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Saisine no 2003-23 pour des faits à l’encontre de M.Cl détenu

Mise en ligne : 26 août 2004

Texte de l'article :

Saisine no 2003-23
AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 11 avril 2003, par M. Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône.

La Commission nationale de déontologie a été saisie, le 11 avril 2003, par M. Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône, de faits portés à son attention par l’OIP qui se sont déroulés au centre pénitentiaire de Marseille entre le 26 février et le 21 mars 2003 concernant un détenu, Monsieur Cl.
Des membres de la Commission se sont rendus à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille où ils ont procédé à l’audition du détenu, Monsieur Cl. Ils ont entendu le directeur de l’établissement qui leur a remis les comptes rendus des personnels concernés par l’incident du 26 février et ceux se rapportant à l’incident du 21 mars. Ils ont procédé en ses bureaux à l’audition de cinq surveillants, d’un premier surveillant et d’un chef de service pénitentiaire.

- LES FAITS
Le 26 février 2003, M. Cl., incarcéré depuis le 9 juin 2000, transféré le 24 décembre aux Baumettes, affecté dans une cellule du bâtiment B. fait l’objet d’un compte rendu au directeur de l’établissement pour « non-respect du règlement intérieur, comportement agressif et insultes sur le personnel ».
Le 27 février M. Cl. fait une tentative de suicide par pendaison. Il est découvert vers 23 heures 20 par un surveillant. Après l’intervention des marins pompiers, il est conduit à l’hôpital Sainte-Marguerite où il reste hospitalisé quelques jours. À son retour en détention, il est transféré dans une cellule du bâtiment A, mis sous régime de surveillance spéciale.
Le 21 mars, il est convoqué à la Commission de discipline pour l’incident du 26 février. Celle-ci fait l’objet d’un ajournement. À la sortie de la Commission, le détenu Cl. regagne le bâtiment A en transportant ses paquetages. Arrivé au rez-de-chaussée nord un nouvel incident l’oppose à des surveillants, à l’issue duquel le chef de service pénitentiaire décide sa mise en prévention immédiate. Le détenu Cl. est conduit au quartier disciplinaire. Le médecin constate que son état n’est pas compatible avec sa détention au quartier disciplinaire. Il est admis au SMPR  [1] le jour même. Il y est toujours actuellement.
Le 31 mars le détenu Cl. comparaît devant la Commission de discipline pour « des violences physiques à l’encontre d’un membre du personnel de l’établissement » (article D. 249-1 du CPP). Les faits examinés sont ceux du 21 mars. La sanction prononcée est une mesure de trente jours de cellule disciplinaire dont quinze jours avec sursis, cette partie de la sanction était réputée non avenue si aucune nouvelle faute disciplinaire n’est commise pendant un délai fixé à six mois. L’examen de l’incident du 26 février serait toujours suspendu.

A - Les faits du 26 février
1) Déclarations du détenu Cl.
De l’audition du détenu, il ressort qu’il s’est rendu le 26 février après-midi à la bibliothèque située au premier étage de son bâtiment, après en avoir demandé l’autorisation au surveillant d’étage. Un autre détenu était présent. Ils constatent l’absence du préposé à la bibliothèque parti au parloir, et le détenu Cl. affirme qu’un surveillant leur aurait alors demandé d’attendre. « Au bout d’une demi-heure, trois surveillants sont arrivés ». « Je ne les connaissais pas, un des surveillants nous a dit : “dégagez”. Je lui ai dit : “vous pouvez rester poli”. Le surveillant a dit : “tu veux faire le malin, tu restes-là”. Puis : “tu vas à la douche”. Il m’a donné l’ordre d’aller à la douche ». J’étais très inquiet, car j’ai eu des problèmes antérieurement avec des détenus à la prison de Nîmes. Ils m’ont fait avancer, un des surveillants m’a fait une clé de bras et m’a tiré par les cheveux.
Dans les douches, ils m’ont entièrement déshabillé, menotté dans le dos et mis au sol. Un m’a tiré les bras en m’insultant, un autre m’a dit : « tu es une sous merde, une merde, que je ne valais rien ». Ils m’ont mis le visage contre le sol qui était très sale. D’autres surveillants sont arrivés qui se tenaient devant la porte. Ils m’ont relevé, remis mon pantalon, je suis resté torse nu et m’ont conduit à leur chef. Je souffrais énormément du dos et des côtes. J’ai demandé à aller à l’infirmerie. Le chef a refusé. J’ai regagné ma cellule. J’étais terrorisé et choqué. J’ai appelé le surveillant qui m’a envoyé à l’infirmerie [...]. On m’a dit c’est rien, tu peux retourner dans ta cellule. J’étais très mal, j’étais effondré. J’ai fait une tentative de suicide le 28 février. Je suis resté à l’hôpital quelques jours. J’ai demandé à ce qu’on prévienne mes parents. Quand je suis revenu en détention, j’ai senti une tension très forte de la part des surveillants, de l’agressivité ».

