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Réinsertion / réhabilitation / Bannissement / Droit à l’oubli

  • Editorial

D’un bannissement à l’autre

Mise en ligne : 28 janvier 2016

Dernière modification : 29 janvier 2016

Texte de l'article :

Les actes terroristes récemment commis ont bousculé nos schèmes de pensée et bouleversé la vie de certains par la perte d’êtres chers. Ces actes appellent une réponse efficace et ajustée. Efficace, car des actes barbares ne peuvent rester impunis et tout doit être mis en œuvre pour s’en prémunir. Ajustée, car la réponse à ces actes ne peut ébranler davantage les valeurs qui fondent notre République. Or, la surenchère de propositions ultra sécuritaires et discriminatoires fait vaciller la Liberté, l’Egalité et la Fraternité que nous appelons de nos vœux.

Parmi ces propositions discriminatoires, il en est une à forte valence symbolique : la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés en France. Cette disposition existe déjà pour les binationaux qui ont acquis la nationalité française. Autrement dit, elle crée, de fait, deux catégories de citoyens : des citoyens nés en France qui pourraient perdre leur nationalité, en raison des actes qu’ils commettraient et au motif qu’ils sont binationaux, et d’autres, qui commettraient les mêmes actes, et ne seraient jamais concernés par cette mesure.

La catégorisation des citoyens n’est en fait pas si nouvelle. En effet, il existe une disposition en droit pénal par laquelle un citoyen peut perdre certains de ses droits. Avant 1994, une condamnation pour crime ou une condamnation à certains délits entraînaient automatiquement la privation des droits civiques, civils et de famille, ainsi que des droits commerciaux, à vie.

Cette interdiction perpétuelle entretient la relégation d’une catégorie de citoyens. Et, cette privation à vie pour les personnes condamnées en matière criminelle avant 1994 est encore une réalité aujourd’hui, une réalité d’autant plus prégnante que les demandes de réhabilitation ou de relèvement de l’interdiction des droits civiques piétinent. Pour les personnes condamnées après 1994, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de dix ans, en cas de condamnation pour crime, et une durée de cinq ans, en cas de condamnation pour délit.

Elle n’est donc ni automatique, ni illimitée, comme elle l’était auparavant. Coexistent donc actuellement deux catégories de citoyens, auteurs des mêmes infractions, les uns privés à vie de leurs droits, donc bannis, et, les autres qui recouvrent ces droits, à supposer qu’ils en aient été privés. Les démarches associatives ou politiques entreprises pour effacer cette iniquité n’aboutissent pas, comme si, catégoriser, sur une base ubuesque, était un allant de soi. Au-delà des valeurs foulées au pied, en particulier l’Egalité dans l’application de la mesure, les Hommes concernés par ces interdictions sont confrontés au réel et à sa butée, avec des dispositions contre productives et d’un autre âge.

Il n’est ainsi finalement pas surprenant d’observer aujourd’hui ce même schéma se reproduire. Il s’agit à nouveau non seulement de reléguer, mais aussi de catégoriser, non plus sur la base d’un avant et d’un après par rapport à une date, mais sur la base de la possession ou non d’une autre nationalité.

Lorsque les réponses apportées aux infractions, fussent-elles d’une horreur insoutenable, se fondent sur le bannissement et s’appliquent de façon inégale, les valeurs, soit disant défendues, sont reniées de fait.

L’institutionnalisation du bannissement participe d’une représentation biaisée de l’Homme, car, faut-il encore le rappeler, l’Homme n’est pas réductible à ses actes. Et postuler implicitement le contraire c’est accepter de payer un lourd tribut aux conséquences liberticides, donc mortifères, de nos choix politiques.

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