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Philosophies et politiques pénales et pénitentiaires

L’état des prisons de France

Mise en ligne : 4 novembre 2002

Dernière modification : 23 janvier 2011

Texte de l'article :

L’état des prisons de France

Bernard Loyson est directeur de banque à la retraite. Depuis quatre ans, il est aumônier protestant du centre de détention de Melun. Par ailleurs, il est vice-président élu du Collectif Chrétien d’Action fraternelle, à Chelles, et à ce titre responsable d’une petite structure d’accueil, qui peut héberger sept ou huit hommes « sans domicile fixe »… Il plaide pour une grande Réforme destinée à redéfinir le sens de la peine et la mission de la prison afin que chaque détenu libéré puisse se réinsérer réellement dans la société.

Les « prisons de la République » : une affaire à suivre…

Une « loi d’airain » :

Indubitablement, la France va « mieux »,économiquement, et par voie de conséquence socialement et psychologiquement. Elle est à nouveau capable –pour combien de temps –de s’intéresser « aux prisons de la République », selon l’appellation que M. Badinter leur a conférée. Jamais le livre de Dominique Vasseur, médecin-chef à la Santé, paru en janvier 2000 n’aurait créé « l’événement » comme il l’a fait s’il avait paru 18 mois ou même un an plus tôt. Le chômage occupait encore trop le devant de la scène. « Bienheureuse » reprise car il existe de fait, comme le dit le même M. Badinter dans Le Monde des débats, une « loi d’airain des prisons ». Dans une société déterminée, il est impossible que les conditions de vie carcérale soient meilleures que les conditions de vie des travailleurs les plus défavorisés. L’idée que quelqu’un travaille et vive moins bien que celui qui est en prison est insupportable à la conscience collective. Là est la limite du progrès carcéral. C’est très bien vu et explique aussi pourquoi d’autres livres, parus il y a deux ou trois ans, portant notamment sur la pauvreté et l’indigence en prison, n’ont eu qu’un retentissement limité. Celui de Dominique Vasseur –et on ne peut que s’en réjouir –a très vite provoqué la nomination de deux commissions d’enquête, l’une à l’Assemblée Nationale, l’autre au Sénat. Les mauvaises langues n’ont pas manqué de souligner que l’expérience de la prison faite par un certain nombre de personnalités de renom n’y est pas étrangère. Quoiqu’il en soit, et seul le résultat compte, les deux commissions viennent, début juillet, de publier leurs conclusions, accablantes disent certains ; elles formulent également des propositions concrètes de réforme.

Fonctionnement et dysfonctionnement de notre système judiciaire :

La véritable mobilisation de la presse qui a suivi les parlementaires dans leurs visites des différents établissements pénitentiaires a eu pour premier effet de porter à la connaissance du grand public des chiffres et des statistiques, régulièrement publiés il faut le reconnaître, mais qui jusque là ne « sortaient » pas ou peu du milieu des « initiés » : visiteurs de prisons, aumôneries, OIP et associations diverses de soutien aux détenus.

Une consultation attentive nous apprend, tout d’abord, qu’en 18 ans, la population carcérale est passée de 40365 personnes en 1981 à 52961, soit une augmentation de 12596 personnes (+31,2%).

Les prévenus en attente de jugement représentaient, au 1er avril 2000, 35,73% de la population globale. Ce grand nombre de prévenus, en théorie et avant jugement présumés innocents, a particulièrement ému les sénateurs.

Cette population est logée en maisons d’arrêt et c’est parmi ces dernières que l’on trouve le plus de situations intolérables sur le plan de l’état des lieux : crasse, odeurs, misère, promiscuité, vétusté, sont des mots qui reviennent dans beaucoup de comptes-rendus. Au-delà de cette situation matérielle de certaines prisons « indigne de la société dans laquelle on vit », dixit le président de l’Assemblée Nationale après sa visite de la maison d’arrêt de Mulhouse, se pose la question du dysfonctionnement de notre système judiciaire tout court. Près de 36% de « prévenus » sur l’ensemble de la population carcérale est un chiffre beaucoup trop important. Toutefois, si mes souvenirs ne me trahissent pas, on disait déjà cela il y a vingt ou trente ans : il serait naturellement intéressant de disposer des chiffres pour pouvoir opérer des comparaisons. On constaterait alors probablement, même si la proportion prévenus /condamnés était moins criante à l’époque, que ce problème en particulier n’est pas nouveau du tout, et qu’aucune réforme préconisée ou entreprise n’a obtenu dans l’intervalle des résultats marquants.

