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Date : 5-08-2010

Avis du 30 juin 2010 relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées

Mise en ligne : 5 août 2010

Texte de l'article :







Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Avis du 30 juin 2010 relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées

NOR : CPLX1019707V

 

 

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été saisi, en application des dispositions de l’article 6 de la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007, par plusieurs personnes détenues, condamnées à de longues peines, faisant état de leur sentiment d’appartenir au sexe opposé et des difficultés rencontrées pour leur prise en charge médicale. Dans le cadre de l’enquête prolongée et minutieuse qui a été ouverte, plusieurs démarches ont été entreprises : deux contrôleurs se sont notamment entretenus avec les personnes détenues concernées, puis avec des professionnels de santé, des personnels de direction et d’encadrement de l’administration pénitentiaire. Ils ont évoqué la question avec les représentants de la direction de l’administration pénitentiaire et de la direction générale de l’offre de soins, afin de mieux identifier la nature des difficultés rencontrées. Enfin, les travaux d’autres organismes et autorités administratives indépendantes, tels que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et la Haute Autorité de santé (HAS), ont été consultés.

Trois constats ont ainsi pu être opérés :

– les personnes détenues concernées n’ont bénéficié d’aucune information précise relative aux modalités de leur prise en charge médicale à long terme et mésestimaient les conséquences que celle-ci entraîne sur leurs conditions de détention. Au mieux, cette information leur a été délivrée tardivement ;

– en tout état de cause, elles n’avaient nullement accès à l’offre de soins existant hors des établissements pénitentiaires en la matière. Seule l’une d’elles a pu intégrer le protocole d’une équipe spécialisée, mais seulement plus de trois ans après ses premières démarches ;

– la gestion de la détention de ces personnes est hétérogène dès lors qu’en l’absence de principes directeurs, chaque chef d’établissement pénitentiaire apprécie, au cas par cas, les mesures à mettre en oeuvre (port de vêtements féminins autorisé ou non, possibilité de cantiner des produits de beauté, affectation en détention normale ou placement à l’isolement...).

Ces constats posent dès lors la question de la prise en charge des personnes transsexuelles détenues.

1. Définition du transsexualisme

La Cour européenne des droits de l’homme définit le transsexualisme comme le fait pour des « personnes qui, tout en appartenant physiquement à un sexe, ont le sentiment d’appartenir à l’autre » et qui « essaient souvent d’accéder à une identité plus cohérente et moins équivoque en se soumettant à des soins médicaux et à des interventions chirurgicales afin d’adapter leurs caractères physiques à leur psychisme » (CEDH, 17 octobre 1986, REES contre Royaume-Uni, série A, no 106). La classification internationale des maladies (CIM10) décrit le transsexualisme comme « le désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation envers son propre sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré ».

2. Les droits protégés

Le droit au développement personnel

L’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale... Il ne peut y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’accès, en France, aux « traitements hormonaux et chirurgicaux tendant à donner aux transsexuels les marques extérieures du sexe qu’ils souhaitent se voir reconnaître n’exige aucune formalité juridique ni autorisation » (CEDH, 25 mars 1992 B. contre France, série A, no 232-C). Dans ce même arrêt, la cour considère que le refus de procéder à une modification des actes d’état civil constitue une violation de l’article 8 de la convention puisqu’en l’espèce il existe, même eu égard à la marge d’appréciation dont disposent les Etats, « une rupture du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu ».

Dans son arrêt de grande chambre Christine Goodwin contre Royaume-Uni du 11 juillet 2002 (no 28957/95), regardé par tous les commentateurs comme un arrêt de principe, la Cour européenne des droits de l’homme constate qu’« il est largement reconnu au niveau international que le transsexualisme constitue un état médical justifiant un traitement destiné à aider les personnes concernées » et consacre pleinement le droit au développement personnel et à l’intégrité physique et morale. La cour considère que « la faculté pour les transsexuels de jouir pleinement du droit au développement personnel et à l’intégrité physique et morale ne saurait être considérée comme une question controversée exigeant du temps pour que l’on parvienne à appréhender plus clairement les problèmes en jeu » et que les Etats ne disposent d’aucune marge d’appréciation pour refuser de reconnaître les implications juridiques du résultat auquel le traitement conduit, dès lors qu’aucune difficulté insurmontable n’existe s’agissant de la situation des personnes transsexuelles opérées.

Cette jurisprudence conduit à reconnaître en France à toute personne :

– le droit d’accéder aux traitements hormonaux et chirurgicaux ;

– le droit d’obtenir la modification des actes d’état civil dès lors que la conversion est réalisée.

L’accès aux soins des personnes détenues

Aux termes de la loi du 18 janvier 1994 (article L. 6112-1 du code de la santé publique), il est établi que le service public hospitalier exerce les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire. De plus, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dans son article 46, dispose que « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ».

Il en résulte que les personnes détenues ont le droit d’accéder à l’offre de soins organisée au sein des

établissements pénitentiaires mais aussi hors de ceux-ci si cela s’avère nécessaire.

 

3. La prise en compte du transsexualisme en France

 

L’offre de soins

A ce jour, il existe quelques équipes pluridisciplinaires spécialisées constituées au sein du service public hospitalier mais aussi au sein du secteur libéral. Du fait de l’absence de consensus sur le parcours de soins à mettre en oeuvre et à la suite de la demande formulée par le ministère de la santé, les associations de transsexuels et les caisses d’assurance maladie, la Haute Autorité de santé a proposé (1), d’une part, l’institution officielle d’équipes de référence multidisciplinaires chargées de l’évaluation et de la prise en charge globale de la personne transsexuelle, d’autre part, la mise en oeuvre d’un parcours de soins (diagnostic différentiel, expérience en vie réelle, hormonosubstitution, chirurgie de réassignation, le cas échéant).

