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(2004) L’alimentation des détenus : garder l’équilibre malgré tout

Mise en ligne : 12 juillet 2008

Texte de l'article :

N°26 juillet 2004
CERIN
Bulletin de liaison trimestriel destiné aux professionnels et bénévoles impliqués dans la prise en charge et l’aide aux populations démunies.

Alimentation et Précarité
L’alimentation des détenus : garder l’équilibre malgré tout

« Tout le monde se pose des questions sur la qualité de l’alimentation. Alors, pourquoi pas les détenus ?  ». Se nourrir en prison n’est pas qu’affaire de calories. Cette assertion, vraie pour tout individu dans n’importe quel cadre -tant l’alimentation renvoie aux notions de plaisir, de psychisme, de sociabilité, etc.- prend une dimension supplémentaire pour les détenus, que l’enfermement rend passifs et isolés.
En prison, l’alimentation est souvent objet de controverses de la part des détenus.
Elle serait « immangeable selon les uns, identique à n’importe quelle cantine selon les autres... » rapporte Claude Deroussent, médecin à la prison centrale d’Ensisheim (Haut-Rhin).
Il est toutefois un point sur lequel tous s’accordent : il faut de l’argent pour acheter les compléments à la cantine, ce « magasin » de la prison où l’on peut s’acheter les indispensables aliments complémentaires à ceux qu’apporte l’administration.
Pour les acteurs sociaux qui s’intéressent à la question de l’alimentation carcérale, le champ d’étude est donc double, entre celle servie par la collectivité, et celle que les détenus peuvent se concocter dans leur cellule. Sont doubles également, les régimes alimentaires et les risques de déséquilibre.

Manger en prison est, comme ailleurs, plus qu’une simple affaire de calories
« En milieu carcéral, la nourriture est un remplacement, un substitut. » Selon Claude Deroussent, l’isolement des détenus exacerbe la dimension psychologique et sous-jacente de l’acte alimentaire. « Le domaine de la cuisine évoque la mère ou la compagne avec qui l’on vivait avant l’incarcération. C’est une évocation très forte, qu’elle soit vécue consciemment ou pas. » Ainsi, évoquant les réponses à un questionnaire portant sur les pratiques alimentaires en prison adressé aux détenus d’Ensisheim, « dans les nombreuses annotations, on retrouvait les fondements du symbolisme alimentaire, où les rapports avec la nourriture restent marqués et imprégnés par les pulsions libidinales et les pulsions agressives du nourrisson (plaisir de sucer, activités de morsure). »
Claude Deroussent renvoie également aux conditions particulières d’une existence enfermée, passive : « Aucune initiative, aucune autonomie, aucune responsabilité. Tout est imposé : les heures où l’on mange, les heures où l’on dort, où l’on prend sa douche ; le gîte et le couvert sont imposés, la personne incarcérée n’a plus aucun pouvoir sur sa vie quotidienne. » Ainsi, ce que dit le détenu de son rapport à la nourriture -à l’exemple des critiques sur sa qualité ou sur sa présentation, et jusqu’au refus de s’alimenter- est une transposition de sa relation avec l’institution « prison », une façon de se définir par rapport à elle. Dans ce sens, « la nourriture est investie de missions et de fantasmes », précise le médecin.
L’alimentation, clef de voûte d’une santé fragilisée par l’enfermement
Plus prosaïquement, l’alimentation renvoie le détenu à son corps, à la conservation ou à la dégradation de celui-ci. « Les détenus ont une peur aiguë de la dégradation du corps, peur qui se répercute, chez certains, sur la question d’une alimentation qui se doit d’être saine pour limiter les risques. » (Claude Deroussent).
D’ailleurs, ce dernier précise que les responsables sanitaires de la prison centrale d’Ensisheim (Haut-Rhin) ont mis en évidence le lien entre « un nombre conséquent de maladies liées directement à l’alimentation et (...) le faible niveau d’information des détenus concernant la nutrition, et le manque flagrant de lien que font les détenus entre leur santé et leur alimentation. »
Dans un opuscule qu’il a co-rédigé à l’intention des détenus d’Ensisheim, « Je cuisine pour moi tout seul », Claude Deroussent énumère ces maladies, des plus bénignes à certaines qui le sont nettement moins (colopathie, constipation ou diarrhée, hypertension, diabète, calculs rénaux, carences en fer, anorexie, boulimie, etc.), et précise des remèdes à la portée des personnes enfermées.
Notamment en raison de l’inactivité physique, de l’ennui, ou encore de la forte tabagie qui en découle, la constitution physique des détenus a tendance à se détériorer de façon prononcée et rapide. Et puis, la prison concentre dans un lieu fermé des pathologies variées, comme celles liées à la précarité et à la toxicomanie, ou encore à des maladies psychiatriques. Enfin, la population carcérale est également caractérisée par une sexualité à risque et un vieillissement accéléré.
Dans ce sens, Carole Hermant, personnel soignant à la maison d’arrêt de Dijon, souligne le rôle clef de l’ennui, de la compensation des manques affectifs et sociaux par la nourriture (« le grignotage »...), ou encore des horaires imposés et parfois décalés (dans certaines prisons, les repas sont pris avant 18 heures). Certains détenus prendraient jusqu’à 10 kg dès leur première année d’incarcération !
Dans un tel contexte, comment aider les détenus à équilibrer leurs pratiques alimentaires pour limiter les risques sanitaires ? Dans chaque prison, un médecin-chef de « l’Unité de consultation des soins ambulatoires » (UCSA) veille à l’observation des règles d’hygiènes collectives et individuelles. Epaulé par un personnel sanitaire, c’est également lui qui supervise, au sein de chaque établissement, la question de l’équilibre alimentaire. « Tout le monde se pose des questions sur la qualité de l’alimentation. Alors, pourquoi pas les détenus ? », souligne Carole Hermant, qui déplore toutefois que les détenus souffrent d’un important déficit d’informations sur la question de la nutrition.

