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Prisons dans le monde

Sénégal : Daouda Diouf, « En prison, j’ai pensé au suicide »

Mise en ligne : 7 décembre 2006

Texte de l'article :

DAOUDA DIOUF, ALIAS REQUIN
« En prison, j’ai pensé au suicide »

Requin. Un animal ? Non. Un surnom. Et c’est plutôt Requin-tigre noir. De ces surnoms qui renvoient à la pègre où seule prévaut la loi du plus fort. C’est celui d’un jeune Sénégalais qui a cherché à survivre dans la banlieue et dans la détention avec comme armes : sa foi et son rasoir. Et un digest qui pourrait se résumer ainsi : Nom ? Requin-tigre noir. Profession ? Coiffeur-rappeur. Statut ? Ancien détenu provisoire... Requin-tigre noir n’est pas seulement un surnom, c’est aussi toute une histoire. Celle d’un homme, Daouda Diouf, qui s’est retrouvé à un jeune âge dans les liens de la prévention. Et voilà qu’après cinq années, six mois et quatre jours de détention, il recouvre au mois de juillet dernier les siens. Libéré par Dame Justice, celle-là même au nom de quoi il a été arrêté, torturé et emprisonné... et qui a rendu justice à des présumées victimes qui l’avaient dénoncé pour se rétracter le jour de son procès. Accusé d’avoir participé à un règlement de comptes, ensuite de meurtre, il est aujourd’hui libre de toutes poursuites. Le verdict est tombé le 14 juillet dernier : l’accusé est acquitté. Et c’est tout. Pas d’excuses. Encore moins de dédommagement. Alors c’est un homme aigri, mais avec plein d’espoir en l’avenir, qui, en allant s’inscrire pour avoir une carte nationale d’identité et faire valoir ses droits civiques, passe au journal Le Quotidien. Vêtu d’une chemise bleu ciel et d’un pantalon Jean délavé, cheveux coiffés en style « zoulou », il a voulu raconter sa rage pour avoir payé plus de cinq années de sa vie, un crime qu’il n’a pas commis, pour dire toute son amertume contre les lenteurs judiciaires, mais surtout pour conter sa vie carcérale, fort enrichissante. De la prison et ses célébrités de ces dernières années comme Madiambal Diagne, Idrissa Seck, ou Massata Diack qui ont eu à lui confier leurs têtes, pour une belle coiffure. La peur au ventre. Un sentiment qu’Hassan Farez co-inculpé de l’ancien Pm n’a pu connaître. « Je ne confie pas ma tête à un requin » avait-il répondu à ceux qui lui recommandaient les talents de ce Requin, aux yeux rouges. Pourtant c’est cette activité qui lui permettait d’envoyer un peu d’argent à sa mère. Ses oreilles sont percées, mais il ne porte pas de boucles d’oreilles. Il n’aime pas trop les reporters photographes. « Il a pris trop de photos, (notre) photographe » qu’il regarde avec méfiance. « Il me rappelle la Dic », s’explique-t-il, après avoir été convaincu de se soumettre aux flashes... Entretien.

IDENTITE

« Je m’appelle Daouda Diouf, dit Gora. C’est la dure vie de la banlieue qui m’a valu le surnom de Requin. Quand j’ai vu certains jeunes avec qui j’ai grandi vivre des situations difficiles, nos aînés aller en prison, d’autres mourir d’une mort atroce, d’autres perdre des parties de leurs corps.chaque jour, je me suis donné le nom de requin. Le requin est féroce dans la mer, moi aussi je le suis avec la parole. En fait mon surnom, c’est Requin-tigre noir. Il y avait beaucoup de malfaiteurs dans mon quartier, mais j’ai toujours essayé d’être du bon côté. Dans mon quartier, il y a des vieux qui ont été de grands bandits, maintenant ils ne peuvent plus rien faire et ont des enfants partout, passent la nuit dans les poubelles. J’ai vu tout ça. Dieu m’a donné la chance de pouvoir réfléchir et bien faire.

