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Longues peines

Retour à la vie

Mise en ligne : 5 août 2010

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Texte de l'article :

Je suis rentré en prison en 1984, j’avais 18 ans, j’en ai 44 aujourd’hui. Je suis sorti le 12 janvier 2010. Vingt-cinq années passées derrière les barreaux ! Je débarque d’un autre temps, vous savez, d’une autre époque. Je suis entré en prison au XXe siècle, j’en suis sorti dans un autre millénaire. Un vrai choc. Je ne suis pas encore tout à fait rentré dans ce monde... Il me faut faire beaucoup d’efforts pour ne pas être complètement perdu. Imaginez : quand je suis rentré en prison, les TGV étaient orange, c’était l’époque du minitel, l’URSS et le mur de Berlin étaient toujours debout, il n’y avait que 4 chaînes à la télé...

Pour vous, tout a évolué très lentement. Mais, pour moi, tout a changé en un clin d’œil, le jour où je suis sorti : la mode, les jeunes, l’euro, la forme des voitures, l’Internet, les quartiers que je ne reconnais plus... Et puis, tous ces gens dans la rue qui parlent tout seul avec leur téléphone portable ! Tout a changé ! Vraiment. Les gens. Le monde. Dans les années 80, je trouvais qu’il y avait encore un peu d’espoir. Aujourd’hui, je n’en vois plus beaucoup dans le regard des gens. Malgré la prison, j’ai toujours été libre.

Etre enfermé, c’est comme vivre dans une bulle. Comme être abandonné sur une île déserte, coupé du monde. Le seul lien avec l’extérieur quand on est enfermé, c’est ce qu’on voit à la télé, ce qu’on lit dans les journaux, ce qu’on s’imagine aussi, mais qu’on ne vit pas ! C’est un peu comme si j’étais tombé dans le coma dans les années quatre-vingt et que je m’étais réveillé d’un seul coup en 2010.

A ma sortie, ma femme et ma fille étaient là. Mais, il n’y a que moi qui les ai vécues ces vingt cinq années. Elles ne peuvent pas comprendre. Qui peut comprendre ? On se sent toujours seul. Je crois que je l’éprouverai toujours cette distance, ce recul vis-à-vis de la vie, des choses et des gens.

Dans enfermement, il y a le mot enfer. L’enfer, c’est de vivre tous les jours la même journée. On devient fou. Imaginez vingt-cinq ans dans 9 m 2. Non. Je ne crois pas qu’on puisse imaginer. Le bruit, le rapport avec le temps, tout est différent en prison. Il n’y a plus d’horizon, pas de perspectives. D’ailleurs, aujourd’hui, j’ai des problèmes de vue à cause de ça. Mes yeux fatiguent beaucoup. Parfois, encore aujourd’hui, comme en prison, il m’arrive de laisser la lumière allumée derrière moi... Ça marque.

Ce que j’apprécie le plus depuis que je suis libre ? Tout ce qui m’a manqué. Les petites choses, surtout : les rires des enfants, les animaux, voir des vaches, des ânes... Il n’y a pas d’animaux en prison. Récemment, je suis allé respirer la nature dans les montagnes du Vercors : les odeurs de la forêt, les sous bois, les parfums, sentir le vent, il n’y a pas de vent en prison. Les murs ne le laisse pas passer. Mon petit plaisir en ce moment : manger des fraises. Je m’achète une barquette, je m’installe à la terrasse d’un café, et je savoure l’instant en regardant passé les parisiens et les parisiennes.

Aujourd’hui ? Ça va, je me sens bien. Je profite de tout ! Mais, que le temps passe vite quand on est dehors ! Il n’y a pas assez de minutes dans mes journées. Il faudrait qu’elles durent 48 heures ! Je n’ai pas assez de temps pour vivre. Peut-être parce que je veux rattraper le temps perdu ? Je ne sais pas. J’ai une espèce de boulimie. Je n’ai franchement pas eu le temps de me poser depuis ma sortie. Enfin je crois quand même qu’il faut du temps pour retrouver un rythme, son rythme.

La prison ? Ça détruit. Ça n’apporte rien. Vu les conditions de détention, ça ne peut pas apporter. J’ai été condamné, j’ai été jugé. J’aurais préféré faire autre chose, c’est sûr. Mais, ce qui est fait est fait, j’assume. Ce qui compte, c’est ce que je fais aujourd’hui. Aider les autres, c’est, peut-être ça ma façon de réparer. Essayer d’améliorer les conditions de détention. J’ai eu un parcours ultra violent. A l’époque, les procureurs disaient de moi que j’étais un personnage à éliminer de la société. Aujourd’hui, je suis un homme libre. Alors si je peux être utile, être un espoir pour ceux qui n’en ont plus, pourquoi pas ! Je vais aussi dans les lycées pour expliquer ce qu’est vraiment la prison. Casser ce mythe de la prison et des gangsters. Il n’y a pas de gloire à faire des braquages. Ce sont des échecs. Je m’en suis sorti par les études. Aujourd’hui, je suis inscrit en licence de lettres à Paris VII, alors que je n’avais jamais rien appris à l’école. En prison, j’ai rencontré un prof de philo qui m’a dit que la plume était plus forte que les armes. Je l’ai cru. Ecrire, dire ce que j’ai fait, c’est beaucoup plus fort. C’est ce qui m’a permis de m’en sortir. Ecrire un livre permet d’exister autrement que dans les faits divers. C’est une façon d’expliquer, une sorte de thérapie... Livre parut le 3 juin 2010 « J’ai mis le feu à la prison » aux éditions J.C Gawsewitch.

A bientôt sur le BLOG pour la suite...

Laurent JACQUA

Pour tout contact laurentjacqua@yahoo.fr