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Souvenirs d’une prison pour jeunes majeurs à Londres

Mise en ligne : 12 février 2009

Texte de l'article :

Souvenirs d’une prison pour jeunes majeurs à Londres

Fresnes, sept. 2008

Il est 2 heures du matin, ce mercredi de février 2003. C’est la fin de la soirée (à Londres, les boites de nuit ferment tôt). Nous sortons d’une boite de nuit très à la mode, dans la cohue générale. Un type attrape le bras de Natacha ; elle se retourne et lui met une claque. Je ne réfléchis pas ; je m’avance vers le type et le bombarde de coups ; il se défend. Lui comme moi, nous sommes défoncés, donc mentalement invincibles - sauf que tout se passe sous les caméras londoniennes (une tous les 8 mètres). Les flics arrivent et nous embarquent, menottes au poignet. Je m’arrête pour donner à Natacha les clés du 4x4. A l’intérieur de mon poing, le sachet de cocaïne. Mais l’agent de police n’est pas né de la dernière pluie ; il nous a vus ; il saisit le sachet et me met dans le car. Je pars avec la « victime ». On discute, on se marre, on a oublié la bagarre. Nous sommes officiellement en garde de vue. Je ne m’inquiète pas ; pour moi, tout est question d’argent, et j’en ai.
Jeudi matin. Je passe devant les juges, qui m’écrouent à la prison de South Worth, au sur de Londres. Mon avocat m’explique que je dois comparaître à nouveau le mois prochain, à la même date, le temps des investigations. Ils décideront à ce moment-là si je peux demander une liberté sous caution. Mon avocat veut plaider la relaxe ; je lui fais confiance : ce sont des amis nigérians (trafiquants en place) qui me l’ont envoyé.

J’arrive à South Worth. ? C’est la première fois que je vais en prison. Je panique un peu - il faut dire que je n’ai que 19 ans, et même si j’ai gagné beaucoup d’argent, je ne suis qu’un détenu comme les autres. Je passe les multiples portes et fouilles, et j’atterris en salle d’attente. Un officier vient nous voir, sourire aux lèvres (ce qui me surprend), il nous demande à chacun si cela va. Je suis étonné : cela change des flics français. Il reste avec nous, nous propose des cigarettes à ceux qui n’en ont pas. C’est surprenant : pas de rapport de forces ; il cherche la cohésion. Au fond, son but n’est-il pas de faire en sorte que le rapport surveillant/ détenu soit vécu le mieux possible.
Quatre assistantes sociales viennent nous chercher et nous reçoivent un par un. Pour moi, c’est une dame d’une quarantaine d’années qui m’appelle. Elle me sert la main, avec un grand sourire, et me fait signe de la suivre. Je m’assois, je me présente ; elle me parle et me rassure. Le pire, c’est que ça marche : je m’apaise, je l’écoute, je lui fais confiance.
Je quitte son bureau, et l’on m’accompagne prendre mon paquetage, composé de chaussettes, survêtements, nécessaire de toilette, tee-shirt et serviettes. Le principe est que chaque détenu doit être au même rang que les autres : pas de signes de richesse, pour éviter les inégalités. Cet état d’esprit me paraît intéressant.
Je descends au réfectoire pour dîner, et là, surprise, un « buffet » ! Je prends un plateau et l’on me sert, au choix : frites, haricots verts, riz, purée, viande rouge, poisson, desserts et fruits... On se serait cru au Flunch, sauf que c’est un détenu qui nous sert, et que ce n’est pas à volonté (faut pas pousser, quand même !). Quand je suis armé de mon plateau, un surveillant me place à une table avec d’autres détenus (ce qui évite l’isolement). Je remarque qu’ils sont tous très jeunes. Je demande pourquoi, et l’on me répond qu’à South Worth, il n’y a que de jeunes majeurs. Le but de l’établissement : éviter la récidive. C’est pourquoi l’on nous encadre, on nous parle...