2) Déclarations des surveillants
- Le premier surveillant Pu. rapporte dans le compte rendu fait le jour même : « ce détenu se trouvait dans les escaliers au niveau du deuxième étage alors que sa cellule est au rez-de-chaussée nord.
Lorsque je lui ai demandé de regagner son étage, celui-ci m’a déclaré “ qu’il faisait ce qu’il voulait”. Ce détenu cherchant l’affrontement j’ai décidé de le conduire à la douche car les promenades remontaient et son comportement risquait de créer un trouble plus important. Lui demandant d’obtempérer le détenu C. a commencé à devenir agressif et à s’accrocher à la rampe [...] nous avons été dans l’obligation d’utiliser la force strictement nécessaire (clé de bras) afin de conduire ce détenu (dans les douches) et de le fouiller intégralement pour assurer notre sécurité ».
Entendu par la Commission le premier surveillant, M. Pu. fait valoir le risque que constituait la situation créée par ce détenu alors que d’autres détenus étaient à proximité, en passe d’emprunter le même couloir. Il a insisté sur « une attitude de provocation dans le ton employé » par Monsieur Cl. qui a demandé à ce qu’on lui « parle mieux ». Il a expliqué que les douches de l’étage constituaient « un sas » qui permettait « d’isoler l’incident ». « Le détenu C. s’est accroché à la rampe [...] afin d’opposer une inertie physique ». Une fois dans les douches, le premier surveillant et deux de ses collègues effectuent une fouille à corps de sécurité « afin de préserver notre intégrité physique ». « M. Cl. a refusé le déshabillage.
Nous lui avons retiré ses habits et je suis allé chercher des menottes. [...]
Ce détenu ne se calmait pas. Nous l’avons ensuite descendu au rez-de-chaussée, tenu par les menottes. Je les lui ai retirées avant de le présenter au chef ».
- Le surveillant Pe. fait un compte rendu le jour même pour refus d’obtempérer, insultes du détenu Cl. Il indique notamment « Quand le premier surveillant Pu. lui a demandé de regagner son étage, le dit détenu a refusé d’obtempérer [...]. Prétextant de façon agressive : “ arrêtez de me parler comme à un chien, je ne descendrai pas”. Devant son refus [...] le premier surveillant l’a fait entrer au niveau du deuxième étage pour le mettre dans les douches. Le surveillant Pe. relate qu’arrivés dans les douches “nous avons dû le maîtriser à l’aide d’une clé de bras afin de nous permettre de lui faire une fouille à corps pour assurer notre sécurité” ».
Dans son audition, le surveillant Pe. explique : « il arrive très souvent que des détenus qui sont en mouvement pour se rendre à l’infirmerie ou dans une autre structure du bâtiment s’installent dans les escaliers et discutent ; comme les détenus de “promenade” allaient emprunter ce passage, nous avons décidé de faire le ménage ». [...] Tous ont obtempéré sauf le détenu Cl. [...]. Le détenu Cl. a haussé le ton, il cherchait l’agression, c’était flagrant. Le premier surveillant devant ce manque de coopération a ouvert la grille et lui a dit : “vous allez à la douche” ».
Le surveillant Pe. a répondu à la Commission : « je n’ai pas souvenir d’avoir dit au détenu Cl. ni qu’un collègue lui ait indiqué pourquoi nous voulions le conduire dans les douches ». Une fois là (dans les douches) étant donné son comportement agressif qu’on ne comprenait pas, on lui a dit : « on va effectuer une fouille à corps ». Il s’y est opposé. Nous avons été obligés de le déshabiller étant donné son agitation.
« Le premier surveillant est allé chercher les menottes. J’ai repris la clé de bras. Cl. était maintenu debout contre le mur. Au retour du premier surveillant, nous avons effectué la fouille à corps qui consiste à mettre le détenu complètement nu. Nous avons fouillé ses vêtements ».
- Le surveillant K. a indiqué dans son compte rendu du 26 février « constatant que ce détenu recherchait l’affrontement le premier surveillant lui ordonna de se rendre à la douche, ce que ce dernier a refusé catégoriquement, s’agrippant énergiquement à la rampe de la coursive, la force strictement nécessaire a été utilisée pour nous permettre de l’introduire dans la douche et afin d’effectuer une fouille intégrale sur ce détenu.
Le détenu Cl. a proféré des insultes [pendant toute la fouille et après la neutralisation de ce dernier à l’aide de menottes [...]. Ces insultes ont été répétées à plusieurs reprises avec de la rage et une extrême agressivité dans la voix ».
À la Commission le surveillant K. a expliqué : « [...] nous avons procédé à la fouille au corps. Il s’agissait de vérifier si ce détenu n’avait rien de dangereux sur lui ». Pour répondre à la Commission, le surveillant a indiqué « depuis que je suis aux Baumettes, j’ai dû utiliser les douches comme salle de fouille. Il n’y a pas de salle de fouille dans les étages, uniquement au rez-de-chaussée ».
Il a répondu en ce qui concerne la maîtrise du détenu dans les douches : « M. Cl. était debout contre le mur. Je suis formel, il n’a pas été mis sur le sol. Il s’est rhabillé et nous lui avons passé les menottes ».
M. K. a jugé utile de remettre lors de son audition un planning concernant la fréquentation de la bibliothèque mise en place le jour même de l’incident (26 février 2003) qui indique qu’elle est fermée le mercredi après midi.

