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Syndicat de la magistrature (2007-12) Observations sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

Mise en ligne : 10 décembre 2007

Dernière modification : 15 août 2010

Texte de l'article :

Paris, le 5 décembre 2007

Observations du Syndicat de la magistrature sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

1- LA RETENTION DE SURETE

Le projet de loi vise à instaurer une « rétention de sûreté » au terme de la peine pour « les personnes condamnées pour des crimes commis contre les mineurs, en particulier de nature sexuelle, et qui restent particulièrement dangereuses à leur libération ». Il s’agit, en définitive, de prolonger l’enfermement, sans jugement ni peine, avec des possibilités de renouvellement infinies de la mesure. Ce dispositif procède d’une philosophie de l’enfermement manifestement contraire à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales qui proscrit toute forme de détention hors les cas prévus par l’article 5.
Il convient par ailleurs d’observer que ce projet de loi s’inscrit dans la culture du « risque zéro » qui, sous prétexte de lutter contre la récidive, impose, depuis plusieurs années, des législations de plus en plus répressives et attentatoires aux libertés publiques.

1.1- Un mécanisme d’enfermement dépourvu de garanties réelles

L’exposé des motifs du projet de loi insiste sur le caractère subsidiaire et exceptionnel de la rétention de sûreté. Rien n’est moins sûr car ce projet présente, en réalité, toutes les caractéristiques d’un texte extensible.

1.1.1- Un champ d’application extensible

Dans sa rédaction actuelle, le texte envisage de limiter le recours à la rétention de sûreté aux personnes condamnées :

  • à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à 15 ans ;
  • pour des crimes limitativement énumérés (meurtre, assassinat, torture ou acte de barbarie) ;
  • commis sur un mineur de quinze ans.
    Il est fortement à craindre que ces trois critères retenus soient l’objet d’extensions diverses à l’occasion de lois pénales à venir. Le seuil de condamnation, aujourd’hui fixé à 15 ans, pourrait être ainsi facilement abaissé, de même que le nombre des infractions pourrait être aisément augmenté ou la circonstance aggravante (mineur de 15 ans) supprimée. Si l’on se réfère, par exemple, à l’avant-projet présenté au Conseil d’Etat, on observe que celui-ci prévoyait d’appliquer également la rétention de sûreté aux agressions et aux atteintes sexuelles. Il est ainsi parfaitement envisageable qu’à la suite d’un fait divers marquant (ne concernant pas un mineur de quinze ans) le législateur entreprenne d’étendre le champ d’application de cette rétention.
    A cet égard, les exemples de durcissement de législations répressives - initialement circonscrites à des cas très particuliers - sont nombreux. Pour mémoire, le F.N.A.E.G (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques), institué en 1998, ne devait initialement concerner que les personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel. Avec les dispositions des lois « sécurité intérieure » et « Perben II », il s’est étendu aux personnes soupçonnées et s’applique aujourd’hui quasiment à l’ensemble des infractions pénales.

    1.1.2- Une « subsidiarité » à risques

    Le projet de loi prévoit de recourir à la rétention de sûreté lorsque celle-ci constitue « l’unique moyen » de prévenir la récidive et que l’inscription au FIJAIS, l’injonction de soins, le PSEM dans le cadre d’un suivi socio-judiciaireou d’une surveillance judiciaire, apparaissent insuffisants.
    La procédure pénale française connaît plusieurs exemples de subsidiarité ou d’exceptions qui deviennent, en pratique, la règle juridictionnelle. A cet égard, la détention provisoire - pourtant encadrée par des critères restrictifs et une procédure rigoriste - est loin de revêtir le caractère exceptionnel pourtant assigné par la loi. Or, les similitudes de rédaction entre l’article 706-53-14 du projet de loi et l’article 144 du Code de Procédure Pénale sont frappantes. Il est donc à redouter que la pratique judiciaire, nonobstant les précautions légales, n’entraîne un nombre bien plus important de rétentions de sûreté que celui prudemment estimé par l’exposé des motifs (10 à 20 par an).

    1.1.3- Des garanties en trompe-l’oeil

    Le projet de loi présente comme une garantie l’intervention successive de la commission pluridisciplinaire chargée d’évaluer la « particulière dangerosité » du condamné, puis de la commission régionale composée de trois magistrats de Cour d’appel.
    Il est à craindre que l’avis de la commission pluridisciplinaire n’entraîne une sorte de compétence liée vis-à-vis de la commission judiciaire qui pourra difficilement statuer contre un avis de « particulière dangerosité » et prendre une option différente que la rétention de sûreté. Il apparaît ainsi très clairement que la formation juridictionnelle chargée de statuer sur la rétention de sûreté n’est rien d’autre que la « caution judiciaire » d’une décision administrative.
    De même, les garanties annoncées quant à la possibilité pour la personne retenue de demander à tout moment à la commission judiciaire la main levée de la mesure, renvoient nécessairement à la pratique actuelle des demandes de mise en liberté en cas de détention provisoire. Il y a donc lieu de redouter la mise en place d’une « chaîne de validation de la décision initiale », comparable à celle que l’on rencontre encore trop souvent en matière de détention provisoire.

