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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2008 N°5 KAMO : Expertise psychiatrique pénale

Mise en ligne : 27 août 2008

Texte de l'article :

L’EXPERTISE PSYCHIATRIQUE PENALE
Recommandations de l’audition publique de janvier 2007

Préambule
Depuis de très nombreuses années, la question de l’expertise psychiatrique pénale est posée, que ce soit sur un plan technique, pratique (les conditions de l’expertise), « sociopolitique » (quelle est la place de l’expertise psychiatrique dans les enjeux de pouvoir : cf. Michel Foucault dans les années 70), juridique (l’extension des missions expertales est inflationniste) et financières (la faible rémunération de l’expertise et un Etat en cessation de paiement). Outre des rapports récents, comme celui de la commission Burgelin de 2005 et quelques autres, la commission d’enquête de l’affaire dite d’Outreau a largement précipité l’organisation de ce qui devait être au départ une conférence de consensus pour être finalement « déclassée » comme une audition publique. Des questions précises, comme la notion de crédibilité ayant alors largement défrayé la chronique.
Malheureusement on peut se demander, si l’audition publique, comme la commission d’enquête de l’affaire d’Outreau par rapport à une réforme judiciaire, n’a pas accouché d’une souris et que les efforts considérables humains, intellectuels et financiers déployés pour les organiser ont finalement eu peu de répercussions sur la pratique même si les débats ont été intellectuellement fructueux.
Pour l’expertise, la poursuite de sa folle inflation s’est poursuivie immédiatement après les travaux de l’audition publique avec les lois du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Organisation des travaux de la commission d’audition
Les travaux de l’audition publique sur l’expertise psychiatrique pénale qui s’est tenue le 25 et le 26 janvier 2007 au ministère de la santé organisée la Fédération Française de Psychiatrie (FFP) avec le partenariat méthodologique et le soutien financier de la Haute Autorité de santé (HAS) et le soutien de la Direction Générale de la santé (DGS), déjà publiés soit sur internet, soit dans la revue « Pour la Recherche » n°53, juin 2007, sont maintenus réunis dans un ouvrage édité chez John Libbey Eurotext (cf. Rubrique ci-dessous : Notes de lecture »).

Le livre est organisé en trois parties :
1. Les recommandations de la commission d’audition
2. Le rapport de la commission d’audition (qui reproduit également, dans un cadre grisé, à la fin de l’exposé de chaque question les recommandations de la première partie)
3. Les textes des experts.

L’audition publique a axé ses travaux autour de cinq questions :
1. Quelle est la place dans la procédure pénale de l’expertise psychiatrique pénale et quels en sont les enjeux ?
2. Quels sont les incidences, les problèmes et les débats actuels autour de la clinique expertale dans les différents temps judiciaires ?
3. Quelles doivent être les évolutions de la pratique de l’expertise psychiatrique pénale ?
4. Quelles doivent être les règles éthiques et déontologiques dans la pratique de l’expertise psychiatrique pénale ?
5. Comment développer la qualité expertale ?

Question 1.
Quelle est la place dans la procédure pénale de l’expertise psychiatrique pénale et quels en sont les enjeux ?

L’expertise joue actuellement un rôle régulateur entre la prison et l’hôpital et joue de moins en moins un rôle de filtre visant à repérer des sujets nécessitant des soins pour plusieurs raisons :
1. Justice incitée à traiter rapidement les affaires ne permettant pas d’avoir le temps de prendre des renseignements suffisants sur le prévenu.
2. Multiplications des obligations d’expertise.
3. Pénurie d’experts.
4. Développement de l’expertise de dangerosité

