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Liberté d’expression et d’opinion des personnes incarcérées

  • Communiqué
  • Editorial

Georgia Bechlivanou Moreau, Docteur en Droit

Un demi-pas en avant pour le droit à l’image des personnes détenues

A propos d’une décision sur le film « Le Déménagement »

Mise en ligne : 21 juillet 2012

Dernière modification : 29 juillet 2012

Texte de l'article :

Le vendredi 13 juillet 2012, le Tribunal administratif de Paris a rendu sa décision à propos de l’interdiction de diffuser le film " Le Déménagement » de Catherine Rechard. Ce film, qui montrait des personnes détenues s’exprimer sur les conditions de leur transfert de la maison d’arrêt Jacques Cartier vers le centre pénitentiaire Rennes-Vezin, nouvellement créé, n’avait pas obtenu l’autorisation ce l’Administration pénitentiaire d’être diffusé à la télévision française. Alors que toutes les personnes avaient donné leur consentement par écrit.

Cette juridiction a confirmé le principe que le visage et la voix des personnes détenues peuvent être diffusés à la télévision dès lors que ces dernières ont donné leur consentement. Toute restriction doit être une exception et doit être motivée de manière circonstanciée.

Pour annuler les décisions de refus de l’administration pénitentiaire, cette juridiction s’appuie essentiellement sur le défaut de motivation. Malgré cette limitation dans les motifs d’annulation, cette décision présente une double importance : quant à la motivation des restrictions dans l’exercice des droits fondamentaux (A) mais aussi quant au droit à l’image des personnes détenues (B).

 A. obligation de l’Administration pénitentiaire de motiver de manière circonstanciée toute restriction de l’exercice des droits fondamentaux

Un élément ressort clairement de la décision du Tribunal administratif de Paris : le droit à l’image et la liberté d’expression sont des droits de la personne. La condamnation et la détention n’y changent rien ; en cela, les détenus demeurent titulaires de ces droits ; par conséquent, toute restriction ou immixtion de l’Administration pénitentiaire doit être motivée.

Et le Tribunal administratif de préciser ce qu’on doit entendre par « motivation ». Obligation de motiver signifie, d’abord, une motivation circonstanciée. C’est-à-dire une motivation qui s’applique à un cas précis pour des motifs précis. Elle s’oppose donc à la motivation générale qui se limite à invoquer les motifs tels qu’ils sont prévus par une loi, sans démontrer en quoi ils entrent en jeu dans un cas précis.

En effet, le Tribunal administratif de Paris a raison lorsqu’il pointe dans cette affaire l’absence de motivation dès lors que, pour s’opposer à la diffusion du film « Le Déménagement », sans floutage des personnes, l’Administration pénitentiaire se contente de citer les quatre motifs prévus par le deuxième paragraphe de l’article 41 de la Loi pénitentiaire (Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009), à savoir : « la sauvegarde de l’ordre public », « la prévention des infractions », « la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers » et « la réinsertion de la personne concernée ». Dans ce cas précis, rien n’est dit pour expliquer en quoi ces quatre motifs s’opposent à la diffusion de l’image des personnes détenues, diffusion à laquelle elles avaient clairement consenti par écrit en tant que personnes adultes et saines d’esprit.

Obligation de motiver signifie aussi, rappelons-le, au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme, obligation de démontrer la nécessité de s’immiscer dans l’exercice d’un droit ainsi que la nécessité de limiter les limitations à la mesure strictement nécessaire dans une société démocratique.

Le Tribunal administratif a ainsi résumé les exigences quant à la motivation : « Considérant qu’il résulte toutefois des dispositions précitées de l’article 41 de la loi du 24 novembre 2009 que l’administration pénitentiaire ne peut régulièrement opposer un refus à la diffusion ou à l’utilisation de l’image d’une personne détenue, et ce malgré le consentement écrit de cette dernière, que si, d’une part, cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et si, d’autre part, cette restriction est rendue nécessaire, au cas d’espèce, par l’un des motifs limitativement énumérés par ce texte ».

Cette mise au point du Tribunal administratif de Paris, et ce rappel des exigences européennes que nous soulignons, auront des conséquences importantes, espérons-le, sur l’exercice d’autres droits fondamentaux, en particulier concernant le respect de la dignité. Celle-ci est notamment mise en cause par les fouilles à nue (fouilles corporelles intégrales) des personnes détenues.

Malgré le fait que la Loi pénitentiaire de 2009 soumet la décision de fouiller à corps une personne détenue à l’obligation de motivation circonstanciée, dans la pratique les autorités pénitentiaires font de la « résistance » selon l’expression du CGLPL. Elles continuent à pratiquer les fouilles à corps de manière routinière, tels des rituels immuables sans raison précise ni nécessité démontrée de fouiller un détenu précis à un moment précis.

Nous pouvons raisonnablement espérer que cette décision du 13 juillet 2012 du Tribunal administratif de Paris renforce l’application de la Loi pénitentiaire dans ses dispositions progressistes, dans lesquelles l’on peut ranger le droit à l’image. Il reste pour cela à reconnaître clairement ce dernier droit aux personnes détenues et à assurer sa garantie effective.

 B. Le droit à l’image des personnes détenues : un droit en attente de protection efficace

Dans cette décision du Tribunal administratif de Paris, le droit à l’image des personnes détenues est resté au second plan.

Certes les auteurs de ce recours ont dû s’appuyer sur leurs droits d’auteur pour justifier l’intérêt d’agir devant la juridiction administrative. Seule la liberté d’expression des personnes détenues y est clairement associée. Celles-ci ont droit de se montrer à visage découvert, de s’exprimer sur leurs conditions de détention ; en revanche, elles n’ont pas le droit d’aborder les faits pour lesquels elles ont été condamnées.

