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09 Le SPIP, une interface

Interventions de Lise Le Prunnenec, Karine Poncelet et Christophe Lojou

Mise en ligne : 4 avril 2008

Préparation à la sortie des détenus malades

Préparation à la sortie des détenus malades

Texte de l'article :

À Fresnes, le SPIP s’implique de manière spécifique dans la prise en charge des détenus porteurs du VIH ou du VHC. Ce travail sous-entend une forte activité partenariale.
Témoignage de trois conseillers d’insertion et de probation (CIP).

« Une attention accrue pour les personnes séropositives »
Lise Le Prunnenec, CIP à la maison d’arrêt de Fresnes

« Les détenus infectés par le VIH ou le VHC bénéficient d’une prise en charge spécifique au sein des établissements pénitentiaires comme en milieu ouvert. Au quotidien, en tant que conseiller d’insertion et de probation (CIP), nous surveillons particulièrement les risques de fragilité physique ou psychologique que peuvent rencontrer ces personnes du fait de ces pathologies. Nous sommes aussi très attentifs aux problèmes pouvant survenir dans les rapports avec les personnels ou les autres détenus. À Fresnes, nous essayons d’échanger régulièrement avec tous les interlocuteurs, y compris la direction de l’établissement et les surveillants, sur la situation de ces personnes, cela, bien sûr, avec leur accord. La spécificité du suivi tient aussi à l’importance du travail partenarial que nous menons en interne comme avec les intervenants extérieurs : CSST, associations, juges d’application des peines, familles, éventuels employeurs... Les CIP sont des généralistes. Ils n’ont pas de formation particulière dans le domaine médical et leur mission est globale. Le SPIP joue en fait un peu un rôle d’interface entre la personne et ceux qui l’accompagnent en détention.
Dès l’incarcération, nous préparons l’après-prison, que ce soit dans le cadre d’une suspension de peine pour raison médicale, d’un aménagement de peine ou d’une sortie sèche. Le stade de la maladie et ses conséquences sont nécessairement pris en compte, mais à des degrés variables selon la mesure. Nous procédons également à l’ouverture des droits : Sécurité sociale, dispositifs pour personnes handicapées... Il est vrai cependant que des personnes sortent encore aujourd’hui de prison sans protection sociale ni ordonnance et que la coordination avec les médecins doit être améliorée.  »

« Un accompagnement jusqu’à la fin »
Karine Poncelet, CIP à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes

Nous avons suivi un détenu séropositif de 40 ans, multirécidiviste, polytoxicomane sous substitution, ayant des problèmes avec l’alcool et issu d’un centre de détention où il purgeait une peine de 36 mois. Lorsqu’il est arrivé à Fresnes, il ne pouvait pas encore bénéficier d’un aménagement de peine et avait fait une demande de suspension de peine. Bien que son état de santé ait été jugé préoccupant par le médecin de son établissement, sa requête avait été rejetée par le juge d’application des peines (JAP). Sa situation ne s’améliorant pas, il a alors été transféré à l’hôpital de Fresnes, où notre médecin a rédigé un certificat à l’attention du JAP. Des démarches ont ensuite été enclenchées pour construire un projet de sortie lié à la maladie.
Lors de précédentes incarcérations, nous l’avions déjà accueilli à l’hôpital. Il n’avait jamais souhaité contacter sa famille. Cette fois-ci, le médecin lui ayant annoncé que le pronostic n’était pas bon, il a tenu à le faire, mais en taisant sa maladie. Car pour cet homme d’origine maghrébine, celle-ci rimait avec déshonneur et exclusion. Nous nous sommes également rapprochés d’une structure gérant des appartements de coordination thérapeutique (ACT) dont le détenu avait déjà bénéficié, mais où il avait eu des problèmes. Sa famille acceptait de le prendre en charge mais ne pouvait l’héberger dans des conditions acceptables (chambre personnelle). La structure est venue le voir - il est essentiel que les associations se déplacent. Devant la gravité de son état, elle a accepté de le reprendre. Ainsi, la journée, une tierce personne était présente et, la nuit, la famille prenait le relais. Celle-ci a ainsi pu l’accompagner jusqu’à la fin. Nous avons eu beaucoup de chance que ce réseau existe et qu’il passe outre le premier échec. Il est en effet très difficile de trouver des solutions de prise en charge pour certaines personnes. En particulier celles qui sont trop malades pour être admises en structures de soins curatifs, mais pas assez pour les unités de soins palliatifs. »

« La notion de projet, nous la conjuguons au quotidien »
Christophe Lojou, CIP à la maison d’arrêt de Fresnes

« Africain d’environ 30 ans, Ousmane [1] vit en France depuis une dizaine d’années et n’a pas de titre de séjour. Incarcéré à Fresnes, il a été condamné à 7 ans de prison pour un viol sur mineur - la fille de son ex-compagne. Il a eu avec cette dernière un enfant que la justice lui interdit de voir malgré son insistance. Ousmane entretient des rapports très conflictuels avec son ex-compagne. Il est dans un déni total des faits. C’est un problème récurrent chez les personnes impliquées dans des affaires de mœurs, sur lequel nous travaillons beaucoup, et qui est une contrainte majeure dans le suivi quotidien. Ousmane est en outre porteur du VIH. Durant deux années, nous avons œuvré en partenariat avec l’UCSA, le service médico-psychologique régional (SMPR), les surveillants, la direction pénitentiaire et un visiteur de prison très actif, pour l’accompagner jusqu’au jugement. L’Association nationale des visiteurs de prison est à ce titre un partenaire très précieux pour un SPIP.
Dès la condamnation d’Ousmane, nous avons mis en route une dynamique « aménagement de peine ». Cette notion est de plus en plus développée par l’administration pénitentiaire, notamment depuis la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. L’objectif est de ne pas libérer les gens en sortie sèche et d’individualiser leur peine. Nous faisons tout pour conjuguer la notion de projet au quotidien. Mais c’est très coûteux en temps et les moyens manquent. Après presque 10 mois de démarches auprès de la Préfecture, Ousmane a fini par se voir délivrer un titre de séjour pour deux ans. Au terme de cette période, son dossier repassera en commission médicale. Le juge d’application des peines (JAP) a accepté de lui accorder une semi-liberté probatoire pendant quelques mois à Fresnes. Il devrait ensuite obtenir une libération conditionnelle. Il n’a toujours pas le droit de voir son enfant, mais entend se battre pour y parvenir. »

Notes:

[1Le prénom a été modifié