J’ai été un enfant qui a appris très vite la sérigraphie, la peinture avec un de mes aînés et la coiffure qui me permettait de gagner beaucoup d’argent lors des fêtes de fin d’année. J’en ai fait un métier. D’autant que c’était assez lucratif au point que les gens se demandaient si je ne volais pas cet argent, mais j’ai expliqué à ma famille ce que je faisais, et comment je gagnais ce que je partageais avec eux. »

TORTURE

« Je n’ai jamais agressé de ma vie. Seulement j’ai eu à témoigner à décharge pour un ami, devant le juge sans pouvoir lui éviter la détention. Après des années d’emprisonnement, il nourrissait une rancune contre ma personne. Et un beau jour, alors que je buvais du thé, des policiers ont débarqué chez moi, sous prétexte que j’avais pris part à un règlement de comptes entre Thiaroye et Guédiawaye. Ils m’ont embarqué pour la Police centrale malgré mes dénégations et mes tableaux d’art pour leur expliquer que je suis un artiste et que je n’ai pas le temps de me battre. Et que la personne qui m’a accusé, sait bien que je n’ai pas pris part à cette bataille rangée.

Après, les policiers, dont je me souviens de leurs noms, m’ont emmené à la mer pour tester mes capacités de résistance, du fait de mon surnom. Mais surtout pour me faire avouer, non plus la participation à une bataille rangée, mais un crime commis sur un commerçant aux Parcelles assainies. Ce que je ne pouvais faire car je n’en savais rien. C’est eux qui m’ont donné l’information.

Ensuite ils m’ont ramené à la Police centrale où ils m’ont dévêtu et torturé à l’électricité, avec des fils de courant branché sur l’orifice de mon sexe, alors que d’autres étaient scotchés à mes testicules qu’ils ont aspergées de diluant. Pour m’empêcher de crier, les policiers ont rempli ma bouche avec des papiers journaux, après m’avoir menotté. Ils m’ont expliqué après quoi, qu’il fallait balancer la tête de haut en bas pour avouer. Mais je faisais toujours le geste contraire pour dire non, malgré leur décharge électrique. Après plusieurs séances, un des policiers leur a intimé l’ordre d’arrêter car mon innocence se lisait dans mes yeux, et que j’étais le seul suspect arrêté à domicile. Je pouvais m’estimer heureux car d’autres étaient torturés devant leurs parents. C’était très dur. C’était horrible. J’ai été torturé à la police de Yarakh, mais il y a un autre endroit qui sert de lieu de tortures, il se situe entre Castors et Yarakh. Je ne suis pas passé là-bas, parce que les policiers n’avaient pas trop de soupçons sur moi. Mais Alou Narry Ticko, lui, est passé par là-bas. A sa sortie, il avait les fesses rougies. Elles ont été brûlées.

Le plus dur, je l’ai subi à la Police centrale. C’est la commissaire Anna Sémou Faye qui était chargée d’enquêter sur moi. Je lui ai expliqué que je ne savais rien de ce qu’on me rapprochait. Je lui ai même parlé des tortures. Mais elle n’a voulu rien entendre, sous prétexte que j’avais intérêt à raconter ce qui s’est passé, au risque de moisir en prison. Je lui ai répondu que je ne pouvais répondre de quelque chose que j’ignore et que je ne pouvais pas accuser des gens comme ça. Là, elle m’a dit que si je n’avouais pas, qu’elle allait me sacrifier. Et elle l’a fait. On m’a sacrifié. J’ai fait la prison pendant cinq ans, six mois et quatre jours. Après cette étape, on m’a présenté au juge devant qui j’ai trouvé un certain Cheikh Ahmadou Bamba Diallo. C’est avec lui que j’aurais commis l’agression contre ce commerçant. C’est là qu’on m’a inculpé et déféré à la Mcad où j’ai été détenu. Devant le juge, on m’avait dit des noms mais la seule personne que je connaissais, c’est celle qui m’avait accusé à tort, Pape Ndiaye Cissé qui m’avait mis dans ce pétrin. Les autres passeront comme moi devant la Cour d’assises. Certaines ont été condamnées à perpétuité, d’autres à 15 ans de prison ferme. Moi, j’ai été acquitté. »