    1.2- Une culture de l’enfermement fondée sur une appréciation
    hasardeuse de la dangerosité

    Non sans cynisme, le projet de loi relatif à la rétention de sûreté justifie cette période supplémentaire de privation de liberté par le fait que la sécurité des personnes est nécessaire à la sauvegarde des droits de valeur constitutionnelle. Autrement dit, sans ce texte et sans l’instauration de la rétention de sûreté, les libertés fondamentales seraient gravement menacées.
    Pour rassurer le législateur, l’exposé des motifs indique que plusieurs pays,
    dont les Pays-Bas, « disposent déjà de dispositifs comparables ». Cette référence au droit comparé est hors de propos. En effet, les systèmes européens étrangers auxquels il est fait référence fonctionnent sur des principes très différents.
    Aux Pays-Bas, le placement en « TBS » peut intervenir lorsque la personne a été déclarée irresponsable pénalement ou partiellement irresponsable. Ce placement intervient dès lors en substitution à la peine.

    Il en est de même en Belgique où l’internement intervient en substitution de
    la peine.
    En Allemagne, il existe certes un système de rétention-sûreté après la peine, issu de l’époque hitlérienne, mais il doit être souligné que le système pénal allemand est beaucoup moins répressif que le système français au regard de la durée des peines prononcées et que la mesure de rétention ne peut être prononcée qu’en cas de multiplicité d’infractions ou d’antécédents pénaux.
    En matière de comparaison internationale, l’avant projet aurait pu également faire mention du dispositif actuellement en vigueur en Russie (article 208 du code pénal russe), qui fonctionne selon une articulation comparable à celle du projet de loi français (avis d’une commission médicale validé par un collège de magistrats) et qui permet de mettre à l’écart, sans peine, toute personne présentant une dangerosité sociale... notamment politique.

    1.2.1- L’enfermement encore et toujours privilégié

    Une nouvelle fois, la seule réponse apportée par le Garde des Sceaux aux problèmes posés par la récidive est la prolongation de l’enfermement sans
    limitation de durée. De toute évidence - comme dans le cas des précédentes lois répressives - il n’est pas envisagé de porter la réflexion sur les dispositifs d’insertion et de probation. Dès lors, plusieurs interrogations s’imposent :
    pourquoi ne pas entamer un suivi médico-social effectif dès le début de l’incarcération et attendre la fin de peine pour mettre en oeuvre un suivi consistant ? Pourquoi ne pas envisager de placer la personne condamnée dans un centre « socio-médico-judiciaire » dès le début de la peine ?
    La logique d’enfermement est, en fait, très clairement revendiquée par le projet de loi puisqu’il est précisé que « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus, en matière notamment de visites, de correspondances, d’exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile ».

    1.2.2- Une évaluation douteuse de la dangerosité

    Au-delà du caractère toujours très subjectif de la dangerosité d’une personne, il n’est pas établi à ce jour d’équivalence certaine entre la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique.
    En l’espèce, il doit être noté que le projet de loi prévoit que cette dangerosité sera appréciée par la commission pluridisciplinaire, après expertise psychiatrique.