Un allongement des peines qui va de pair avec Les statistiques publiées soulignent par contre nettement l’allongement des peines. L’apparente confusion qui est faite entre courtes et longues peines, exprimées en mois de détention, ne permet pas de se faire une idée exacte de la sévérité grandissante des tribunaux et en particulier des cours d’Assises. Pourtant, elle est notoire, et de plus en plus de condamnations sont désormais accompagnées de peines de sûreté, alors même que le système des libérations conditionnelles est moribond, comme dit le journal Libération.

Si l’on sait qu’en 1999 le nombre de détenus condamnés était d’environ 33000, et si l’on admet, par hypothèse, qu’un tiers, soit 11000 détenus était parvenu à mi-peine, les 501 demandes examinées, dont 69,5% ont été rejetées, donnent immédiatement une idée du pourcentage de libérations conditionnelles, moins de 1% des ayant-droits théoriques ! Et pourtant, en prison, l’Administration continue à faire parvenir, à bonne date, aux détenus théoriquement concernés, les formulaires de demande. Sait-on jamais ? Le « miracle » peut toujours avoir lieu. La preuve : 153 sont intervenues en 1999…

« Une réforme du système doit intervenir courant 2001 ». Cela a été dit à l’occasion de l’examen du cas Patrick Henry. En lui refusant sa libération conditionnelle, le Garde des Sceaux, au vu de la statistique, n’a vraiment pas pris une mesure d’exception.

Il faut savoir encore, à ce propos, qu’en théorie, seules montent à la Chancellerie les demandes de libération conditionnelles pour des condamnations égales ou supérieures à cinq ans. Les autres sont traitées localement, sous la responsabilité du Juge d’Application des Peines. A ce niveau, la générosité ou la prise de risque n’est apparemment pas plus grande qu’en haut lieu et on a peine à imaginer que l’attitude et le comportement frileux des J.A.P. n’obéissent pas à des décisions concertées, voire à des instructions ( ?) … Nous verrons cette année comment la Magistrature, seule compétente, s’acquittera de sa nouvelle charge.

Les conclusions des commissions d’enquête

Pour en revenir aux rapports respectifs des deux commissions d’enquête, la toute première impression est que ce sont les sénateurs qui ont été les plus pragmatiques. Parmi leurs propositions, certaines devraient pouvoir être appliquées et mises en pratique très vite, elles sont financières d’abord et l’impact psychologique qu’elles déclencheraient ne serait pas négligeable dans l’esprit de beaucoup de détenus. Il en va ainsi de l’institution d’un minimum carcéral de 300F/mois pour les indigents, et parallèlement de la suppression du prélèvement, de 300F/mois également, sur le produit du travail des détenus. La justification officielle ou officieuse donnée pour ce prélèvement opéré dès qu’un détenu gagne plus de 1000F/mois était la fourniture des bleus de travail ! La totale gratuité de la télévision dans les cellules paraît un peu démagogique, sauf s’il s’agit de cellules partagées à plusieurs. Par contre 250F/mois, comme cela est le cas, en cellule individuelle, dans certains établissements, est de trop.

La réforme de la procédure disciplinaire, proposée par les sénateurs, devrait à notre avis, être imposée à l’administration très vite, ne serait-ce que pour mettre fin en partie au système combien honni de la « balance ». La présence systématique d’un avocat au prétoire (tribunal interne) est postulée. Cela compliquera singulièrement les choses, on ne convoque pas un avocat, à l’improviste, à date et heure fixe, en prison, comme on peut le faire au Palais. L’Administration, pour raison de sécurité, entendra toujours « opérer à chaud ». Pourquoi ne pas se contenter de la présence d’une personne extérieure, désignée ou à choisir selon des modalités à convenir ? Ce à quoi il s’agit de mettre fin, c’est à l’aspect « conclave » et « inquisitorial » de ce prétoire où les dénonciations anonymes fonctionnent toujours. La seule présence de personnes externes modifiera, à notre avis, considérablement les choses.

