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  • Editorial

« La réclusion criminelle à perpétuité est une peine à temps »

Ou de la nécessité de rappeler la loi et la réalité

Mise en ligne : 24 mars 2016

Dernière modification : 14 avril 2016

Texte de l'article :

Il est des temps dans l’histoire où l’« homme » politique français – aidé en cela par la rumeur – oublie l’existence de la loi.
Il en est ainsi fréquemment dès lors qu’un attentat est commis ou qu’un fait divers terrible fait irruption sur la place publique.

La réclusion à perpétuité n’existe pas ?


En effet, l’homme politique, désireux de trouver la petite phrase utile (à le distinguer des autres à sa réélection, bien entendu ! ) prétend que la réclusion criminelle à perpétuité n’existe pas et qu’elle est limitée à 22 ans ou à 30 ans !
Ainsi entendons-nous qu’un des complices présumés des attentats de Paris du 13 novembre 2015, s’il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité sortira, en l’état actuel du droit, à 56 ans.

Ineptie


L’homme politique, jouant des peurs et des passions qui traversent la société, soit ne sait pas lire (ce qui est envisageable), soit est incompétent (ce qui est inenvisageable).
Le législateur révolutionnaire, soucieux de ne plus subir l’arbitraire du Roi a fondé notre système pénal sur le principe de la légalité des délits et des peines.
En vertu de ce principe, un condamné ne peut l’être sans texte, c’est-à-dire sans que la peine ne soit prévue dans la loi ni sans que l’infraction ne soit prévue par la loi avant sa commission.
L’article 131-1 du Code pénal prévoit que « les peines encourues par les personnes physiques sont : 1° la réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité »
La réclusion criminelle à perpétuité existe donc bien dans le Code pénal.

Perpétuité et période de sûreté


Pour quel type d’infractions ? Pour certaines atteintes à la personne humaine et pour certains crimes commis contre la nation (dans ce cas on ne parle pas de réclusion criminelle mais de détention criminelle).
Il est en ainsi du meurtre aggravé (221-2 du Code pénal), de l’assassinat (221-3 du Code pénal) ou encore de l’attentat aggravé (421-1 du Code pénal).
La réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité est donc possible pour ceux qui seraient reconnus coupables d’attentats ou d’assassinats.
Par ailleurs, pour les crimes, si la réclusion criminelle est prononcée la période de sûreté est au moins de 18 ans (article 132-23 du Code pénal)
La période de sûreté est la période pendant laquelle le condamné ne peut demander aucun aménagement de peine ni bénéficier d’aucune permission de sortie.
Pour autant, même si cette période de sûreté est achevée, il n’en demeure pas moins que le reclus criminel à perpétuité doit solliciter une libération conditionnelle (assortie d’une mesure probatoire comprise entre un et 3 ans) pour pouvoir sortir de détention (mais il restera sous écrou jusqu’à la fin de la mesure).
La réclusion criminelle à perpétuité ne s’achève donc ni après 18 ans pleins, ni après 22 ans pleins ni après 30 ans pleins comme eut le faire croire l’homme politique. Le condamné peut ne jamais sortir de prison.

Les petits bricolages de l’homme politique


Mais l’homme politique rétorquera que « si ! les peines de réclusions criminelles à perpétuité ne sont jamais exécutées en France. » Il sort cette affirmation, sans fondement, sans connaître les ces membres de Ban Public, reclus criminel à perpétuité et qui ne sortiront jamais, ou dont toutes les demandes de libération conditionnelle sont rejetées, pour des motifs fantaisistes.
L’homme politique – souvent député ou sénateur – peut, à tout moment, visiter les établissements pénitentiaires (article 719 du Code de procédure pénale). Il serait alors bien avisé, avant d’asséner des contre-vérités, de procéder aux visites des mouroirs de la République et d’y rencontrer leurs résidents. Il y verrait que Pierre, Icham, Xavier et Fatima exécutent bien une peine de réclusion criminelle à perpétuité.
L’homme politique rétorquera que cette perpétuité n’est pas réelle et qu’il faut appliquer la « perpétuité réelle ». Il se fonde sur la possibilité offerte pour certains crimes de porter à 30 ans la période de sûreté sans que le condamné ne puisse avant l’exécution de 30 ans pleins solliciter une demande de libération conditionnelle (article 221-3 du code pénal notamment). C’est ce que la rumeur a voulu qu’on appelle la « perpétuité réelle. »

Réalité de la perpétuité


Or, le législateur ne distingue pas « la fausse perpétuité » (dont la période de sûreté serait de 18 ans) de la « vraie perpétuité » (dont la période de sureté serait de 30 ans sans possibilité de demander une libération conditionnelle avant l’exécution de 30 ans pleins).
La perpétuité c’est la perpétuité, point.
L’homme politique n’hésitera pas alors à rétorquer que de toutes façons les juges sont laxistes et qu’ils font sortir les reclus criminels à perpétuité quelques années à peine après le prononcée de la condamnation.
D’une part, juridiquement cela est impossible, en raison de la période de sûreté . Et d’autre part, le tribunal de l’application des peines (et non un juge seul, mais trois juges) s’entoure aujourd’hui de telles garanties et de telles contraintes (on pense au passage au centre national d’évaluation, à l’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, à la double expertise etc.) qu’il est de plus en plus difficile de voir la peine aménagée après l’exécution de la période de sûreté.

Agir en « homme » sage


Le constat de l’homme politique est donc, une nouvelle fois, inepte. Et la perpétuité existe belle et bien, en droit et en fait, dans la réalité judiciaire française. A croire, mais nous ne pouvons l’envisager, que l’homme politique français ne vit pas dans la même société que ses concitoyens.
En ces temps troublés, où le citoyen a davantage besoin de soutien que d’attiser ses peurs, l’homme politique, animé de ses seules ambitions médiatiques et électorales, ferait pour une fois bien d’agir en homme sage.

La rédaction de Ban Public