REBEUSS

« J’ai eu un moment de faiblesse, et j’ai pensé au suicide. Pendant un mois, je n’arrivais pas à croire ce qui m’arrivait. Une fois, je me suis réveillé en pleine nuit, croyant juste vivre un cauchemar. Il a fallu que je me brûle avec mon briquet pour me convaincre que j’étais en prison. Le pire c’est que je voyais chaque jour, celui qui m’avait accusé. Je me sentais impuissant, mais je gardais foi en Dieu. Je m’étais fait une religion : c’était mon destin. Dieu l’a voulu ainsi. Le chemin du bonheur est parfois semé d’embûches.

Après la fouille corporelle, la prise d’empreintes et les filiations, c’est la détention. On m’a conduit à la cellule 9 où j’ai fini par être chef de chambre. Alors que je me disais que je ne ferais pas quinze jours de prison, il m’a fallu affronter la réalité carcérale des années durant : les petites combines, les délations, la jalousie, mais surtout s’imposer dans la prison. Au début, j’avais mal, très mal même. Je n’arrivais pas à comprendre qu’on puisse me garder en prison, sans être jugé pour une affaire que je n’avais pas commise. Et mon cas n’est pas une exception. Il y en a qui ont fait sept ans et qui ont été acquittés après leur jugement. Et comme ça on te dit que tu n’as rien fait. Tu n’es coupable de rien. D’autres, après sept années de détention préventive, se retrouvent avec des peines de 4 ans de prison. Ou d’autres encore qui ont fait quatre ans de détention préventive et qui se retrouvent avec une peine d’un mois ferme. Ils sont nombreux les prisonniers qui sont dans ces situations. »

« Mes parents et mes proches me posaient plus de soucis. Mon père et ma mère savent que je ne pourrais jamais faire quelque chose de mauvais. Mais les autres membres de ma famille m’ont abandonné, me considérant comme un bandit. Or c’est par erreur que j’ai atterri en prison. Et toute la détention durant, je ne voyais que mon père et ma mère et mes petits frères et sœurs. Heureusement que j’ai fait la connaissance de ces hommes politiques et autres personnalités qui m’ont beaucoup aidé. D’ailleurs, il y a un détenu qui est presque aveugle en prison et qui m’a demandé de dire à Idrissa Seck de lui trouver de l’argent pour qu’il puisse être opéré. Je lui ai dit d’écrire une note que je vais essayer de remettre à Idy. »

MADIAMBAL DIAGNE, JEAN-PAUL DIAS, FARES, LATIF GUEYE... STARS A REBEUSS

« J’avais déjà un métier qui était la coiffure et les tableaux que je dessinais. C’est à la Mcad que j’ai connu Madiambal Diagne, Idrisssa Seck, Jean-Paul Dias, Abdou Latif Guèye, Massata Diack. Et je les coiffais tous. Je sais que si je n’étais pas honnête je n’aurais jamais connu toutes ces personnalités, car je n’ai jamais partagé leurs cellules. J’étais au deuxième secteur et ils étaient à Apalla où se trouvaient les chambres 42 et 43. C’étaient les meilleures chambres, parce qu’au moins chacun avait son lit. Alors que dans notre secteur, on se partageait des matelas. »

Au début, je ne connaissais pas Madiambal Diagne. C’est un détenu âgé nommé Diagne qui m’a contacté quand Madiambal a voulu se raser. Je n’avais pas encore de tondeuse, j’ai pris un peigne et une lame (rires). Il m’a demandé mon nom, j’ai répondu « Requin ». Il a levé la tête, m’a regardé et a demandé si « Requin était un nom ». « Oui. Cela étonne beaucoup de monde. Ce n’est pas un nom de malfaiteur qui m’est venu comme ça », lui ai-je expliqué. En général, je n’attends même pas qu’on me demande mon nom. Pour que les gens n’aient pas peur de moi, je me présente d’emblée : « Je m’appelle Requin, je suis rappeur. »

