15410 articles - 12266 brèves

Les conditions de détention contraires à la dignité humaine

Documents associés :

TA_Rouen_0602590-27-03-2008

Type : PDF

Taille : 87.4 kio

Date : 30-08-2016

TA Rouen, 27 mars 2008, n°0602590

Condamnation de l’Administration Pénitentiaire pour conditions dégradantes portant atteinte à la dignité humaine

Commentaire de Michel Huyette

Publication originale : 31 mars 2008

Dernière modification : 30 août 2016

En savoir plus
Texte de l'article :

Quand les juges condamnent le ministère de la justice

Le tribunal administratif de Rouen vient de rendre une décision particulièrement intéressante en ce que cette juridiction condamne l’Etat à cause de conditions d’emprisonnement inacceptables.

Un détenu, incarcéré pendant quatres années à la maison d’arrêt de Rouen, engage une procédure contre l’administration pénitentiaire, donc contre le ministère de la justice, en faisant valoir qu’on lui a imposé des conditions de vie intolérables et attentatoires à la dignité humaine. Il suffit de lire le bref descriptif de ses conditions de vie dans la motivation du jugement pour se convaincre que tel était bien le cas : cellule d’une dizaine de mètres carrés pour trois personnes, toilettes non ventilées, sans cloisonnement avec le reste de la pièce, non couvertes, et situées à côté du coin repas. Le tribunal en conclut qu’il y a eu "manquement aux règles d’hygiène et de salubrité telles que définies par le code de procédure pénale", et au delà incarcération "dans des conditions n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine". Pour ces raisons le tribunal juge qu’il y a eu "un comportement fautif de nature à engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire".

Le tribunal vise l’article 189 du code de procédure pénale rédigé ainsi : "A l’égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale."

On pourra quand même s’étonner du montant des dommages-intérêts alloués, soit 3.000 euros. Sur 4 années de condition de vies défectueuses à indemniser, cela correspond à 2 euros par jour. En cela il s’agit d’une condamnation quasiment symbolique. Pourtant le préjudice moral semble bien très important, tant il doit être humiliant et difficile à supporter au quotidien d’être méprisé ainsi au 21ème siècle, quoi que l’on ait fait pour mériter une peine de prison.

En tous cas, cela montre que les juges n’hésitent pas à condamner... le ministère de la justice. Cela apparaît particulièrement sain dans une démocratie. Car qui d’autre peut, pour des raisons juridiques d’abord (le tribunal administratif rappelle à juste titre les règles de droit concernant l’emprisonnement), humaines ensuite, proclamer que la limite de l’acceptable est dépassée quand les plus hautes autorités de l’Etat sont à ce point défaillantes ?

Mais ce qui agace aussi, c’est que cette condamnation n’est pas le résultat d’un malheureux concours de circonstances. Cela fait maintenant une éternité que tout le monde sait ce que sont les conditions de détention dans certains établissements pénitentiaires. Cela signifie qu’au cours des périodes écoulées un choix délibéré, conscient, réfléchi, a été fait par les gouvernements successifs de ne pas engager les moyens indispensables afin d’éviter que les détenus vivent dans des conditions ignobles, humiliantes et dégradantes.

En juin 2000, le Sénat diffusait un rapport d’enquête sur l’emprisonnement en France (on a parlé alors de "honte pour la république"), dans lequel il était écrit : "Du fait de la surpopulation, mais aussi d’une conception exagérément sécuritaire, et d’une religion de l’aveu, les atteintes aux droits de l’homme sont les plus criantes dans les maisons d’arrêt. Mis en condition par la garde à vue, le présumé innocent est en fait présumé coupable : les formalités de l’écrou, de la fouille à corps, de la remise du paquetage, de l’incarcération au quartier des entrants, de l’affectation dans une cellule le plus souvent collective, des extractions avec menottes et entraves constituent autant d’étapes qui le dépouillent un peu plus de sa dignité", mais aussi "Enfreignant la règle de l’encellulement individuel pourtant prévue explicitement par la vieille loi de 1875, y compris pour les mineurs, les maisons d’arrêt incarcèrent paradoxalement les présumés innocents dans des conditions de détention beaucoup plus rigoureuses que celles des condamnés (promiscuité, manque d’activités culturelles et sportives, de formation, de travail, interdiction de téléphoner, durée d’encellulement plus élevée...). Au mépris des textes, elles mélangent indistinctement les prévenus et les condamnés et, pour des raisons de gestion, n’hésitent pas à effectuer dans les quartiers les plus dégradés des regroupements ethniques qui appelleraient dans d’autres pays de justes protestations" et encore "Au total la commission d’enquête a pu constater que les conditions de détention dans les maisons d’arrêt étaient souvent indignes d’un pays qui se targue de donner des leçons à l’extérieur dans le domaine des droits de l’homme et qui a été condamné à plusieurs reprises par les instances européennes justement sourcilleuses en ce domaine".

Notons en passant qu’un grand nombre de sénateurs continuent à voter chaque année un budget minimaliste du ministère de la justice. Et peu importe la contradiction entre le discours et les actes...

Quoi qu’il en soit, huit années plus tard, alors que la pression pour que les magistrats envoient en prison un maximum de personnes et pour le plus longtemps possible n’a jamais été aussi forte, nous savons que ce n’est toujours pas demain que les détenus dans de nombreuses maisons d’arrêt vont voir leur situation s’améliorer réellement.

Si les détenus étaient informés de leurs droits, ce sont sans doute des milliers de décisions comme celle de Rouen qui pourraient être rendues. Et les gouvernants, seuls et uniques responsables de cette situation, n’auraient en aucune façon le droit de s’en plaindre. 

Par Michel Huyette, magistrat - Lundi 31 mars 2008

Lire également :