Des repas pris en cellule, strictement réglementés
C’est à l’administration qu’il revient de nourrir les détenus. Comme dans toutes les collectivités, des dispositions officielles encadrent strictement le choix des menus, la préparation et la distribution de la nourriture. La loi prévoit ainsi que les détenus reçoivent une alimentation « variée, répondant aux règles de la diététique et de l’hygiène, tant en ce qui concerne la qualité que la quantité. Le régime alimentaire distribué devrait tenir compte de l’âge, l’état de santé, la nature du travail et les convictions philosophiques et religieuses des détenus, » comme le précise le code de procédure pénal français. Trois repas sont distribués quotidiennement, à des heures fixées par le règlement intérieur de chaque établissement, les deux repas principaux étant espacés d’au moins six heures. Selon Carole Hermant, les repas du soir sont distribués à 17h30 à la prison de Dijon à cause d’une extinction des feux précoce motivée par des raisons de sécurité.
Mais surtout, ces repas sont pris en cellule, selon différents cas de figures : les longues peines, enfermés dans des « maisons centrales », sont isolés, un individu par cellule ; alors que dans les « maisons d’arrêt », les détenus sont à plusieurs. Enfin, au moins dans certaines « maisons centrales », comme celle où travaille Claude Deroussent, les détenus peuvent, trois fois par semaine, se réunir pour prendre leur repas en commun, « chez » un codétenu... Jusqu’à maintenant, la possibilité de prendre les repas dans un réfectoire reste un privilège réservé aux condamnés à des peines très légères, dans quelques établissements spécifiques.
La prise de nourriture paraît donc conditionnée par la situation du prisonnier : acte collectif ou solitaire, formalité expédiée ou plaisir du partage ?... « La conduite alimentaire ne peut qu’être replacée dans la vie collective, le repas remplit aussi une fonction sociale relationnelle : entre détenus eux-mêmes, entre personnel pénitentiaire et de service et détenus, » insiste Claude Deroussent pour qui « le repas est un élément de rencontre essentiel en prison, les détenus continuent ou développent leur sociabilité autour de la table. Évidemment, les rencontres sont par définition contrariées. Le moment du repas, comme celui de sa préparation, est essentiel. On oublie ses problèmes pour un temps. » En un mot, on s’évade...

Cas diététiques particuliers
Les détenus de moins de 21 ans doivent disposer d’un régime alimentaire amélioré par rapport à celui des adultes, et les détenus malades doivent bénéficier du régime prescrit par le médecin. Enfin, tout prisonnier doit « dans la mesure du possible », pouvoir bénéficier d’un régime alimentaire adapté à ses convictions religieuses, ce qui n’est pas toujours respecté en pratique. À l’occasion de ces différentes fêtes religieuses, des denrées rituelles peuvent également être mises en vente en cantine. Enfin, depuis le décret du 8 décembre 1998, la vente en cantine de toute boisson alcoolisée est interdite.