B - La tentative de suicide de M. Cl.
Le lendemain, dans la nuit du 27 au 28 février, M. Cl. se pend au montant de son lit. Il est découvert vers 23 heures 20 par le surveillant Pe. en service de nuit qui effectuait une ronde. N’ayant pas les clés de la cellule, le surveillant Pe. fait appeler en urgence le premier surveillant Pu. ils « décrochent » le détenu et le mettent dans la position latérale de sécurité.
M. Cl. est conduit par les marins pompiers à l’hôpital. Il reste hospitalisé.
Une minerve est posée. M. Cl. demande à ce que ses parents soient prévenus.
La tentative de suicide de ce détenu a fait l’objet d’un compte rendu à l’administration pénitentiaire. Figurent dans le relevé « des indices et témoignages susceptibles de reconstituer l’incident et de connaître la raison certaine ou supposée de l’attitude désespérée du détenu » : le détenu avait pris un rapport d’incident le 26 février pour un refus d’obtempérer et devait passer prochainement en commission de discipline.
La Commission relève l’appréciation suivante concernant le comportement du détenu envers le personnel : normal ; envers les codétenus : plusieurs incidents avec ses codétenus.
Le 1er mars, les parents de Cl. rendent visite à leur fils au parloir et constatent son absence. Aucune information ne leur ait faite ce jour-là par l’administration pénitentiaire sur les raisons de cette absence. Ils disent avoir appris des détenus présents au parloir la tentative de suicide de leur fils. Inquiets, ils écrivent au directeur qui leur répond dans un courrier du 25 mars : « les éléments dont nous disposions sur son état de santé à cette date était que le pronostic vital n’était pas en jeu, ce qui laissait entendre le retour rapide en détention. Nous n’étions pas en mesure d’affirmer qu’il ne serait pas présent au parloir du 1er mars ». Et le directeur d’ajouter : « c’est la raison pour laquelle l’établissement n’a pu vous éviter ce déplacement ». Le directeur informe alors les parents que leur fils est suivi sur le plan somatique et qu’il a été admis au SMPR [2].
Répondant à la Commission sur l’information aux familles, le directeur de l’établissement a exposé « qu’il n’existe pas de dispositions réglementaires, d’autant que parfois l’établissement ne dispose d’aucun élément pour informer les familles. Lorsque Monsieur et Madame Cl. nous ont écrit, nous leur avons répondu ». Il a précisé : « en ce qui concerne le parloir du 1er mars, j’ignore quel motif d’absence a été donné aux parents de Cl. »