Alors j’ai rasé Madiambal et il a apprécié. C’est ainsi que je lui ai expliqué que c’est mon métier, que je suis aussi artiste. On a bavardé un peu et comme il venait de recevoir un colis, il me l’a offert. Le lendemain, on s’est retrouvé dans la cour, on a parlé de mes textes que j’écrivais sur la vie en prison, et sur ma propre histoire et celles d’autres détenus qui se confient à moi.

J’ai toujours été quelqu’un de tranquille, je ne me battais pas. Et des gens comme Madiambal m’envoyait des cahiers et des stylos, j’écrivais mes textes, je mettais la musique instrumentale et je chantais. Je faisais aussi l’appel à la prière et c’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Abdou Latif Guèye. Durant le Ramadan, je me levais tôt pour faire l’appel à la prière. Il était surpris. Il ne comprenait pas que je sois coiffeur, peintre, muezzin et rappeur. On m’a mis en rapport avec Jean-Paul Dias qui m’a demandé de le raser. Je lui ai même récité mes textes de rap. Il a pris mon nom et m’a promis de prévenir Idy, à la veille de mon procès. Ce qu’il a fait.

Vous savez, je ne mangeais pas les repas de la ville. Tes ennemis peuvent en profiter et y mettre quelque chose. C’est pour cette raison d’ailleurs que les Jean-Paul Dias, Idy et autres recevaient leurs repas dans des boites fermées à clé. Comme moi je ne pouvais avoir cela, je ne mangeais pas ce qui venait du dehors de la prison. J’ai demandé à ma mère de ne pas se fatiguer à m’amener des repas, parce que je ne les mangerais pas. Je gagnais dans la journée 6 à 7 mille francs Cfa, mais on interdisait d’avoir de l’argent en prison. Mais comme j’étais un coiffeur et les gens me donnaient parfois de l’argent parce que j’étais poli, il arrivait que je me paye des sandwiches, des œufs, du café, du lait, ou je me contente seulement des repas de la prison. »

LA TETE DE IDY

« Pour Idrissa Seck, c’est un autre co-détenu qui lui rasait la tête. Mais il s’est battu un jour avec un autre détenu et il a blessé ce dernier, ce qui lui valu la cellule punitive. Alors je l’ai remplacé. Le premier jour, Idrissa Seck était avec Hassan Fares. J’étais habillé en tee-shirt noir, sur lequel, il était écrit : « Requin-tigre-noir représente Guédiawaye. » Il m’a regardé, et c’est la question et la réponse habituelles à propos de mon nom. Les gardes pénitentiaires lui ont précisé que je suis un rappeur.

Alors Idy m’a demandé le prix de mes services, je lui ai répondu qu’on n’en était pas là et que je le fais avec plaisir. Là Hassan Farès a dit : « Moi, quelqu’un qui se nomme requin ne me rase pas. Je ne confie pas ma tête à un requin. Et puis toi tu es mon Président, je n’accepte pas qu’un requin te rase. » Et je ne l’ai jamais rasé, bien que Idy lui ai dit : « Non c’est son visage..., mais il n’y a rien de mauvais dans son cœur. Il sera mon coiffeur. »

Et quand je lui rasais la tête, si je fais descendre une de mes mains, il se retournait pour voir ce que je faisais avec (rires). Il n’était pas tranquille du tout. Ce qui m’amusait. Il était aux aguets à chaque fois que je baissais un bras. Mais finalement on est devenu des amis, on discutait, et j’allais dans sa cellule pour lui raconter mon histoire. Je lui ai même présenté ma mère. Il m’apprenait le Coran, et m’offrait beaucoup de choses. Il me conseillait beaucoup et me demandait de redoubler d’efforts pour être meilleur à ma sortie de prison.