Cuisiner dans sa cellule, c’est possible aussi !
Depuis quelques années, il est permis aux détenus de se faire une « popote » en cellule.
Évidemment, les ustensiles autorisés sont très sévèrement encadrés : les plaques chauffantes ont fait leur apparition dans les années 80, les frigidaires (produits de location exclusivement) dans la décennie suivante. Et pas question d’avoir un four... Un détenu, dont les propos sont rapportés par Claude Deroussent, rappelle que l’autorisation de cuisiner en cellule date de 1980, une révolution pour l’univers carcéral ! À Ensisheim, 10 % des détenus ne mangent que leur propre cuisine préparée à partir des produits qu’ils cantinent.
Une seule plaque chauffante et beaucoup d’astuce permettent d’échapper au plateau-repas de la pénitentiaire. « C’est une occasion de ne plus s’imaginer en prison et de créer de la convivialité », assure Claude Deroussent.
Mais que cuisiner ? Alors que l’envoi de colis alimentaires à l’intention des détenus est interdit (sauf à Noël), l’unique moyen pour les détenus de se procurer des aliments, c’est la « cantine ». Sorte de « boutique » de l’établissement pénitentiaire, le détenu peut y acheter divers objets ou denrées dans la limite de ses moyens financiers (ce qui implique, pour beaucoup, de travailler pour améliorer l’ordinaire, et même, se procurer l’indispensable).
En tout cas, un plat réalisé en prison, « c’est une porte ouverte, une évasion, car il est « extérieur » à la prison : ce n’est pas le même goût, pas la même odeur, consistance, couleur. » Philippe Leclercq, ancien détenu et auteur d’un recueil de recettes intitulé « Cuisine entre 4 murs », abonde dans le même sens : « La Cuisine est poésie, la poésie est évasion, » de même que « cuisiner, c’est partager. »
Dans son petit ouvrage, Philippe Leclercq fait se côtoyer recettes et billets d’humeur sur ses années de prison, le tout sous le signe de la résistance à la morosité, à la tristesse, à l’abattement. « Sans prétendre provoquer chez le lecteur une hilarité profonde, j’espère que cet opuscule sera aussi divertissant qu’instructif. Une cinquantaine de recettes en constitue le fond, chacune précédée des circonstances de sa réalisation. Quelques conseils pratiques, les clefs de la fabrication des ustensiles indispensables (l’équipement des cellules en matériel culinaire est des plus succinct) permettront à tout un chacun d’appréhender les difficultés qu’affronte le prisonnier, voire, qui sait, de s’y préparer. »

Quelques recettes à faire en cellule
Le petit détenu (Fromage à l’ail et à l’oignon)
Faire cailler, à l’aide d’une goutte de vinaigre ou de jus de citron, un litre et demi de lait.
Le lendemain, verser le lait caillé dans un torchon fin, et laisser égoutter une douzaine d’heures.
Verser la pâte ainsi obtenue dans un bol, et la battre à la fourchette pour la foisonner légèrement. Ajouter alors une belle gousse d’ail, et un demi-oignon, ou une échalote, pillé au mortier. Mélanger.
Mouler à la cuiller dans des faisselles (obtenues en perçant de quelques trous les flancs et le fonds de barquettes d’aluminium de fruits au sirop ou de compote) où vous aurez préalablement disposé un carré de linge frais (ou de gaze).
Saler généreusement la surface. Laisser reposer sur une claie. Le lendemain retourner le fromage, et saler l’autre face. Laisser reposer une demi-journée.
Déguster sur une tartine de pain ointe d’huile d’olive et passée à la poêle ; c’est comme l’Eleska : c’est exquis !
Enveloppé d’un linge, ce fromage se conserve plusieurs jours.

Sauce dite carbonara (Jambon, jaune d’œuf, fromage fondu)
Faire sauter à l’huile d’olive le jambon coupé en dés. Délayer le jaune d’œuf dans quelques cuillers de lait. Mettre dans la poêle le fromage fondu et le jaune d’œuf.
Mélanger. Verser sur les pâtes. Agrémenter de parmesan râpé.

