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4 Les difficultés dans l’accès à l’enseignement et à la formation

Mise en ligne : 7 mai 2012

Dernière modification : 9 mai 2012

Texte de l'article :

4. Les difficultés dans l’accès à l’enseignement et à la formation

La Commission nationale de suivi de l’enseignement en milieu pénitentiaire a réalisé une enquête, sur "enseignement et activité rémunérée", menée entre les 6 et 10 décembre 2004 dans 165 établissements pénitentiaires, d’où il ressort que seuls 19,6 % des adultes incarcérés sont scolarisés, pour une durée moyenne hebdomadaire de 8 heures.

Parmi les 45 659 personnes incarcérées qui ont bénéficié en 2004 d’un test relatif à l’illettrisme et aux difficultés de lecture, 29 % ont échoué au "bilan lecture" : 15 % étaient en situation d’illettrisme et 14 % en difficulté de lecture. Dans ces conditions, la prise en charge de l’illettrisme reste largement insuffisante puisqu’elle a concerné 5 887 personnes en 2003.

4.1. Longueur des peines

La longueur des peines est souvent un obstacle à la mise en œuvre d’un programme de formation générale et/ou professionnel cohérent. Les courtes peines (moins d’1 an) "dé insèrent", plus qu’elles ne contribuent à la réintégration. Les longues peines (5 ans et plus) posent le problème de la gestion du temps. Certes, le crédit de réduction de peine (introduit par la loi du 9 mars 2004, portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité), permet de fixer une échéance. Mais cette échéance reste incertaine d’une part parce que le crédit peut être retiré ou que des remises de peine supplémentaires peuvent être accordées ou non ; d’autre part, parce que l’obtention d’aménagements de peine, tels l’octroi d’une libération conditionnelle, est extrêmement aléatoire.
Quand bien même la date réelle de la libération serait connue dès le début de l’incarcération, le problème resterait entier car il est difficile de préparer aujourd’hui une sortie prévue vingt plus tard. A l’inverse, une date de sortie proche exclut de s’engager dans un cursus de formation cohérent.

Par conséquent, s’agissant des courtes peines, elles devraient systématiquement être exécutées dans la communauté, de manière à permettre la poursuite d’une activité professionnelle, s’il y en avait une, ou bien de manière à éviter la rupture que représente l’incarcération.

S’agissant des longues peines, il conviendrait de mener une réflexion à la fois sur le quantum maximum et sur les conditions d’accès à la libération conditionnelle. Celle-ci est actuellement exclusivement possible par un mode discrétionnaire et force est de constater que la part des libérations conditionnelles diminue toujours plus (passant de 12% de l’ensemble des personnes condamnées libérées en 2001 à 6% en 2005).

Dans tous les cas de figure, une continuité parfaite doit être assurée dans le suivi d’un cursus tant à l’entrée en détention qu’à la sortie.

4.2. Décalage entre les formations et la réalité du monde du travail

Certaines formations professionnelles sont en décalage avec la réalité du monde du travail. Par exemple, des formations dans le domaine du textile sont parfois proposées, alors même que

cette filière de l’industrie subit des délocalisations ailleurs dans le monde. En outre, pour chaque formation professionnelle, un matériel spécifique est nécessaire et il est rare qu’un seul établissement soit en mesure d’offrir le choix. L’affectation dans un établissement peut alors se faire en fonction du programme de formation qui y est proposé, au détriment du maintien des liens familiaux, amicaux et sociaux.

Dans cette perspective, les chambres de commerce et d’industrie (CCI) auraient un rôle à jouer en délivrant un maximum d’informations sur l’orientation et la formation. Les CCI ont également des établissements qui forment tant des jeunes que des adultes en formation continue. Ces établissements entretiennent des relations privilégiées avec les entreprises et les branches professionnelles qu’ils placent au cœur de leur activité. Les écoles des CCI adaptent ainsi en permanence leurs formations, anticipant les nouveaux besoins en compétences. Des partenariats devraient être ainsi mis en place entre établissements pénitentiaires et CCI.

Chaque établissement pénitentiaire devrait passer des conventions avec les lycées professionnels de l’académie dont il dépend de manière à aligner son offre de formation avec celle du milieu libre. Cela poserait assurément des difficultés, d’organisation notamment, mais c’est à ce prix que la personne incarcérée se verrait reconnaître son droit plein et entier à la formation.

 

4.3. Concurrence entre le travail et la formation

La formation est souvent en concurrence avec le travail.

Cette concurrence est fondamentalement liée à l’organisation même de la journée en détention. En effet, sauf cas particulier, l’organisation de la journée en détention ne permet pas de cumuler une activité d’enseignement ou de formation et un travail.

