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Le Pays des prisons, le zéro et les choses

Mise en ligne : 5 août 2002

Dernière modification : 15 mai 2005

Texte de l'article :

Le Pays des Prisons, le Zéro et les Chose.

Chronique 2

Après les élections du printemps, certains observateurs évoquèrent une vague d’un bleu marine qui submergea l’hexagonale torpeur. Et ce cheval d’écume courut comme la marée engloutit le paysage à son passage. Vous qu’on ne calcule déjà plus qu’en tant que somme nulle - les gens, l’opinion publique, les sondés, les inscrits et les votants-vous n’y voyez rien de grave ou si peu de chose en somme, une simple alternance indolore.

Mais, en prison, depuis tant de décennies, nous connaissons cette tyrannie unicolore.

Nous survivons au jour le jour sous la bote bleue et nous voudrions aujourd’hui formuler quelques réflexions puisqu’on nous en donne l’occasion.

A la centrale d’Arles, notre existence n’est sûrement pas la même que la votre. Pourtant nous sommes si proches les uns des autres, peut être deux ou trois kilomètres ? Mais nous, nous sommes du pays au delà des longs murs gris au nord de la ville, dans la zone industrielle entre la décharge et la déchiqueterie. De votre ville, nous ne connaissons rien ou pas grand chose. Nous n’apercevons jamais que le ciel. Un bleu uniforme, où que l’on se tourne toujours, nous sommes sous 180° d’azur à peine traversé d’oiseaux et d’aéronefs.

Finalement nous ne sommes plus vos citoyens, nous sommes des étrangers, d’ailleurs certains d’entre vous n’hésitent pas à nous dépeindre en barbares. Mais de cet ailleurs forcé peut-être discernons-nous des choses que vous qui vous laissez ballotter au ronronnement banal du quotidien sous influence, ne voyez pas encore ?

Tout d’abord, nous voudrions vous rappeler, on ne le rappelle jamais assez dans votre pays qui a instauré l’amnésie en valeur suprême de l’ambition politicienne, que dans les livres, quand ils évoquent la vague verte de gris des doryphores, ils oublient de se souvenir que la milice de Vichy avait également choisi le bleu marine.

De tout temps, dans ce pays, l’uniforme de la réaction est avant tout un costume civil et moral , celui du parti de l’ordre contre l’ennemi intérieur, celui qui refuse de marcher au pas, de scander les slogans, de saluer les valeurs des maîtres de l’heure... Et le refuznik qui rejette les modes et les logiques sécuritaires de la guerre civile, doit être proscrit dans le pays satellite de la pénitence pour y être redressé ou éliminé...

Et aujourd’hui l’heure est à la tolérance zéro et à l’impunité zéro, mais aussi au risque zéro et à l’insécurité zéro... Cette négation social répond au caractère dominant de la production néolibérale du zéro défaut... Dans l’entreprise, le contrôle de la qualité totale est le premier des ordres nouveaux où chaque travailleur surveille l’autre pour qu’il soit à la norme et dans la cadence. Il faut individualiser et intérioriser le flic, le « petit chef » et dégueuler des consignes instruites dans les officines de l’ergonomie flexible triomphante. Chaque sujet doit courber l’échine et devenir souple jusqu’à devenir interchangeable et renouvelable à qualité égale, presque nulle.

L’obsession zéro reflète l’attraction du néant et de l’infini.

Quand on parle de zéro, on finit par se souvenir de nos jeux dans les cours de récréation. « Zéro plus zéro égale la tête la Toto ».

Mais aujourd’hui Toto il n’est plus tout a fait humain, il en reste à peine l’enveloppe. Toto est presque absent jusqu’à l’oubli de sa condition d’exploitation. Il est nié et plus il croit qu’il jouit de son libre arbitre plus il se résume à ce rien aliéné.

Les mots de Marx prennent alors tout leurs sens, la libération de l’exploitation et de l’oppression est bien la négation de la négation. L’homme reprend son indépendance en niant le projet du néant.

Mais c’est une autre histoire....

