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Seringues et cames en prison

Mise en ligne : 5 août 2010

Dernière modification : 9 janvier 2012

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Texte de l'article :

Actuellement dans les prisons françaises les taux de prévalence (nombre de personnes contaminées) et d’incidence (nombre de contaminations sur une période donnée) du VIH et du virus de l’hépatite C (VHC) sont extrêmement élevés : 4 à 5 fois plus de VIH et 5 à 8 fois plus de VHC. Les contaminations sont notamment dues à l’inaction du ministère de la Santé et de la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie) et aux obstacles posés par l’administration pénitentiaire à la mise en place de la réduction des risques liés à l’usage de drogues (RDR) en prison.

Au même moment sont publiés le rapport INSERM relatif à l’expertise collective sur la réduction des risques liés à l’usage de drogues (24 juin 2010) et l’avis du Conseil National du Sida et de la Conférence Nationale de Santé sur le plan national VIH/IST 2010-2014 (28 juin 2010). Ces deux communications d’une haute valeur scientifique et politique prônent la mise en place immédiate de la RDR, particulièrement des programmes d’échanges de seringues en prison et dénoncent l’inaction de l’Etat français. Pour que cesse l’hécatombe, arrêtons d’incarcérer les usagers de drogues pour ce motif et faisons entrer légalement les seringues en prison !

En France, l’usage de drogues est interdit, il est même sévèrement réprimé. Pourtant la consommation existe, également en prison. Oui, des personnes incarcérées en France consomment de la drogue par injection et de manière croissante compte tenu de l’arrivée massive de l’héroïne. Faute d’accès à du matériel de prévention, elles fabriquent leurs seringues avec des stylos, se partagent ces seringues de fortune... et multiplient ainsi les risques de contamination au VIH et à l’hépatite C (VHC) ; particulièrement dans les maisons d’arrêt souffrant de surpopulation carcérale chronique.

Ainsi chaque année, des centaines voire des milliers de personnes se contaminent. Bien qu’on ait très peu de données fiables et récentes, toujours en attente des résultats de l’enquête PREVACAR (DGS/InVS), nous savons que :

Si 98% des usagers de drogues connaissent leur statut vis-à-vis du VIH, près d’un tiers méconnaissent leur statut vis-à-vis du VHC et se croient indemnes d’une telle infection.

43% des UDIV actifs avant incarcération continuent à s’injecter en prison, parmi eux 21% partagent leur matériel. 13 à 23 % des injecteurs de drogues incarcérés ont démarré l’injection en prison.
 
Or, rien n’est fait pour prévenir les risques de contaminations liés à l’usage de drogues par injection en prison. La position idéologique criminelle du ministère de la Justice consistant à nier toute présence de drogues en prison ainsi que la passivité coupable du ministère de la Santé ne se donnant pas les moyens de prévenir ces contaminations, alors qu’ils existent et ont largement fait leur preuve, concourent à la catastrophe sanitaire à laquelle nous faisons face. La situation est d’autant plus grave et urgente que l’épidémie continue de se répandre et les contaminations de se multiplier de façon totalement clandestine sans aucun contrôle épidémiologique ni dépistage VIH/VHC sérieux.

Le constat est simple : l’usage de drogues par voie intraveineuse augmente les risques de transmission des maladies infectieuses au sein d’une population carcérale dont la prévalence VIH est deux à quatre fois supérieure à celle de la population générale et la prévalence VHC cinq à huit fois supérieure. Actuellement, des centaines de personnes sont en train de se contaminer mettant ainsi leur vie en danger dans l’indifférence générale et l’inaction criminelle des ministères de la Santé, de la Justice et de la MILDT.

Qu’attendent les pouvoirs publics pour agir ?

