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Billets d’humeur

Réponse au Collectif de Défense des Familles et Proches de Personnes Incarcérées

Mise en ligne : 5 novembre 2002

Texte de l'article :

Pour Noël, le Collectif de Défense des Familles et Proches de Personnes Incarcérées lance une pétition pour demander des parloirs prolongés dans tous les établissements pénitentiaires (au moins quatre heures), ainsi que la remise aux enfants, au cours d’un parloir, de cadeau (x) confectionné (s) ou choisi (s) sur catalogue par le parent incarcéré.

Je pourrais me contenter de ne pas signer. Malheureusement, ce genre de démarche a le don de me mettre en colère. D’autant qu’elle n’émane pas de n’importe qui : de femmes de taulards. Encore, s’il s’était agi d’entrepreneurs en humanitaire (ce reconnaîtra qui voudra !), je comprendrais ce goût du minimalisme… Mais c’est vrai, beaucoup de prisonniers aussi oublient que le seul objectif doit être l’abolition de la prison, et préfèrent donc les petits privilèges et les revendications du quotidien (la gamelle et la télé, du pain et des jeux).

S’il ne fallait dire qu’une chose, ce serait que les enfants n’ont pas besoin d’un parloir plus long. Non, ils n’ont pas besoin de parloir, car celui-ci sera toujours le pendant de la perte, du manque, de la destruction… Un parloir ne pourra jamais être bien ou cool, parce que les prisons sont fondamentalement une chose abjecte. C’est un peu simple de remercier les matons qui souhaitent aux familles un « bon parloir »… une seule réponse à ce genre de zèbre : « ouvre la porte, on fera un meilleur parloir dehors ! ».

Un parloir ne sera jamais aussi bien qu’un Papa à la maison ! Mais on me répondra que ce n’est pas le « bien » qui est rechercher, mais le « mieux ». C’est pourtant trop facile de s’éblouir de mesures humanitaires quand l’essentiel est ailleurs : le traitement inhumain qu’est la prison (des QI à la barbarie ordinaire de l’enfermement) détruit méticuleusement le prisonnier, l’affectant dans tous rôles, dont celui de père. L’intérêt bien compris des enfants est l’abolition de la prison : qu’ils grandissent dans un monde où il n’y ait pas des hommes pour en enfermer d’autres.

Et puis, mesdames, si vous voulez donner dans le réformisme, vous manquez d’imagination ! Dans le désordre, parce que tout cela est exigible immédiatement, demandez :
– des permissions de sortie pour les naissances, les fêtes (dont Noël, si vous tenez aux rituels catholiques… Merci de penser aussi aux enfants de parents musulmans, mécréants, etc. !) ;
– l’application pour les pères de la loi du 15 juin 2000, favorisant l’accès à un certain nombre d’aménagements de peine lorsque la détenue est « mère de famille » ;
– la possibilité de téléphoner pour les prévenus (comme cela se fait en Autriche, Espagne, Hongrie, Irlande et Roumanie), ou que le prisonnier puisse recevoir des appels (comme cela se fait en Allemagne, Autriche, Italie, Islande, Norvège, Suède, Suisse et Ukraine) ;
– que les familles puissent apporter, comme en Hongrie, un colis par semaine ;
– qu’il n’y ait plus de délais pour obtenir les permis, que le rapprochement du détenu et de sa famille soit automatique, que les frais dus à l’incarcération (transport notamment) soient pris en charge par les organismes sociaux…
– que les parloirs ne soient plus surveillés, qu’il soit possible d’y apporter ce qu’on veut (nourriture, alcool, que sais-je ?) ;
– que les parloirs soient ouverts tous les jours, matins et après-midi, et laissés à l’auto-gestion des détenus et des familles… En voilà des idées !

Pour ma part, je rêve d’un monde sans prison, rêve que nous pourrions construire ensemble si vous consentiez à abandonner cette idéologie aliénante de l’acceptation de la peine…

Je ne me fais pas de soucis quant à l’aboutissement de vos revendications : elles vont dans le sens de l’apaisement des conflits, elles permettent à la majorité (détenus comme familles) d’accepter la prison en s’éblouissant de ces petites faveurs.

Mesdames, vous serez donc contentes de « bénéficier » d’un UVF (et donc éviter de voler ce à quoi vous aurez désormais droit…), vous serez reconnaissantes à la Commission qui accordera une conditionnelle à votre mari après une dizaine d’années de parloir, et quand vous irez le chercher, vous pourrez dire fièrement : « il a payé sa dette à la société, maintenant il est réinséré ». Bon courage !

le 5 novembre 2002,
Gwénola Ricordeau
ricordeaugwen@aol.com