C - L’incident du 21 mars
Ce jour-là, le détenu Cl. est convoqué devant la Commission de discipline pour les faits du 26 février.
Pour ce faire, il quitte sa cellule située au bâtiment A et gagne le bâtiment D où se réunit cette instance disciplinaire. Il doit emporter avec lui un paquetage, pour le cas où serait prise une décision de mise au quartier disciplinaire. Le détenu Cl. transporte quatre ballots qu’il achemine en traversant plusieurs bâtiments et en montant les six étages qui conduisent à la Commission.
Le chef de service pénitentiaire T., en fonction dans le bâtiment A où a été transféré le détenu Cl. à son retour en détention est assesseur à la Commission de discipline. L’avocat de Cl. assiste son client.
La Commission fait l’objet d’une décision d’ajournement. Un complément d’enquête a été demandé.
Le détenu Cl. doit regagner sa cellule. Il redescend alors les six étages et retraverse les bâtiments avec ses ballots ; arrivé dans son bâtiment de détention, il doit à nouveau monter des étages.

1) Déclarations du détenu Cl.
« Je regagnais mon étage, chargé de plusieurs sacs très lourds » [...] je me tenais devant l’ascenseur avec mes sacs, on m’a dit d’attendre, lorsque le chef m’a dit : tu as insulté quelqu’un, tu retournes en cellule, je te vois à 14 heures pour un CRI [3]. Je lui ai dit que j’étais épuisé, que je ne pouvais plus porter les sacs. Je souffre depuis la naissance d’une luxation congénitale de la hanche. J’ai des difficultés de locomotion. Le chef m’a dit : tu te crois où, il m’a attrapé au visage, j’ai enlevé sa main, il m’a donné un coup de poing dans l’oeil gauche. [...] plusieurs surveillants se sont précipités sur moi. J’ai reçu plusieurs coups, ils m’ont embarqué, ils m’ont menotté, m’ont attrapé par les cheveux et par le cou et m’ont conduit au QD. Ils sont revenus me chercher quelques minutes après. J’ai encore reçu des coups de pied pour me faire lever. J’ai été conduit à l’infirmerie, puis transféré au SMPR où je suis toujours hospitalisé « .