A l’approche de mon procès devant la Cour d’assises, j’ai fait en sorte de contacter Jean-Paul Dias pour qu’il informe Idrissa Seck qui a demandé à son avocat, Me Djbril Diallo, de me défendre. J’ai été acquitté. Seulement, il était facile de défendre, parce qu’aucun de ceux qui, soit-disant, étaient mes complices, ne me connaissait. L’audience a duré deux jours, certains ont eu des peines de perpétuité, d’autres des peines de 15 ans et moi j’ai été acquitté. »

ROUTINE CARCERALE

« Je suis aussi un rappeur et je vivais ma passion dans la prison Cela me changeait de la routine carcérale : bain, petit-déjeuner, sport, promenade, déjeuner avant de retourner dans les chambres. Il nous arrivait d’organiser des séances de lutte. Maintenant, on nous permet de regarder la télé. Certaines personnes faisaient les tours des chambres pour raconter la vie des érudits comme Cheikh Ahmadou Bamba. C’était une façon de nous endormir, pour faire la sieste. Parce que les chambres étaient surpeuplées, et pour un rien, les détenus se battent. J’étais chef de la chambre qui hébergeait les détenus les plus dangereux de Rebeuss. Il y avait le danger en permanence. Mais j’avais conscience de devoir un jour rendre compte au Bon Dieu de mon comportement avec ces détenus dont j’étais le chef. Le rôle du chef de chambre est de servir les repas, de partager tout ce qui entre dans la chambre. J’avais un homme de chambre et un encadreur qui me secondaient. Je me disais que je n’avais rien fait de mal pour atterrir en prison et il n’était pas question que je fatigue les détenus qui étaient sous ma coupole. Je devais faire en sorte que quand on servait les repas, qu’aucun détenu ne marche, quand on fait l’appel qu’ils enlèvent leur walk-man, qu’ils enlèvent leurs bonnets ou casquettes, et répondent « Présents ». On balayait les chambres tous les jours, vidait les poubelles et tous les dimanches, on les lavait à grande eau, avec des détergents. Tous les matins, on lavait les toilettes et ceux qui étaient chargés de le faire avaient droit à trois pots de riz gras, alors que nous en avions qu’un seul.

Maintenant les choses ont changé et nous avons droits à deux pots et demi de ration de riz. Eux, ils en reçoivent six. Ils lavent les toilettes et les ustensiles de cuisine. Au début, on disait que, chaque jour, il y a quatre détenus qui lavent les ustensiles et les bols et quatre autres qui lavent les toilettes. Mais finalement, trois détenus ont été choisis pour faire ces corvées. Pour laisser les autres se reposer, surtout les détenus âgés. Pour ces derniers, on leur cherchait plutôt une bonne place pour se coucher, quand on faisait du thé, ils étaient les premiers à être servis. Nous écoutions de la musique aussi. Depuis 1997, je dois dire que ceux qui veulent rester dans le bon chemin, peuvent le faire en prison.

Pour moi, la Maison centrale d’arrêt de Dakar n’est pas une prison, mais c’est le Sénégal entier qui est une prison. Car j’ai vu des détenus qui sont aux arrêts trois jours après leur libération alors qu’ils ont fait deux à cinq années de prison. De jeunes garçons découragés de la vie, s’ils ne sont rejetés par leurs familles pour avoir fait la prison plusieurs fois. Pourtant, si faire la prison rend mauvais, donc Abdoulaye Wade est lui-même mauvais et d’autres encore. Ce n’est pas parce qu’une personne a fait de la prison qu’elle est mauvaise. »

RECOMPENSE ET PUNITION

« Dans la détention, on nous sensibilise par rapport au sida et à la drogue. Je n’avais pas de tondeuse, mais je m’approvisionnais en lames que j’avais toujours en poche. Après chaque rasage, je brise la lame avant de la jeter car il arrive que des détenus veulent les réutiliser. Et si je refuse, ils volent les sucres des autres pour s’acheter des lames et cela peut créer des histoires. Mais parfois, quand ils se fâchent, j’y mettais de l’eau de javel avant de la leur donner.

