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Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

4 Justice juvénile en France

Mise en ligne : 28 novembre 2008

Texte de l'article :

IV. Justice juvénile en France

64. Pour le Commissaire, la protection des mineurs est au cœur de la protection et de la promotion des droits de l’homme. Le Commissaire est conscient de la tendance qui se développe en Europe de réprimer de plus en plus durement les actes commis par les mineurs. Il est toutefois convaincu que la criminalisation peut, dans une large mesure, être évitée tout comme le recours à la détention.

1. Législations en vigueur pour les mineurs délinquants

65. La justice des mineurs est régie par l’Ordonnance du 2 février 1945. Cette législation instaure les principes de la primauté de l’éducation sur la répression, de la spécialisation des juridictions [1] et de l’excuse atténuante de minorité. Ainsi, le prononcé d’une peine à l’encontre d’un mineur, et notamment d’une incarcération, doivent être exceptionnels. Depuis quelques années, cette loi a subi plusieurs modifications notables.

66. Ces modifications sont justifiées par la forte augmentation de la délinquance juvénile depuis le début des années 2000. En moins de dix ans, les condamnations pour violences des mineurs ont augmenté de 150 % : 3 374 condamnations en 1997 contre 8 444 en 2006 [2]. Plus de 55 % des mineurs condamnés le sont à nouveau dans les cinq ans qui suivent. Le plus souvent, ils réitèrent avec plusieurs infractions [3]. Se fondant sur ce constat, le Ministère de l’Intérieur a de son côté autorisé le fichage des mineurs dès l’âge de 13 ans s’ils sont considérés comme étant « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public » à compter du 1er juillet 2008. Sans même avoir commis une infraction, les mineurs peuvent désormais être répertoriés dans un fichier de la Direction centrale du renseignement intérieur au même titre que les adultes sur la base d’une suspicion d’infraction future.

67. Selon les autorités françaises, cette évolution de la délinquance juvénile justifie la remise en cause de l’âge de la responsabilité pénale. Conformément à l’Ordonnance de 1945, les sanctions varient en fonction de l’âge du mineur. Seuls les mineurs capables de discernement peuvent être considérés comme pénalement responsables [4]. Comme décrit dans le rapport de 2006, l’ordonnance introduit trois âges paliers avant la majorité : 10, 13 et 16 ans. Le type de réponse de la justice est
fonction de l’âge du mineur. Punissable de façon éducative dès 10 ans, les mineurs peuvent être condamnés à des peines d’emprisonnement dès l’âge de 13 ans. Pour les mineurs de plus de 16 ans, diverses dispositions permettent de rapprocher le droit et la procédure pénale applicables à la justice des adultes.

68. La loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance institue de nouvelles mesures concernant la délinquance des mineurs. Cette loi permet la diversification et l’individualisation des mesures à la disposition des juges ce qu’il convient de souligner.
Des mesures de placement dans un établissement pour un travail psychologique ou de placement en internat sont instituées, y compris pour les mineurs de moins de 13 ans.

69. De son côté, la loi du 10 août 2007 de prévention de la récidive des majeurs et des mineurs prévoit que, pour certains crimes et délits, un mineur de plus de 16 ans pourra être jugé comme un majeur. Le principe étant que l’atténuation de peine peut être écartée lorsque que le mineur commet, en état de récidive, un délit de violence volontaire, d’agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violence. L’atténuation de peine doit être écartée de plein droit en cas de deuxième récidive de crimes ou de délits graves, sauf si le juge décide le maintien de l’atténuation en motivant ce choix.

70. Le Commissaire déplore l’évolution législative permettant de porter atteinte à l’application de l’excuse de minorité pour les mineurs entre 16 et 18 ans. La loi du 10 août 2007, bien que n’instaurant pas de peines automatiques, restreint les pouvoirs d’appréciation du juge quant au choix de la peine et à ses modalités. Les possibilités de dérogations aux peines minimales prévues sont très limitées.

