales, que le respect du droit ou la sécurité publique (loi de 1970 sur la répression des usagers de drogues illicites, lois sur « les étrangers »). Dénoncer, c’est aussi refuser de s’installer avec le corps social, et avec nos patient, dans le mythe que l’on pourrait vraiment traiter sérieusement et éthiquement quelque problème de santé que se soit à l’intérieur de la prison, alors que l’on peut tout au mieux préparer un soin de qualité qui pourra éventuellement être demandé par le patient à sa sortie . C’est aussi refuser les « montages institutionnels » séduisant pour les politiques, parfois pour le grand public, et donc pour nos tutelles, mais qui ne servent pas les patients eux-mêmes.

 Puis organiser la solidarité, c’est peut-être accepter de refuser ce soit disant devoir de réserve auquel nous serions soumis, et accepter de sortir de la neutralité pour affirmer une position politique de non compromission, en oeuvrant pour rassembler les acteurs impliqués dans des associations permettant réellement d’exercer un contre pouvoir vis à vis de l’inacceptable. C’est accepter de se rendre compte que « dans le contexte d’une actualité passionnelle, où il y a récurrence d’allergies envers les comportements limites et les classes dangereuses, il n’est pas absurde de penser qu’on aimerait impliquer la psychiatrie dans une croisade idéologique, non avouée, de remise en ordre (moral) » .

 Et maintenant en Guadeloupe, au delà de l’examen des éventuels phénomènes de violence induit par des siècles d’esclavage et de colonisation, de l’intériorisation de la surveillance et de la répression chez le colonisé, des effets d’identification à l’agresseur, de la diabolisation politique féroce de l’usage de drogues (cannabis, crack…) il s’agit de s’interroger sur la logique de services hospitaliers qui soignent un nombre impressionnant de sujets en hospitalisation sous contrainte (proportion la plus élevée de France en matière d’Hospitalisations d’Office et d’HDT)…