Orange sicilienne
Pelez à vif une orange. Disposez les quartiers en étoile sur une chiffonnade de laitue (ou autre salade verte). Arrosez d’un filet d’huile d’olive. Salez. C’est prêt !
Cela réjouit l’œil et flatte le palais.

Concassée de tomates (Tomates - ail - huile d’olive - laurier - piment ou harissa - sucre - thym)
Faites revenir à feu vif (P4) dans l’huile d’olive les tomates avec une pointe de piment ou de harissa. Baissez le feu. Ajouter l’ail en éclats, le laurier, un peu de sel, le sucre (un morceau pour 4 à 5 tomates). Mouillez de quelques cuillers d’eau si nécessaire, laissez mijoter à couvert quelques minutes. Rectifiez l’assaisonnement.
Se consomme telle quelle en accompagnement d’une viande blanche, avec du riz, des pâtes ; peut servir de base pour des sauces plus élaborées ; idéale en garniture de pizza. On peut y adjoindre du poivron ou des champignons.

Fondue au fromage (Ail - bière - fromages à pâte cuite : emmental, gruyère, cantal... - pain)
Frottez d’ail une casserole. Versez-y la bière, et faites chauffer à feu doux (P2).
Incorporez peu à peu le fromage émincé, sans cesser de remuer vivement. Poivrez si possible. Quelques baies de genièvre seront les bienvenues.
Rectifiez l’assaisonnement.
Posez le réchaud sur la table, entretenez un feu très doux (P1). Dégustez en trempant dans la fondue des petits morceaux de pain fichés sur des piques à brochettes de bois en guise de fourchettes.

Poulet façon tajine (Poulet - pommes de terre - carottes - raisins secs - citron confit - huile d’olive - harissa ou piment - oignons - laurier - épices)
Dans une casserole à feux doux, faites chauffer à couvert : pommes de terre cuites en dés, carottes, raisins secs, citron confit, poulet rôti détaillé en morceaux ; ajoutez huile d’olive, harissa ou piment, oignons coupés en deux ou en quatre suivant grosseur, épices.
Remuez délicatement de temps en temps. Rectifiez l’assaisonnement.

Charlotte aux pommes (Pommes - beurre - pain - lait)
Coupez des tranches de pain d’environ1/4 de pouce d’épaisseur. Imbibez-les de quelques gouttes de lait. Beurrez-les généreusement sur leurs deux faces.
Saupoudrez-les de sucre et faites-les sauter au beurre, à feu vif, avec les pommes (épluchées, vidées, et détaillées en quartiers) jusqu’à caramélisation. Rehaussez d’une pincée de sel, et, si vous en avez, de poivre, et de cannelle.
Tapissez un moule de fortune (boîte de conserve ou bol de pyrex) avec les tranches de pain. Disposez les pommes à l’intérieur. Placez au bain-marie pendant environ 1/2 heure.
Laissez tiédir. Démoulez sur une assiette, arrosez d’un fin caramel, ou accompagnez de confiture.
[In « Cuisine entre 4 murs », Philippe Leclercq, Éditions par défaut, 53 rue Didot, 75014 Paris]

« La transformation de la nourriture est une occupation importante, c’est l’occasion de rêver. Cuisiner en cellule est une activité qui sollicite l’imagination et offre un espace de liberté et de négociation  » plaide Claude Deroussent. Mais il remarque, dans le même temps, que les achats auxquels procèdent les détenus sont souvent moins orientés par des notions de diététique que par le plaisir ou l’absence d’idées. « Si l’alimentation fournie par l’administration est généralement équilibrée, celle que se concoctent les détenus l’est parfois moins ! » Pâtes, barres sucrées, peu de produits frais... la nourriture cantinée est plus remarquable pour ses vertus anxiolytiques (mais qui ne le comprendrait pas ?) que diététiques.

Une recette réalisée en cellule, « c’est l’occasion de rêver et de s’évader »
De ce constat est venue à Claude Deroussent l’idée d’organiser un concours de recettes entre 165 établissements pénitentiaires de France. Il en a reçu plus de 600, dont il a fait une sélection, en association avec Marc Haeberlin, chef de l’Auberge de l’Ill, un trois étoiles situé à Illhaeusern (Haut-Rhin). Prenez des tomates, des olives, du parmesan, du
basilic, du persil et un œuf dur : vous obtenez la « salade solitaire »... C’est l’une des cent recettes qui figurent dans le guide « Je cuisine pour moi tout seul... », réalisé à la suite du concours et auto-édité à 300 exemplaires, essentiellement distribués à la centrale d’Ensisheim.
Dans ce guide, outre des conseils de santé générale et des indications sur les droits des détenus, les modes de cuisson, les ingrédients et les ustensiles nécessaires à la réalisation des différentes recettes, ainsi qu’un budget approximatif sont systématiquement précisés.
De même qu’une analyse nutritionnelle et « les conseils du chef ».

