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Les actions et recours ouverts aux personnes incarcérées et à leurs proches

"Rendre le droit accessible aux détenus" par Pierrette Poncela - Rev. sc. cr., janvier-mars 1998

Mise en ligne : 29 avril 2003

Dernière modification : 9 août 2010

Texte de l'article :

Revue de Sciences criminelles et Droit Pénal - janvier-mars 1998 (p.161-164)

CHRONIQUE DE L’EXECUTION DES PEINES

Rendre le droit accessible aux détenus

Pierrette PONCELA
Maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre
Directrice du Centre de droit pénal et de criminologie

Une bonne intelligibilité de l’objet de cette chronique nécessite que le mot droit soit précisé. Il est en effet presque banal de lire ou d’entendre que " la prison est un univers de non-droit ". En même temps, nous savons que le milieu carcéral est l’objet d’une multitude de textes : quelques lois, beaucoup de décrets et de règlements complétés par de nombreuses circulaires. La formule est donc en elle-même une aporie, à moins qu’elle ne soit un outil militant ; elle exprime surtout une conception idéaliste du droit. Le droit, que ce soit dans un texte ou dans une décision juridictionnelle, arbitre des intérêts, et il le fait autant pour protéger le plus faible que pour soutenir le plus fort. Le droit pénitentiaire n’échappe pas à cette loi générale et sera toujours l’enjeu de luttes. Pour autant, il peut être un facteur de pacification de la détention et c’est ainsi que nous l’envisagerons dans les lignes qui suivent. La parution simultanée d’un " guide du prisonnier " et d’un " mémento du surveillant " nous invitent à ce type de réflexion. Par droit, nous entendrons des textes faisant loi pour les acteurs concernés, et constituant des ressources d’actions dans leurs rapports réciproques.

I. - UNE RÉPONSE À LA QUESTION DE L’ACCESSIBILITÉ AU DROIT POUR LES DÉTENUS : LE GUIDE DU PRISONNIER

La dynamique section française de l’Observatoire international des prisons est l’initiatrice de cet ouvrage, rédigé par deux responsables actifs de l’OIP (Bernard Bolze et Patrick Marest), un magistrat qui a exercé les fonctions de juge de l’application des peines pendant plusieurs années (Jean-Claude Bouvier), et un avocat attentif à la défense des détenus (Eric Plouvier). L’ouvrage se veut un " guide pratique des droits en prison ", ce qui détermine sa construction formelle sous deux aspects. D’une part, il est construit en cinq parties reconstituant un parcours carcéral ; entrer, être jugé, vivre en prison, faire respecter ses droits, sortir de prison. La partie consacrée à la vie en prison est bien sûr la plus longue (158 p) ; la plus courte est celle relative aux moyens juridiques dont disposent les détenus pour faire respecter leurs droits (20 p.) ce qui indique le chemin restant à parcourir. D’autre part, il se présente sous forme de réponses à quelques 550 questions que peut se poser le détenu.
Pour chaque question, les réponses font référence aux textes applicables en les commentant et, à défaut, la situation de fait correspondante est décrite. Le cas échéant, des décisions de juridictions administratives ou judiciaires sont citées. Des encadrés figurent sur toutes les pages ; il s’agit d’extraits d’ouvrages, d’articles, de circulaires ou de rapports officiels, mais aussi de la relation de faits qui se sont déroulés dans tel ou tel établissement. Au total, un panorama du droit très large et bien documenté sur l’ensemble des questions juridiques auxquelles un détenu peut se trouver confronté.
Après un accueil contrasté selon les chefs d’établissement, le directeur de l’administration pénitentiaire a fait parvenir une circulaire aux directeurs régionaux (n. 432 du 15 nov. 1996). Le texte précise que l’ouvrage " ne contenant aucune menace contre la sécurité des personnels ou des établissements pénitentiaires ", il ne saurait être retenu (art. D 444, c. pr. pén.), et les détenus doivent pouvoir se le procurer, soit en l’achetant à l’extérieur, soit en le consultant à la bibliothèque. Ils peuvent aussi le recevoir à titre gratuit par envoi postal ou remise directe (art D 423, c. pr. pén.). La circulaire se termine par des réserves sur le crédit à accorder aux informations données, bien que ces dernières soient reconnues " dans l’ensemble exactes ", et sur la nécessité d’indiquer aux détenus que l’ouvrage " ne peut servir de base à aucune réclamation ".
On ne peut reprocher à l’administration de vérifier le sérieux des informations contenues dans le guide, mais plus de réticence serait une erreur. Elle pourrait rater une occasion de manifester son attachement au droit. Au pire, elle risquerait de placer les droits des détenus en opposition avec ceux de l’administration pénitentiaire, alors que la question principale est d’organiser leur coexistence pacifique.
Le défaut le plus notable du Guide est qu’à s’adresser à trop d’interlocuteurs il risque de rater le principal, à savoir le détenu. Car si le praticien du droit peut s’y retrouver sans difficulté, si le guide doit être vivement recommandé aux étudiants de droit pénal, par contre il n’est pas sûr que les détenus puissent avoir un accès immédiat au texte. Mais cette faiblesse sera corrigée dès septembre 1998, date à laquelle doivent être diffusées des brochures thématiques, beaucoup plus pédagogiques, et surtout traduites en arabe, en espagnol et en anglais.