71. Sans méconnaître la gravité de certains actes de délinquance commis par des mineurs, le Commissaire tient à exprimer son inquiétude quant au durcissement de la justice juvénile qui se caractérise notamment par l’instauration de peines planchers dans certaines circonstances. Il semble que l’accent soit principalement mis sur la prévention de la récidive et au détriment de la prévention de la primo délinquance. Des efforts devraient plutôt être poursuivis pour réduire les délais de prise en charge des mineurs par les services sociaux spécialisés et les délais de jugement, car des délais trop longs peuvent entretenir le sentiment d’impunité pour certains enfants. Le Commissaire réitère donc les recommandations faites en 2006 qui préconisait déjà de « favoriser dans tous les cas l’action éducative sur toute forme de répression » [5].

2. Le projet de réforme de l’Ordonnance de 1945

72. Les autorités françaises entendent réformer l’Ordonnance de 1945. Ce texte a déjà été soumis à 31 modifications, d’où la nécessité, d’après le Ministère de la Justice, d’une réforme avec une vision d’ensemble. A cet effet, il a été instituée le 15 avril 2008 une commission chargée de formuler des propositions pour novembre 2008. Sa mission consiste à examiner la cohérence des parcours pénaux des mineurs et l’instauration d’un âge de responsabilité pénale [6], en dessous duquel aucune sanction n’est possible, même éducative. Ces angles de réflexion semblent positifs, de même que le souhait de conférer une place centrale à la notion de parcours individualisé, pour adapter la réponse pénale à la personnalité et aux actes de chaque adolescent.

73. Néanmoins, certains souhaits émis par le Ministère de la Justice suscitent des inquiétudes quant aux orientations de la réforme. La possibilité d’appliquer des sanctions pénales à des mineurs de moins de 13 ans a été évoquée à plusieurs reprises. Actuellement, les mineurs de moins de 13 ans peuvent uniquement faire l’objet d’une mesure éducative, en fonction de leur discernement. Il est également craint que cette réforme porte de nouveau atteinte au régime applicable aux mineurs de 16-18 ans et que les enfants soient jugés comme des adultes à partir de 16 ans.

74. Dans la réflexion sur cette réforme, le Commissaire tient à rappeler les standards développés par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur la question de la justice juvénile. Selon ces standards, la spécificité de la justice pénale des mineurs et de la primauté de l’éducatif sur le répressif sont des principes incontournables auxquels il ne saurait être porté atteinte. Le Commissaire appelle donc les autorités françaises à garder à l’esprit le Commentaire général n°10 du Comité des droits de l’enfant [7] lors de l’élaboration de cette réforme ainsi qu’à inclure dans la consultation une autorité indépendante telle que la Défenseure des enfants.

75. En outre, Le Commissaire estime que le problème des jeunes délinquants ne sera pas résolu par des peines plus dures. Une politique réussie sur la délinquance juvénile devrait impliquer au contraire des mesures facilitant la prévention, la réadaptation et l’intégration sociale des jeunes en difficulté. Comme l’indique le Comité des droits de l’enfant, « les États parties devraient intégrer dans leur système de justice pour mineurs des mesures pour traiter les enfants en conflit avec la loi sans recourir à la procédure judiciaire » [8]. L’incarcération des mineurs doit rester le dernier recours.

76. Au contraire de certains arguments entendus, il considère aussi que l’âge auquel des sanctions pénales peuvent être prises devrait être augmenté pour se rapprocher de l’âge de la majorité. Le Commissaire est convaincu que des mesures éducatives et de réparation peuvent être efficaces si elles sont adaptées et rapidement mises en œuvre.
Pour mettre en œuvre une telle politique, le Commissaire ne peut que réitérer les recommandations formulées en 2006 d’accroître les moyens accordés à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans le but de prévenir la délinquance et de renforcer le suivi et l’encadrement offerts aux mineurs délinquants.

3. Le régime de privation de liberté applicable aux mineurs

77. Il existe en France trois types de structures dans lesquels les mineurs peuvent être contraints dans leur liberté d’aller et de venir. Aux quartiers pour mineurs des prisons et aux centres éducatifs fermés (CEF) se sont ajoutés depuis 2007 les établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs (EPM). Différents par nature, ces lieux ont en commun de contenir juridiquement ou physiquement les mineurs placés dans des espaces déterminés.

a. Les centres éducatifs fermés

78. Créés par la loi du 9 septembre 2002, les CEF accueillent les mineurs placés sous contrôle judiciaire, condamnés à une peine avec sursis ou placés en liberté conditionnelle, pour six mois renouvelable une fois. Depuis la loi du 5 mars 2007, un jeune condamné à une peine d’emprisonnement d’un an peut exécuter sa peine dans un CEF et non en prison. Gérés par la PJJ, les placements dans ces centres viennent en général après l’échec de mesures éducatives.