Que trouve-t-on dans la « gamelle » des détenus ?
Les leçons - pas toujours entendues - d’une enquête de 1998...

Florence Schaller, diététicienne au CHU de Besançon, a été détachée à deux reprises à la maison d’arrêt de Dijon, en 1997 et 1998. Sa mission, qui a reçu le prix CERIN de nutrition en 1999, avait un double objectif : évaluer la qualité nutritionnelle des repas proposés par l’administration pénitentiaire, et sensibiliser les détenus à la notion d’équilibre alimentaire. Aujourd’hui, selon le personnel de l’UCSA de Dijon, la situation n’a pas fondamentalement évolué depuis le départ de Florence Schaller. « Les repas sont toujours très gras, et pas assez riches en vitamines - la carence en produits frais persiste.
Quant aux ateliers de diététique qui avaient pour but de pousser les détenus à « cantiner » des aliments équilibrés, nous n’avons malheureusement pas pu les poursuivre, » déplore Carole Hermant.
Cette situation nous incite à rappeler l’action et les principaux enseignements de Florence Schaller. En analysant les menus proposés par l’administration pendant 4 semaines, son enquête a livré une conclusion essentielle : si l’association entre les différents groupes d’aliments était relativement variée, le choix des aliments était en réalité assez limité. Mis en avant par les détenus, ce manque de diversité était confirmé par l’analyse du contenu des repas. En bref, revenaient sans arrêt les mêmes aliments et les mêmes recettes. Et trop de viandes grasses, des légumes peu variés, des produits laitiers rares et uniformes, peu de fruits frais...

Pas assez de fruits et de produits laitiers
Les minéraux sont bien représentés, à l’exception du calcium, dont les apports dépassent à peine les 600 mg par jour (au lieu des 900 mg conseillés chez l’adulte, voire des 1200 mg conseillés chez les adolescents et les femmes enceintes...).
Si, grosso modo, la plupart des vitamines est bien représentée, on constate un apport limité en vitamine B1 et B6 : du fait notamment du manque de produits laitiers et de fruits frais, ainsi que de l’absence de diversité de l’alimentation. L’intérêt de la vitamine B1, notamment, est manifeste en cas d’alcoolisme (ce qui n’est pas rare en prison, souligne l’enquête). Les anciens buveurs ainsi que les fumeurs, nombreux eux aussi parmi les détenus, ont fréquemment des carences en vitamine B1.
Les apports en vitamine C sont également insuffisants, à cause du manque de crudités et de fruits frais. Ils sont d’à peine 70 mg par jour, alors que les apports conseillés sont de 80 mg par jour chez le non fumeur et de 120 mg chez le fumeur ! Or, la majorité des détenus fume... Les mineurs et les femmes enceintes ont droit à une distribution supplémentaire de fruits et de produits laitiers, mais cette mesure est insuffisante pour couvrir leurs besoins en calcium et en vitamines.
(Extrait des conclusions de l’étude de Florence Schaller)

Depuis le départ de Florence Schaller, la population carcérale de Dijon a plus que doublé, passant de 140 à 300 détenus. Les responsables de l’UCSA sont donc « débordés ». Mais « beaucoup des actions et des études faites par le passé peuvent resservir. Ainsi, nous avons conservé les recommandations et les procédures de Florence Schaller, plaide Carole Hermant, et nous allons essayer de relancer les ateliers de sensibilisation, » cet autre élément essentiel du travail de la diététicienne de Besançon. Car la population carcérale « est une population peu éduquée sur le plan diététique, beaucoup de travail reste à effectuer dans ce domaine. Et puis, cela va plus loin que les questions alimentaires, l’enjeu est plus intime, les détenus se confient, s’évadent, lorsque nous parlons de nourriture. »

