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Communiqué "Prisons du coeur"

Type : PDF

Taille : 41.2 kio

Date : 29-07-2012

« Prisons du coeur »

Prison éxpérimentale de Saint-Julien sur Suran

Publication originale : 27 juillet 2012

Dernière modification : 29 juillet 2012

La CGT Pénitentiaire contribue depuis de nombreuses années à la réflexion pour l’amélioration des conditions de détention et la modernisation humaniste des pratiques pénitentiaires. Elle réfléchit sans cesse à la manière de faire de l’incarcération une exception, et de faire évoluer la prison vers un modèle privilégiant la réintégration sociale.

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Texte de l'article :

Les dernières années écoulées ont plutôt vu l’émergence d’un projet
radicalement opposé, qui a banalisé l’incarcération et toute autre forme
de restriction de liberté (courtes peines, bracelets électroniques,
assignation à résidence,...) et à créé de toute pièce une croissance
démesurée de la population pénale, qui à chaque nouvelle année est plus
nombreuse que l’année précédente.

C’est dans ce contexte que le gouvernement précédent a procédé à une
opération de communication sans précédent, visant à rendre acceptable
l’émergence de « prisons de la misère » et « l’industrialisation des
peines ». Pour illustration, l’encellulement individuel a été annoncé à
grand renfort de presse pour, en catimini quelques mois après, faire
marche arrière. Des usines carcérales déshumanisées ont été ouvertes au
lieu de reconstruire des établissements à taille humaine, bien répartis
sur le territoire pour faciliter l’accès des détenus aux prestations
nécessaires à leur réinsertion et à leurs proches. Que dire là encore du
lancement d’une campagne de labellisation d’établissements « Règles
Pénitentiaire Européennes » quand seulement une poignée de règles est
respectée, du moins sur le papier…

Le projet de prison privée porté par M. BOTTON, qui ressurgit à la
veille des arbitrages budgétaires à grand renfort de spots
publicitaires, est né dans ce contexte. Il a été proposée à M. SARKOZY
et certains de ses proches, avec le soutien d’acteurs dont la CGT Pénitentiaire ne doute pas que leur audience était plus grande que la sienne : AXA, M6, Schneider…

Aux personnes sincères qui, quant à elles, ont apporté leur soutien à ce projet, la CGT Pénitentiaire
tient à dire que la prison dite BOTTON est un leurre. Si, pour nous, il
est compréhensible qu’un public non averti puisse s’y tromper, il est
en revanche extrêmement inquiétant de constater que des personnalités
avisées et des représentants d’associations professionnelles apportent
leur soutien à la première initiative privée de gestion de la privation
de liberté.

Il est vrai que la période a vu fleurir une multitude de projets et
autres expérimentations portés par des « experts » autoproclamées, qui
ont contribué à l’essoufflement du service public pour des résultats
plus que contestables. Sauf que les professionnels pénitentiaires
avaient mis en garde contre ces dérives, mais ils souffrent d’un tel
mépris qu’il est désormais convenu de parler de l’avenir de la prison
sans eux, et d’utiliser le discrédit entretenu du service public –
asphyxié par des années de casse et de pénurie – pour justifier sa
privatisation.

Quelques exemples pour que les humanistes de touts bords se rendent compte de la supercherie :

  • Dans un contexte d’endettement massif et de restrictions
    budgétaires sans précédents pour le parc public pénitentiaire, on nous
    annonce un coût de 10 millions d’Euros pour la construction (le coût de
    gestion à terme est passé sous silence) de cette soi-disant « prison
    modèle » alors que, dans le même temps, le gouvernement n’est pas en
    capacité de mettre sur la table les 9 millions d’euros qui permettraient
    d’équiper dès 2013 soixante établissements pénitentiaires en matériel
    de détection pour mettre un terme aux fouilles intégrales
    systématiques. Ce serait pourtant là une avancée majeure pour la dignité
    de tous les détenus de France : l’administration pourrait respecter les
    normes européennes d’ici à 3 ans, et éviter d’exposer les surveillants à
    l’opprobre publique alors qu’ils ne font qu’assurer la nécessaire
    sécurité des établissements avec les moyens qu’on leur donne.
  • Le recrutement immédiat de 290 travailleurs sociaux pénitentiaires,
    dont tout le monde constate l’impérieuse nécessité , équivaudrait lui
    aussi à un budget d’environ 10 millions annuels . Ce recrutement
    permettrait à tous les détenus de pouvoir être pris en charge
    correctement, alors qu’aujourd’hui il faut jouer des coudes en détention
    pour voir un travailleur social puisque ces derniers s’occupent d’une
    centaine de détenus chacun.
  • Autre exemple qu’un public non averti ne peut pas connaître : qui
    sait que les budgets nécessaires au financement des placements
    extérieurs – dispositifs incontournables pour la réinsertion des
    condamnés les plus désocialisés – sont déjà quasiment épuisés pour cette
    année, alors qu’ils ne représentent qu’un budget d’environ 10 millions
    d’euros pour lequel il faut chaque année gratter les fonds de tiroir ?
  • La prison ainsi proposée ajoute encore un modèle à une
    « classification pénitentiaire » qui a gonflé superficiellement ces
    dernières années. De nombreux concepts ont fleuri, avec un impact sur la
    réalité bien éloigné de l’affichage. Mais surtout, en s’adressant à une
    population pénale extrêmement réduite, M. BOTTON demande à
    l’administration française de sélectionner quelques « détenus modèles »
    qui pourraient correspondre au « profil » que son établissement
    rechercherait. Pour nous, il ne s’agit pas d’œuvrer à la réinsertion des
    personnes détenues, processus dynamique et individuel, mais bien de
    sélectionner celles qui seront aptes à effectuer le travail fourni par
    AXA, M6 et autres membres du réseau de M. BOTTON.
  • Enfin, ce n’est pas non plus en créant de nouveaux établissements
    dans des lieux éloignés de toute infrastructure et au tissu économique
    dévasté, comme c’est le cas à Saint-Julien sur Suran, que la France fera
    un bond en avant en matière de réinsertion des condamnés et
    d’investissements productifs profitables à la population.

Un établissement de 120 places ne fera pas une politique pénale, ni
ne sera une réponse à la dégradation considérable des condition de
travail des professionnels : c’est au politique de prendre enfin ses
responsabilités et de s’engager dans la voix d’une réelle réforme du
système pénitentiaire et de la condition des personnels qui le servent.

Laisser la place à des initiatives privées pour développer des
prisons, à l’heure où les Etats qui avaient fait le choix du tout
carcéral reviennent en arrière après avoir constaté l’échec de ce modèle
d’exploitation, est une aberration que nous ne pouvons pas laissé
passer, un symbole du renoncement de l’Etat face à une situation qu’il a
lui-même créé.

Nous comprenons aisément les raisons pour lesquelles M. BOTTON avait
soumis ce projet à l’ancien président de la République. Entre-temps des
élections ont eu lieu, qui induisent de fait de rompre avec les choix
passés les plus contestables. C’est à priori ce que semble indiquer les
déclarations du ministère...

La CGT Pénitentiaire s’opposera avec détermination à toute
velléité de privatisation des prisons, fussent-elles « du cœur », et des
missions de service public. Ce serait la porte ouverte à toutes les
dérives, et à l’instauration d’une justice à géométrie variable selon le
« profil du client ».

Montreuil, le 27 juillet 2012