 

La modification de l’état civil

Dans deux arrêts du 11 décembre 1992 marquant un revirement de jurisprudence, l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass. plén. Marc X. et René Y.) a admis la modification de l’état civil d’une personne sous réserve que quatre conditions cumulatives soient remplies :

– le syndrome de dysphorie de genre doit avoir été constaté médicalement ;

– l’intéressé doit adopter le comportement social du sexe désiré ;

– la personne doit avoir suivi un traitement médico-chirurgical ;

– une expertise judiciaire doit constater le changement de sexe.

 

L’exigence tenant à la réalisation d’une opération de réassignation sexuelle a notamment été contestée par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (2), lequel a recommandé que le changement d’état civil ne soit plus subordonné à l’obligation de suivre des traitements médicaux ou chirurgicaux. Par circulaire du 14 mai 2010, la ministre de la justice et des libertés indique aux parquets et parquets généraux qu’ils peuvent donner un avis favorable aux demandes de changement d’état civil « dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux ».

 

Dans cette mesure et conformément à la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007, le contrôleur général des lieux de privation de liberté formule l’avis suivant relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées :

1. La structuration des soins préconisée par la Haute Autorité de santé doit inclure la prise en charge des personnes détenues. La ou les équipes de référence multidisciplinaires pouvant assurer cette prise en charge devront être clairement identifiées.

2. Dans l’immédiat, il convient d’identifier une équipe spécialisée d’ores et déjà constituée qui pourrait prendre en charge les personnes transsexuelles détenues.

3. Une action de sensibilisation et d’information des personnels soignants des UCSA et des SMPR devra être rapidement menée.

4. Une personne détenue manifestant son sentiment d’appartenir à l’autre sexe doit pouvoir être accompagnée dans sa démarche et orientée vers les services médicaux de l’établissement pénitentiaire.

5. Les personnes transsexuelles détenues devront bénéficier d’une information claire et précise, d’une part, auprès des UCSA sur les modalités du parcours de soins (étapes du parcours de soins, prise en charge par une équipe pluridisciplinaire, prise en charge financière...), d’autre part, auprès de l’administration pénitentiaire sur les conséquences que celle-ci entraîne sur les conditions de détention.

6. Tout au long du parcours de soins, la personne concernée doit pouvoir bénéficier, si elle en ressent le besoin, d’un accompagnement psychologique au sein de l’établissement pénitentiaire.

7. Lors de la phase préalable de diagnostic différentiel, l’administration pénitentiaire doit affecter, en tant que de besoin, la personne concernée dans un établissement situé à proximité de l’équipe pluridisciplinaire. Une fois le parcours de soins initié, elle doit garantir la continuité et la régularité des extractions médicales nécessaires et, pour cela, l’équipe médicale de référence doit communiquer, dans les meilleurs délais, les dates de consultation.

8. Tout au long du parcours de soins, l’administration pénitentiaire doit veiller à ce que l’intégrité physique de la personne soit protégée, sans que cela conduise nécessairement à son placement à l’isolement, et que celle-ci ne subisse de pressions ou de brimades d’aucune sorte ni d’aucune autre personne du fait de son projet. Dès lors que la personne concernée en fait la demande, l’encellulement individuel doit être assuré.

9. Le droit à l’intimité et à la vie privée devant être respecté, il convient que, dans l’enceinte de sa cellule, la personne concernée puisse porter des vêtements et utiliser des produits d’hygiène et de beauté en adéquation avec le sexe désiré. Par conséquent, elle doit être en mesure de cantiner de tels biens et produits.

10. Dès le parcours de soins engagé, les fouilles doivent se dérouler dans des conditions de particulière retenue permettant de respecter la dignité de la personne détenue. Dès lors que l’irréversibilité du processus de conversion sexuelle est médicalement établie par l’équipe pluridisciplinaire ayant pris en charge la personne concernée, les fouilles devront être réalisées, dans des conditions préservant la dignité tant de la personne détenue que des personnels, par des agents du même sexe que le sexe de conversion, sans attendre que le changement d’état civil soit intervenu. Ces fouilles seront effectuées par des agents particulièrement sensibilisés par la direction de l’établissement.

11. L’affectation doit se faire au mieux des intérêts de la personne et des impératifs de gestion des établissements pénitentiaires. C’est pourquoi l’affectation dans un établissement ou un quartier correspondant à la nouvelle identité sexuelle de la personne concernée doit intervenir au plus tôt, une fois l’irréversibilité du processus de conversion sexuelle établie (3) et au plus tard au moment du changement d’état civil.

12. En tout état de cause, la priorité doit être donnée dans le processus judiciaire de modification de l’état civil (4) aux personnes détenues compte tenu des implications de cette modification dans les conditions de détention.

 

J.-M. DELARUE

 

(1) Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge du transsexualisme, HAS, rapport publié le

18 février 2010 (www.has.fr).

(2) Document thématique « Droit de l’homme et identité de genre », 2009 (www.coe.int).

(3) L’article D. 248 du code de procédure pénale pourrait alors être modifié comme suit : « Les hommes et les femmes

sont incarcérés dans des établissements distincts, sauf autorisation motivée par des circonstances exceptionnelles de l’autorité

ayant compétence en matière d’affectation. »

(4) Tel que défini dans la circulaire de la ministre de la justice du 14 mai 2010.