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Et le maton te guette... dans le ventre de la bête

Mise en ligne : 6 février 2003

Dernière modification : 24 décembre 2010

Texte de l'article :

David Acerbis est sorti de prison il y a tout juste trois semaines. Cet ancien condamné a trouvé de l’aide auprès de l’association Ban public, qui dénonce les conditions de la vie carcérale. Il raconte ses quatre années passées derrière les barreaux.

Quarante-cinq mois, 17 jours et 10 heures. C’est le temps exact que David Acerbis, 33 ans, a passé en prison. Quarante-cinq mois “amputés de sa vie”, dit-il. Cet homme brun à l’accent du sud, qui sourit facilement et arbore un T-shirt à la gloire de l’anarchie, a été condamné pour homicide involontaire. Il a purgé la majeure partie de sa peine à Fleury-Mérogis et à l’hôpital de la prison de Fresnes. Près de quatre ans à essayer de garder sa dignité.

Pour lui, la prison c’est d’abord la promiscuité, à raison de 9 m2 pour trois ou quatre personnes, au lieu d’une ou deux prévues. 

Manque total d’intimité, même pour aller aux toilettes. “Les W-C sont dans la cellule sans aucune séparation. Tout le monde peut rentrer, te voir quand tu es sur tes chiottes. Et si tu mets une couverture pour te cacher, les matons l’enlèvent !” , raconte-t-il.

Un manque complet d’hygiène aussi. Les détenus n’ont droit qu’à deux douche par semaine. “ Les murs des cabines sont couverts de vert-de-gris, les rats courent dans les mitards. Certains détenus se sont même fait mordre quand ils étaient aux toilettes. Les rats remontaient à travers les canalisations !”

Cette insalubrité lui a valu d’attraper une maladie orpheline, la maladie de Verneuil qui lui a coûté deux ans à l’hôpital. Et encore, à l’époque personne ne l’a pris au sérieux lorsqu’il s’est plaint. “Mon avocat Maître Barbe a dû intervenir pour me faire hospitaliser .”

David Acerbis se souvient surtout d’une “exploitation constante” des détenus, obligés de travailler s’ils veulent manger et se laver décemment. La prison est un monde où tout se paie. Et où les prix pratiqués sont beaucoup plus chers que “dehors”.

Regarder la télé coûte presque 10 euros par semaine. “L’administration ne donne rien. On a droit à un savon et un rouleau de papier toilette par mois. Au bout de quinze jours, on n’a plus rien. Si on veut se laver, bouffer correctement, on doit payer. On exploite notre misère.”

Même les loisirs se monnayent. Impossible d’amener de l’extérieur un poste radio ou des livres, il faut tout acheter sur place. Et donc travailler. Pour une vie décente, il faut compter 230 euros par mois. “Le problème, c’est que pour les gagner, on doit travailler toute la semaine, 15 heures par jour. On ne peut pas tenir !”

Il pointe aussi le racisme entre détenus. “Dès le premier jour, je me suis pris un cartable dans la tête par six détenus qui n’appréciaient pas mon accent.” 

Du côté des surveillants, David stigmatise les matons qui se servent des prisonniers comme défouloirs. “Ils provoquent les détenus et quand ceux-ci osent répliquer, ils invoquent le harcèlement psychologique pour obtenir des arrêts maladie.”

Un univers qui, selon lui, ne fait que “casser” les prisonniers - “la taule te rend inadapté à la vie normale, celle de dehors” - et qui tient encore grâce à la consommation intensive et tolérée de cannabis. “Le bédo est accepté, sinon c’est la révolution.”

Lui qui vient de sortir et a commencé à travailler pour une association d’aide aux prisonniers, estime que la vie carcérale abîme les détenus au lieu de les aider à changer. “On a quatre victimes au lieu d’une : la victime elle-même, le condamné, et leurs deux familles.”

Témoignage recueilli par Agnès Noël