2) Déclarations des surveillants
Le surveillant B., le surveillant G., le surveillant W. s’accordent dans les comptes rendus faits à l’administration pénitentiaire sur les circonstances à l’origine de l’incident.
« Il [le détenu Cl.] refusait de remonter à son étage, à pied, avec ses affaires. Il voulait prendre l’ascenseur, ce qui est strictement interdit par le règlement intérieur. Il s’est assis sur ses sacs et a refusé d’obtempérer aux injonctions du chef de service pénitentiaire ». « Il restait assis inerte sur ses sacs ». « Nous avons été obligés de le monter avec la force strictement nécessaire ».
- Le surveillant B. lors de son audition précise avoir vu le détenu quelques jours avant la Commission « pour qu’il signe sa convocation » puis le 21 mars, « je me rappelle avoir été surpris par le nombre de paquetages du détenu Cl. ».
Le surveillant B. accompagne M. Cl. et d’autres détenus jusqu’au bâtiment D. « Sur le trajet, M. Cl. s’est arrêté plusieurs fois pour se reposer.
[...] À un moment il a dit “je suis fatigué”. Je lui ai répondu : “vous vous reposez, on repart quand vous voulez”. Je l’ai laissé à mes collègues [...] et je suis retourné à mon poste ».
« Vers 11 heures 11 heures 30, j’étais dans mon bureau situé à côté du bureau du chef de service pénitentiaire T. lorsque j’ai entendu des cris. [...] j’ai découvert M. Cl. assis sur ses sacs. Le CSP  [4] m’a dit : “il veut prendre le monte-charge pour remonter”. Je suis intervenu auprès de monsieur Cl. pour lui proposer de laisser ses sacs dans la salle d’attente et de les acheminer l’un après l’autre. Il a refusé, s’est énervé puis s’est assis sur ses sacs et a dit : “je ne bouge plus”. Il était calme mais décidé à ne plus bouger. M. T. le CSP nous a demandé de le faire monter [...]. Nous nous sommes saisis de Cl. en le tenant par les bras et les jambes [...]. Un premier surveillant était devant et M. T. derrière. M. Cl. s’est laissé porter.
Ce détenu étant très lourd, nous avons voulu le poser au sol sur le palier entre le premier et le deuxième étage pour qu’il regagne tranquillement sa cellule. Il s’est mis à hurler et a voulu agresser le surveillant G. Le collègue a réussi à esquiver le coup et l’a plaqué contre le mur. Nous l’avons maîtrisé par les bras et M. T. nous a dit de le conduire en prévention ».
- Le surveillant G., lors de son audition, répondant à la Commission, précise « j’étais en poste au niveau du kiosque [...] j’ai d’abord aperçu M. Cl. alors qu’il se rendait à la Commission de discipline avec ses quatre sacs. À sa sortie de la Commission, dont j’ignorais qu’elle avait fait l’objet d’un ajournement, M. CL m’a demandé s’il pouvait prendre le monte charge pour se rendre à l’étage de sa cellule. Je lui ai répondu que c’était interdit par le règlement [...] M. Cl. m’a demandé s’il pouvait se rendre auprès du chef pour demander l’autorisation d’emprunter le monte-charge. [...] je l’ai entendu demander à M. T. [...] Monsieur T. lui a dit “vous n’avez pas le droit d’utiliser ce monte-charge, vous remontez par les escaliers”. [...] Monsieur Cl. était très calme et restait inerte assis sur ses sacs ».
« Des collègues et moi-même avons saisi M. Cl. en l’attrapant au niveau des bras. Pour ma part, je l’ai saisi au niveau des jambes et nous avons entrepris de le porter dans les escaliers [...] M. Cl. étant particulièrement lourd, et comme il était calme, nous avons décidé de le poser sur le sol entre le premier et le deuxième étage. Je lui ai alors demandé de se rendre seul à sa cellule. Il s’est relevé en hurlant et il est venu vers moi, très menaçant. Il a essayé de me donner un coup de poing. J’ai paré le coup et je l’ai repoussé contre le mur. Non, je n’ai pas donné de coups de poing à M. Cl., ni vu un des mes collègues le frapper. [...] Mes collègues ont pu lui ramener le bras dans le dos pour l’immobiliser. Comme M. T. (le CSP) me suivait avec d’autres surveillants, il nous a donné l’ordre de le redescendre au rez-de-chaussée et de le conduire en prévention ».
- Lors de son audition, le surveillant W., répondant à la Commission, déclare : « je savais qu’il y avait eu un incident quelques jours auparavant au bâtiment B entre des surveillants et un détenu, mais j’ignorais le nom du détenu ».
Le 21 mars, je me trouvais au niveau du kiosque avec mon collègue M. G. lorsque j’ai entendu des cris au niveau du bureau du chef de service pénitentiaire. Un détenu, M. Cl. était assis sur ses sacs et criait. [...] M. T. parlait au détenu qui refusait de réintégrer sa cellule. Habituellement la procédure prévoit, en cas de refus d’obtempérer à l’ordre de réintégrer la cellule et de trouble à l’ordre, une mise en prévention immédiate. M. T. nous a demandé de monter M. Cl. à sa cellule. [...].
3) Déclarations du chef de service pénitentiaire M. T. en poste au bâtiment A
Lors de son audition, le chef de service pénitentiaire, qui depuis a quitté les Baumettes pour un autre établissement, a indiqué à la Commission : « j’ai eu à connaître ce détenu dans le cadre d’une commission de discipline le 21 mars, alors que j’étais assesseur. [...] Cette commission a fait l’objet d’un ajournement car la procédure était litigieuse ».
Répondant à la Commission sur le fait que les détenus doivent transporter avec eux tous leurs effets, le CSP T. a indiqué : « c’est une règle qui est plus ou moins appliquée dans les centres de détention. Je ne sais plus si cette procédure était systématique à l’époque ». Le CSP T. a précisé : « à la sortie de la Commission, j’ai précédé de peu M. Cl. qui devait regagner sa cellule. [...] M. Cl. passe devant mon bureau et je l’interpelle en lui disant que je le reverrais l’après-midi même pour qu’il s’explique sur un CRI récent relatif à des insultes. Il m’a demandé une explication immédiate. Je lui ai dit brièvement de quoi il s’agissait.
Il s’est emporté. M. Cl. a adopté une position inerte, refusant d’obéir à mon injonction de regagner sa cellule. Vous me dites que le détenu Cl. s’est plaint auprès de moi de ne plus pouvoir porter ses affaires, je ne me souviens pas de cela. J’ai pensé que cette inertie venait de cette convocation de l’après midi dont je l’informais ».
Le CSP a expliqué alors à la Commission qu’il a demandé aux surveillants de se saisir du détenu et de le conduire à sa cellule.
« [...] je les ai suivis. Arrivé sur le palier de l’étage, le cortège a trouvé la grille fermée, ce qui est normal. À un moment l’attention s’est relâchée vis-à-vis du détenu, le problème étant d’ouvrir cette grille [...] le détenu s’est montré menaçant vis-à-vis d’un surveillant qui l’escortait.
Le CSP déclare : « devant cette tentative d’agression qui est une faute disciplinaire premier degré et qui justifie pleinement la mise en prévention d’un détenu, j’ai décidé de recourir à cette procédure extrême. Il a été saisi par les quatre membres et reconduit au QD [...] au sixième du bâtiment D.
Le CSP T. a ajouté : « étant donné le profil de ce détenu, la tentative de suicide évoquée par l’avocat à la commission (de discipline), je me suis rendu au SMPR pour les alerter. M. Cl. a été admis dans l’heure suivante au SMPR situé dans le bâtiment A ».