La commission suggère de limiter le recours à l’expertise et de privilégier les missions d’expertises diagnostiques et thérapeutiques au détriment des expertises de dangerosité.
Pour expliquer l’augmentation des malades mentaux en prison, la commission avance deux facteurs essentiels : la désinstitutionalisation de la psychiatrie qui favorise les soins ambulatoires au détriment de l’hospitalisation et la réécriture du code pénal en 1992 créant deux niveaux de perturbation du discernement : abolition ou altération. L’altération du discernement conduirait à une aggravation des sanctions pénales. Pour remédier à cette situation, il conviendrait de réécrire l’alinéa 2 de l’article 122-1 du CP en prévoyant systématiquement en cas d’altération du discernement une atténuation de responsabilité et en couplant la sanction d’une obligation de soins.
Pour ajouter aux difficultés rencontrées par les personnes ayant eu une reconnaissance de l’altération de leur discernement, on constate qu’elle bénéficie rarement d’aménagements de peine : faisant peur, on préfère les voir maintenues en prison [1].
Pour mieux cerner ces phénomènes, la commission souhaite que soient développées des recherches associant santé et justice étudiant les trajectoires psychiatriques et pénales des sujets concernés par une pathologie psychiatrique et une infraction.
Enfin, pour mieux sensibiliser les équipes de secteur, les SMPR devraient informer régulièrement les CME et les CA des problèmes psychiatriques rencontrés en prison afin de « maintenir et promouvoir des structures hospitalières fermées susceptibles de recevoir des patients psychotiques chroniques et de préparer leur sortie au mieux afin d’éviter les ruptures de soins pouvant être à l’origine de passage à l’acte ».

Question 2.
Quels sont les incidences, les problèmes et les débats actuels autour de la clinique expertale dans les différents temps judiciaires ?

1. Quels sont les problèmes rencontrés par le magistrat du parquet dans l’enquête préliminaire et quelles sont les attentes de ce magistrat face au psychiatre ?

Cette question vise à préciser de nouveau les modalités de l’expertise en garde à vue qui reste encore bien souvent posée selon les modalités classiques de l’expertise dite au fond pré-sentencielle. Il est de nouveau rappelé et réaffirmé les conclusions de la conférence de consensus de 2004 sur l’intervention du médecin en garde à vue. Les questions, posées au médecin réquisitionné ne doivent être que les suivantes :
• La personne mise en cause présente-t-elle une pathologie psychiatrique ?
• Cette pathologie nécessite-t-elle des soins immédiats et, si oui, selon quelles modalités ?
• L’état psychique de la personne justifie-t-il la réalisation à distance d’une expertise psychiatrique ?
La mise en place d’unités médico-légales peut être utile quand elles résultent d’une organisation contractualisée entre parquet et hôpital.

2. Comment discuter l’abolition du discernement face aux évolutions récentes de la clinique et de la thérapeutique psychiatrique ?

Sans pouvoir lister des pathologies « abolisantes », bien qu’il s’agisse souvent de schizophrénies, de paranoïa, de bouffées délirantes, de troubles de l’humeur et dépressifs sévères ou de troubles confusionnels, il convient avant tout à l’expert de faire le lien la pathologie repérée et le passage à l’acte.
La rechute en cas d’inobservance du traitement ne doit pas conduire à une responsabilisation systématique puisque la non observance est souvent inhérente à la pathologie elle-même.

3. Comment évaluer la dangerosité dans le cadre de l’expertise ?

La commission est prudente sur ce point et s’en tient à la distinction classique dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique. Il faut éviter de stigmatiser le malade mental comme pouvant être systématiquement dangereux. L’utilisation d’outils et d’échelles actuarielles nécessite des travaux de recherche avant de pouvoir être largement utilisés dans la pratique expertale (voire clinique) quotidienne

4. L’expertise aux assises

La pratique expertale aux assises est un exercice assez particulier qu’on apprend souvent par « immersion ». Il importe dans tous les cas que les experts soient compris. Ils doivent donc utiliser un langage clair.
Etant donné le délai qui peut exister entre la première expertise peu après les faits et la comparution aux assises en moyenne deux ans après, il serait souhaitable qu’une nouvelle expertise soit menée peu avant le procès afin que l’expert puisse apprécier l’évolution de l’accusé. L’expert doit aussi pouvoir disposer de tous les documents nécessaires à sa mission et dans des délais rapides compatibles au délai qui lui est imparti pour faire son travail.
Les expertises psychiatriques et psychologiques peuvent s’entrecroiser mais il est souhaitable qu’un même professionnel ne réalise pas l’expertise psychiatrique et la partie médicale de l’examen médicopsychologique.
L’expertise de l’agresseur et de la victime par le même expert n’est pas recommandée par la commission.
Enfin l’expertise contradictoire prévue par la loi du 5 mars 2007 risque de se heurter à la pénurie d’experts.