Sur cette base, la concurrence entre le travail et la formation s’installe pour des raisons de nature financière. Contrairement à une idée répandue, tout n’est pas gratuit en prison. L’amélioration du quotidien a un coût ; celui-ci est d’ailleurs fonction des établissements, variant dans des proportions considérables tout en généralement très supérieurs aux prix pratiqués à l’extérieur, comme le remarquait Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux droits de l’Homme, dans son rapport rendu public en février 2006. En outre, pour certaines personnes, la nécessité d’indemniser la partie civile, incite à travailler, en particulier pour bénéficier des remises de peine supplémentaires. Enfin, il ne peut être ignoré que gagner un salaire en prison sert parfois à soutenir sa famille à l’extérieur, ne serait-ce que pour financer les déplacements nécessaires au maintien des liens familiaux.

Dans quelques établissements la possibilité d’avoir un travail et de suivre une formation ou un enseignement existe grâce à la mise en place de la journée continue du lundi au samedi ; cette pratique doit se généraliser.

4.4. Non éligibilité aux bourses d’études

Les personnes en détention pénale, sauf celles placées en régime de semi-liberté, sont exclues du bénéfice d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux, même si les intéressés justifient par ailleurs des critères ouvrant droit à cette bourse.
Modalités d’attribution des bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux - année 2004-2005
NOR : MENS0401499C CIRCULAIRE N°2004-122 DU 21-7-2004
http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=6868

Si les intéressés justifient des critères ouvrant droit à une bourse d’étude, ils ne doivent pas en être exclus, au prétexte qu’ils sont en détention pénale.

4.5. Montant des frais d’inscription pour les études supérieures ou pour l’enseignement par correspondance

En dehors des formations mises en place au sein de l’établissement pénitentiaire, (assurées par l’Education Nationale ou dans le cadre des activités gérées par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP)), les personnes incarcérées peuvent accéder à l’enseignement supérieur par des inscriptions directement auprès des universités, ou auprès d’organismes d’enseignement par correspondance.
Les directions des universités ont toujours une possibilité d’exonérer des personnes des frais d’inscription. Cette disposition est appliquée, de façon discrétionnaire, et n’est pas toujours connue.
Dans le cadre de l’enseignement par correspondance, certains organismes tel qu’Auxilia dispensent des cours gratuits. Le CNED, organisme payant, a signé une convention avec l’administration pénitentiaire (AP) pour permettre une prise en charge partielle des frais par l’AP, selon différents critères, la personne incarcérée restant toujours redevable d’un forfait minimum allant de 30 € à 1/3 des frais d’inscriptions [Convention du 3 juillet 2003 entre le Centre national d’enseignement à distance et la direction de l’administration pénitentiaire - Convention CNED/ENAP n° 2003-35 - NOR : JUSE0340093C]. 

Les personnes incarcérées, sur la base de critères financiers, et de ces seuls critères, devraient se voir exonérées des frais d’inscription dans le cadre de l’enseignement supérieur et dans le cadre de l’enseignement par correspondance.

4.6. Cas particulier des études en informatique

Une circulaire d’août 2006 fixe le cadre de "l’informatique en cellule" et "en salle d’activité", de manière particulièrement restrictive, et ce d’autant plus que, dans le même temps, les matériels évoluent rapidement.

En cellule, une personne ne peut posséder qu’un seul ordinateur (non portable), avec un seul disque dur. Sont interdits en cellules : les imprimantes laser, les souris sans fil, les appareils photos numérique, les CD et DVD vierge, les clef USB, les disques durs externes (ou sur rack amovible), les liaisons par réseau filaire ou sans fil, les logiciels de PAO et de DAO, etc.

La circulaire précise également, de façon extrêmement détaillée, les caractéristiques des cartes mères et cartes graphiques autorisées et interdites ; pour résumer, les matériels suffisamment performants pour permettre le fonctionnement de certains logiciels sont interdits. "Dans l’hypothèse de technologie interdite par la réglementation (modem, carte réseau, Wifi, etc), mais intégrée en standard à la carte mère ou à un autre matériel, un accord de destruction physique et irréversible des fonctions prohibées vous sera demandé par écrit" peut-on lire dans la circulaire.

Malgré tout cela, si la personne possède un ordinateur en cellule, elle devra communiquer à l’administration tous les mots de passe et ne conserver que des documents liés à des activités socioculturelles, d’enseignement, de formation professionnelle. En cas de transfèrement, le règlement intérieur du nouvel établissement sera appliqué au matériel acquis préalablement. Qu’il s’agisse de la salle d’activité informatique ou de la cellule, l’accès à Internet est strictement interdit. Le transport de données entre la salle d’activité informatique et la cellule (sous forme de CDROM, DVD...) est interdit ; l’absence du responsable de l’activité annule celle-ci.

Toutes ces interdictions rendent impossible pour une personne incarcérée de faire du développement logiciel (dans le cadre d’une activité rémunérée par une société extérieure notamment) ; l’accès à Internet et la sauvegarde de données sur un support autre que le disque sont en effet indispensables pour être compétitif en matière de développement logiciel.

Toutes ces restrictions sont contre productives en terme d’intégration future dans le monde du travail, car elles sont en décalage avec la réalité technologique.