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(2008) « Eloge de la peine de prison » par Christian Demonchy

Mise en ligne : 16 février 2008

Débat dans le cadre de l’atelier populaire « Éloge de la prison en démocratie » de « DES Maintenant en Europe », club de réflexion politique sur les questions pénales et criminologiques.

Texte de l'article :

« Eloge de la peine de prison »
par Christian Demonchy (3 février 2008)

Aucune institution n’a subi autant de critiques depuis la Révolution que la prison. A force de dénoncer la condition pénitentiaire, on n’ose plus faire allusion ni même penser aux remarquables services que la peine de prison offre aux professionnels de la justice, aux victimes, aux politiques, aux médias et à l’opinion. Il me semble utile de rendre justice à ses innombrables qualités et d’en faire aujourd’hui l’éloge.

1. Une peine sévère : La peine de prison est incontestablement une peine sévère, la plus sévère depuis l’abolition des supplices et depuis l’abolition de la peine de mort. Elle est d’ailleurs appliquée, et à juste titre, aux crimes les plus graves. Il est donc logique qu’elle soit utilisée dans de nombreux autres cas, notamment pour satisfaire l’opinion publique qui, selon des sondages récents, juge que la justice française n’est pas assez sévère.

2. Une peine juste : Cette utilisation de la peine de prison est d’autant plus justifiée que sa sévérité peut être modulée à l’infini grâce à son quantum. La durée mesure précisément l’équivalence entre le degré de réprobation éprouvée face à l’auteur du délit ou du crime et celui de sévérité qu’il mérite. Le prononcé de la peine se fonde sur des données objectives, des faits passés qui ont été examinés et évalués par l’enquête et le procès. Ce rationalisme issu des Lumières, qui s’exprime par la durée de la peine pour respecter la proportionnalité des délits et des peines prônée par Beccaria, s’exprime aussi par sa nature. Exclure de la société celui qui a rompu le contrat social est une punition directement liée à la nature sociale de l’infraction. Parce qu’elle est rationnelle tant par son intensité modulable que par sa nature adaptée à la circonstance, la peine de prison est la plus juste qu’on puisse imaginer. La raison veut qu’elle serve de référence. Jusqu’à présent, elle n’en était pas une pour les mineurs, mais les sondages montrent que l’opinion souhaite (à 60%) maintenant traiter les mineurs délinquants comme les délinquants majeurs.

3. Une peine efficace  : Pendant toute la durée de la peine, l’auteur du délit ou du crime exclu de notre environnement social ne peut plus le perturber. Il s’agit donc d’une efficacité garantie. Certes, il peut récidiver, mais quelle alternative à la prison nous garantit qu’il ne récidivera pas ? Mieux vaut tenir que courir. D’autant que s’il récidive, autrement dit si sa première peine n’a pas été suffisamment dissuasive, on peut augmenter l’efficacité de la seconde en augmentant la durée de l’exclusion. Nous n’avons malheureusement plus de colonies pour être totalement performant en matière d’exclusion, mais, comme disait Jean Jaurès, il faut « aller vers l’idéal et comprendre le réel ».

 4. Une peine démocratique  : Démocratique, la peine de prison l’est dans son prononcé et son exécution. La publicité du prononcé et sa médiatisation dans le cas de certains procès invitent chaque citoyen à réagir à la sévérité de la sentence par rapport à l’acte commis. Ces commentaires, synthétisés par les sondages et rapportés par les médias, orientent les décisions de politique pénale. L’opinion est ainsi en osmose permanente avec le politique.
Pour être démocratique, il faut aussi que les citoyens soient assurés de son exécution. Quand un délinquant est arrêté par la police et qu’on le croise le lendemain dans la rue, on s’indigne à juste titre : « Mais que fait donc la justice ! ». Quand au contraire il disparaît de notre environnement pendant des mois ou des années, nous sommes certains que la justice s’occupe de lui de façon sévère, juste et efficace. La visibilité publique de la peine est le résultat de l’invisibilité du délinquant.

5. Une peine religieusement correcte  : La démocratie a posé aux croyants un sérieux cas de conscience. Tant qu’il s’agissait de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », leurs relations avec les pouvoirs divin et temporels s’étaient à peu près bien différenciés malgré les remous causés par la Réforme. Mais quand la démocratie accorda à chacun d’eux le pouvoir régalien de juger et sanctionner, ils ont dû imaginer une façon de l’exercer compatible avec leur morale religieuse. Le procès pénal devient alors une cérémonie qui reconstitue l’apparition du Mal dans l’histoire particulière d’un délit ou d’un crime. Le prononcé de la peine, grâce à son quantum, exprime le niveau de réprobation de la communauté face au Mal ainsi dévoilé. L’exécution de la peine n’est plus l’œuvre du bourreau comme au temps des supplices, mais de la responsabilité du condamné lui-même qui « fait sa peine ». Aucune souffrance ne lui est infligée. Au contraire, la peine de prison offre au pécheur l’opportunité de s’amender, et aux croyants celle de l’aider à retrouver le droit chemin pendant qu’il « fait son temps ».

6. Une peine politiquement correcte : Les croyants n’ont pas le privilège du cœur. La fraternité, inscrite au fronton des palais de justice, réunit croyants et non-croyants de la République pour déclarer que la prison n’est que privation de liberté et qu’aucune peine ne doit être infligée à l’intérieur des murs. Si l’on ajoute que le principe d’égalité s’applique à tous les justiciables selon leur délit ou leur crime, il s’avère évident que cette peine sévère, juste, efficace, démocratique et religieusement correcte est en définitive la plus politiquement correcte de notre République.

7. La peine idéale  : Parce que la peine de prison, dans son prononcé comme dans son exécution, est le produit exclusif de la responsabilité de l’auteur du méfait, elle est une peine idéale. Ses innombrables qualités ne dépendent en aucune manière de ce qu’est la réalité carcérale et aucune critique de celle-ci ne saurait les contester. La prison n’est que le lieu où le condamné exécute sa peine. La dénonciation des mauvaises conditions de détention ne peuvent que nous inciter à faire preuve de charité ou de fraternité pour les améliorer. Nous devons louer la peine de prison pour nous proposer un challenge aussi humainement gratifiant.

* Contact : christian.demonchy@free.fr