Quand les détenus arrivent avec des rastas, c’est moi qui leur rase la tête, parce que c’est dangereux d’avoir des rastas en prison. C’est la même chose pour les femmes avec leur greffage et leurs mèches, elles les enlèvent avant d’entrer dans la prison. Mais c’est surtout pour éviter les punaises et poux. Je rasais les détenus. Au début je n’avais pas encore de tondeuse, je n’avais qu’un peigne et des lames. Il y avait beaucoup de détenus qui rasaient mais j’étais le meilleur. Il y avait de vieux polygames et le jeudi, ils m’appelaient pour que je leur refasse la barbe et les cheveux. Dès fois, ils voulaient me payer, mais je refusais. D’autres m’offraient de l’argent. En fait les jours de visite, certains détenus ne voulaient pas se présenter devant leurs parents ou femmes avec des barbes et des cheveux hirsutes. Je me suis trouvé des clients et j’ai formé des jeunes que je dirigeais vers certains secteurs. Mais il y a des gens que je rasais moi-même.

Comme les gens se battaient dans les chambres, le régisseur et le chef de cour ont fini par comprendre que j’étais un homme de paix et c’est comme ça qu’ils m’ont nommé chef de chambre. Et souvent quand il y avait des arrivants, comme ceux qui voulaient partir en Espagne, je leur envoie du savon pour se laver. Je leur donne un matelas pour se coucher, le lendemain je leur donne le petit-déjeuner. En mon absence, c’est mon homme de chambre qui me remplaçait. Il devait éviter qu’il y ait des bagarres, éviter aussi le rapport de force entre les plus faibles et les plus forts.

Tous les six mois, la prison change. J’ai vécu deux prisons. Celle où règne la loi du plus fort entre détenus. Et celle d’aujourd’hui. Les choses ont changé. Si tu frappes un arrivant, les gardes le savent aussitôt, et c’est le chef de chambre qui est puni. On lui retire cette fonction qu’il n’est pas capable d’assumer. Maintenant le nouveau venu est bien accueilli et on lui explique les lois de la chambre : il ne doit pas marcher quand on sert le repas à minuit, il n’y a plus de bains, c’est aussi le silence. Au début quand tu expliques cela, il y en a qui se lèvent pour t’insulter ou te frapper. Et là, le garde intervient pour leur faire comprendre que ces règles sont à accepter, sinon c’est la cellule punitive qui est tellement éprouvante que certains s’y cognent la tête contre le mur, d’autres se tailladent le corps avec des lames, d’autres essaient même de se suicider. C’est une petite cellule dont les fenêtres ressemblent à des trous d’aiguille. Tu y entres en slip, et à la sortie tu es tout blanc comme si on t’avait enduit de farine, à cause de la poussière.

Cette cellule, j’y ai séjourné pour avoir voulu retourner à la chambre 14. On me l’a refusée alors que je n’étais pas à l’aise à la cellule 31 où on m’avait transféré. Elle était très exiguë et j’avais, à ce moment, conscience que je passerai une bonne partie de ma vie en prison, que j’allais passer devant la Cour d’assises et que cela prendrait du temps. Il me fallait de l’espace. Or dans les petites chambres, on se promène à tour de rôle. Un groupe sort le matin et un autre le soir. En plus, je ne m’entendais pas trop avec le chef de chambre qui voulait que je remplace son homme de chambre qu’il trouvait trop faible. Je ne voulais pas travailler pour la prison, mais pour mon propre compte. Cela s’est terminé par une bagarre et comme j’étais le plus fort physiquement, je l’ai terrassé. On m’a mis en cellule. Mais je n’y ai pas duré parce que les gardes pénitentiaires savaient que je n’avais de problèmes avec personne. Pendant cinq ans de prison, aucun garde ne m’a jamais insulté ni frappé. »

HOMO... SEXUALITE

« Dama kasso, me rappelle les moments durs où l’on ressent vraiment le statut de prisonnier. Des moments pendant lesquels le détenu se renferme sur lui-même. Ses pensées se tournent vers sa mère, son père, ses frères ou sœurs, ses enfants... La belle vie d’homme libre lui manque.