Ici au pays pénitentiaire , depuis belle lurette, le patriotisme des donneurs de coupe de triques a déjà banni du tricolore le rouge. Pas seulement la couleur de la libération, la couleur de certains prisonniers révolutionnaires, mais le rouge jusqu’au sang lui même. S’il s’écoule malgré tout c’est en cachette. Dans cette contrée, la mort est lente. Banale. Le crime doit se draper de naturel comme si l’assassinat était dans l’ordre des choses, qu’il se prescrivait sous l’ordonnance judiciaire comme un médicament frelaté.

Ils ont également banni le blanc. Pour eux, personne n’est innocent. Tous prisonnier est justement châtié, c’est le droit canon de la punition. Et les coléoptères fonctionnaires entrent en guerre civile.

Ils se mobilisent et se protègent dans l’inflation des mesures sécuritaires. Des caméras, des portes blindées, des sas, des fils barbelés à foison, ils son même prêts à faire feu pour un oui ou pour un non. Et impossible de brandir le drapeau blanc. Impossible de dire « Stop ! ». Savez-vous que dans ce pays pénitentiaire, un surveillant peut tuer quelqu’un d’une balle dans le dos sans que jamais un juge ose lever le petit doigt. Ça s’est produit en Cayenne il y a quelques mois de cela. Qui s’en souvient encore ?

Pour être clair et comme notre temps est compté, prenons un fait révélateur, un seul exemple de l’époque qui s’ouvre.

La vague bleue marine nous apporte un sous-ministre des prisons. Un ministre au rabais en quelque sorte !Le secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la justice. Que la sémantique est précieuse pour ne pas appeler un chat un chat, et un ministre des prisons un ministre des prisons.

Mais derrière le nom se cache à peine l’intention et la philosophie de sa mission.

Qu’importe finalement que, dans les citées de Mantes-la-Pourrie, le sieur Bédier ait concurrencé les lepénistes par une surenchère sécuritaire. La cause est entendue, pour les « bleu-marine » tout repose sur l’immobilier, c’est à dire les murs, les miradors, les grilles... Et par défaut nous, les prisonniers, nous apparaissons comme étant le mobilier, nous au m^me titre que les chaises et les tables quand elles peuvent encore bouger. Les lits sont scellés ! Et par les temps qui courent, tous les mobiliers ont tendance à se clouer sur place. D’un côté, les peines augmentant et de l’autre, ils referment les portes, réduisent les activités, les heures de socialité. Dans notre 9m2, nous circulons seulement de la fenêtre à la porte... Hier nous étions des numéros, nous voici renvoyés à l’état d’objet.

Il n’y a eu qu’un prédécesseur à la fonction de Ministre des prisons.

En 1975, après un été multicolore d’incendies et de révoltes, Giscard désigna en hâte une secrétaire à la condition pénitentiaire. Et toute la différence est dans son titre. La condition marque malgré tout l’humanité du prisonnier. Aujourd’hui l’immobilier sanctifie la chosification ultime, la soumission des objets. Finit le temps des beaux projets, des lois pénitentiaires, de la citoyenneté des détenus et ses rapports parlementaires sur « l’humiliation de la République », le sens donné à la réforme est bien celui de l’emballage réactionnaire. Et voici le ministre du rangement et des clapiers ! Le secrétaires aux choses prisonnières.

Et dans ce monde de choses, l’humanité s’évanouit. Le meilleurs des mondes tend à nous réduire à ce rien, à moins que rien, au zéro du néant. Le néant, selon Platon, est inexprimable, voilà pourquoi la condition prisonnière est devenue indicible.

Le néant des choses prisonnières réponde en écho à la tolérance zéro et u zéro défaut de votre pays prétendument autoproclamé berceau des droits de l’homme, mais qu’importe pour les bonnes âmes puisque nous ne sommes plus de chez vous mais d’ailleurs, du pays des prisons...

« La résistance à l’oppression est un droit naturel »

(DELGRES lors du rétablissement de l’esclavage par Napoléon 1802)

Un prisonnier de la centrale d’Arles.