II. - UNE TENTATIVE POUR FAIRE DU DROIT UN LIEN ENTRE DÉTENUS ET SURVEILLANTS : LE MÉMENTO DU SURVEILLANT

Le mémento se présente comme un livre de petite taille, broché, de présentation claire. Il s’ouvre sur une sorte de préliminaire consacré à " la mission du personnel de surveillance " et composé des principaux textes fixant non seulement la mission mais aussi quelques règles de déontologie, ou plutôt de bonne conduite, à l’intérieur des établissements. Puis trente-six thèmes, classés par ordre alphabétique, sont distingués, allant de " alcool/tabac " à " visites ", incluant notamment " requêtes et recours des détenus ". Pour chacun, les textes de référence sont rappelés. Le thème est traité sous forme de questions que peuvent se poser autant les détenus que les surveillants, et de réponses rédigées dans un langage simple et clair. Dans l’attente d’un décret touchant environ 300 articles du code de procédure pénale pour le début de l’année 1998, quelques thèmes ont été laissés de côté, comme l’affectation et l’orientation des détenus ; une mise à jour régulière est prévue.
Ce " mémento " est bien plus qu’un petit aide-mémoire à l’usage des surveillants, en raison du but poursuivi par ceux qui l’ont conçu. Il a été entièrement réalisé par le Bureau de la réglementation. Il s’agit d’un outil professionnel, destiné à placer le surveillant dans un rôle de véritable interlocuteur du détenu. Le Mémento doit permettre aux surveillants de répondre eux-mêmes aux questions d’ordre juridique les plus courantes que se posent les détenus. Ainsi, les surveillants ne seront plus une simple courroie de transmission entre les détenus et les gradés. A cet égard, le Mémento s’inscrit dans la mise en place, en 1996/1997, des Projets d’exécution de peine (PEP) dans dix établissements pilotes. Depuis longtemps, les meilleurs observateurs du milieu carcéral s’accordent à souligner la nécessité impérieuse de ne pas cantonner les surveillants à une mission de garde. Et à juste titre, puisque le Mémento semble rencontrer un franc succès auprès des surveillants ; quelques-uns écrivent au Bureau de la réglementation pour remercier de cette initiative. Puisse l’information ainsi reçue, être effectivement partagée. S’il en était ainsi, le Mémento contribuerait à ce que le droit pénitentiaire fasse loi dans les rapports entre le personnel pénitentiaire et les détenus. Pourtant, ce n’est là qu’un premier pas vers l’accessibilité au droit pour les détenus.
Pourtant, ce n’est là qu’un premier pas vers l’accessibilité au droit pour les détenus. En effet, le droit pénitentiaire ne constitue pas encore une ressource d’action jouissant d’une réelle prise en considération, faute de procédures de mise en oeuvre facilement utilisable.