Il faut reconnaître que les sénateurs ont encore été sensibles à la présence en prison de trop de malades mentaux et qu’ils réclament des mesures spécifiques, en hôpital, pour des malades difficiles.

En ce qui concerne les propositions spécifiques à l’Assemblée Nationale, on ne peut qu’adhérer au projet d’élaboration d’une grande loi pénitentiaire. Redéfinir le sens de la peine d’une part et préciser les missions de la prison de l’autre, sont d’autant plus nécessaires qu’il n’y a plus, dans notre Société, de consensus à ce sujet. En prison comme au dehors, on s’accorde sur le tout sécuritaire qui se révèle, en pratique, insuffisant pour gérer la réalité. Le cas de Patrick Henry illustre bien les choses : un jour tout condamné, normalement, sortira. Le tout est de savoir dans quel état physique et psychique …et sous le contrôle de qui ?

Mais, et je voudrais souligner combien je tiens à ce « mais »… le risque est que l’élaboration d’une telle loi ne réclame, avec le temps nécessaire pour consulter le plus largement possible toutes les familles d’esprit sur sa rédaction et avant sa promulgation, des mois et des mois, pour ne pas dire des années… Or il y a urgence, extrême urgence, pour un certain nombre de mesures concrètes. Sénateurs et députés se rejoignent sur beaucoup de points, concernant notamment le recrutement et la formation des personnels, la nécessité de pourvoir l’administration pénitentiaire des moyens et des budgets indispensables pour procéder à la rénovation des bâtiments, etc…etc… Le traditionnel clivage gauche/droite a peu joué devant l’évidence et l’ampleur du sinistre constaté, si bien que Jacques Amalric, dans Libération a pu titrer son éditorial : « consensus révolutionnaire ». Avec tous ceux qui, depuis fort longtemps, sont conscients du désastre actuel, nous disons à suivre…

Le non-dit : la double peine ou triple peine

Je voudrais m’expliquer à propos de l’affirmation énoncée en début d’article, quand je laissais entendre que le dysfonctionnement de la justice tout court.

On comprendra mieux ensuite, pourquoi et en dépit d’un certain scepticisme, j ‘appelle de mes vœux l’élaboration d’une grande loi pénitentiaire qui redéfinirait le sens de la peine et les missions de la prison, et par la même mettra un terme à notre actuel système de la double et de la triple peine, qui bien entendu, méconnue, ne porte pas ce nom, et demeure ignorée par la plupart de nos concitoyens, y compris, encore à l’heure actuelle, par un bon nombre de parlementaires.

Dans l’esprit de la plupart d’entre nous, un condamné qui a purgé sa peine a payé sa dette envers la société, pas toujours envers sa ou ses victimes, cela nous le présumons bien, dans la mesure où il y a toujours de l’irréparable quand l’humain a été touché … Mais justement ce n’est pas de cet irréparable qu’il s’agit.

On parle souvent de double peine à propos des étrangers, expulsés contre leur gré, à l’expiration de leur temps de détention. Les associations de défense des droits de l’homme sont unanimes, en général, pour la condamner, estimant qu’à la peine purgée, il ne convient pas d’en ajouter une autre. Mais la double peine ou même la triple peine, ne sont de loin réservées aux seuls étrangers.

Le cas H.X.

Un premier cas concret, que je connais bien, va illustrer mes propos. H. X. a été condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour tentative d’homicide. Pour l’ancien Code pénal, l’affaire aurait probablement fait partie de ce que l’on qualifiait autrefois de crime passionnel, et qui présentement n’existe plus. Loin de nous l’idée de vouloir innocenter l’intéressé, nous nous devons simplement de souligner qu’il ne s’agit pas en l’occurrence, ni d’un malfaiteur professionnel, ni d’un trafiquant de drogue et pas davantage d’un « déviant sexuel ». Il avait travaillé près de vingt huit ans dans la même compagnie d’assurances. Bénéficiant de toutes les grâces prévues, il a été libéré le 4.01.1999, au bout de 91 mois de détention sur les 144 infligés. Il a toujours travaillé en prison, jusqu’à son dernier jour, comme il aime à le dire, sans bénéficier d’une seule journée de permission.