Quant à l’homosexualité, cela existe dans le monde entier. Et il y a en plus en dehors de la prison où la pratique homosexuelle a beaucoup diminué. Ce n’est pas souvent facile, pour un homme qui a une femme, qui a déjà connu les plaisirs de la vie et qui est enfermé dans un lieu pendant dix ans. Dans ces moments-là, je ne parle même pas de l’homosexualité, mais il est capable d’assouvrir ses besoins sexuels sur un chat... »

INO, ALEX ET LA MUTINERIE

« J’ai partagé pendant quelques temps la chambre 3 avec Alex, mais je ne connaissais pas Ino, ni grand chose de leur histoire. J’étais là, lors de leur tentative d’évasion. C’était très dur. Une pomme de terre pourrie a failli pourrir tout le sac. Je n’ai pas participé à cette évasion et je n’accepte pas qu’on me fasse ce genre de tortures. Les tortures de la police m’ont suffi. Si cela se renouvelait, je me suiciderais. Beaucoup de gens étaient au courant de cette évasion, mais beaucoup ne pouvaient pas fuir. Moi aussi je ne le pouvais pas. Et d’ailleurs pourquoi je le ferai, surtout que je n’avais rien fait. Et si je m’enfuyais, où allais-je me réfugier ? Dans les villages ? Je n’y connais personne. Je ne connais que Dakar. Si je m’étais évadé, j’aurai commis une bêtise qui aurait fatigué mes parents pour rien. Celui qui s’évade, le fait pour lui-même. C’est comme dans une maison de prêtres, celui qui prie, le fait pour lui-même. »

L’ACQUITTEMENT

« Quand on m’a acquitté, je ne savais même pas ce que cela voulait dire. J’ai demandé à celui qui était à côté de moi, et il m’a expliqué que j’étais libre de toute poursuite. Mais je n’étais pas content. Toutefois, j’ai remercié le Bon Dieu.

Et jusqu’à présent j’enrage. On m’a bousillé ma vie au moment où je ne pensais qu’à vivre de mon art. A la période où l’on m’a arrêté, les choses marchaient bien pour moi. Je suis le fils aîné de ma mère. J’ai un autre petit-frère, mais il est très jeune. Je savais ce que j’ai laissé derrière moi. Et c’est cela qui me faisait du mal. On m’a arraché à mon travail, mis en prison pendant cinq ans et six mois et quatre jours pour ensuite m’acquitter...

Arrivé à la maison à Thiaroye, j’ai failli danser. Mais je me rendu compte qu’il me faudra du temps pour rattraper ce que j’ai perdu. Mais je suis sans rancune. Dieu a mis sur mon chemin des gens biens, qui m’aident et me soutiennent et en plus, je travaille. Je suis devenu maçon. Je suis payé 2500 francs Cfa la journée. Et je cherche une carte d’identité. Je gère ma vie. »

PERSPECTIVES

« Fou malade » et moi habitions le même quartier. Il a même animé un concert pour moi et un de nos amis commun, on a chanté ensemble et il avait promis de m’aider à ma sortie de prison. Je le vois chaque jour, il vient chez moi et me téléphone souvent pour me dire que tout est prêt et qu’il ne reste que moi pour sortir une cassette. Mais c’est moi qui lui demande de patienter, parce que j’attends de dire ce qui me fait mal.

Maintenant j’ai compris que les choses ont changé. Si vous cassez la tête d’un homme, vous vous retrouverez en prison. J’essaye de sensibiliser mon entourage. J’aimerais bien que la prison sorte de ma tête, mais je n’y arrive pas.