5. Expertise du mineur

L’expertise d’un mineur devrait toujours être faite par un psychiatre ayant une compétence en pédopsychiatrie.
La commission préconise :
• D’éviter tout diagnostic de personnalité avant l’âge de 16 ans.
• De disposer d’importantes sources d’informations sur l’environnement du jeune.
• De rencontrer les parents ou l’entourage
• D’officialiser la communication du dossier d’assistance éducative et de le transmettre aux experts.
• De rechercher systématiquement chez les mineurs auteurs de violence sexuelle des antécédents d’agression sexuelle pour eux-mêmes.
• De mener les expertises le plus précocement possible
• De visionner l’enregistrement audiovisuel réalisé pendant l’audition de la victime
• D’être prudents dans le recours à certaines techniques : poupées sexuées ou interprétations de dessins
• De tenir compte de l’emprise exercée par les adultes sur les enfants
• De recourir autant que possible aux entretiens familiaux
• D’abandonner l’expertise de crédibilité et de suivre le modèle d’expertise diffusé par la circulaire
CRIM/AP n° 05-10/E1-02-05-2005 (Tableau 1)
1. Relever les aspects de la personnalité du plaignant ; dire s’il présente des troubles ou anomalies susceptibles d’affecter son équilibre psychique. Indiquer son niveau d’intelligence ;
2. Analyser les circonstances et le contexte de la révélation ; rechercher les facteurs éventuels de nature à influencer les dires du plaignant ;
3. Décrire le retentissement éventuel et les modifications de la vie psychique depuis les faits en cause. Peuvent-ils être évocateurs d’abus sexuels ?
4. Faire toute remarque utile sur le récit du plaignant et sur son évolution depuis la révélation, sous l’angle psychologique ou psychopathologique ;
5. Indiquer le degré de connaissance et de maturation du plaignant en matière sexuelle ;
6. Formuler, si c’est possible, un pronostic sur le retentissement observé. Est-il opportun de conseiller un suivi thérapeutique ? » .
Tableau 1. Expertise judiciaire type d’un plaignant en matière d’infraction sexuelle

6. Expertise post-sentencielle de prélibération

La plus grande prudence est requise dans la réalisation de cette expertise en évitant l’amalgame entre risque de rechute d’une pathologie psychiatrique et risque de récidive de l’acte délictueux.

7. Expertise post-sentencielle et injonction de soins

Le rapport peut orienter les soins après la libération. Son avis implique l’action d’autres professionnels :
« Il doit agir avec modestie et savoir reconnaître les limites de sa compétence, dans le respect de la déontologie, en permettant cependant la transmission des informations nécessaires à la mise en place des soins, y compris éventuellement au probationnaire [2].
Evidement, il importe que l’expert dispose d’un dossier complet, avec les pièces judiciaires et pénitentiaires, pour mener à bien sa mission [3] »

Question 3.
Quelles doivent être les évolutions de la pratique de l’expertise psychiatrique pénale ?

1. La clinique expertale doit-elle se restructurer, se spécifier et répondre à de nouvelles demandes ?

L’évolution de la clinique expertale peut s’envisager autour des pistes suivantes :
• Préciser une connaissance médico-légale plus consensuelle quant aux troubles qui abolissent ou qui altèrent le discernement
• S’intéresser plus précisément aux interactions auteur-victime
• Approfondir l’impact de la consommation de toxiques sur les passages à l’acte
• Affiner la question de la dangerosité, notamment dans les expertises post-sentencielles
• Prise en compte du contexte soignant dans l’appréciation de la dangerosité
• Structuration de la psychiatrie médico-légale en améliorant la formation et les confrontations des experts afin de dégager des consensus autant que faire se peut.

2. Quelles sont les conséquences pour les questions types posées aux experts ?

La commission souhaite une actualisation et une harmonisation nationale des missions. Un plan type est proposé :
• Introduction. Présentation de l’expert, de la juridiction, de l’affaire et liste numérotée et exhaustive des questions posées
• Documents consultés
• Rappel des faits
• Déroulement de l’examen (point important car il permet de préciser les conditions matérielles du déroulement de l’expertise)
• Lecture psychodynamique de la biographie
• Examen psychiatrique (importance de noter de manière exhaustive les chapitres sémiologiques examinés, même s’ils sont négatifs. Ils permettent de savoir que l’expert n’a rien omis)
• Discussion sur trois niveaux :
- analyse psychiatrique
- analyse du passage à l’acte et du lien victimologique
- analyse psychocriminologique
• Conclusion : réponses précises et succinctes à chaque question

Question 4.
Quelles doivent être les règles éthiques et déontologiques dans la pratique de l’expertise ?