- AVIS
A - Sur les circonstances de l’intervention des surveillants le 26 février et le traitement de la situation
a) Il ressort, tant des déclarations du détenu que de celles des surveillants que Cl. se trouvait effectivement bien cet après-midi-là hors de sa cellule.
Le détenu maintient ses déclarations concernant le fait qu’il s’était rendu cet après-midi-là à la bibliothèque et attendait à proximité de celle ci son éventuelle ouverture.
Soit il avait effectivement reçu, comme il l’avance, l’autorisation du surveillant d’étage de se rendre à la bibliothèque, soit il s’y était rendu sans autorisation.
L’administration pénitentiaire n’a pu faire connaître pour quel autre motif ce détenu « se trouvait dans les escaliers au niveau du deuxième étage, où il n’avait rien à y faire compte tenu du fait que lors des promenades aucun autre mouvement n’est autorisé » [5]. Il est peu crédible que la cellule de ce détenu ait été ouverte sans qu’un surveillant n’en ait été informé ni que le motif n’en ait été connu et consigné.
Il en ait résulté une situation conflictuelle entre le détenu et les surveillants confrontés au retour imminent des détenus « de promenade ».
b) Le détenu Cl. fait valoir un manque de respect dans les propos des surveillants. Ceux-ci ont estimé que le haussement de ton et l’attitude du détenu, les signes manifestes d’agressivité et de provocation étaient susceptibles de créer un incident avec d’autres détenus, ce qui est recevable.
c) Les surveillants en difficulté dans l’échange avec ce détenu ont pris la décision de « l’isoler » dans la salle des douches. Des auditions, il ressort que c’est bien l’ordre de se rendre aux douches qui a suscité la résistance de Cl., celui-ci s’étant aussitôt agrippé à la rampe.
La fragilité psychologique du détenu Cl. peut expliquer qu’il ait ressenti particulièrement cette proposition comme une menace.
d) En ce qui concerne la fouille intégrale dans les douches.
Il relève des auditions du détenu et des surveillants qu’elle a été excessivement difficile avec usage de la force.
La Commission rappelle que la circulaire de l’administration pénitentiaire du 14 mars 1986 prescrit que les fouilles intégrales doivent être effectuées en règle générale dans un local approprié à cet usage et qu’elles doivent faire l’objet, sauf urgence, de consignes écrites. Le texte prévoit également les fouilles par palpation. Dans tous les cas doit être respectée la dignité des détenus et des agents.

B - Sur le traitement de la tentative de suicide du détenu par l’administration pénitentiaire
M. Cl. était dans un état qui l’a conduit à tenter de se pendre le lendemain d’un incident avec des surveillants.
La famille du détenu n’a pas été immédiatement avisée de cette tentative de suicide ayant entraîné une hospitalisation en urgence.
Il est regrettable que cette tentative de suicide ne soit pas mentionnée sur le procès verbal de la Commission de discipline du 31 mars mais l’administration avait immédiatement inscrit ce détenu sur la liste de surveillance spéciale.
Selon le directeur le signalement systématique des tentatives de suicide est fait au service de santé de l’établissement.