79. Les CEF sont un dispositif qui associe des mesures de surveillance et de contrôle au moyen d’un placement avec un contenu éducatif à travers l’élaboration d’un projet éducatif individualisé. Même si le mineur peut avoir des activités à l’extérieur du centre, il est contraint dans sa liberté, car le non-respect de cet enfermement juridique, c’est à dire une fugue, peut entraîner un emprisonnement. Dès lors bien que le placement en CEF ne soit pas considéré par les autorités françaises comme une détention, il en a certains aspects. Cette caractéristique a été dénoncée par certains professionnels rencontrés par le Commissaire qui regrettent la confusion entre les ambitions éducatives et la dimension fermée des centres.

80. Entre dix et douze mineurs sont placés dans un centre en fonction de leur âge.
L’équipe pluridisciplinaire est généralement composée d’une vingtaine de personnes.
Fin 2008, 38 structures et 408 places devraient être disponibles. Le Commissaire tient à saluer les moyens matériels et humains disponibles dans ces structures. De plus, la qualité du travail réalisé par les éducateurs semble porter ses fruits car, selon les chiffres qui ont été indiqués au Commissaire, 61 % des jeunes envoyés en CEF ne récidivent pas dans l’année qui suit la fin du placement, contrairement aux 2/3 des mineurs ayant séjourné en prison.

81. Le manque actuel de structures crée néanmoins un problème d’éloignement entre les mineurs placés dans ces centres et leur famille. Ainsi il n’y a qu’un seul CEF pour l’ensemble de l’Ile-de-France, soit une dizaine de places, alors que la PJJ suit 30 000 mineurs dans cette région. Le maintien des liens familiaux étant essentiel, il est impératif de remédier le plus rapidement possible à ce problème.

82. Il existe actuellement 1 268 places en prison pour mineurs et il est prévu de créer 518 places en CEF. Cette augmentation du nombre de places disponibles pourrait laisser à penser que l’enfermement des mineurs va augmenter. Le Commissaire tient donc à rappeler que la privation de liberté des enfants, quelle que soit son appellation, doit toujours être une mesure de dernier recours.

b. L’incarcération des mineurs

83. Au 1er juin 2008, on compte 759 mineurs en détention, dont 54,5 % de prévenus. Le nombre de mineurs détenus est stable par rapport à juin 2007. En revanche, ils sont environ 100 de plus qu’en juin 2006. Compte tenu de la brièveté de la détention provisoire [9], environ 3 500 mineurs entrent en fait en prison chaque année.

84. Depuis 2007, des améliorations substantielles ont été apportées quant aux sanctions disciplinaires. Le placement en quartier disciplinaire, uniquement pour les plus de 16 ans, a été limité de 3 à 7 jours en fonction de la nature de la faute commise ce qui demeure excessive au regard des standards européens [10]. Le régime disciplinaire applicable aux mineurs a aussi été modifié en 2007 afin de prendre en compte l’intervention de la PJJ. Comme le Commissaire a pu le constater lors de sa visite à l’EPM de Meyzieu, les mineurs qui comparaissent devant la commission de discipline sont généralement assistés d’un avocat. Cette procédure contradictoire permet au mineur d’expliquer les faits qui lui sont reprochés mais aussi de mieux comprendre la sanction prise à son égard.

85. A côté des quartiers pour mineurs au sein des établissements pénitentiaires pour adultes, la loi du 9 septembre 2002 a établi des EPM. Les premiers EPM ont été mis en service à partir de juin 2007. Actuellement six établissements sont opérationnels et le dernier devrait être ouvert au début de l’année 2009, pour un total de 420 places.
Parallèlement à ces ouvertures, une vingtaine de quartiers pour mineurs au sein de prisons pour adultes ont été fermés.