Dans la rue avec son unique valise à la main, il a été accueilli dans un foyer d’hébergement d’urgence. Le R.M.I. lui a été accordé à partir du mois de mars 1999. Durant tout l’été-automne il a cherché un travail, en vain, il a 51 ans. Malgré une reprise certaine, le secteur tertiaire embauche peu à cet âge-là.

L’association qui l’héberge reçoit, tous las ans, des SDF durant l’hiver ; elle lui a établit un contrat de travail de six mois, comme animateur du foyer, rémunéré au SMIC, sous déduction de sa participation aux frais de logement.

Avant qu’il ne touche sa première paie, le 15 novembre, très exactement, la Caisse Primaire de Sécurité Sociale le « met en demeure » de lui rembourser 184 398,57 F ! Il s’agit des frais d’hospitalisation de la victime. A près un échange de correspondance, on lui notifiera un accord, valable six mois : il versera 200 F / mois. Son cas sera réexaminé, lui dit-on, en fonction de l’évolution de sa situation.

Le 7.01.00, le Fonds de Garantie des Victimes des actes de terrorisme et autres infractions se manifeste à son tour, et met l’intéressé en demeure de lui régler, sous un délai de un mois la somme de 540 745, 40 F. Il s’agit cette fois des dommages-intérêts versés à la victime. H.X.propose, là encore, un règlement de 200 F / mois, compte tenu de sa situation et de l’engagement pris à l’égard de la sécurité sociale. Le 19.01.00 le Fonds de Garantie lui marque son accord.

S’étant acquitté de sa « mission », à la satisfaction de son employeur, H.X. … fait valoir, au mois de mai, à l’expiration de son CDD, ses droits aux Assedics. Il devrait, durant une période de Quatre mois, toucher environ 4500 F / mois d’indemnités de chômage. Fin juin, le « miracle » se produit : il se voit offrir un emploi de bureau rémunéré au SMIC, mais peu importe, l’ancien cadre-assureur a, en 18 mois, pris la température du nouvel environnement économique, il ne retrouvera pas de si vite son salaire d’antan. Il commence sa période d’essai le 2 juillet au matin …

Quarante-huit heures après, par voie d’huissier, il apprend que le Fonds de Garantie a dénoncé l’accord et ordonné une saisie attribution de son livret d’épargne ouvert en prison, et dont le solde se montait à 13 357,20 F. Il s’agit intégralement de son pécule libérable, auquel à ce jour, il avait évité de toucher. Il le destinait à servir de caution en d’obtention d’un appartement social.

On lui signale que les contestations relatives à cette saisie-attribution peuvent être portées devant le TGI, par voie d’assignation, on devine les frais d’huissier qui lui seront, sans aucun doute imputés, se montent à 2183,51 F TTC est-il précisé ! Ainsi H.X… saura pourquoi il a travaillé du 2 au 14 juillet.

Si cela ne s’appelle pas de l’acharnement, comment faut-il qualifier la chose ? Tant que H.X. … était Rmiste, on l’ignorait. Maintenant qu’il est sur la voie d’une véritable réinsertion, voilà comment on l’encourage…

Dans l’esprit du citoyen lamda, un sortant de prison a payé sa dette envers la Société. Il faut savoir, qu’en réalité, c’est à ce moment-là qu’on lui présente la facture définitive concernant son affaire. Et c’est ce qu’à tort ou à raison, j’appelle la double ou la triple peine. Vous confondez le civil et le pénal me disent les juristes, habitués depuis les bancs des facultés de Droit à cette distinction élémentaire. Dans la réalité c’est un même bonhomme qui écope. Et c’est bien là qu’intervient la question du sens de la peine. H.X… n’est pas un cas isolé, je pourrais en citer encore, il illustre, comme on le verra un autre aspect de l’impasse dans laquelle, selon moi, la Justice s’est engagée.