Les cadres légaux français, européen et international imposent aux pouvoirs publics d’assurer l’équivalence de prise en charge sanitaire entre la prison et le milieu libre. Les multiples exemples étrangers, les très nombreuses études scientifiques, les divers rapports et recommandations sont tous unanimes : l’Etat français doit immédiatement mettre en place une véritable politique de réduction des risques en prison, à commencer par la mise en place des programmes d’échanges de seringues. Par exemple, il y a plus de quinze ans que le Conseil national du Sida souhaite une réforme du dispositif de RDR au sein des établissements pénitentiaires et recommande l’instauration des PES (avis du 10 septembre 2009).

Les Programmes d’échanges de seringues en prison ont déjà fait leur preuve dans de nombreux pays : en Allemagne, Moldavie, Biélorussie, Kirghizstan, Australie, Canada, Iran... L’Espagne est en tête des pays européens appliquant l’échange de seringues en prison, depuis 2010 ces programmes sont généralisés. En Suisse, les seringues sont désormais remises en mains propres ou sont accessibles par le biais d’automates présents dans la prison.

Les pouvoirs publics nient la présence de drogues en prison alors qu’elles circulent de manière exponentielle et incontrôlée. Certes, mettre en œuvre des programmes d’échanges de seringues dans tous les établissements pénitentiaires français conduit à reconnaître implicitement que la drogue existe au cœur même du symbole répressif que constitue la prison, qu’elle y est même consommée et cela constitue un véritable constat d’échec de la politique répressive menée avec vigueur depuis la loi du 31 décembre 1970 en matière de stupéfiants. La situation sanitaire actuelle des usagers injecteurs de drogues en prison est telle qu’il ne s’agit plus de savoir si on est pour ou contre l’usage de drogues mais constater cette réalité et y répondre en prévenant les risques de contamination au VIH et au VHC avec les mêmes outils que ceux ayant démontré leur efficacité en milieu libre et à l’étranger : par une véritable politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues en prison.

Assez de postures idéologiques, aussi discutables qu’inefficaces, place au pragmatisme et aux mesures qui marchent ! Des vies humaines sont en jeu et le principe de précaution sanitaire doit prévaloir sur la politique du tout sécuritaire.

L’expérience a prouvé l’efficacité des outils de réduction des risques liés à l’usage de drogues utilisés en milieu libre et dans les prisons étrangères, allant de l’éducation à la santé et l’administration responsable et éclairée de traitements de substitutions aux opiacés aux libres accès aux kits d’injection, de sniff et à la mise en place de salles de consommation à moindre risque.

Il est grand temps de contourner les obstacles idéologiques reposant sur une politique du tout répressif et du tout sécuritaire qui, en plus d’être inadaptée et inefficace, s’avère criminelle. Il est démontré que la mise en place des outils de RDR n’incite pas à la consommation ni à l’accroissement de l’insécurité au sein des lieux de détention. Au contraire, ils préviennent avec efficacité la transmission des maladies infectieuses et encadrent la pratique de l’injection en contribuant à la diminution des surdoses et des abcès. Cependant, il conviendrait d’éviter toute incarcération de la population toxicomane en privilégiant une meilleure prise en charge en milieu libre grâce aux alternatives à la détention provisoire, à l’incarcération et aux aménagements de peine.

Là où les programmes d’échanges de seringues sont appliqués, aucun cas nouveau de contamination par le VIH ou le VHC n’a été constaté, le partage des seringues usagées a presque disparu, la consommation de drogues n’a pas augmenté et aucune seringue n’a été utilisée comme arme. Le médecin-chef et le directeur de la prison de Genève confirment la parfaite faisabilité du programme d’échange de seringues mis en place dans leur établissement ainsi que son acceptation par les personnels médicaux et pénitentiaires.

L’état actuel de nos prisons correspond à la situation sanitaire des années 80 en France où l’échange de seringues était interdit en pharmacie, ce qui a contribué à la contamination donc à la mort de milliers d’usagers de drogues.

En vertu de quel principe, de quelle morale doit-on laisser la population carcérale se contaminer ?