1. Règles communes aux pratiques expertales

• Séparer les fonctions de médecin expert et de médecin traitant
• Respecter le secret médical en limitant le contenu du rapport aux questions directement posées4
• Rester neutre vis-à-vis des éléments de l’accusation
• Rester dans le cadre de ses compétences
• Les prescriptions thérapeutiques sont hors champ de l’expertise
• Dualité d’expert à demander dans les affaires graves

2. Lorsque les faits ne sont pas avérés, lorsque la personne les nie durablement, quelle attitude l’expert doit-il avoir dans sa réponse aux questions types ?

• Ne pas dégager de traits de personnalité en cas de négation des faits car ils pourraient être retenus comme des éléments à charge
• Confirmation des conclusions de la conférence de consensus sur les auteurs d’agressions sexuelles de 2001 : la négation des faits est une contre-indication à la recommandation d’une injonction de soins

3. Quels peuvent être les fondements et la dynamique évolutive de la déontologie expertale, de l’articulation avec les autres experts et professionnels ?

• Développer les interfaces entre psychiatres et psychologues experts aussi bien lors des formations initiales que continues
• Développer les lieux de réflexion sous la forme de congrès dans un contexte francophone

4. Cas particulier de l’expertise de crédibilité

• La commission recommande aux magistrats de supprimer définitivement les missions d’expertise de crédibilité.
4 Conformément à l’adage expertal classique : « La mission, rien que la mission, mais toute la mission ».

Question 5.
Comment développer la qualité expertale ?

• Renforcement de la formation des experts
• Revalorisation de la rémunération
• Amélioration des conditions matérielles de l’acte expertal
• Recourir à d’autres professionnels que les psychiatres pour les analyses psychocriminologique et pour l’avis à donner sur la dangerosité criminologique
• Réserver l’usage d’échelles d’évaluation du risque de dangerosité aux cliniciens exclusivement et insérée dans l’évaluation clinique.
• Etendre la fonction des centres ressources pour l’aide à la prise en charge des auteurs de violence sexuelle à d’autres types de prises en charge en relation avec la délinquance.
• Développement de la recherche en droit pénal comparé entre les pays européens et de recherches multidisciplinaires portant plus spécifiquement sur l’expertise psychiatrique pénale

Que penser de tout cela ?

Notre confrère, Carol Jonas, titrait l’éditorial de l’Information Psychiatre de mars 2008 ainsi : « Expertise pénale : une audition publique, et après ? » et remarque « qu’alors qu’une année s’est maintenant écoulée depuis cette audition publique, il n’est pas encore apparu que les efforts entrepris par la famille psychiatrique aient été bien compris par le monde judiciaire et utilisés dans les réflexions, procédures, discussions, missions diverses qui se sont succédé depuis à la faveur d’événements dont l’importance était fonction d’aléas médiatiques » . J’aurai tendance à remplacer « le monde judiciaire » par le « monde politique » car c’est bien lui le responsable de lois nouvelles créant une inflation d’expertises nouvelles et la non prise en compte des remarques sur la dangerosité formulée au cours de l’audition publique.
Quand pourra-t-on espérer des prises de décision politiques, prudentes, réfléchies ne passant pas à l’acte en permanence, optant ainsi par identification avec le comportement impulsif fréquent de nombreux délinquants ? Et soucieuse réellement des deniers publics en n’engageant pas des mesures coûteuses à l’efficacité souvent incertaine.

MD

Notes:

[1D’où leur condamnation plus lourde et la certitude qu’elles seront neutralisées plus longuement en prison qu’à l’hôpital psychiatrique

[2Donner l’information au probationnaire est non seulement incontournable au regard de la loi du 4 mars 2002 mais ce partage de données est un acte essentiel pour la responsabilisation du sujet et limiter les entraves à ces soins complexes. La résistance à la transmission des informations est la persistance du paternalisme médical relayé et renforcé ici par le paternalisme judiciaire

[3L’expert doit pouvoir aussi disposer de documents médicaux, notamment concernant le suivi éventuel en prison. Il ne peut consulter le dossier médical de la prison, sacralisé par l’intangible secret professionnel, pour lequel nous devons continuer à nous battre corps et âme. Toujours dans le même esprit que la note précédente, il y a tout intérêt à passer par la personne condamnée à qui son psychiatre traitant doit remettre comme pour tout patient les documents attestant de son suivi