    Or, un médecin psychiatre n’a aucune compétence particulière pour apprécier une dangerosité criminologique ou sociale.
    Le projet de loi ne prévoit même pas d’expertise en collégialité susceptible d’objectiver les conclusions.
    Confier une telle mission à l’expert procède d’une dangereuse confusion entre maladie mentale et délinquance.
    En outre, les exemples étrangers néerlandais et allemands auxquels le gouvernement se réfère pour justifier son texte démontrent que la question de l’évaluation de la dangerosité est déterminante.
    En effet, aux Pays-bas un centre d’évaluation dénommé Pieter Baan est chargé de déterminer l’existence éventuelle d’un trouble mental, d’évaluer une probable dangerosité ainsi que le risque de récidive. Cette évaluation se déroule sur plusieurs semaines et procède d’une observation pluridisciplinaire et quotidienne de la personne placée dans une situation la plus proche possible de son mode de vie habituel. Cette expertise coûte 1.000 euros par jour et peut durer sept semaines.
    Ainsi, avant de décider d’un placement en « TBS », les autorités néerlandaises se sont données les moyens de porter une appréciation sur la dangerosité la plus objective possible.
    De même en Allemagne, à la suite de modifications ultérieures de la législation, les conditions de l’expertise ont été améliorées. Celle-ci doit être effectuée par des spécialistes soumis à une formation continue et les experts ainsi formés utilisent des méthodes d’évaluation avec élaboration de grilles d’analyses, de manière à homogénéiser les critères d’appréciation.
    L’expertise se déroule sur deux entretiens d’une durée totale de 4 à 6 heures et coûte 4.000 euros.
    Alors que le système qui nous est aujourd’hui proposé sera l’un des plus attentatoires aux libertés fondamentales de nos démocraties occidentales, le texte ne prévoit aucune garantie sur la procédure d’évaluation de la dangerosité.
    Pire, nous savons que le système pénal français manque cruellement de médecins réellement formés à l’expertise et que les médecins aujourd’hui inscrits sur les listes des Cours d’Appel ne font pas l’objet d’évaluation particulière quant à leurs compétences.
    Dans un rapport d’information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses de 2006, les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier préconisaient de renforcer le dispositif expertal français en créant des centres d’expertise pluridisciplinaire où la personne pourrait être observée pendant plusieurs jours.
    Visiblement, le projet de loi ne s’embarrasse pas d’une telle garantie.
    Enfin, dans le même rapport sénatorial, il était indiqué :
    « - il n’existe pas de modèle unique et optimal de traitement des personnes dangereuses. Toutefois, la prise en compte de la dangerosité, au-delà de l’exécution de la peine, doit s’inscrire avant tout dans une perspective d’accompagnement et de thérapie et non de relégation. À cet égard, l’expérience hollandaise peut fournir des orientations intéressantes ;

  • s’il est indispensable de limiter le plus possible le risque de récidive, celui-ci ne peut être dans une société de droit, respectueuse des libertés individuelles, complètement éliminé. Le « risque zéro » n’existe pas. »

    2- LA DECLARATION D’IRRESPONSABILITE PENALE POUR CAUSE DE TROUBLE MENTAL

    Le chapitre du projet de loi relatif à la « déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » pose, du point de vue du Syndicat de la magistrature, deux types de difficultés. En ne permettant pas à la personne condamnée de rester maître de sa propre comparution, il contrevient au principe du droit au procès équitable. Par ailleurs, les sanctions prévues dans l’hypothèse du non respect des mesures de sûreté relèvent de l’aberration.

    2-1 Une atteinte au principe du procès équitable

    L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales pose le principe du droit au procès équitable et rappelle, notamment, que tout accusé a le droit de se défendre lui-même. Avec ce texte, la comparution de la personne concernée devient l’exception puisqu’elle n’est autorisée qu’à la discrétion du président de la chambre de l’instruction qui peut l’ordonner d’office ou à la demande du ministère public ou de la partie civile. L’avis de la personne concernée ou de son conseil n’est jamais sollicité. Or, les conséquences de l’audience sont déterminantes sur les droits de la personne concernée :

  • la première partie des débats porte sur les charges, donc sur l’imputabilité des faits ;
  • des mesures de sûreté sont envisageables à l’issue de l’audience ;
  • la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, bien que ne constituant pourtant pas une condamnation, est inscrite au casier judiciaire.
    Cette inscription est un dévoiement de la fonction initiale du casier judiciaire qui ne doit constituer qu’un relevé de condamnations pénales ou commerciales mais, en aucun cas, un instrument de fichage.

    2-2 Les mesures de sûreté imposées à l’irresponsable

    Le projet de loi prévoit la possibilité - soit devant la chambre de l’instruction, soit en phase de jugement - d’assortir la « déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » d’une ou plusieurs mesures de sûreté pour une durée maximale de 20 ans. En cas de non respect des obligations et/ou interdictions fixées, il est prévu de condamner l’intéressé à la peine de 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende.
    Au-delà du délai anormalement long de la mesure de sûreté, il apparaît pour le moins paradoxal (pour ne pas dire absurde) de prévoir des sanctions pénales pour une personne déclarée ... pénalement irresponsable.

    Dans une tribune publiée par le Journal le Monde le 27 novembre 2007, Robert Badinter a vivement critiqué ce projet de loi en indiquant :
    « Après un siècle, nous voyons réapparaître le spectre de « l’homme dangereux » des positivistes italiens Lombroso et Ferri, et la conception d’un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des Etats totalitaires. »

    Le Syndicat de la magistrature ne peut mieux dire pour refuser un tel modèle de société.