III. - DE LA CONNAISSANCE DU DROIT À SON UTILISATION

Dans sa mise en oeuvre, le droit pénitentiaire est écartelé entre le judiciaire et l’administratif, au détriment du justiciable. Le critère de compétence a été fixé par le Tribunal des conflits en 1960 : aux juridictions administratives, les litiges résultant du fonctionnement administratif du service pénitentiaire, aux juridictions judiciaires les litiges relatifs à la nature et aux limites d’une peine.
Le contentieux administratif est double. Il comporte des recours aux fins d’indemnisation, engageant la responsabilité de l’administration pénitentiaire pour faute. Il vise aussi, dans des recours pour excès de pouvoir, le contrôle de la légalité externe et interne de décisions concernant le détenu et faisant grief. La jurisprudence administrative relative à l’un comme à l’autre contentieux est peu abondante, même si une évolution semble se dessiner. Le recul de la mesure d’ordre intérieur s’agissant des sanctions disciplinaires, déjà commenté dans cette chronique, n’est pas encore complètement confirmé dans d’autres domaines.
Les juridictions de l’ordre judiciaire ont aussi à connaître, dans des proportions tout à fait modestes, d’un double contentieux. D’une part, des recours spécifiques à l’encontre de décisions, limitativement énumérées, des juges de l’application des peines ; ces recours, fondés sur l’article 733- 1 du code de procédure pénale, sont exercés à la seule initiative du procureur de la République. D’autre part, un recours général, prévu par l’article 710 du code de procédure pénale, visant " tous incidents contentieux relatifs à l’exécution ", encore peu utilisé mais peut-être prometteur. Il serait possible de considérer que, pour les détenus, privés du recours organisé par l’article 733-1 de procédure pénale, l’article 710 du code de procédure pénale constitue le fondement juridique de tous leurs recours en matière d’exécution de peines. Rien de choquant, dans ce cas, à ce que le procureur de la République dispose d’un recours spécifique ; en effet toutes les mesures concernées par l’article 733-1 touchent à l’ordre public puisqu’elles ont pour conséquence une remise en liberté anticipée.
Pourtant au moins trois raisons sont à l’origine de la difficulté de mise en oeuvre du droit pénitentiaire par les détenus. D’abord, les juridictions sont rétives, alors que les textes existent, auxquels il convient d’ajouter l’article 13 CESDH posant le droit à un recours effectif, et l’article 6-1 CESDH applicable aux cas susceptibles d’être rattachés à la matière pénale. Un jour prochain, " la foudre lente de Strasbourg ", pour reprendre l’expression d’un commissaire du gouvernement, " descendra sur la France ". Ensuite, les avocats sont peu présents sur ce type de contentieux mal connu et très faiblement rémunérateur, même si un mouvement semble se dessiner. Enfin, les détenus sont inorganisés, notamment en association qui aurait pour objet la défense de leurs droits. La liberté d’association des détenus est loin d’être une question clairement posée et résolue. Il y aurait beaucoup d’enseignements à retenir d’une association d’usagers qui a permis au droit de l’internement psychiatrique de faire de grands progrès. Au début des années 1970, le Groupe Informations Asiles a constitué en son sein une commission juridique remarquablement organisée. En quelques années, d’une sorte de harcèlement judiciaire intelligent, le droit a progressé, et l’avancée juridique se poursuit à Strasbourg grâce à la ténacité de Philippe Bernardet, véritable cheville ouvrière de cette action exemplaire pour le respect des droits de personnes en situation de faiblesse.
S’il nous paraît indispensable de faire des détenus les principaux acteurs de la reconnaissance de leurs droits, nous n’ignorons pas pour autant la situation particulière qui est la leur. Beaucoup d’entre eux ont fait de la loi l’un des enjeux de leur mode d’ expression et, à ce titre, relèvent d’une sorte de pédagogie de la loi, dont la loi juridique n’est que l’une des formes.
Au coeur de l’accessibilité au droit, se trouve la question d’une culture du droit à transmettre, certes aux détenus avec une prise en charge individualisée, mais aussi au personnel de l’administration pénitentiaire. Bien entendu, des cours techniques de réglementation pénitentiaire ou de droit pénal n’y suffisent pas. La transmission d’une culture juridique ne peut pas être faite par n’importe quel juriste ou militant des droits de l’homme. Elle suppose un travail préalable difficile, auquel doivent être prioritairement associés philosophes du droit et psychanalystes. Une réelle pacification de la détention par le droit, de toute façon toujours précaire, est à ce prix.