Il est dommage que le droit à l’image de ces personnes apparaisse seulement en filigrane. Alors que les arguments des auteurs de ce recours et ceux du ministre de la Justice portent sur ce droit, ainsi que sur le droit à l’oubli.

Ce droit aurait en effet pu être abordé dans sa globalité, à savoir dans son double aspect, à la fois positif et négatif : le droit de la personne d’autoriser la diffusion de son image et le droit de s’y opposer.

Dans la décision en question, le droit à l’image des personnes détenues est implicitement reconnu dans son aspect positif. Il y était implicitement mais clairement question du droit à diffuser l’image de personnes ayant donné au préalable leur consentement dans des conditions présentant toutes les garanties requises pour obtenir un consentement libre, éclairé et précis.

Il reste l’autre aspect de ce droit : le droit de s’opposer à la diffusion de son image sans un tel consentement préalable. Cette protection fait cependant cruellement défaut à ces concitoyens. Les émissions de plus en plus nombreuses diffusées à la télévision, à des heures de grande écoute, en sont la preuve. Ces émissions ont pour protagonistes des personnes détenues et relatent les faits pour lesquels elles ont été condamnées. Scénarisées, elles sont conçues en toute liberté sans le moindre consentement des personnes intéressées, ni d’ailleurs, souvent, des victimes.

A ce propos, il est intéressant de noter que la décision du Tribunal administratif de Paris évoque également l’argument de la réinsertion : « il ne ressort en particulier nullement du contenu de ce documentaire que celui-ci serait de nature à faire obstacle à la réinsertion des personnes concernées ; qu’en effet, le film n’aborde à aucun moment les faits pour lesquels les personnes détenues qui témoignent ont été condamnées ». Une telle affirmation permet de déduire, a contrario, que tout documentaire ou autre forme d’émission qui abordent de tels faits peuvent porter atteinte à la réinsertion. On comprend dès lors que ce type de diffusion est encore plus préjudiciable, lorsque la personne n’a pas donné son consentement.

Pourtant face à de telles émissions mercantiles de la télévision, le droit à l’image des personnes détenues est complètement bafoué. Les réalisateurs de ces émissions à sensation font leurs courses dans les archives judiciaires sans aucun scrupule, tels des rapaces. Des chaînes et des producteurs s’enrichissent sur le dos des condamnés et des victimes, sans consentement ni dédommagement des protagonistes. Contre ce type de lynchage médiatique, le droit français demeure ambigu.

Pourtant une partie de la jurisprudence reconnaît la possibilité de limiter de telles pratiques. Selon cette jurisprudence, le temps d’exploitation libre des faits juridiques est déterminé, d’abord, par le critère « d’actualité ». Cette notion permet aux journalistes d’exploiter de tels faits au nom de la liberté d’information dans le cadre d’un temps très rapproché. Une fois que l’actualité s’éloigne, les journalistes ne peuvent plus se prévaloir de cet argument. Ne restent alors que les motifs suivants : « grandes affaires », « intérêt historique » et « intérêt scientifique ».

Or, il est bien difficile de trouver de tels intérêts dans la pléthore des affaires qui envahissent actuellement l’écran.

Autre bémol à apporter à l’importance de cette décision du Tribunal administratif de Paris : le poids de la garantie d’un consentement écrit, libre et éclairé. Si le droit des auteurs dans cette affaire à diffuser ce film est reconnu, c’est en raison de l’existence d’un consentement écrit, libre et éclairé. A défaut, ce droit n’aurait pas pu, ni dû, être accordé.

En effet, si la décision du Tribunal administratif de Paris tient compte de l’absence de référence aux faits de la condamnation et sur la limitation de l’expression des protagonistes aux commentaires sur les conditions de la détention, elle a ignoré un autre argument : le droit à l’oubli. Pourtant, cet argument avait été avancé par la défense et mérite une attention particulière. Le ministre de la Justice avait en effet apporté comme preuve le journal La Croix, qui atteste des demandes faites par de nombreux ex-détenus d’effacer les traces de leur condamnation au nom du droit à l’oubli, estimant que cela leur porte préjudice en entravant leur réinsertion aussi bien professionnelle que sociale. Ce qui est indéniable. Le poids de la stigmatisation de la prison est d’une notoriété indiscutable. Tant les travaux français qu’internationaux le confirment.

De ce fait, il est nécessaire que tout consentement de personnes détenues concernant la diffusion de leur image et de leur voix en situation de détention doive être assorti d’une clause de « rétractation ». Ces personnes devraient avoir cette garantie pendant une durée suffisamment longue durant et après leur détention, pour assurer efficacement la protection de leurs efforts de réinsertion, mais également leur vie privée ainsi que celle de leurs proches.

*

Aussi, certes le jugement du Tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2012 a-t-il marqué un pas vers le renforcement du respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées. Mais pour le respect de leur droit à l’image, il s’agit d’un demi-pas.


Référence de la décision

TAParis, n°1201622/7-1, 7ème Section - 1ère Chambre, 13 juillet 2012, Société CANDELA PRODUCTIONS et Mme Catherine R. C/ Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés

Le texte de l’article 41 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009

« Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification.

L’administration pénitentiaire peut s’opposer à la diffusion ou à l’utilisation de l’image ou de la voix d’une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s’avère nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée (…). »

Paris, 18 juillet 2012

Contact presse 06 21 86 85 93
Georgia Bechlivanou-Moreau
Chargée des questions Pénitentiaires Européennes

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