86. Selon le Ministère de la Justice, ces établissements sont un outil pour la réinsertion des jeunes délinquants. Ils offrent une prise en charge pluridisciplinaire, à la fois par l’Administration pénitentiaire et par la PJJ avec le soutien de l’Education nationale et des services hospitaliers. Les EPM ambitionnent de faire de l’éducation le cœur de la prise en charge avec pour objectif la préparation à la sortie et la réinsertion. Les EPM comptent en moyenne deux éducateurs pour trois surveillants.

87. Comme dans le cas des centres éducatifs fermés, de nombreux professionnels ont exprimé au Commissaire leur crainte quant à la confusion des objectifs, entre sécurité et éducation. Néanmoins, ils considèrent généralement que ces établissements constituent un réel progrès par rapport aux quartiers mineurs.

88. L’avis du Commissaire sur ces établissements est globalement positif. Il souhaite néanmoins attirer l’attention sur certaines améliorations qui peuvent encore être effectuées. Par exemple, il n’existe pas de bâtiment à l’extérieur des établissements permettant aux familles d’attendre à l’abri pour les visites. De même, la question des visites est problématique en raison de l’éloignement des EPM du lieu de résidence des familles.

89. Si les moyens mis en œuvre sont importants [11], il apparaît qu’ils ne sont pas encore suffisants. Ainsi lors de sa visite à Meyzieu, le Commissaire a pu constater que des activités extrascolaires bien que louées par l’encadrement et les enfants avaient été supprimées faute de moyens. Le Commissaire invite également les autorités françaises à envisager des solutions pour permettre aux détenus qui deviennent majeurs durant leur condamnation de rester au sein des structures pour mineurs lorsque la fin de leur peine est inférieure à un an.

90. Le Commissaire estime donc que les EPM constituent une amélioration notable pour l’incarcération des mineurs. Ces structures devraient être privilégiées par l’Administration pénitentiaire. Au 1er juin 2008, sur 759 mineurs incarcérés, 180 seulement l’étaient en EPM.

91. Si la mise en place des EPM a permis de fermer certains quartiers pour mineurs, l’incarcération des mineurs dans les prisons traditionnelles perdure et continue de poser d’importantes difficultés. Selon les décrets de mai 2007 [12], 61 prisons pour adultes peuvent toujours héberger des mineurs. Tous les établissements pénitentiaires ne disposent pas de bâtiments distincts pour les mineurs et les majeurs ni de cours séparées. Bien que dénoncé par le rapport de 2006, la possibilité pour les mineurs
d’entrer en contact avec des condamnés adultes et le manque de structures et d’activités adaptées pour les mineurs filles sont des points sur lesquels le Commissaire invite les autorités françaises à trouver des solutions rapides.

Notes:

[1Juge d’instruction des mineurs, juge des enfants, tribunal pour enfants, cour d’assises des mineurs.

[2Discours du Garde des Sceaux du 15 avril 2008 lors de l’installation de la commission pour la réforme de l’Ordonnance de 1945

[3Idem. 70 % d’entre eux ont récidivé au moins deux fois et 6 % comptent plus de 10 réitérations sur 5 ans.

[4Est considéré comme capable de discernement les enfants en mesure de « comprendre et vouloir » les faits qui leur sont reprochés. L’appréciation de ce discernement relève de la responsabilité du juge.

[5« Rapport du Commissaire aux droits de l’homme sur le respect effectif des droits de l’homme en France suite à sa visite du 5 au 21 septembre 2005 », 15 février 2006.

[6Actuellement, il n’y a pas d’âge minimum de responsabilité pénale. Le code pénal prévoit que « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables ».

[7Observation générale No 10 (2007) du Comité des droits de l’enfant sur les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs, CRC/C/GC/10, 25 avril 2007

[8Ibidem, §26.

[9Un mois renouvelable une fois pour les mineurs de plus de 16 ans

[10Le CPT s’est exprimé en faveur d’un maximum de 3 jours, voir le 18e rapport général, 18 septembre 2008, CPT/Inf (2008) 25, §26.

[11La détention d’un mineur revient à 205 € par jour

[12Décrets n°2007-748,749 et 814