T.X…autre exemple, cas à la fois plus simple et plus complexe …

T.X… a un avantage indéniable, il a à sa sortie de prison, dix ans de moins que H.X… Portugais d’origine, il pratique comme bon nombre de ses compatriotes tous les métiers du bâtiments ; il ne connaîtra pas le chômage. Condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire, il est libéré au bout de 9 ans et 9 mois de détention. Détenu modèle, il aura bénéficié de toutes les grâces ordinaires et exceptionnelles. Son épouse, condamnée pour complicité, a bénéficié d’une libération conditionnelle. Le couple a été condamné, solidairement, à verser 600 000 F de dommages-intérêts aux ayants-droits de la victime.

Au moment du drame, le couple avait deux enfants mineurs à charge. Ils ont été confiés à la garde des grands-parents au Portugal. Les T.X…étaient propriétaires d’un pavillon, dont la valeur avoisinait le million de francs, selon document bancaire. Au moment de leur incarcération ils devaient encore 360 000 F à l’établissement financier qui leur avait prêté les fonds nécessaire à l’acquisition.

Le non-paiement des échéances, à la suite de l’incarcération du couple, a rendu la totalité de la créance exigible. L’établissement financier a obtenu l’autorisation judiciaire de mettre en vente le pavillon par adjudication. Il a été acquis au prix de la mise en vente 360 000 F, par des voisins avisés. La dette des T.X… est éteinte ; ils ignorent jusqu’à ce jour ce que sont devenus leur meubles.

Quand une entreprise dépose son bilan, un liquidateur est désigné pour veiller au bon déroulement des opérations, dans l’intérêt de toutes les parties concernées. Ici, personne n’a apparemment veillé aux intérêts du couple incarcéré, mais pas davantage aux intérêts de la victime. Là, on comprendrait l’intervention du Fonds de Garantie, ce n’est apparemment pas prévu par la loi. Je prétends en conséquence qu’en l’occurrence on a laissé se disloquer un patrimoine. C’est maintenant, ou sous peu, que le Fonds de Garantie mettra les T.X… en demeure de lui rembourser, sous un délai d’un mois, les 600 000 F, est-ce raisonnable ?

Il faut savoir que T.X… est sorti de prison, sans pécule, ou tout comme. Il gagnait 700 F / mois. Après avoir « cantinné » l’indispensable, en prison tout se paie, savon, dentifrice, crème à raser, vêtements et sous-vêtements, à l’exception des fameux bleus de travail, il n’avait, par moments, même plus de quoi acheter ses cartes téléphone pour appeler ses vieux parents au Portugal. Pourtant il travaillait cinq jours par semaines pour l’administration. Il était de tous les chantiers, de tous les travaux : maçonnerie, peinture, réfection des bâtiments, des appartements de service du personnel de l’Administration pénitentiaire, etc … Je ne mets nullement en cause la direction de l’établissement où il a purgé sa peine, elle n’a fait que tirer profit d’un règlement en vigueur dans toutes les prisons de France. Je mets en cause l’administration centrale et / ou le Ministère lui-même, auteurs du règlement en question qui limite la rémunération des services rendus à environ 900 F / mois. Si à partir de là, je procède à un calcul simple, en ne retenant que les cinq dernières années, les prestations de T.X… ont rapporté ou fait économiser à l’Administration, en comparaison du coût d’une main d’œuvre extérieure, au bas mot 5000 F / mois, c’est à dire environ 300 000 F !

Aumônier protestant, je me dois de respecter la conscience et la conduite à tenir que celle-ci dictera à T.X… y compris donc en matière de remboursement du Fonds de Garantie. S’il devait estimer, à l’appui du calcul qui précède et la liquidation de son pavillon, qu’il a payé sa dette à l’égard de la Société et qu’il peut se dérober ainsi au remboursement du Fonds de Garantie, en disparaissant par exemple dans son pays d’origine, quels arguments pourrais-je lui opposer ? Pour l’instant, je lui sais franchement gré de ne pas m’avoir fait part de ses intentions en la matière.