21 heures. Je fais connaissance de mon co-détenu. Il s’appelle Charles, comme le prince. Lui, il a été condamné à 15 mois d’emprisonnement pour un braquage. Il m’aide à m’installer. La cellule est grande ; je remarque qu’il y a un cabinet de toilettes à part (et non à l’intérieur, comme dans les prisons françaises). Il y a un maximum de deux détenus par cellule, et plein de petits plus qui changent le quotidien.
Je me couche. Exténué, je m’endors.

Le lendemain, 7 heures, petit déjeuner : on va au réfectoire, et là, re-buffet : café, thé (on est en Angleterre, n’est-ce pas ?), chocolat chaud, brioche, fruits au choix.
9 heures. L’assistante sociale vient me voir dans ma cellule, accompagnée d’un surveillant. Elle me dit que les 240 £ que j’avais sur moi quand j’ai été arrêté ont été crédités sur mon compte. Elle m’explique le système des cantines (tu commandes ; tu reçois le lendemain). Tous les produits concernant l’hygiène personnelle sont gratuits. La douche est quotidienne, et obligatoire (encore une différence avec la France).
Très vite, je constate que le dialogue, le respect, l’écoute, la solidarité et la discipline sont les piliers de cette prison. L’assistante sociale me parle de formation professionnelle. Je m’intéresse aux espaces verts (recherche de liberté, peut-être). Elle me dit « OK », et m’informe que demain, à 9 heures pile, il faut que je sois debout, propre, habillé, déjeuner avalé.
Elle me dit qu’ici, ils responsabilisent le plus possible les détenus. Pas de sanctions, mais pas non plus de récompenses si l’on n’est pas assidu. Tous nos faits et gestes sont notés, étudiés, analysés. Chaque semaine, l’établissement nous attribue une note (sur 10), et explique ses critiques et ses compliments. Ce rapport hebdomadaire est ajouté à notre dossier, et compte pour 50% auprès du juge pour notre libération. La liste comporte plusieurs critères : hygiène, propreté, assiduité, sociabilité, générosité, solidarité et respect. Les surveillants sont de vrais travailleurs sociaux, et non des vigiles de supermarchés. A South Worth, pas de clans, pas de personnes isolées. On prête attention au partage et à l’entraide, ce qui nous rend (pour certains) plus humains. Dès qu’un détenu ne va pas bien, il est encadré et poussé à la guérison par les autres. Ce système, cette ambiance générale sont très efficaces, car ils vous font oublier l’enfermement et les frustrations personnelles. Tout cela ne coûte pas un euro à mettre en place : ce n’est pas qu’une question d’organisation et de bonne volonté.
L’accès au sport est très simple : on demande 24 heures à l’avance, et on y va le lendemain. On doit s’inscrire à chaque fois, ce qui responsabilise : on ne devient pas un assisté à qui il faut rappeler qu’il doit aller au sport. Si on oublie, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même. La télévision est gratuite, ce qui, là encore, combat les inégalités.
J’ai cohabité avec de braqueurs, des dealers et des trafiquants. En un mois de mandat de dépôt, je n’ai vu aucune bagarre, aucune insulte, aucun geste ou parole déplacés. Ce qui prouve que le système marche plutôt bien.
Travail, formation, apprentissage sont très fragiles d’accès ; il suffit de s’inscrire. Pour les étrangers, des cours d’anglais sont proposés, avec des livrets de programme traduits en plusieurs langues. Tout ceci ne coûte pas grand-chose à mettre sur pied. Dans l’auditorium, on observe des Turcs, des Afghans, des Chinois, Polonais, Brésiliens et autres, tous en train d’apprendre l’anglais. Je me rappelle une discussion avec un Turc, qui me confiait : « C’est un bien dan un mal. Certes, je suis en prison, mais maintenant, je comprends l’anglais. Mon patron va enfin devoir arrêter de m’escroquer. Et c’en est fini de la frustration de ne pas pouvoir se faire comprendre. ».

Sidiq