Pour que cessent les contaminations multiples en France, une véritable politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues en prison doit immédiatement être mise en œuvre. Il doit être mis fin aux pratiques en cours (résultats préliminaires de l’enquête ANRS/Sidaction PRI2DE) : aucune seringue n’est explicitement distribuée, peu de prisons distribuent des kits de sniff, de l’eau de javel est distribuée mais elle est insuffisamment dosée et n’empêche pas la contamination au VHC. La prescription et l’administration de traitements de substitutions aux opiacés (TSO) n’est pas encore acquise et le pilage et la dilution se pratiquent. Peu d’établissements pénitentiaires ont ouverts leurs portes aux CAARUD et aux associations de lutte contre le sida et les hépatites afin qu’ils puissent assurer un suivi individuel et des ateliers de prévention et d’éducation à la santé.

Par ailleurs, le coût du traitement de l’hépatite C est considérable. Or la majorité des traitements de l’hépatite C ainsi que les transplantations hépatiques concerne des usagers de drogue. Sur les décennies à venir, ce sont donc plusieurs centaines de millions d’euros qui pourraient être économisés. Le coût dérisoire des mesures à mettre en oeuvre pour réaliser une telle économie permettra peut-être de surmonter les réticences idéologiques ou politiques[1].

Pour toute solution, le « plan d’actions stratégiques sur la prise en charge sanitaire des personnes détenues » fièrement annoncé par les ministres de la Santé et de la Justice lors de leur visite de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy le 29 avril 2010 est extrêmement timoré en matière de RDR puisqu’il ne prévoit pour l’instant que la réalisation d’un état de lieux pour... 2012 !

L’Etat français a un comportement illégal et discriminatoire à l’encontre des personnes incarcérées usagères de drogues. Il s’agit, d’après le code pénal, d’un cas avéré de non assistance à personne en danger, c’est un scandale à la hauteur de celui du sang contaminé. Si la France ne veut pas de se voir condamnée pour les conditions dans lesquelles les personnes incarcérées sont prises en charge, elle doit immédiatement mettre en œuvre :


- l’accès à des kits d’injection, des kits de sniff (mise en place des distributeurs automatiques de kits comme en Suisse)


- l’ouverture d’ateliers d’éducation à la santé et de prévention (par l’intervention des CAARUD et associations de lutte contre le sida, formation des personnels soignants et pénitentiaires)


- une préparation à la libération afin d’éviter les overdoses à la sortie liées à l’absence de prise en charge et d’accompagnement
 

* * *

Rapport INSERM, 24 juin 2010

« La prison est un lieu à haut risque infectieux ; la proportion de détenus sous TSO augmente ; des besoins ne sont pas couverts en France : les consultations spécialisées (infectiologie, hépatologie, psychiatrie), des expériences diverses de distribution d’eau de javel et des conditions d’accès aux préservatifs encore insatisfaisantes, pas de programmes d’échange de seringues, pas de politique réelle de réduction des risques en prison

Le groupe d’experts recommande un principe d’équité d’accès aux soins et aux mesures de RDR entre prison et milieu libre ; de surveiller la couverture des besoins en matériel d’injection et de développer des programmes d’échange de seringues et de rénover les matériels obsolètes »

Avis CNS et CNS 28 juin 2010

« (...) La réduction des risques en matière d’usage de drogues demeure limitée et peu homogène sur le territoire en dépit d’une forte prévalence du VIH/sida et des hépatites constatée à l’entrée de nombreux établissements pénitentiaires (enquête DREES 2003), d’une proportion importante d’usagers de drogues injectables dans la population carcérale et de pratiques clandestines avérées d’injection au sein de certains établissements pénitentiaires. La mise en oeuvre et la généralisation des dispositifs de réduction des risques à l’efficacité et à la faisabilité prouvées tels que les programmes d’échanges de seringues, par ailleurs accessibles en milieu libre, demeurent durablement bloquées. (...) »

Source : http://www.cns.sante.fr/IMG/pdf/201....

A bientôt sur le BLOG pour la suite...

Laurent JACQUA

Pour tout contact laurentjacqua@yahoo.fr