A quoi sert la prison ? à punir ou à réparer ? et pourquoi donc ne pas punir à réparer ?

A sert la prison ? A protéger la Société sans aucun doute, dans un certain nombre de cas, mais pas nécessairement dans tous : même en matière de crimes et de délits, il y a les primaires et les récidivistes. Certaines sentences semblent parfois ne faire aucune différence, c’est profondément regrettable. « Vous arrive-t-il en prison de rencontrer des innocents, » me demande-t-on parfois. Je réponds alors : « des innocents, non, je n’en rencontre pas beaucoup, mais je rencontre ne prison des tas de gens qui n’ont rien à y faire et qui ne devrait pas y être ».

Nous avons vu combien, selon les données statistiques, les peines s’allongent. Mais les peines accessoires, condamnant à la réparation pécuniaire s’alourdissent également considérablement. Si c’est pure justice que de vouloir faire réparer, qui donc pourrait être contre, c’est inconciliable et incompatible avec les actuelles durées d’enfermement, dans un monde qui évolue et change de plus en plus vite.

Si la prison restera toujours la prison, il est de fait tout à fait utopique d’espérer que le travail pourrait être rémunéré un jour en fonction des qualification réelles des individus et la rémunération ajustée aux minima sociaux qui ont cours dehors. Nous ne devons pas oublier, non plus, que le travail forcé est désormais interdit par les conventions européennes. Il demeure néanmoins pensable et souhaitable que les condamnations pécuniaires n’excèdent pas le fruit du travail accumulé ou accumulable durant le temps de la détention, de façon qu’à la sortie les comptes puissent être apurés. Mais dans ce cas, me dira-t-on, il faudrait la plupart du temps diviser par dix les actuelles condamnations pécuniaires. C’est impossible et impensable.

La seule alternative qui demeure donc est de réduire et d’écourter le temps de la détention pour permettre au condamné de retrouver ou de conserver les moyens dont il disposait, au moment des faits qui lui ont valu d’être incarcéré. Et ce, pour lui permettre entre autres de sauvegarder sa compétence professionnelle, car une qualification non exercée pendant 7, voire 1à ans, n’est plus reconnue comme opérationnelle par le marché du travail.

Comment dès lors, obtenir réparation pécuniaire de la part de quelqu’un que l’incarcération a ruiné, professionnellement et socialement déclassé ? Ou encore révoqué, avec ou sans droit à pension, après 10, 15 ou 20 ans d’appartenance à la fonction publique ? Car malheur au serviteur de l’Etat qui vient à fauter ! Il est non seulement sujet à peine et à double peine le cas échéant, il perd en plus dans de nombreux cas ses droits de pension. Autant dire que cette triple peine, fait de lui un condamné à perpétuité libre certes , mais formellement seulement comme diraient les marxistes.

De toute manière la peine est triple dès que l’emprisonnement est qualifié de réclusion criminelle (+ 10 ans). Casier judiciaire et perte des droits civiques pour une longue période interdisent l’accès ou le retour à de nombreuses professions, ainsi qu’à l’exercice d’un mandat social en cas de création ou de reprise d’un commerce, d’une entreprise ou d’une quelconque société.

Plaidoyer pour une grande réforme

Par une incarcération inutile, socialement coûteuse à terme, et non indispensable sur le plan sécuritaire pour un bon nombre de primaires et toute manière trop longue dans la majorité des cas, la Justice qui cherche à condamner à une juste réparation financière des dommages causés, met, à l’heure actuelle, elle-même les individus concernés hors d’état de s’acquitter de ce à quoi elle les condamne.

Il faut suivre la proposition de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale : il nous faut pour notre XXIème siècle une grande réforme pour redéfinir d’une part le sens de la peine et d’autre part la mission de la prison, là où celle-ci restera indispensable. Elle le restera, par la force des choses mais pour un laps de temps à redéfinir. L’enfermement de longue durée, dans les conditions actuelles, devra constituer l’exception et non plus la règle. B.L