A peine sorti de la prison, j’ai senti à la brise marine que j’étais dans un autre monde. Je me suis un peu perdu. Mais le Sénégal, d’ici cent ans, ne va pas changer. On repeint les murs et c’est tout. J’ai reconnu les rues, j’ai pris une voiture, et quand je suis arrivé chez moi, mes petits-frères et sœurs ont accouru pour m’embrasser. J’ai prié pour remercier le bon Dieu. Et je me suis rendu compte que je venais de sortir d’un lieu très étroit. Je suis allé voir mes voisins les plus porches et certains me donnaient des conseils et me remerciaient d’avoir aidé ma mère en lui envoyant de l’argent quand j’étais en prison. Je ne voulais pas de ces conseils, parce que je n’ai pas volé, ni tué pour mériter la prison, ni vendu du yamba, encore moins commis un viol. Je ne suis pas un bandit.

Mais il y a des personnes que j’ai refusé voir parce qu’elles m’avaient condamné avant l’heure. Quand je les vois dans la rue, je les salue. Mais pas plus. Pour le moment mes seuls amis sont le stylo et le cahier pour écrire mes textes, la coiffure, la peinture. Je veux faire mentir ceux qui ont dit que je vais devenir un bandit. Je veux aussi devenir un exemple pour la banlieue. Un livre sur lequel tout le monde peut apprendre, pour que les gens ne rejettent pas ceux qui ont fait de la prison. Mes parents ne l’ont pas fait parce qu’ils savent que je ne suis pas quelqu’un de mauvais. »

SOURCE D’INSPIRATION

« En prison, la vérité peut surgir au bout de quelques années de détention. Si on ment souvent au juge, entre détenus on se dit la vérité. Et certains sont innocents, d’autres se repentissent et veulent gagner honnêtement leur vie dans l’espoir d’être libérés au bout de cinq. Mais c’est souvent la désillusion, le désespoir si après toutes ces années, personne ne s’occupe de leurs dossiers. Certains en arrivent même à ne plus croire au Bon Dieu, à en vouloir à tout le monde. De petits délinquants qui sortent de prison aigris, aguerris, et formés par les vrais délinquants avec qui ils cohabitent dans la détention. Car les plus anciens ont souvent une mauvaise influence sur les jeunes détenus. Toutefois, au bout de quelques années, on peut identifier les dangereux de ceux qui ne le sont pas. Certains détenus sont arrêtés juste parce qu’ils sont présentés à la police comme des « terreurs ». C’est trop facile.

Des réalités qui inspirent mes chansons. En fait c’est en 1993 que j’ai commencé à faire du rap. Mais j’ai changé ma façon de faire quand j’ai débarqué à la prison de Rebeuss. Car les vrais textes de rap doivent être écrits sur la vie des détenus qui restent 10 à 15 ans sans être jugés, vivant dans de petites chambres... Des vies gâchées à jamais. Par ailleurs, un ancien détenu est un magistrat raté. Quand tu me dis que j’ai été arrêté pour un joint de yamba, je te dis qu’une fois devant le juge, tu lui réponds que tu es asthmatique, c’est pourquoi tu fumes du yamba. Soit on te relâche, soit on te retiens pour quinze jours. Si tu restes longtemps dans un système, tu finis toujours par connaître les rouages. »

A L’ATTENTION DU PRESIDENT WADE

« Ce morceau, je l’ai écrit pour dire au père Wade que c’est avec nous qu’il était en prison, je veux lui dire : « Père Abdoulaye Wade, quand tu as pris le pouvoir, tous les prisonniers se sont rasés la tête en espérant la grâce, mais jusqu’à présent la grasse matinée est là. Libére les condamnés à la perpétuité,

Parle aux avocats qui bouffent l’argent de leurs clients,

Lutte contre la corruption dans les tribunaux,

Libère les innocents qui subissent les mandats de dépôts.

Père, les innocents meurent en prison, pourtant c’est avec eux que tu étais en prison,

C’est au plus fort des dangers que nous avons tout bravé pour crier le Sopi, mais tu as changé de façon Gorgui. »

Propos recueillis par Safiétou KANE et Aminatou M. DIOP
Source : Le Quotidien