Une enquête exceptionnelle sur les habitudes alimentaires des détenus
En 2002, Claude Deroussent lance une enquête auprès des détenus de la centrale d’Ensisheim, pour mieux apprécier leurs habitudes alimentaires. Dans leurs réponses, les détenus pouvaient exprimer leurs souhaits, leurs critiques et leurs points de satisfaction.
Sur 210 détenus consultés, 130 ont souhaité participer à l’opération, un chiffre qui en dit long sur l’intérêt des prisonniers sur la question de la diététique.
33 % des prisonniers qui ont accepté de répondre estiment que les repas sont équilibrés (65 % pensent l’inverse). Les manques exprimés concernent surtout les fruits, la viande, le poisson frais et les légumes frais. « On se rend compte que les personnes interrogées raisonnent en terme de souhait (ex. la fraîcheur des produits) et non pas en terme d’équilibre, » commente Frédéric Hankus, conseiller d’insertion et de probation à la centrale d’Ensisheim, dans son « recueil de données dans le cadre d’un projet d’éducation à la santé. » « Il faut savoir, poursuit-il, que tous les menus proposés à la population pénale sont réalisés par un nutritionniste et que par conséquent l’équilibre alimentaire est assuré. (...) On trouve donc un amalgame entre équilibre alimentaire et insatisfaction liée à la nature des produits proposés. »


Chiffres rapportés in « Je cuisine pour moi tout seul », op. cit.

Au-delà de la perception des détenus, Claude Deroussent juge adéquate l’alimentation fournie par l’administration, tant sur le plan de la qualité que de la quantité. Mais revenant sur les considérations des détenus, il estime que rien n’empêche « de pouvoir améliorer l’existant avec des moyens simples » ou encore « de rappeler quelques principes de base en matière d’alimentation de base, qu’elle soit collective ou individuelle, et ainsi de pouvoir orienter les consommateurs vers des achats alimentaires de « cantine » qui rapprochent leurs besoins (qu’ils soient gustatifs, motivés par le sport, qu’ils apportent un plaisir anxiolytique) des contraintes de santé des organismes déjà mis à mal par la détention. »

Enseigner la diététique en prison ?
Peut-on apprendre la nutrition en prison ? Sans doute pas plus mal ou aussi bien qu’ailleurs, si l’on en croit l’expérience des ateliers diététiques mis en place à la maison d’arrêt de Dijon par Florence Schaller. « Je travaillais en binôme avec une infirmière, et nous organisions des groupes de cinq détenus au maximum. Nous avons recruté des personnes de tous niveaux, intéressées et intéressantes, qui choisissaient leurs thèmes : équilibre alimentaire, amaigrissement, alimentation et grossesse, alimentation et sport... Chaque atelier durait une heure, et permettait de répondre à nombre de questions. Avec peu de place, de moyens et d’outils, nous avons tout de même, la deuxième année, touché autour de 200 personnes. Un bilan, à mes yeux, extrêmement positif. »

Un témoignage de détenu
« Dans les années 80-90, ce fut une révolution dans les prisons françaises, la télé fait son apparition en 1984, puis les thermos plongeurs, les produits de chaufferette avec les chauffes, les plaques chauffantes, les cantines améliorées, etc. Les conditions de travail étaient meilleures, un peu mieux rémunérées. Avec la possibilité de faire des stages pour la cuisine (Pâtisserie-chocolat), puis, enfin, de faire la « popote » dans sa cellule (des œufs au plat, des boîtes de conserve, des pâtes, des lentilles, etc.). À la fin des années 90-2000, les frigidaires ont fait leur apparition dans les cellules. Nous avons la possibilité de tout cantiner, sauf les choses interdites pas la loi. (...) Si ce que l’on nous propose à manger (le menu) n’est pas à notre goût, nous pouvons toujours la snober et faire nous-même ce que nous aimerions nous mettre sous la dent. »
Propos d’un détenu rapportés dans « Je cuisine pour moi tout seul »

Alimentation et précarité, bulletin édité par le CERIN
(Centre de Recherche et d’Information Nutritionnelles)
Directeur de la publication : Dr Marie-Claude Bertière
Rédacteur en chef : Dominique Poisson
Rédaction : Vianney Delourme, Camille Delourme, Nathalie Bernardini
Maquette et mise en page : MPRA biocommunication
Photo de couverture : Vincent Grimelet - IOW 2.10
ISSN 1629 1212
Abonnement gratuit sur demande écrite adressée au
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