C - Sur l’incident du 21 mars et la comparution de M. Cl. en Commission de discipline le 31 mars
a) Des auditions et de l’examen des comptes rendus relatifs à cet incident, il ressort que le détenu Cl. qui portait des paquets dont les surveillants s’accordent à dire qu’ils étaient nombreux et encombrants était visiblement épuisé par le trajet aller et retour du bâtiment A jusqu’au bâtiment D où se tenait au sixième étage la Commission de discipline.
Tous décrivent Cl. affalé, inerte sur ses paquets ; son avocat qui le croise sur le trajet en quittant la CD constate « l’état d’épuisement de Cl. assis sur ses sacs ».
b) Si l’interdit qui est fait à un détenu d’utiliser le monte charge, « sauf pour certains travailleurs lorsqu’ils ont des outils lourds et sont accompagnés d’un surveillant » est fondé, il résulte par contre des auditions qu’« il était possible, comme cela s’est déjà vu (aux Baumettes) d’avoir recours à l’aide d’un auxiliaire » [6].
c) Sur l’obligation qui est faite aux détenus convoqués en commission de discipline d’emporter avec eux un paquetage pour le cas où une décision de mise en cellule disciplinaire serait prise, la Commission a recueilli des explications diverses et peu satisfaisantes : sont invoqués soit l’aspect pratique (le quartier disciplinaire est à proximité de la Commission de discipline), soit l’aspect sécuritaire (le risque d’un trouble à l’ordre en détention si le détenu sanctionné revient dans sa cellule prendre ses affaires).
La Commission considère que la présentation du détenu avec son paquetage laisse préjuger de la sanction de la Commission de discipline, ce qui peut créer un risque en terme de sécurité, au départ de la détention ou sur le trajet et semble aussi ne pas tenir compte du caractère contradictoire de la procédure disciplinaire. Elle préconise donc que l’administration pénitentiaire renonce à cet usage
d) De l’audition du chef de service pénitentiaire T. la Commission relève que ses déclarations divergent beaucoup de celles des autres surveillants et notamment elle ne peut croire en l’ignorance qu’il dit avoir eu d’une quelconque demande de Cl. concernant son état de fatigue et le problème posé par la charge de ses paquets.
La Commission estime que l’attitude de ce responsable est en partie à l’origine du dérapage.
La Commission observe en effet que le CSP choisit la sortie immédiate de Cl. de la Commission après l’ajournement pour l’interpeller vers 11 heures 30 et le convoquer « l’après-midi même pour un CRI récent relatif à des insultes ».
Or aucun compte rendu pour insultes ne figure dans les pièces transmises par l’administration pénitentiaire. Un CRI a bien été rédigé le jour même par un surveillant mais il se rapporte à des faits postérieurs à l’incident : « ce jour le 21 mars vers 14 heures 30, lors de la fouille de vos affaires, j’ai trouvé treize CD gravés. Détenu avisé du présent CRI ».
La Commission, au vu de ces éléments, estime irrecevables le comportement et les déclarations de ce CSP. Ils tendent à suggérer que l’ajournement de la décision de la Commission de discipline du 21 mars qui examinait l’incident du 26 février n’ayant pas convenu à ce responsable, il a tenté de mettre en oeuvre une nouvelle procédure.
e) Sur les violences alléguées
La Commission relève un certificat médical du 24 mars 2003 concernant M. Cl. et constatant « un hématome sous l’oeil gauche et un hématome de la face, du bras gauche de 2 cm sur 2 cm ». Ce certificat médical atteste en partie les plaintes du détenu Cl. quant à un coup de poing donné au visage le 21 mars.

- RECOMMANDATIONS
1) Comme elle l’avait déjà fait dans son avis du 14 octobre 2003 (dossier 2002-28) la Commission recommande une stricte application des dispositions de la circulaire du 14 mars 1986 relative aux fouilles de détenus, quant aux conditions et lieux.
2) La Commission souhaite que le problème des objets qu’un détenu doit prendre avec lui lors d’une comparution disciplinaire soit réglé par circulaire.
3) Sur l’information aux familles lors de tentatives de suicide, la Commission préconise qu’elle soit rendue obligatoire. L’article D 427 du Code de procédure pénale devrait être complété en ce sens.
4) La Commission appelle l’administration pénitentiaire à une plus grande vigilance quant au respect par ses personnels des procédures internes et des décisions de l’instance disciplinaire, seule habilitée à faire la lumière sur les faits qui lui sont exposés, à entendre le point de vue du détenu et de son conseil, comme celui des surveillants.
Adopté le 19 novembre 2003

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Pas de réponse du garde des Sceaux

Notes:

[1Service médico-psychologique régional

[2Le détenu Cl. A été admis au SMPR le jour de l’incident du 21 mars

[3Compte rendu d’incident

[4CSP : chef du service pénitentiaire

[5Déclaration du directeur des Baumettes à la Commission

[6Déclaration du surveillant G.